Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. Plus du vingt-quatrième, un petit Clystère insinuatif, préparatif, et rémolliant, pour amollir, humecter, et rafraîchir les entrailles de Monsieur, trente sols. Ce qui me plaît de Monsieur Fleurant mon Apothicaire, c’est que ses Parties sont toujours fort civiles. Les entrailles de Monsieur, trente sols ! Oui : mais Monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil, il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un Lavement ? Je suis votre Serviteur, je vous l’ai déjà dit. Vous ne me les avez mis dans les autres Parties qu’à vingt sols ; et vingt sols en langage d’Apothicaire, c’est à dire dix sols. Les voilà. Plus, dudit jour un bon Clystère détersif, composé avec Catholicon double, Rhubarbe, Miel rosat et autres, suivant l’Ordonnance, pour balayer, laver, et nettoyer le bas ventre de Monsieur, trente sols. Avec votre permission, dix sols. Plus dudit jour, le soir, un Julep hépatique, soporatif et somnifère, composé pour faire dormir Monsieur, trente cinq sols. Je ne me plains pas de celui-là, car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize, et dix-sept sols six deniers. Plus, du vingt-cinquième, une bonne Médecine purgative et corroborative, composée de Casse récente, avec Séné Levantin et autres, suivant l’Ordonnance de Monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de Monsieur, quatre livres. Ah ! Monsieur Fleurant, c’est se moquer, il faut vivre avec les Malades, Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre livres. Mettez, mettez trois livres, s’il vous plaît. Vingt et trente sols. Plus, dudit jour, une potion anodine et astringente, pour faire reposer Monsieur, trente sols. Bon. Dix, et quinze sols. Plus, du vingt-sixième, un Clystère carminatif, pour chasser les vents de Monsieur, trente sols. Dix sols, Monsieur Fleurant. Plus le Clystère de Monsieur réitéré le soir, comme dessus, trente sols. Monsieur Fleurant, dix sols. Plus, du vingt-septième, une bonne Médecine composée pour hâter d’aller et chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur, trois livres. Bon. Vingt, et trente sols. Je suis bien aise que vous soyez raisonnable. Plus, du vingt-huitième, une prise de petit Lait clarifié et dulcoré, pour adoucir, lénifier, tempérer et rafraîchir le sang de Monsieur, vingt sols. Bon. Dix sols. Plus une Potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de Bézoard, sirops de Limon et Grenade et autres, suivant l’ordonnance, cinq livres. Ah ! Monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous plaît ; si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade. Contentez-vous de quarante sols. Vingt et quarante sols. Trois, et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres quatre sols six deniers. Si bien donc, que de ce mois j’ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit Médecines ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, et douze Lavements ; et l’autre mois il y avait douze Médecines, et vingt Lavements. Je ne m’étonne pas si je ne me porte pas si bien ce mois-ci que l’autre. Je le dirai à Monsieur Purgon, afin qu’il mette ordre à cela. Allons, qu’on m’ôte tout ceci. Il n’y a personne ; j’ai beau dire, on me laisse toujours seul. Il n’y a pas moyen de les arrêter ici. Ils n’entendent point, et ma Sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin. Point d’affaire. Drelin, drelin, drelin. Ils sont sourds. Toinette, Drelin, drelin, drelin, Tout comme si je ne sonnais point. Chienne, Coquine, drelin, drelin, drelin. J’enrage. Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les diables. Est-il possible qu’on laisse comme cela un pauvre malade tout seul ? Drelin, drelin, drelin. Voilà qui est pitoyable. Drelin, drelin, drelin. Ah, mon Dieu, ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin. On y va. Ah Chienne, ah Carogne… Diantre soit fait de votre impatience. Vous pressez si fort les personnes, que je me suis donné un grand coup de la tête contre la carne d’un Volet. Ah traîtresse… Ha ! Il y a… Ha ! Il y a une heure… Ha ! Tu m’as laissé… Ha ! Tais-toi donc, Coquine, que je te querelle. Çamon, ma foi, j’en suis d’avis, après ce que je me suis fait. Tu m’as fait égosiller, Carogne. Et vous m’avez fait, vous, casser la tête. L’un vaut bien l’autre. Quitte à quitte, si vous voulez. Quoi, Coquine… Si vous querellez, je pleurerai. Me laisser, Traîtresse… Ha ! Chienne, tu veux… Ha ! Quoi, il faudra encore que je n’aie pas le plaisir de la quereller ? Querellez tout votre soûl, je le veux bien. Tu m’en empêches, Chienne, en m’interrompant à tous coups. Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que de mon côté j’aie le plaisir de pleurer. Chacun le sien ce n’est pas trop. Ha ! Allons, il faut en passer par là. Ôte-moi ceci, Coquine, ôte-moi ceci. Mon Lavement d’aujourd’hui a-t-il bien opéré ? Votre Lavement ? Oui. Ai-je bien fait de la bile ? Ma foi, je ne me mêle point de ces affaires-là. C’est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu’il en a le profit. Qu’on ait soin de me tenir un Bouillon prêt pour l’autre que je dois tantôt prendre. Ce Monsieur Fleurant-là, et ce Monsieur Purgon, s’égaient bien sur votre Corps ! Ils ont en vous une bonne Vache à lait ; et je voudrais bien leur demander quel mal vous avez, pour vous faire tant de remèdes. Taisez-vous, Ignorante, ce n’est pas à vous à contrôler les ordonnances de la Médecine. Qu’on me fasse venir ma fille Angélique, j’ai à lui dire quelque chose. La voici qui vient d’elle-même ; elle a deviné votre pensée. Approchez, Angélique, vous venez à propos. Je voulais vous parler. Me voilà prête à vous ouïr. Attendez. Donnez-moi mon Bâton. Je vais revenir tout à l’heure. Allez vite, Monsieur, allez. Monsieur Fleurant nous donne des affaires. Toinette. Quoi ? Regarde-moi un peu. Hé bien je vous regarde. Toinette. Hé bien, quoi, Toinette ? Ne devines-tu point de quoi je veux parler ? Je m’en doute assez : de votre jeune Amant ; car c’est sur lui depuis six jours que roulent tous vos entretiens ; et vous n’êtes point bien si vous n’en parlez à toute heure. Puisque tu connais cela, que n’es-tu donc la première à m’en entretenir, et ne m’épargnes-tu la peine de te jeter sur ce discours. Vous ne m’en donnez pas le temps, et vous avez des soins là-dessus, qu’il est difficile de prévenir. Je t’avoue, que je ne saurais me lasser de te parler de lui, et que mon cœur profite avec chaleur de tous les moments de s’ouvrir à toi. Mais dis-moi, condamnes-tu, Toinette, les sentiments que j’ai pour lui ? Je n’ai garde. Ai-je tort de m’abandonner à ces douces impressions ? Je ne dis pas cela. Et voudrais-tu que je fusse insensible aux tendres protestations de cette passion ardente qu’il témoigne pour moi ? À Dieu ne plaise. Dis-moi un peu, ne trouves-tu pas comme moi, quelque chose du Ciel, quelque effet du destin, dans l’aventure inopinée de notre connaissance ? Oui. Ne trouves-tu pas que cette action d’embrasser ma défense sans me connaître, est tout à fait d’un honnête Homme ? Oui. Que l’on ne peut pas en user plus généreusement ? D’accord. Et qu’il fit tout cela de la meilleure grâce du monde ? Oh oui. Ne trouves-tu pas Toinette, qu’il est bien fait de sa personne ? Assurément. Qu’il a l’air le meilleur du monde ? Sans doute. Que ses discours, comme ses actions, ont quelque chose de noble ? Cela est sûr. Qu’on ne peut rien entendre de plus passionné que tout ce qu’il me dit ? Il est vrai. Et qu’il n’est rien de plus fâcheux, que la contrainte où l’on me tient, qui bouche tout commerce aux doux empressements