Me voici seule enfin, parlons un peu raison. Cléon et son valet sont dans cette maison Cachés depuis hier, et par mon assistance : Si notre maître en a la moindre connaissance, Je suis perdue ; aussi je suis riche à jamais. Si de Cléon je fais réussir les projets. Il ne contente pas par de vaines paroles ; Il nous a consigné déjà cinq cents pistoles : Et s’il enlève Élise à notre procureur, Je puis bien m’assurer qu’il fera mon bonheur. Il faut gagner le clerc, il fera cette affaire : Mille écus bien comptant et l’espoir de me plaire Me répondent de lui. Voici ce dont j’ai peur : Le procureur céans à sa mère, sa soeur, Et sa fille ; elles sont sans cesse à leur fenêtre. Déjà plus d’une fois voyant Cléon paraître, Elles m’ont demandé (mais chacune en secret) Quel était ce monsieur si charmant, si bien fait, Qui passait si souvent. Elles en sont charmées, Et sont folles assez pour croire en être aimées. Les voici toutes trois avec le procureur, Tâchons de pénétrer jusqu’au fond de leur coeur. Ma mère, finissez vos proverbes des halles, Sentences du vieux temps, fades et triviales ; On n’entend que cela dans toute la maison, Et ma fille et ma soeur les mettent en chanson : Jour et nuit l’une et l’autre à composer s’applique De pitoyables vers, de mauvaise musique... Soit, vous n’entendrez plus proverbes ni chansons, Mais revenons un peu, de grâce, à nos moutons. Ce sont vos actions et non pas mon langage Qu’il vous faut condamner. Ce second mariage... Eh bien ! J’adore Élise, et prétends l’épouser ; Vos proverbes en vain s’y voudraient opposer. Élise est ma pupille ; étant sous ma tutelle, Ma mère, en ma faveur je veux disposer d’elle. Entendez-nous.         Ma soeur, j’en ai trop entendu. Mais, mon père...         Ma fille, autant de temps perdu. Vous devez avant tout pourvoir votre famille ; Mariez votre soeur, mariez votre fille. Et notre mère aussi, n’est-ce pas ?         Pourquoi non ? Et, sans tous les caquets et le qu’en dira-t-on... Un jeune homme... suffit.         À votre age, ma mère ! Suis-je si décrépite, et hors d’état de plaire ? Non pas ; mais...         Rira bien qui rira le dernier. Vous n’avez qu’à toujours demain vous marier, Je vous suivrai de près.         Je ne tarderai guère À me pourvoir aussi.     Vous, ma soeur ?         Oui, mon frère. À l’amour jusqu’ici vous aviez résisté. Il ne faut qu’un moment.         Pour moi, de mon côté, Je suivrai leur exemple.         Oh ! Ce n’est pas de même. Pardonnez-moi, mon père ; et déjà quelqu’un m’aime, Que j’aime aussi.         Comment ! Chacune a donc le sien ? On veut vous imiter.         Je l’empêcherai bien. Mariez-vous, vous dis-je, et puis laissez-nous faire. Oh morbleu ! Ces discours me mettent en colère : Je sens monter ma bile. il vaut mieux m’en aller. Il est si transporté qu’il ne saurait parler : Au désespoir, au moins, vous allez le réduire. La chose est maintenant au point où je désire. J’aurais donné sujet a chacun de crier, D’aller de but en blanc ainsi me marier ; Il m’en fournit enfin un prétexte valable : On dira que voyant mon fils déraisonnable, J’ai voulu le punir. Cependant, c’est l’amour. Mes enfants, qui m’occupe et la nuit et le jour. Et qui donc aimez-vous?         Tu le sais bien, Lisette : Mais n’en dis rien, au moins.         Allez, je suis discrète. Et vous ?     Tu le sais bien aussi.         Je m’en souviens, Et cet amant souvent a fait nos entretiens. Quant a vous, c’est celui qui, l’autre jour...         Lui-même ; Celui que je t’ai dit.         Vous aimez, on vous aime. Mais cet amour encor n’a parlé que des yeux. Ô contrainte cruelle !         Ô langage ennuyeux ! Très ennuyeux, sans doute ; et c’est le seul langage Que dans cette maison l’on peut mettre en usage : On n’en sort point. Mon frère est brutal ; un amant Ne veut point essuyer un mauvais compliment, Ne parler que des yeux.1         Oh ! Je fais davantage. Mon amant a trouvé le plus poli langage... Les soins sous ma fenêtre, il demeure arrêté ; Il tousse, il éternue.     Eh bien ?         De mon coté, Je tousse et j’éternue aussi.         