Que, parmi nous, l’emploi de Semainier Est bien un triste et fatiguant métier ! Si l’on me croit fort flatté de ce titre, On a grand tort. Quoi, toujours être arbitre Des différents d’actrices et d’acteurs ! Quoi, chaque jour, accueillir des auteurs, Dont les vers plats mettent à la torture L’acteur forcé d’en subir la lecture ! Prendre, chasser, quereller des valets, Suivre, intenter, terminer des procès ! J’ai bien assez de mes propres affaires, Sans en aller débrouiller d’étrangères. Que désormais d’autres prennent ce soin ; Moi, je n’en veux, ni de près, ni de loin. Mais il ne vient personne. Qu’est-ce à dire ? Robert.     Monsieur ?         A-t-on pris soin d’instruire Tous nos acteurs ?...         Le jour et le moment Sont mis ainsi dans l’Avertissement : « On traitera d’affaires importantes, Sur le théâtre, à sept heures sonnantes, Le Mercredi, dix-septième du mois. » Il est le quart.         Vous vous trompez, je crois. Ou votre montre...         Oh ! Ma montre est parfaite. Mais n’est-il point venu certain poète, Vêtu de noir, un homme assez mal mis ? Il va venir : je l’ai connu jadis. Il me demande un appui favorable Auprès de vous. C’est un assez bon diable : Je le protège : ah, protégez-le aussi. Nous recevrons sa pièce.         Grand merci ; Car, entre nous, il me doit quelque chose. J’ai son billet écrit, non pas en prose, Mais en beaux vers, en vers Alexandrins. Fais-le moi voir quelqu’un de ces matins, Cela doit faire une pièce comique. Lisez. Le style en est pourtant tragique. « Pour avoir su transcrire élégamment les vers Qui porteront ma gloire au bout de l’univers ; Et pour s’être montré domestique fidèle, En me prêtant souvent son argent avec zèle, Je promets à Robert, qui m’a servi six ans, De lui payer un jour la somme de cent francs. » Tu n’es pas cher.         Non ; mais il faut tout dire : Dans son métier il tâchait de m’instruire. Je le servais gratis, de mon côté : J’étais laquais par générosité. Tu comptais donc un jour être poète ? Monsieur, la rime est un grand casse-tête. On la poursuit, on cherche à la saisir ; Elle s’enfuit quand on croit la tenir. On n’y parvient qu’en se donnant au Diable. Eh bien ?         Je pris un parti moins damnable, Foulant aux pieds les lauriers d’Apollon, J’ai fui la rime, et suivi la raison. Dis-moi, Robert, les traits de ta figure Ne me sont pas nouveaux, je t’en assure ; Dans quel pays puis-je t’avoir connu ? En cent endroits vous pouvez m’avoir vu ; Car l’éléphant, l’ours et le crocodile, Que l’on fait voir partout de ville en ville, N’ont pas des traits connus du spectateur Autant que ceux de votre serviteur. Pourquoi ?         Je fus un de ces interprètes Dont on se sert pour les marionnettes. Polichinel, si plaisant pour les sots, Ne dut qu’à moi le sel de ses bons mots. Qu’alors j’étais cher à la populace ! L’ambition m’offrit une autre place. Chez des acteurs, qui n’étaient pas de bois, Je fus moucheur de chandelles... Je crois Que vous riez.     Mais, oui.         Certains ouvrages N’ont dû pourtant leurs plus grands avantages Qu’aux doigts brillants d’un moucheur ignoré. Quand un théâtre est vraiment éclairé, Cela vous jette un jour sur une pièce On en saisit tout l’esprit, la finesse, Enfin cet art...         Cet art est surprenant. Je n’ai point là borné tout mon talent ; Ce que j’ai fait est presque un phénomène. Diable !         Monsieur, une même semaine M’a vu moucheur, contrôleur, receveur, Décorateur, afficheur et souffleur. Cet assemblage est burlesque.         