de cette mutuelle ardeur que le Ciel nous inspire ? Vous avez raison. Mais, ma pauvre Toinette, crois-tu qu’il m’aime autant qu’il me le dit ? Eh, eh, ces choses-là parfois sont un peu sujettes à caution. Les grimaces d’amour ressemblent fort à la vérité ; et j’ai vu de grands Comédiens là-dessus. Ah ! Toinette, que dis-tu là ? Hélas ! de la façon qu’il parle, serait-il bien possible qu’il ne me dît pas vrai ? En tout cas vous en serez bientôt éclaircie ; et la résolution où il vous écrivit hier qu’il était de vous faire demander en mariage, est une prompte marque pour vous faire connaître s’il vous dit vrai, ou non. C’en sera là une bonne preuve. Ah ! Toinette, si celui-là me trompe, je ne croirai de ma vie aucun Homme. Voilà votre Père qui revient. Ô çà, ma Fille, je vais vous dire une nouvelle, où peut-être ne vous attendez-vous pas. On vous demande en mariage. Qu’est-ce que cela ? vous riez. Cela est plaisant, oui, ce mot de mariage, il n’y a rien de plus drôle pour les jeunes Filles. Ah, Nature, Nature ! À ce que je puis voir, ma Fille, je n’ai que faire de vous demander si vous voulez bien être mariée. Je dois faire, mon Père, tout ce qu’il vous plaira de m’ordonner. Je suis bien aise d’avoir une Fille si obéissante. La chose est donc conclue, et je vous ai promise. C’est à moi, mon Père, à suivre aveuglément toutes vos volontés. Ma Femme, votre Belle-Mère, avait envie qu’on vous fisse Religieuse, et votre petite Sœur Louison aussi, et de tout temps elle a été aheurtée à cela. La bonne Bête a ses raisons. Elle ne voulait point consentir à ce Mariage, mais je l’ai emporté, et ma parole est donnée. Ah ! mon Père, que je vous suis obligée de toutes vos bontés. En vérité je vous sais bon gré de cela, et voilà l’action la plus sage que vous ayez faite de votre vie. Je n’ai point encore vu la Personne ; mais on m’a dit que j’en serais content, et toi aussi. Assurément, mon Père. Comment ? l’as-tu vu ? Puisque votre consentement m’autorise à vous pouvoir ouvrir mon cœur, je ne feindrai point de vous dire que le hasard nous a fait connaître il y a six jours ; et que la demande qu’on vous a faite, est un effet de l’inclination que dès cette première vue nous avons prise l’un pour l’autre. Ils ne m’ont pas dit cela, mais j’en suis bien aise, et c’est tant mieux que les choses soient de la sorte. Ils disent que c’est un grand jeune Garçon bien fait. Oui, mon Père. De belle taille. Sans doute. Agréable de sa personne. Assurément. De bonne physionomie. Très bonne. Sage et bien né. Tout à fait. Fort honnête. Le plus honnête Homme du monde. Qui parle bien Latin et Grec. C’est ce que je ne sais pas. Et qui sera reçu Médecin dans trois jours. Lui, mon Père ? Oui. Est-ce qu’il ne te l’a pas dit ? Non vraiment. Qui vous l’a dit à vous ? Monsieur Purgon. Est-ce que Monsieur Purgon le connaît ? La belle demande ! Il faut bien qu’il le connaisse, puisque c’est son Neveu. Cléante Neveu de Monsieur Purgon ? Quel Cléante ? Nous parlons de celui pour qui l’on t’a demandée en mariage. Hé, oui. Hé bien, c’est le Neveu de Monsieur Purgon, qui est le fils de son Beau-frère le Médecin Monsieur Diafoirus ; et ce fils s’appelle Thomas Diafoirus, et non pas Cléante, et nous avons conclu ce mariage-là ce matin, Monsieur Purgon, Monsieur Fleurant, et moi, et demain ce Gendre prétendu doit m’être amené par son Père. Qu’est-ce ? vous voilà tout ébaubie ? C’est, mon Père, que je connais que vous avez parlé d’une Personne, et que j’ai entendu une autre. Quoi, Monsieur, vous auriez fait ce dessein burlesque ? et avec tout le bien que vous avez, vous voudriez marier votre Fille avec un Médecin ? Oui. De quoi te mêles-tu, Coquine, Impudente que tu es ? Mon Dieu tout doux, vous allez d’abord aux invectives. Est-ce que nous ne pouvons pas raisonner ensemble