Belle manière De se faire l’amour !         Toute la nuit entière... Mais mon père revient.         Allons, montons là-haut, Mes enfants ; nous prendrons les mesures qu’il faut. Je ne me trompais point, chacune croit qu’on l’aime ; Et, sans en rien savoir, elles aiment le même. Cet amant prétendu qui leur parle des yeux, C’est Cléon, qui rôdait toujours près de ces lieux, Dans l’espoir seul d’y voir Élise à sa fenêtre. Comme en divers moments elles l’ont vu paraître, Chacune a pris pour soi les signaux amoureux Que Cléon ne faisait qu’à l’objet de ses voeux. Lisette, sais-tu bien que ma famille est folle ? Elle est bien amoureuse, au moins.         Cela désole : Parce que j’aime, il faut que chacun aime ici ! Je me marie, on veut se marier aussi ! Je m’en moque, et je fais ce soir mes fiançailles. Et, sans doute, demain, monsieur, les épousailles ? Et de très grand matin. Que j’ai bien eu raison De tenir renfermée Élise en ma maison ! Ne voyant que moi d’homme, elle a perdu l’idée De Cléon, dont ailleurs elle était obsédée. Quel est-il ce Cléon ?         Je ne l’ai jamais vu ; Feu son père, pourtant, m’était assez connu Mais cela ne fait rien à sa présente affaire ; Pour la hâter, mon clerc, jadis clerc de notaire, Dresse notre contrat.         Il se mêle de tout. Votre clerc.         Il n’est rien dont il ne vienne à bout. C’est le plus habile homme !...         Ah ! Pour habile, passe Mais pour homme, il n’en a, tout au plus, que la face ; C’est un nain : cependant il a bien quarante ans. Quel qu’il soit, je suis fort content de ses talents. Laissons cela : parlons du festin, de la danse. Oh ! Tout est commandé, même payé d’avance. Cela me coûte un peu ; mais j’ai plusieurs procès, Où je redoublerai le mémoire des frais ; C’est de l’argent qui doit retourner dans ma poche. Et mon clerc... Mais il vient.         Bonjour, monsieur Bazoche. Serviteur. Laisse-nous, Lisette.         J’entends bien. Écoutons quel sera pourtant leur entretien. Eh bien ! tout est-il prêt ? Avez-vous mis les clauses Comme je souhaitais ?         J’ai bien mis d’autres choses : Au contrat que j’ai fait, vous ne reconnaissez Que le quart des grands biens d’Élise.         C’est assez ; Et ce contrat est-il à l’autre tout semblable ? On ne peut distinguer le faux du véritable ; Le notaire tantôt n’y reconnaîtra rien. Vous êtes assuré de l’escamoter bien ? Si j’en suis assuré ? Laissez, laissez-moi faire : J’ai bien fait d’autres tours étant clerc de notaire. Vous aurez cent louis, comme je vous ai dit ; Les voilà bien comptés.         Monsieur, cela suffit. Adieu.         Mais cependant, si pour plus d’assurance, Et pour m’encourager, vous les donniez d’avance ; Des scrupules souvent me prennent.         Les voilà ; Et rejetez bien loin tous ces scrupules-là. Ils sont passés.         Je vais amener le notaire ; Tenez les contrats prêts, je ne tarderai guère. Voilà ma conscience à présent en repos/ Peut-on avoir l’honneur de vous dire deux mots ? Plutôt quatre : tu sais que ma joie est extrême Lorsque je t’entretiens, et que toujours je t’aime. Si vous m’aimez, voici le temps de l’éprouver. Il faut.... Mais je ne sais si je dois achever. Parle. Est-ce la pudeur qui te ferme la bouche ? Te repentirais-tu d’avoir été farouche ? Et 1’amour m’aurait-il vengé de ta froideur ? Ne t’aurait-il point fait quelque blessure au coeur ? Je suis bon médecin, et je t’offre mon aide. Oui, vous êtes d’amour, je pense, un vrai remède; Et je m’en servirai quand j’en aurai besoin. Maintenant je vous veux charger d’un autre soin. Vous avez cent louis.     Oh ! oh !         Seriez-vous homme À les quitter ?     Non pas.         Mais pour prendre une somme Un peu plus forte.         Ah ! Bon : à cela je consens. Au lieu de cent louis, toucher trois mille francs, Cela vous plairait-il ?         Très fort ; et pourquoi faire ? Vous le saurez. D’ailleurs vous cherchez à me plaire, Et vous me plairez fort si vous faites cela : Mais il faut me jurer....         