Il est drôle. J’ai fait encor de méchants bouts de rôle ; Et qui plus est j’ai, pendant près d’un mois, Par intérim, représenté les Rois. Il fallait voir de quel air despotique Je soutenais ma fierté politique. J’avais un front plein de sérénité Lorsque mon trône était en sûreté. Mais quand l’Etat penchait vers sa ruine Je me croisais les bras sur la poitrine, Et je poussais d’augustes hurlements Comme un Lion dont on lime les dents. Je n’eus pourtant du parterre indocile Que des sifflets. Je vins en cette ville, Où renonçant à la grandeur des Rois, J’entrai gagiste au théâtre François. Grand Prince, hélas ! la chute est un peu grande. Adieu. Songez que je vous recommande Mon ancien maître et mon vieux débiteur. Va, sois content. Mais quelqu’un vient.         Monsieur C’est la Concierge, et je m’en vais d’avance. Tachez, Monsieur, de prendre patience, Nous n’aurons pas nos Acteurs de sitôt. Comment donc ?         Tous se sont donné le mot Pour aller voir l’admirable sculpture Qui de Voltaire exprime la figure. Ils devaient bien choisir d’autres moments. Ce n’était pas ainsi que, de mon tems, Se conduisaient les Acteurs ; mais tout change, Et tout le monde aujourd’hui se dérange. On était donc bien plus parfait jadis ! Mon cher Monsieur, c’est moi qui vous le dis, La nature est tellement renversée, Qu’on n’en saurait concevoir la pensée : Les femmes sont sans grâces, sans beauté ; Les hommes n’ont ni force, ni santé ; Les champs n’ont plus leur éclat ordinaire ; Les bois n’ont plus leur charme et leur mystère. Tout dépérit, et même j’aperçois Qu’on ne dort plus aussi bien qu’autrefois. Cette remarque est fine autant que sage : Je l’entends faire aux gens du plus grand âge. Quant au génie, à l’esprit, aux talents, On n’en a plus, encor moins de bon sens ; La conduite est bizarre, inconséquente. En voulez-vous une preuve parlante ? Sans aller loin, songez aux changements Faits au théâtre ; ils sont extravagants. Je pleure encor la réforme soudaine De tous ces bancs qui garnissaient la scène, Faisaient briller tous nos jeunes Seigneurs, Et rapportaient tant d’argent aux Acteurs. Ce dernier point...         Est surtout d’importance. On a proscrit, avec même imprudence, Cette perruque et ces vastes chapeaux, Dont nous ornions les antiques héros : Par un faux goût, par un travers fantasque, On croit devoir coiffer avec un casque Sertorius, César, Brutus, Othon : Monsieur, ce casque est d’un bien mauvais ton. Oui, cela donne une mine sauvage ; L’air de quelqu’un qui veut faire tapage. Vous en parlez fort énergiquement. Mais on a fait un autre changement Qui me révolte encore davantage. C’est des paniers dont vous parlez, je gage. Monsieur, comptez que leur suppression A porté coup à notre nation. Oui, des paniers, l’ample circonférence, Tient beaucoup plus aux moeurs que l’on ne pense. Je le crois fort. Avec un tel secours Vous enchaîniez autrefois les Amours. Vous voulez rire en tenant ce langage ; Mais j’ai valu mon prix dans mon jeune âge. On le voit bien : vos yeux, Madame Armand, Faisaient l’effet de la pierre d’aimant : Vous attiriez les coeurs d’étrange sorte ; Même à présent, où, le diable m’emporte, Vous me plairiez dans de certains moments. Hélas ! Hélas, que ne suis-je à vingt ans ! Qu’entends-je ! Ici, j’apprête donc à rire. On est venu : Monsieur, je me retire. La bonne femme est folle...         Enfin pourtant Nous voici tous ; et l’Auteur est absent. Va le chercher.     J’y vole.         Prenons place. Entre vous deux, recevez-moi, de grâce. Moi, je veux être avec vous dans ce coin. Monsieur Brizard, n’allez donc pas si loin. Venez ici.         Finissez. Soyez sage. Vous vous trompez, j’ai fort mauvais visage. Croit-elle donc que je l’irai prier ? Je ne suis pas non plus un écolier. Je ne veux pas faire la moindre avance. Je vous dirai, pour moi, ce que j’en pense. Elle se met assez bien.         