sans nous emporter ? Là, parlons de sang froid. Quelle est votre raison, s’il vous plaît, pour un tel mariage ? Ma raison est, que me voyant infirme, et malade comme je suis, je veux me faire un Gendre, et des alliés Médecins, afin de m’appuyer de bons secours contre ma maladie, d’avoir dans ma famille les sources des Remèdes qui me sont nécessaires, et d’être à même des Consultations, et des Ordonnances. Hé bien, voilà dire une raison, et il y a plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, Monsieur, mettez la main à la conscience. Est-ce que vous êtes malade ? Comment, Coquine, si je suis malade ? Si je suis malade, Impudente ? Hé bien oui, Monsieur, vous êtes malade, n’ayons point de querelle là-dessus. Oui, vous êtes fort malade, j’en demeure d’accord, et plus malade que vous ne pensez. Voilà qui est fait. Mais votre Fille doit épouser un Mari pour elle ; et n’étant point malade, il n’est pas nécessaire de lui donner un Médecin. C’est pour moi que je lui donne ce Médecin ; et une Fille de bon naturel doit être ravie d’épouser ce qui est utile à la santé de son Père. Ma foi, Monsieur, voulez-vous qu’en Amie je vous donne un conseil ? Quel est-il ce conseil ? De ne point songer à ce mariage-là. Hé la raison ? La raison ? C’est que votre Fille n’y consentira point. Elle n’y consentira point ? Non. Ma Fille ? Votre Fille. Elle vous dira qu’elle n’a que faire de Monsieur Diafoirus, ni de son fils Thomas Diafoirus, ni de tous les Diafoirus du monde. J’en ai affaire, moi ; outre que le Parti est plus avantageux qu’on ne pense. Monsieur Diafoirus n’a que ce fils-là pour tout héritier ; et de plus, Monsieur Purgon, qui n’a ni Femme, ni Enfants, lui donne tout son bien, en faveur de ce mariage ; et Monsieur Purgon est un Homme qui a huit mille bonnes livres de rente. Il faut qu’il ait tué bien des Gens, pour s’être fait si riche. Huit mille livres de rente sont quelque chose, sans compter le bien du Père. Monsieur, tout cela est bel et bon ; mais j’en reviens toujours là. Je vous conseille entre nous de lui choisir un autre Mari, et elle n’est point faite pour être Madame Diafoirus. Et je veux, moi, que cela soit. Eh fi, ne dites pas cela. Comment, que je ne dise pas cela ? Hé non. Et pourquoi ne le dirai-je pas ? On dira que vous ne songez pas à ce que vous dites. On dira ce qu’on voudra ; mais je vous dis que je veux qu’elle exécute la parole que j’ai donnée. Non, je suis sûr qu’elle ne le fera pas. Je l’y forcerai bien. Elle ne le fera pas, vous dis-je. Elle le fera, ou je la mettrai dans un Convent. Vous ? Moi. Bon. Comment, bon ? Vous ne la mettrez point dans un Convent. Je ne la mettrai point dans un Convent ? Non. Non ? Non. Ouais ! voici qui est plaisant. Je ne mettrai pas ma Fille dans un Convent, si je veux ? Non, vous dis-je. Qui m’en empêchera ? Vous-même. Moi ? Oui. Vous n’aurez pas ce cœur-là. Je l’aurai. Vous vous moquez. Je ne me moque point. La tendresse paternelle vous prendra. Elle ne me prendra point. Une petite larme ou deux, des bras jetés au cou, un mon petit Papa mignon prononcé tendrement, fera assez pour vous toucher. Tout cela ne fera rien. Oui, oui. Je vous dis que je n’en démordrai point. Bagatelles. Il ne faut point dire bagatelles. Mon Dieu je vous connais ; vous êtes bon naturellement. Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux. Doucement, Monsieur ; vous ne songez pas que vous êtes malade. Je lui commande absolument de se préparer à prendre le Mari que je dis. Et moi je lui défends absolument d’en faire rien. Où est-ce donc que nous sommes ? et quelle audace est-ce là à une coquine de Servante, de parler de la sorte devant son Maître ? Quand un Maître ne songe pas à ce qu’il fait, une Servante bien sensée est en droit de le redresser. Ah Insolente ! il faut que je t’assomme. Il est de mon devoir de m’opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer. Viens, viens, que je t’apprenne à parler. Je m’intéresse, comme je dois, à ne vous point laisser faire de folie. Chienne ! Non, je ne consentirai jamais à ce mariage. Pendarde ! Je ne veux point qu’elle épouse votre Thomas Diafoirus. Carogne ! Et elle m’obéira plutôt qu’à vous. Angélique, tu ne veux pas m’arrêter cette Coquine-là ? Eh mon Père, ne vous faites point malade. Si tu ne me l’arrêtes, je te donnerai ma malédiction. Et moi je la déshériterai, si elle vous obéit. Ah, ah ! je n’en puis plus. Voilà pour me faire mourir. Ah ma Femme, approchez. Qu’avez-vous, mon pauvre Mari ? Venez-vous en ici à mon secours. Qu’est-ce que c’est donc qu’il y a, mon petit Fils ? Ma Mie. Mon Ami. On vient de me mettre en colère. Hélas pauvre petit Mari. Comment donc mon Ami ? Votre coquine de Toinette est devenue plus insolente que jamais. Ne vous passionnez donc point. Elle m’a fait enrager, ma Mie. Doucement, mon Fils. Elle a contrecarré une heure durant les choses que je veux faire. Là, là, tout doux. Et a eu l’effronterie de me dire que je ne suis point malade. C’est une Impertinente. Vous savez, mon Cœur, ce qui en est. Oui, mon Cœur, elle a tort. Mamour, cette Coquine-là me fera mourir. Eh là là, là là. Elle est cause de toute la bile que je fais. Ne vous fâchez point tant. Et il y a je ne sais combien que je vous dis de me la chasser. Mon Dieu, mon Fils, il n’y a point de Serviteurs et de Servantes qui n’aient leurs défauts. On est contraint parfois de souffrir leurs mauvaises qualités à cause des bonnes. Celle-ci est adroite, soigneuse, diligente, et surtout fidèle, et vous savez qu’il faut maintenant de grandes précautions pour les Gens que l’on prend. Holà, Toinette. Madame. Pourquoi donc est-ce que vous mettez mon Mari en colère ? Moi, Madame ? Hélas je ne sais pas ce que vous me voulez dire, et je ne songe qu’à complaire à Monsieur en toutes choses. Ah la Traîtresse ! Il nous a dit qu’il voulait donner sa Fille en mariage au Fils de Monsieur Diafoirus. Je lui ai répondu que je trouvais le Parti avantageux pour elle ; mais que je croyais qu’il ferait mieux de la mettre dans un Convent. Il n’y a pas grand mal à cela, et je trouve qu’elle a raison. Ah ! mamour, vous la croyez ? C’est une scélérate. Elle m’a dit cent insolences. Hé bien je vous crois, mon Ami. Là, remettez-vous. Écoutez, Toinette, si vous fâchez jamais mon Mari, je vous mettrai dehors. Çà, donnez-moi son Manteau fourré et des Oreillers, que je l’accommode dans sa Chaise. Vous voilà je ne sais comment. Enfoncez bien votre Bonnet jusque sur vos oreilles. Il n’y a rien qui enrhume tant, que de prendre l’air par les oreilles. Ah ma Mie, que je vous suis obligé de tous les soins que vous prenez de moi ! Levez-vous que je mette ceci sous vous. Mettons celui-ci pour vous appuyer ; et celui-là de l’autre côté. Mettons celui-ci derrière votre dos, et cet autre-là pour soutenir votre tête. Et celui-ci pour vous garder du serein. Ah Coquine ! tu veux m’étouffer. Eh là, eh là. Qu’est-ce que c’est donc ? Ah, ah, ah ! je n’en puis plus. Pourquoi vous emporter ainsi ? Elle a cru faire bien. Vous ne connaissez pas, mamour, la malice de la Pendarde. Ah ! Elle m’a mis tout hors de moi ; et il faudra plus de huit Médecines, et de douze Lavements, pour réparer tout ceci. Là, là, mon petit Ami, apaisez-vous un peu. Ma Mie, vous êtes toute ma consolation. Pauvre petit Fils. Pour tâcher de reconnaître l’amour que vous me portez, je veux, mon Cœur, comme je vous ai dit, faire mon Testament. Ah mon Ami, ne parlons point de cela, je vous prie, je ne saurais souffrir cette pensée ; et le seul mot de Testament me fait tressaillir de douleur. Je vous avais dit de parler pour cela à