J’en jure ; touche là : Il n’est rien que pour toi je ne puisse entreprendre. Faut-il nuire, obliger ? Faut-il pendre, dépendre ; Faire du mal, du bien ; jurer à faux, à vrai ? De mon amour pour toi tu peux faire l’essai. Il ne faut que tromper.     Qui ?         Monsieur Piétremine. Quoi  ! Notre procureur ? Aisément je devine, Faire épouser Élise a quelqu’autre ?         À Cléon. Cléon, je le connais, c’est un joli garçon, À qui le procureur, à la mort de son père, A volé tant de bien.         Ferez-vous cette affaire ? Oui-dà, je la ferai : mais pour l’amour de toi. Ce sont trois mille francs que l’on me donne à moi. Autant.         Ce n’est pas trop : mais, parce que je t’aime... Et quand les donne-t-on ?         Quand ? À cette heure même. Va donc me les chercher.         Ils sont dans la maison. Je vais tout préparer pour cette trahison ; Faire un contrat, au nom de Cléon et d’Élise, Que notre procureur, sans crainte de surprise. Va signer, en croyant signer le sien.         Fort bien. Allez dans votre étude, et ne négligez rien. Mais, si l’on vous offrait une plus forte somme Pour nous trahir ?         Ah ! Non ; je deviens honnête homme : Je quitte le métier après ce grand coup-là. Friponner un fripon est mon nec plus ultra. Monsieur Bazoche va travailler avec zèle; Pour Élise et Cléon quelle bonne nouvelle ! Qui croirait, après tout, qu’on trouvât tant d’esprit Pans un corps si mal fait, si laid et si petit ? Sa figure est, ma foi, des plus désagréables. Si tous les procureurs avaient des clercs semblables, On ne verrait pas tant de désordre chez eux, Et les enfants qu’ils ont leur ressembleraient mieux. Ah ! Voici le valet de Cléon.         Piétremine Vient de sortir ; j’étais caché dans la cuisine, Où je mourais de faim. J’ai passé cette nuit Caché dans votre cave à côté d’un gros muid : Je l’ai percé, néant, rien n’est venu. La rage Puisse crever ton maitre ! Ah ! Quel maudit ménage ! Je n’ai mangé ni bu depuis hier.         Comment  ? Il ne t’est rien resté du souper ?         Non, vraiment ; Les clercs laissent-ils rien jamais sur leurs assiettes ? Chacun sait qu’ils ont soin de les rendre bien nettes. Tu te plains ! Et ton maître est aussi mal que toi Là-haut, dans le grenier.         Bon ! Voilà bien de quoi ! Au-dessus de la chambre où couche sa maîtresse, Songe-t-il à manger dans l’ardeur qui le presse ? Il vit d’amour, mon maître.         Eh bien ! Fais comme lui ; Pour te nourrir tu n’as qu’a m’aimer.         Vraiment oui, T’aimer, pour me nourrir ! Ce serait le contraire ; Cela me sècherait encor plus.         Comment faire ? Personne ne saurait sortir de ce logis. Piétremine a les clés dans sa poche.         Tant pis. Il n’y fallait donc pas entrer. Ah ! Je déteste, Et je maudis cent fois l’occasion funeste D’hier au soir.         Tantôt ta peine finira. Un splendide festin ici se donnera. Si j’attrape un chapon, aussitôt je l’empoche. Adieu. Je vais chercher de l’argent pour Bazoche. Bazoche ? Garde-toi de te fier à lui ; C’est un fripon.         D’accord : mais enfin aujourd’hui Il nous sert.     Et comment ?         Tu sauras toute chose. Les affaires vont bien. Je te quitte, et pour cause. Les affaires vont bien ! Vont mal ; et Saint-Germain, Pendant tout ce temps-là, meurt de soif et de faim, Et de peur : car enfin, si monsieur Piétremine Me trouve en sa maison ; il a l’humeur mutine.... De quel coté peut-il avoir tourne ses pas ? Quelqu’un vient, cachons-nous.         Je ne me trompe pas. C’est mon amant là-haut que j’ai vu ; c’est lui-même... Et voici son ami, de plus. Que! stratagème Vous a donc fait entrer ici tous deux ?         Comment Tous deux ?         N’êtes-vous pas l’ami de mon amant ? Avec lui plusieurs fois je vous ai vu paraître , Et même, hier encor, étant à ma fenêtre... Elle veut me parler de Cléon. Mais comment, Et par quelle raison le croire son amant ? Je viens de l’entrevoir là-haut : à l’instant même Je l’ai perdu de vue. Ah ! Quelle peine extrême ! Où croyez-vous qu’il soit ?         Ma foi, je n’en sais rien. Étant son bon ami, vous le connaissez bien. Mes yeux ont dans les siens pour moi cru voir sa flamme. Ne me trompait-il point ? M aime-t- il ?         