Cependant Elle se coiffe un peu trop en devant. Quand on voudra pourtant faire silence, Nous apprendrons l’objet de la séance, Et la raison qui fait que c’est ici, Pour s’assembler, le lieu qu’on a choisi ? Sur tous ces points l’Auteur doit vous instruire. Comment, Messieurs, c’est pour entendre lire Qu’on a choisi ces lieux et ce moment ? L’objet l’exige indispensablement. J’aurais bien fait d’apporter de l’ouvrage. Lorsqu’on me lit des vers c’est mon usage. Oh, quant à moi, pour les trouver plus courts, J’apprends mon rôle, et l’Auteur lit toujours. Mais à propos, Messieurs, je vous déclare, Qu’à mon absence il faut qu’on se prépare ; J’ai mon congé pour le reste du mois. Je prends huit jours.     Moi dix.     Moi cinq.         Moi trois. Fort bien.         Je compte aussi sur ma huitaine. Je ne fais point grâce de ma quinzaine. Oui, mon ami, tu peux, si tu le veux, Me regarder et faire de gros yeux. En bonne foi, dis-moi...         Que veux-tu faire ? Peut-on jouer quand on est en affaire ? Premièrement : tiens, vois mon agenda ; J’ai dix soupers sur ces deux pages-là. Ce n’est pas tout ; il faut que je m’apprête À figurer dans la superbe fête Qu’on va donner... Je ne suis pas de fer... On y jouera, dit-on, un jeu d’enfer... Et... tu m’entends ; je dormirai... peut-être. Quelle raison vous force à disparaître ? Je vais me mettre à la diète.         Pour moi, Je vais chasser à la suite du Roi. Moi, j’étudie, et c’est-là mon excuse. Oh moi, voici la mienne, je m’amuse. Et le public, que croit-on qu’il dira ? Rien. Le public jamais n’exigera Que, pour lui plaire, on s’excède, on s’accable. Sans contredit : il est trop équitable, J’en suis comblé. S’il était devant nous, Je lui dirais, Messieurs, convenez tous Que du plaisir vous êtes idolâtres ; Vous le cherchez à la ville, aux théâtres, Enfin partout ; souffrez quelques instants Que votre idole ait part à notre encens. Disant ces mots d’un ton bien pathétique, Je convaincrais, et, pour toute réplique, Le battement des mains du spectateur Couronnerait les désirs de l’acteur. Eh bien, Messieurs, notre pièce nouvelle En reste-là ; quand donc se jouera-t-elle ? Mademoiselle, il faudrait que d’abord, Sur chaque rôle, on fût un peu d’accord. On l’est assez, si ce n’est qu’on s’obstine À m’enlever celui de l’héroïne ; L’Auteur pourtant me l’avait adjugé. C’est une erreur dont il s’est corrigé. Il a laissé cette importante cause À vos avis, Messieurs ; jugez la chose. Pourquoi juger quand j’ai les plus grands droits ? Pourquoi vouloir ici faire des lois ? Je n’en fais point ; mais convenez vous-même Que la fierté, l’orgueil du rang suprême, Sont dans ce rôle : il est donc fait pour moi : Les Reines font l’objet de mon emploi. Ce rôle a moins d’orgueil que de tendresse : Il tombe donc dans l’emploi de Princesse, Et la tendresse, en effet, est mon lot. Jugez-en tous.         Si l’on dit un seul mot, Je vais, Messieurs, quitter la Comédie. À vous permis si telle est votre envie. Vous avez bien de la vivacité. On voit chez vous la plus vaine fierté. Vous m’insultez, je crois, Mademoiselle. C’est plutôt vous.         Cessez une querelle Dont vous pourriez ne vous réjouir pas. De vos grands airs je fais très peu de cas : Trêve d’orgueil, auguste Souveraine ; Vous vous croyez sans doute sur la scène. Je sais d’où part ce langage piquant ; On rabattra votre ton révoltant.  Quoi ! vous allez jusques à la menace ? Vous m’effrayez, Reine, faites-moi grâce. Vous plaisantez ?         Calmez votre courroux... De la douceur.         De quoi vous mêlez-vous ? Ma qualité d’arbitre entre les belles Me donne droit d’entrer dans leurs querelles. On ne veut point d’un tel médiateur. Sans employer de conciliateur, J’exposerai ma raison, et, sans peine On s’y rendra.         