Mais, madame... Parlez sincèrement : vous connaissez son coeur. Pour nous tirer d’affaire, appuyons son erreur. Oui, de votre fenêtre, au profond de son âme. Vos yeux ont su lancer une si vive flamme. Qu’il est tout plein de vous. J’ai fait de vains efforts Pour vous en arracher : il a le diable au corps. Je lui dis tous les jours : que prétendez-vous faire ? Cette dame pourrait être votre grand’mère. Pourquoi dire cela !         Mon dieu ! J’ai mes raisons ; Voulez-vous l’envoyer aux petites maisons ? Il est d’autres moyens...         J’en dis bien davantage, Et ne m’arrête point seulement sur votre âge : Je m’efforce, à trouver mille défauts en vous : La foi que vous gardez surtout a votre époux. Mon époux ! Il est mort.         Je le sais bien, madame, Et que sa cendre encor fait durer votre flamme. Non , non, elle est éteinte et j’en su m’en guérir : C’est sa faute, pourquoi s’est-il laissé mourir ? Aimer un mari mort, fi donc ! Quelle folie ! On a bien de la peine a les aimer en vie. Parlons de votre ami : qu’il m’a paru bien fait. Tenez, regardez-moi, vous voyez son portrait. Oh ! Que sa taille est bien au-dessus de la vôtre ! Nous portons cependant les habits l’un de l’autre. Cela ne se peut pas, vous paraissez rempli. Il les porte d’abord, pour y donner le pli ; Et je les use après.         Pourquoi donc ce ménage ? C’est que nous nous aimons on ne peut davantage ; Nous demeurons ensemble, et c’est une union... Sous nous servons l’un 1autre en toute occasion ; Je le peigne, il m’étrille ; il m’emprunte, il me prête ; Je le tiens toujours propre et souvent le vergette, Il épouste parfois aussi mon justaucorps ; À nous complaire, enfin, nous mettons nos efforts. Vous êtes son valet ?         C’est à peu près de même. Je comprends bien cela. Mais croyez-vous qu’il m’aime ! En pouvez-vous douter ?         Que fait-il à présent ? Si son coeur ressentait ce que le mien ressent... Il est plus amoureux encor que vous, je gage, Mais c’est qu’il est timide on ne peut davantage : C’est un amant transi...         Fi ! Cela me déplaît. J’aime un amant folâtre.     Oh ! Jamais il ne l’est. Un amant enjoué.         Si j’avais été femme, Ma foi, j’aurais été de votre goût, madame. Ah ! Que j’aurais aimé ces jeunes gens badins, Sans cesse à vos genoux à vous baiser les mains, Qui vous donnent cent fois occasion de dire : Mais...         Arrêtez-vous donc, fi donc ! Est-ce pour rire ? Allons, petit fripon, vous perdez le respect. Ah ! C’en est trop aussi, l’on doit...         À votre aspect Mon maître pâlira. De loin ses yeux font rage ; Mais de près il est sot à force d’être sage. Qu’il soit comme il voudra, c’est un garçon bien fait. Dans le monde on n’a pas toute chose à souhait : On prend ce que l’on trouve, en ce siècle où nous sommes. El l’on n’a jamais vu telle disette d’hommes. Allons, je veux passer sur les défauts qu’il a. Je m’en vais le chercher là-haut.         Demeurez là, Je le ferai descendre.         Il faut que de ma bouche Il apprenne à l’instant que son amour me touche ; Il faut prendre la balle au bond : souvent le temps.... Mais, du moins, qu’avec vous...         Non, je vous le défends. Elle va tout gâter; que va-t-elle lui dire ? Que lui répondra-t-il ? Le voici, je respire ; Je puis le prévenir.         Saint-Germain, quel malheur ! Je viens de rencontrer la soeur du procureur. Quoi ! Lucrèce ?     Oui, Lucrèce.         En voilà bien d’une autre ! Nous avons donc ainsi trouvé chacun la nôtre. J’ai rencontré la mère.         Ah ! Malheureux ! Pourquoi Ne te pas mieux cacher ?         Et vous, tout comme moi, Pourquoi vous montrez-vous ? Mais enfin à la belle Qu’avez-vous dit ?         J’ai dit que je venais pour elle, Que je l’aimais.     Comment ?         Trop longtemps interdit, Celte feinte à propos m’est venue en l’esprit. Voyant sortir quelqu’un de la chambre d’Élise, J’ai cru que c’était elle : ô ciel ! Quelle surprise, Quand, m’approchant plus près, j’ai connu mon erreur ! C’était Lucrèce. Un froid m’a glacé tout le coeur ; Mais reprenant mes sens : Adorable Lucrèce, Ai-je dit, pardonnez un excès de tendresse Qui m’a fait hasarder... Au fond je ne sais pas Ce que j’ai pu lui dire en un tel embarras : Mais j’enrage. Elle croit mon amour si sincère, Qu’elle veut en parler tout-à-l’heure à son frère : Elle a même ajouté que, s’il la refusait, À me suivre partout elle se disposait ; Et que, pour s’affranchir d’un trop rude esclavage Elle se laisserait enlever.         Bon ! Courage! Apprenez que la vieille... Elle vient sur vos pas. Je cherchais en haut, et vous êtes en bas. De votre passion suffisamment instruite... Que veut dire cela ?         Vous verrez dans la suite. Je viens vous secourir.         L’agréable secours ! Vous ne languirez pas longtemps dans vos amours. Comment ?     Votre valet m’a tout dit.         Lui, madame ? Quoi! D’Élise et de moi tu découvres la flamme ? Veux-tu nous perdre ?         Eh ! non : attendez un moment. Je viens vous assurer de mon consentement. Je veux, malgré mon fils...         Avec cette assurance, Madame, j’ose encor former quelque espérance. Espérez, espérez.         Que cet espoir m’est doux ! Souffrez qu’en ce moment j’embrasse vos genoux. Votre maître, vraiment, n’a point tant d’indolence. Il faut donc que l’objet ait beaucoup de puissance. Vous avez là des yeux perçants, aigus...         Ho, ho ! Dans l’éclaircissement gare le Quiproquo. Eh bien ! Mon cher, à quand cet heureux hyménée ? Pour moi toujours trop tard en viendra la journée ; Mais voire fils...         Mon fils, vous dis-je, est un benêt ; Je lie regarde point ici son intérêt. Comme il te fait, fais-lui. Son Élise qu’il aime, Par exemple, il l’épouse, et j’en ferai de même. Il l’épouse !         Demain, sans mon consentement. Qu’ai-je besoin du sien ?         Voici le dénouement. Quelle surprise !         Allez, je serai votre femme ; Je m’embarrasse peu qu’il l’approuve ou le blâme. D’où vient donc que tu m’as joué d’un pareil tour ? Il l’a fallu pour mieux cacher votre autre amour. Vous ne dites plus rien, près de m’avoir pour femme ? C’est sa timidité qui lui reprend, madame. Je vous l’avais bien dit.         Il se corrigera. Non, je crois que jamais cela ne changera. Il n’importe, il me plaît, et l’affaire est conclue : Marchandise qui plaît est à demi vendue. J’enrage.         Ce soupir augmente mon amour. Mais adieu, je pourrais soupirer à mon tour ; Il faut me contenir.         Que la peste te crève ! Vous-soupirez encore ? Ah ! Je demande trêve ; Je m’en vais revenir ; je veux laisser passer Un torrent de soupirs qui viennent m’oppresser. Peut-on encor songer à l’amour a cet âge ? Elle a perdu l’esprit avec son mariage. Mariage ! Ce mot me réjouit ; voyons. Voici quelqu’un encor.         Oh ! Pour le coup, fuyons ; C’est, sans doute, la soeur.         Non, monsieur, c’est la fille. Je serai rencontré de toute la famille. Ah ! C’est vous à la fin, je vous vois de plus près ; Je n’aimais point du tout nos entretiens muets : Votre geste et vos yeux, d une façon charmante, Avaient beau s’exprimer, je n’étais point contente. Quand viendra le moment de me voir près de lui ? Disais-je : je n’osais l’espérer aujourd’hui : Cela vous ennuyait autant que moi, je gage ? Mais que disiez-vous là, parlant de mariage ? Venez-vous à mon père ici me demander ? Autre pièce nouvelle....         Allons donc, sans tarder, Monsieur, répondez-lui.         La cruelle aventure ! Oh ! Je crois pour le coup que c’est une gageure Il faut la soutenir ; je vais parler pour vous. Oui, monsieur vient ici pour être votre époux. Que vas-tu dire encor ?         Mais l’espoir et la crainte... Combattant en son coeur... le tiennent en contrainte, Lui coupent la parole.         Et pourquoi donc cela ? Sans mon coeur je ressens aussi ces choses-là ; Et si j je parle bien.         C’est que dans une femme La parole jamais ne manque qu’avec l’âme : Si vous ne dites mot, vous allez gâter tout. Je me lasse, à la fin...         Allez jusques au bout. L’amour que vos beaux yeux...         