Je vous dirai la mienne. C’est temps perdu ; c’est un méchant esprit. Sur sa raison vous n’aurez nul crédit. Savez-vous bien ce qu’on vient de me dire ? Savez-vous bien ce qu’on cherche à produire ? Mais je croirais qu’on veut nous irriter. Eh bien ; tâchez de vous raccommoder, Vous les rendrez bien sots, sur ma parole. C’est bien pensé, j’abandonne le rôle. Je fais de même, et ne le jouerai pas. Vous nous jetez dans un autre embarras. Vous le jouerez.         Vous le jouerez vous-même. Non, par ma foi.         Quelle folie extrême ! Que ferons-nous ?         Tout ce qu’il vous plaira. J’ai dit mon mot : le jouera qui voudra. Voici l’auteur.         Son maintien est grotesque, Moitié gendarme et moitié pédantesque. Eh, bon jour donc, Monsieur de Songe-Creux. Passez.     Monsieur...         Ne soyez point honteux. Nos grands Auteurs tragiques et comiques N’ont remporté les palmes dramatiques Qu’après avoir siégé dans ce fauteuil. À moi, Messieurs, n’appartient tant d’orgueil. Il siérait mal aux colombes timides D’entrer au nid des aigles intrépides ; La moindre place en ces augustes lieux M’honore trop, et surpasse mes voeux. S’il est ainsi, prenez donc cette chaise. Venez ici, vous serez plus à l’aise. Oui ; mais par-là nous n’entendrions rien : Approchez-vous, chacun entendra bien. Mettez-vous là, nous nous verrons en face. Vous me quittez, c’est de mauvaise grâce ; À cet affront je ne m’attendais pas. Tenez, Monsieur, pour finir ces débats, Placez-vous-là sans plus vous faire attendre. Je ne sais plus vraiment auquel entendre. Je reste ici... Mesdames et Messieurs ; Ou, disons mieux : Reines, Rois, Empereurs, Qui ne tenez la grandeur souveraine Que de votre art et que de Melpomène, Comtes, Marquis, Comtesses et Barons, Qui ne devez vos titres et vos noms Qu’à la faveur de Thalie elle-même, D’un faible Auteur calmez la crainte extrême. Pour un Poète en effet ce moment Est périlleux et très embarrassant. Un Allemand qu’on empêche de boire, Un Charlatan que l’on ne veut pas croire, Un écolier qui sait mal sa leçon, Un Philosophe à l’aspect du canon, Ont moins d’effroi, de trouble et de détresse Qu’un bel esprit qui présente une pièce. Et cependant ce bel-esprit a tort ; Qu’avons-nous donc pour l’effrayer si fort ? Si l’on voulait croire la médisance... Parlez, il faut dire ce que l’on pense. Vous n’avez pas, dit-on, pour les Auteurs, Des sentiments bien doux et bien flatteurs. Mais là-dessus n’entrons point en matière, L’homme prudent sait parler et se taire. Quoi ! se peut-il, Monsieur de Songe-Creux, Que vous donniez dans tous ces contes bleus ? Non, je reçois les faits qu’on m’articule, Mais sans en croire une seule virgule. Sachez, Monsieur, que tous ces méchants bruits Viennent d’Auteurs justement éconduits ; Qui, furieux de voir que leurs ouvrages N’ont jamais pu réunir les suffrages, Vont se venger, par mille faussetés, De nos refus qu’ils ont bien mérités. Voudriez-vous qu’en ce moment critique, Un auteur fit votre panégyrique ? Non, je ne sais moi-même, en pareil cas, Où la fureur ne me porterait pas. Vous êtes doux ; nous n’aurions rien à craindre. Je crois n’avoir jamais lieu de me plaindre À votre égard, puisqu’infailliblement Vous recevrez mon ouvrage... Oui vraiment. Armez-vous tous exprès pour le combattre ; Unissez-vous, faites le diable à quatre, Il faudra bien qu’à la fin vous cédiez, Et de grand coeur que vous le receviez. Quoi ! Vous aurez le pouvoir despotique De nous contraindre ?         