Que veux-tu que je dise ? Achevez, dussiez-vous dire quelque sottise. Craignant que votre père enflammé de courroux. Me rencontrant ici, ne se venge sur vous... Je demeure sans voix dans ce triste silence... Voyez de mon amour toute la violence. Eh quoi ! N’auriez-vous pas la force de parler A mon père ?         D’abord il faut vous en aller: Il ne faut pas qu’ici l’on vous rencontre ensemble. Montez là-haut.         J’y vais ; mais enfin il me semble Que, monsieur ne venant ici que pour me voir, Il faut bien qu’il me voie.         Il vous verra ce soir. Laissez-nous seuls, vous dis-je, aborder voue père. Prenez bien votre temps.         Allez, laissez-nous faire. Mais, monsieur, si mon père allait vous refuser, Ne vous rebutez pas ; je puis vous épouser Sans son consentement ; ma mère a fait de même, Et ma grand’mère aussi.         Vraiment, lorsque l’on s’aime, C’est la règle à présent.         Les pères, de tout temps, Ont, dans notre famille, été d’étranges gens ; Et les filles toujours ont eu de l’industrie. Ce que c’est que savoir sa généalogie ! Et qu’il est beau surtout d’imiter ses aïeux ! Ne finiras-tu point tes discours ennuyeux ? Ma foi, vous nous perdez a rester davantage. Adieu , puisqu’il le faut.         Adieu donc, bon voyage. Tout extravague ici, grand’mère, fille et soeur. En voilà de tout âge et de toute couleur. Que je suis malheureux !         Blondes, blanches et brunes. On vous peut appeler homme à bonnes fortunes. Je n’ai pu d’aujourd’hui parler un seul moment À ma charmante Élise : il faut que justement Je trouve en mon chemin les objets que j’évite. Tout ceci me recule, et j’en crains fort la suite. Que j’aille, que je vienne, ou là-haut, ou là-bas, Ces trois folles sans cesse observeront mes pas. Enfin je vois Élise.     Ah ! Cléon !         Ah ! Madame ! Pouvez-vous concevoir le trouble de mon âme ? Je viens le dissiper, je m’en flatte du moins ; Et vous dire qu’après tant de peine et de soins Notre bonheur est proche.         Et sur quelle assurance ?... Lisette a mis le clerc de notre intelligence ; Et le contrat, dit-elle, est fait en votre nom. Que peut-on espérer d’un fourbe, d’un fripon ? Les mille écus que vient de lui porter Lisette... Sachez une autre chose encor qui m’inquiète. Je m’en doute.         La mère, et la fille et la soeur, D’un fol entêtement....         Je sais cela par coeur ; Lisette m’a tout dit     De plus....         Mademoiselle, On n’attend plus que vous.         Quelle triste nouvelle ! Depuis assez longtemps le notaire est là-bas. Et Piétremine ici peut monter sur mes pas; Descendez.         Si ce clerc, par un retour indigne.... Je ne signerai rien sans voir ce que je signe. Demeurez en repos.         Ah ! Que d’affreux moments ! Lisette, à revenir sera-t-elle longtemps ? Elle sort.     Si ce clerc...         J’en réponds sur ma vie ; Allez, de vous servir il montre trop d’envie : J’ai vu les deux contrats ; l’un est en votre nom, Et c’est celui qui doit se rencontrer le bon : Pour les abuser tous il fera lire l’autre, Et, pour faire signer, présentera le vôtre. Pour bien escamoter ses doigts paraissent faits, Quand il aurait été joueur de gobelets. Mais adieu ; je m’en vais songer à mon affaire, Et mettre le couvert.         Si j’étéis nécessaire... Je t’entends ; viens, suis-moi. Vous, n’appréhendez rien ; Bazoche m’a fait signe, et le tout ira bien. Jusqu’au dernier moment je ne suis point tranquille ; Je crains que le projet ne devienne inutile. Comment pouvoir tromper notaire et procureur ? Cela ne se peut pas sans un coup de bonheur. Quoiqu’ait promis ce clerc en recevant la somme... J’ai signé. Voyons si Lisette...         Mais quel homme... Ô ciel !         Que faites-vous, monsieur, dans ma maison ? Monsieur, je viens... j’étais... Mais j’en rendrai raison Une autre fois.     Comment ?         Quelle cruelle peine ! Oh ! Nous saurons pourtant quel dessein vous amène. Au voleur ! Au secours !         Ai-je l’air d’un voleur ? Que sais-je ? Vous avez, celui d’un suborneur : Sous des habits dorés ou voit tant de canailles ! Quoi !...         Vous avez passé par-dessus les murailles, Ma maison est fermée. Au voleur ! Au voleur ! Ô ciel ! Tout est perdu. Que voulez-vous, monsieur ? Que l’on m’aille chercher, et vite, un commissaire. Dans un tel embarras, hélas ! Que vais-je faire ? Voila mes clefs ; va, cours.     J’y vais.         Dans mou logis Venir effrontément !         Que faites-vous, mon fils ? Il vous sied bien, vraiment, de vous mettre en colère Contre monsieur, qui doit être votre beau-père. Mon beau-père ? Quoi ! C’est... allez, vous radotez. Je radote ? Comment, pendard, vous m’insultez ! Je ne souffrirai point pareille extravagance ; Et...         De votre beau-fils châtiez l’insolence. Morbleu !         Qu’a donc mon frère à se mettre en courroux ? C’est contre mon amant : ah ! Mon frère, tout doux, Vous devez approuver un amour légitime ; Monsieur est honnête-homme, et peut m’aimer sans crime : S’il est caché céans, c’est pour l’amour de moi ; Il m’a donné son coeur, il a reçu ma foi : De notre engagement je venais vous instruire. Que diable celle-ci vient-elle encor me dire? S’est-on jamais trouvé dans un semblable cas ? Mon frère, au nom du ciel, ne le rebutez pas. Quoi ! monsieur...         Oui. Monsieur me veut prendre pour femme : Je l’aime, couronnez une si belle flamme. Ma mère, vous disiez...         Oh ! Je l’épuuserai. Vous, ma mère ?         Oui, moi-même, ou je l’étranglerai. Vous querellez monsieur, et pourquoi, ma grand-mère ? Laissez-nous en repos, ce n’est pas votre affaire. Petit perfide !         Eh ! Là ! Ne le grondez donc pas ; Il vient pour m’épouser, au moins.         Autre embarras. Il en veut à ma fille aussi ?         Vraiment, sans doute. Pour le coup je m’y perds, et je n’y vois plus goutte. En mariage il vient ici me demander : N’est-il pas vrai, monsieur ?         Il faut vous accorder, Il veut être à la fois mon gendre, mon beau-père, Et mon beau-frère encor.         Qui est donc ce mystère ? Monsieur, il n’est plus temps de vous rien déguiser... Parbleu ! Vous n’avez plus qu’à vouloir m’épouser, Et vous serez l’époux de toute la famille. Que veut dire cela, mon père ?         C’est, ma fille, Que ce galant en veut à toute la maison : Mais tout à l’heure, enfin, nous en aurons raison. Voici le commissaire.     Affronteur !     Ingrat !         Traître ! De leurs mains au plus tôt il faut tirer ton maître. Laisse-faire.         En passant, j’ai rencontré monsieur... Qu’est-ce donc que ceci ?         C’est un larron d’honneur, Qui subornait ma mère, et ma mère et ma fille. Il est arrivé pis dans plus d’une famille. Mais, pour tenir la bride à tous ces fripons-là, Qui ne font aujourd’hui métier que de cela , En prison.     Quoi ! Monsieur ?         En prison , tout à l’heure. En prison !     En prison !     En prison !         Quoi ! Tout pleure ? La pitié ne doit point entrer dans votre coeur : Montrez-vous mère, fille et soeur de procureur. Si le mot de prison rend votre coeur si tendre, Et que sera-ce donc quand je le ferai pendre. Le pendre ?     Pour cela ?         Mon fils, allons, tout doux. Quand il sera pendu , que diable en aurons-nous ? Tirons-en de l’argent.         Je sais bien mou affaire ; Faisons-lui toujours peur.         Le brave commissaire ! Nous aurons intérêts, dommages et dépens. Je viens pour mettre fin au grand bruit que j’entends. Ah ! Ma femme !     Ce nom ne m’est pas dû.         Ma bonne, Quand le contrat est fait, c’est un nom qu’on se donne. Quand le contrat est fait, ou se donne ce nom ? J’appelle donc monsieur mon mari.     Quoi ?         Cléon, Remerciez monsieur d’avoir de bonne grâce Signé notre contrat.         Oh ! Celui-là me passe, Il veut ma femme encor ; quel diable d’épouseur ! Je ne veux qu’elle seule, elle fait mon bonheur. Mesdames, contre moi n’ayez point de colère ; Pour obtenir Élise il était nécessaire... Mais sachons donc comment elle peut être à vous. Vous avez cru signer le contrat comme époux, Et vous l’avez signé comme tuteur.         J’enrage. Et comment ai-je donc fait un si bel ouvrage ? Moyennant mille écus Bazoche vous trahit : Demandez-lui plutôt.         