Oui, et non. Je m’explique. Absolument par force, j’aurais tort ; Mais par attrait, par pur zèle, très fort ; Vous le devez enfin pour votre gloire. Vous révérez tendrement la mémoire Du bon Molière, heureux restaurateur, Ou, pour parler plus juste, créateur De l’art charmant par qui vous savez plaire. Chacun de nous en lui regrette un père. Si j’élevais à cet homme éminent Par une Pièce un petit monument, Que diriez-vous ?         Vous auriez mon suffrage. Mon avis est qu’on reçoive l’ouvrage, Pour son objet, avant de l’avoir lu. Monsieur l’Auteur, votre ouvrage est reçu. C’est bientôt dit : il faut voir si le style En est correct, élégant et facile. Fort bien ; le style : on ne veut que cela. Il faut du style : on aime ce mot-là. Mais, pour quelqu’un qui se mêle d’écrire, N’en faut-il pas ?         Oui, et non ; c’est-à-dire, Qu’on doit avoir du style en général ; Mais n’en pas faire un objet principal. Il faut du fond. Un Auteur dramatique, Par le fond seul, gagne la voix publique. Ma Pièce aussi, de l’un à l’autre bout, A bien du fond ; du style, point du tout. Tant pis, vraiment.         Vous ne pouvez m’entendre, Si plus au net je ne me fais comprendre. Oui, dans ma pièce on ne trouvera pas De diction : ce n’est qu’un canevas, Rien qu’un croquis ; mais par votre génie Vous y mettrez la grâce et l’harmonie. Comment cela ?         Chacun de vous dira À l’impromptu tout ce qui lui viendra. J’étais d’avis que l’on jouât la pièce. Si quelque chose à présent m’intéresse, C’est qu’on renonce à vouloir s’en mêler. Pourquoi cela ?         Nous nous ferions siffler. On ne doit rien jouer qu’on ne l’apprenne. Et comment fait la troupe Italienne ? Ils ont cet art.         Vous l’entendrez comme eux, Ce secret-là n’est pas si merveilleux. Mais rien ne peut vous empêcher d’écrire, Comme tous font.         Oui, et non ; je veux dire Que j’y perdrais ma peine et mon latin ; Mon plan doit être exécuté demain. Demain !         Demain ! la chose est infaisable. Il eut été même plus convenable Que l’on jouât ma pièce dans ce jour ; Puisque je veux célébrer le retour Et de l’année et du jour séculaire Qui vit Molière éclipsé de la terre. Or, d’aujourd’hui, cent ans sont révolus Depuis l’instant que Molière n’est plus. La circonstance est vraiment singulière ; Il faudra faire un effort pour Molière. Très volontiers.     D’accord.         Je m’y soumets. Que l’Auteur donc nous dise ses projets. J’ai supposé que l’Art comique, en France, Depuis longtemps était en décadence. Je crois, Messieurs, que, sans prévention, On peut passer la supposition. Pour réparer un si cruel dommage, Les Comédiens ayant mis en usage Tous les moyens qu’ils ont crus les meilleurs, Ayant prié, caressé les Auteurs, Encouragé leur superbe arrogance, Les ayant même enfin payés d’avance, Et tout cela sans avoir réussi, Veulent pourtant prendre un dernier parti ; Et c’est celui du recours au diable, Comme l’on fait toujours en cas semblable. C’est un moyen terrible que cela. Il n’est pourtant pas rare à l’Opéra. Ils font venir une vieille sorcière, Femme savante en plus d’une matière, Qui s’est acquis un crédit sans pareil Près du beau sexe, étant de bon conseil. Qui prendrez-vous pour jouer la sorcière ? Vous-même.     Moi ?         Vous toute la première ; Vous avez tant de grâce et de fraîcheur, Que votre jeu n’en sera que meilleur ; Tout s’embellit par votre heureuse adresse, Vous nous ferez adorer la vieillesse. Vous me donnez de si bonnes raisons, Que je serai la vieille.         