Est-il vrai ce qu’on dit ? Très vrai, monsieur; j’avais besoin de cette somme Pour cesser d’être clerc et me faire honnête homme. Dans le monde il faut vivre avec un peu d honneur ; Et, pour faire une fin, je me fais procureur. Bazoche me trahit ! Lui qui toute sa vie... Je n’en suis point fâchée.         Et moi j en suis ravie. Vous comptiez sans votre hôte, et c’était battre l’eau. Il faut attendre au soir pour dire le jour beau. J’entends les violons.         Le diable les emporte ! Il est bien temps de rire.         Et pourquoi non ? Qu’importe ! Mes enfants, mal nouveau se guérit aisément ; Pour un amant perdu l’on en retrouve cent. Je sais bien que marchand qui perd ne saurait rire ; Mais, où l’espoir n’est plus, l’amour bientôt expire. Mesdames, contre moi n’ayez point de courroux. Élise, votre amour vous excuse envers nous. Et mes cent louis d’or....         Ils me sont dûs de reste. Comment ?         Je parlerai, si quelqu’un me conteste. Vous savez, entre nous, d’où vient tout votre bien ; Et, si je dis un mot.         Suffit ne dites rien, Quitte à quitte. Et pour vous, Cléon, je vous pardonne. Élise est une fourbe, et je vous l’abandonne : Puisque, fille, elle a pu me jouer un tel trait. Étant femme, jugez ce qu’elle m’aurait fait. J’aurais droit de plaider pourtant : lorsqu’on a robe... Si vous voulez plaider, je vous rends votre robe, Et vous montre dessous le valet de Cléon. Quoi ! Ma robe servait à couvrir un fripon ? Fort à votre service. Allons, que dans la joie Et dans les flots de vin notre chagrin se noie ; Et puisque nous avons ici des violons, Il en faut profiter : rions, chantons, dansons. Il faudrait préparer quelque petite fête. Pourquoi la préparer ? Nous l’avons toute prête ; Et chacun n’a qu’à mettre un proverbe en chanson : On est dans ce goût-là céns.         Il a raison, Cela divertira notre bonne grand-mère ; Proverbes et chansons surent toujours lui plaire. Je sais m’en escrimer aussi, quand je m’y mets ; Je commence la fête, et j’en ai de tout prêt. Allons gai, monsieur le procureur, Contre fortune bon coeur. Et montrez-vous joyeuse, Famille amoureuse : De la perte d’un amant On se console aisément ; Et dans ce siècle nôtre Un clou chasse l’autre. Allons gai, monsieur le procureur, Contre fortune bon coeur. Et dans ce siècle nôtre Un clou chasse l’autre. Avoir un amant a trois, C’est aller contre les lois ; Prenez-en trois chacune, La chose est fort commune. Allons gai, monsieur le procureur, Contre fortune bon coeur. Chaque jour à l’amour, dormant dans son berceau, Je jouais quelque tour nouveau ; Je détournais ses traits, j’éteignais son flambeau, Je déchirais son bandeau : Il s’éveilla, je fus surprise. Tant va ta cruche à l’eau Qu’enfin elle se brise. Quand j’étais jeune et belle, J’étais sotte et cruelle ; Ô ! Que d’heureux moments perdus ! Le temps passé ne revient plus. Quelle douceur charmante ! Que l’on vivrait contente, Si jeunesse savait, Si vieillesse pouvait. Si je trouvais un amant De bonne mine, L’enverrais-je à ma voisine? Non, vraiment. S’il me disait, je t’aime ; Je répondrais de même, Sans tant de façons, Sans tant de raisons, Sans chercher d’excuse, Sans trouver de ruse ; Tu veux de moi, Je veux de toi, Voilà ma foi. Qui refuse, muse. Mon amour, est payé d’indifférence Par un ingrat qu’une autre a su charmer : À mes dépens, j’ai de l’expérience ; Il faut connaître avant qu’aimer. J’ai l’air joyeux, je ris et je badine : Qui m’en croirait plus facile aurait tort ; Il ne faut pas s’arrêter à la mine, Il n’est pire eau que l’eau qui dort. Assez longtemps j’ai ménagé Lisette ; Mais mon amour n’entend plus de raison. Et si jamais je la trouve seulette. L’occasion fait le larron. À mon époux vivant j’étais fidèle, J’avais juré de l’être après sa mort ; Mais il n’est point de femme tourterelle, Les absents ont toujours tort: Au gré de nos tendres amants J’ai bien conduit cette manoeuvre : Messieurs, si vous êtes contents, Applaudissez, voici le temps. Toujours la fin couronne l’oeuvre. J’invente un proverbe à l’instant, Qui ne tombera pas à terre : D’un juge équitable et savant, On peut dire communément, Il juge comme le parterre.