Poursuivons. La Magicienne, avec une baguette, Trace un grand cercle, et prend d’une cassette Des os de mort, de l’encens, un crapaud Qu’elle abandonne aux flammes d’un réchaud. Au même instant une fumée épaisse Couvre le corps de la vieille Prêtresse, Qui prononçant des mots mystérieux Fuit, et Molière alors s’offre à vos yeux Oh, j’aurai peur... non, vous ne sauriez croire Tout mon effroi, quand j’entends quelque histoire De revenant ; j’y pense dans mon lit, Je ne saurais fermer l’oeil de la nuit. Je vous plains fort. Vous seriez plus hardie, Si vous aviez avec vous compagnie. Nous n’avons pas besoin de vos avis. Monsieur l’Auteur, achevez vos récits. Je continue. À l’aspect de Molière On fera voir, chacun à sa manière, Les sentiments dont on est agité. L’un en montrant un air épouvanté : L’autre en marquant toute sa gratitude, Un autre encor prenant cette attitude ; Celui-ci fait un geste admiratif, Et cet autre ouvre un oeil contemplatif. Tous ces tableaux dont on est idolâtre Réussiront à merveille au théâtre. Fort bien.         Molière avance avec douceur, Tend poliment la main à chaque Acteur, Et tendrement embrasse chaque Actrice. Oh doucement, n’usons point d’artifice, Vous n’êtes point Molière.         Non vraiment, Mais à ma place il en ferait autant. Eh bien ensuite ?         A ce Dieu du Comique Un des Acteurs présente sa supplique. Molière écoute, assis dans ce fauteuil ; L’Acteur s’avance et dit la larme à l’oeil : Divin Molière, on ne rit plus en France ; Plus de plaisirs, plus de réjouissance. En acquérant un air de dignité, Notre théâtre a perdu sa gaieté. Si vous savez d’où ce malheur procède, Dites-nous-en la cause et le remède. Molière alors vous interrogera Sur le théâtre ; il vous demandera De grands détails sur l’art et la manière Dont les Auteurs fouillent cette carrière. Que dirons-nous pour lors ?         La vérité ; Mais pour répondre avec plus de clarté, Vous lui jouerez les scènes les plus belles, Dont chaque genre offrira des modèles ; Et vous plairez beaucoup aux spectateurs, Qui dans un acte en trouveront plusieurs : Qu’en dites-vous ?         L’idée est singulière. L’acteur chargé du rôle de Molière... Et qui sera celui qui parmi nous Fera ce rôle ?         Eh, mais, qu’en pensez-vous ? Ne puis-je pas le donner à Préville ? Fort bien, est-il instruit ?         Soyez tranquille ; Il est au fait ; et je compte, ma foi, Qu’il le rendra tout aussi bien que moi. Préville prenant donc l’esprit du rôle, À l’assemblée adresse la parole, Avec cet air, cet auguste maintien, Qu’en sa personne on remarque si bien. Messieurs, dit-il, les scènes différentes Que votre jeu vient de rendre brillantes, Ont de l’éclat, de la légèreté ; Mais je n’y trouve aucune vérité. Je n’y vois point une fidèle image Des passions de chaque personnage. Je n’y vois point cette naïveté, Source du rire, âme de la gaieté, Et sans laquelle un Auteur dramatique Ne peut jamais être vraiment comique. Pour réussir il n’est qu’un seul secret, C’est de bien peindre ; on dit que je l’ai fait : On a daigné se plaire à ma peinture. J’avais longtemps contemplé la nature Avec des yeux que l’on a cru meilleurs Que ne le sont ceux des autres Auteurs. Mais en cela, comme en bien d’autres choses ; On voit l’effet sans connaître les causes. Il a fallu qu’un diable s’en mêlât, Sans quoi souvent je tombais tout à plat. Sans ce fauteuil vous en faisiez de même. C’est que je suis d’une faiblesse extrême ; Je vous parois hardi, mais cependant J’ai de la crainte intérieurement. Reposez-vous.         Je reprends la parole. Écoutez bien ce grand maître d’école, Molière l’est. Qu’on se garde surtout De me parler que je ne sois au bout. Un vieux démon qui préside au Comique M’offrit, Messieurs, la lorgnette magique Dont se servait Térence l’Africain, Quand il voulait sonder le coeur humain. J’en profitai ; je sus avec finesse, Ainsi que lui, dévoiler la faiblesse, Le ridicule, et les nombreux travers Qu’on voit régner dans ce sot univers. Je la gardai pendant toute ma vie. Quelques Auteurs, inspirés par Thalie, L’eurent depuis, mais pour peu de moments. Je vais partir. J’espère, mes enfants, Vous envoyant ce gage héréditaire Fixer sur vous les faveurs du parterre. Chacun alors embrasse ses genoux. Chacun le veut retenir parmi nous. La foudre gronde ; il échappe à la vue, La scène change et l’on voit la statue. Quel dénouement !         Quel spectacle enchanteur ! Remerciez votre décorateur, Car nous étions d’accord pour vous surprendre. Aucun de nous ne s’y pouvait attendre. Excepté moi ; car j’étais du secret. Allons Monsieur le maître du Ballet, De vos talents faites voir quelque chose, Et que Molière ait une Apothéose. D’Apollon, en ces lieux, j’exerce la Prêtrise ; L’image de Molière est commise à ma foi : Quand la vertu le divinise, Le soin de ses honneurs ne regarde que moi. L’antiquité mettait jadis au rang des Dieux Ceux qui par leur valeur ont délivré la terre Des monstres, des brigands, des tyrans furieux. Pourquoi ceux qui, comme Molière, Ont terrassé le vice encor plus dangereux, N’auraient-ils pas le droit d’être immortels comme eux ? Qu’un éternel éclat environne Molière, Que son nom glorieux ne périsse jamais. Il corrigea la France entière De ses ridicules excès ; Sur mille différents objets Sa critique savante a porté la lumière. Qu’un éternel éclat environne Molière ; Que son nom glorieux ne périsse jamais : Qu’il vive, que toujours il soit cher aux Français. Que ce laurier sacré dont l’ombre t’environne, Serve, divin Molière, à former ta couronne ; C’est l’arbre qu’Apollon avait daigné choisir : Semblable à tes écrits, rien ne peut le flétrir. Abattez ces rameaux ; vous devez obéir ; Apollon par ma voix l’ordonne ; Pour former à Molière une noble couronne, Ce Dieu permet de les cueillir. Sexe enchanteur, c’est pour vous plaire Que ses travaux l’ont mis au-dessus des humains ; Sa récompense la plus chère Sera d’être en ce jour couronné par vos mains. Les autels des Héros que nous vante l’Histoire, Des plus rares parfums répandaient les vapeurs ; Cet encens a péri, mais celui de nos coeurs Est immortel comme ta gloire. Toi, qui sais étendre l’espace Et limiter l’immensité ; Toi, dont le vaste sein embrasse Le moment et l’éternité. Ô Temps ! Ton aile fugitive Tantôt couvre la sombre rive Du triste séjour de la Mort ; Tantôt elle plane avec gloire Sur les lieux sacrés où l’Histoire Fixe la demeure du Sort. Devant ton tribunal auguste Passent les générations ; Ton arrêt terrible, mais juste, Fait le destin des Nations ; Les Héros les plus magnanimes, Les Écrivains les plus sublimes A tes décrets sont asservis ; La place que tu leur désignes, Les honneurs que tu leur assignes, Pour jamais décident leur prix. Si pendant le cours trop rapide Des jours qui leur sont destinés, La voix du préjugé stupide A l’oubli les a condamnés, Ton zèle équitable s’enflamme ; Tu leur élèves dans notre âme De véritables monuments : Leur gloire en devient plus brillante ; Et notre estime renaissante S’accroît encore après cent ans. Molière en offre un grand exemple ; L’auguste image de ses traits Inspire à l’oeil qui la contemple De la tendresse et des regrets. On voit avec reconnaissance Ce grand homme qui, de la France, Cherchant à corriger les moeurs, Osa préférer, sans scrupule, L’arme adroite du ridicule A tout l’art brillant des Rhéteurs. Cette arme souvent dangereuse Devint utile entre ses mains ; Il la rendit victorieuse Contre les travers des humains. Vous qui le prendrez pour modèle, Par vos travaux, par votre zèle, Les vices seront abattus ; Et votre gloire inaltérable Fondera l’empire durable Des vrais talents et des vertus. Qu’on se livre aux transports d’une vive gaité ; C’est par un aimable délire Que doit être fêté Celui qui sut si bien nous exciter à rire.