votre Notaire. Le voici dans votre Antichambre, et je l’ai fait venir tout exprès. Faites-le entrer mamour. Ah bonjour Monsieur Bonnefoy, je veux faire mon Testament ; et pour cela dites-moi, s’il vous plaît, comment je dois faire pour donner tout mon bien à ma Femme, et en frustrer mes Enfants. Monsieur, vous ne pouvez rien donner à votre Femme par votre Testament. Et par quelle raison ? Parce que la Coutume y résiste ; cela serait bon par tout ailleurs et dans le pays de Droit écrit : mais à Paris et dans les Pays Coutumiers, cela ne se peut ; tout avantage qu’Homme et Femme se peuvent faire réciproquement l’un à l’autre en faveur de mariage, n’est qu’un avantage indirect, et qu’un don mutuel entre vifs, encore faut-il qu’il n’y ait point d’Enfants d’eux ou de l’un d’iceux avant le décès du premier mourant. Voilà une Coutume bien impertinente, de dire qu’un Mari ne puisse rien donner à une Femme qui l’aime, et qui prend tant de soin de lui. J’ai envie de consulter mon Avocat, pour voir ce qu’il y a à faire pour cela. Ce n’est pas aux Avocats à qui il faut s’adresser, ce sont gens fort scrupuleux sur cette matière, qui ne savent pas disposer en fraude de la Loi, et qui sont ignorants des tours de la conscience, c’est notre affaire à nous autres, et je suis venu à bout de bien plus grandes difficultés ; il vous faut pour cela auparavant que de mourir donner à votre femme tout votre argent comptant, et des billets payables au Porteur si vous en avez ; il vous faut outre ce, contracter quantité de bonnes Obligations sous-main avec de vos intimes amis, qui après votre mort les remettront entre les mains de votre femme sans lui rien demander, qui prendra ensuite le soin de s’en faire payer. Vraiment, Monsieur, ma femme m’avait bien dit que vous étiez un fort habile et fort honnête homme. J’ai, mon Cœur, vingt mille francs dans le petit coffret de mon alcôve en argent comptant, dont je vous donnerai la clef, et deux billets payables au porteur, l’un de six mil livres, et l’autre de quatre, qui me sont dues ; le premier par Monsieur Damon, et l’autre par Monsieur Gérante, que je vous mettrai entre les mains. Ne me parlez point de cela, je vous prie, vous me faites mourir de frayeur… Combien dites-vous qu’il y a d’argent comptant dans votre alcôve. Vingt mille francs, mon Cœur. Tous les biens de ce monde ne me sont rien en comparaison de vous… De combien sont les deux billets ? L’un de six, et l’autre de quatre mille livres. Ah ! mon Fils, la seule pensée de vous quitter me met au désespoir, vous mort je ne veux plus rester au monde : ah, ah. Pourquoi pleurer, Madame ? les larmes sont hors de saison, et les choses, grâces à Dieu, n’en sont pas encore là. Ah Monsieur Bonnefoy, vous ne savez pas ce que c’est qu’être toujours séparée d’un Mari que l’on aime tendrement. Ce qui me fâche le plus, ma Mie, auparavant de mourir, c’est de n’avoir point eu d’enfants de vous ; Monsieur Purgon m’avait promis qu’il m’en ferait faire un. Voulez-vous que nous procédions au Testament ? Oui, mais nous serons mieux dans mon petit cabinet qui est ici près ; allons-y, Monsieur, soutenez-moi, mamour. Allons, pauvre petit Mari. Entrez, entrez, ils ne sont plus ici : j’ai une inquiétude prodigieuse ; j’ai vu un Notaire avec eux, et ai entendu parler de Testament ; votre belle-Mère ne s’endort point, et veut sans doute profiter de la colère où vous avez tantôt mis votre Père ; elle aura pris ce temps pour nuire à vos intérêts. Qu’il dispose de tout mon bien en faveur de qui il lui plaira, pourvu qu’il ne dispose pas de mon cœur ; qu’il ne me contraigne point d’accepter pour Époux celui dont il m’a parlé, je me soucie fort peu du reste, qu’il en fasse ce qu’il voudra. Votre belle-Mère tâche par toutes sortes de promesses de m’attirer dans son parti ; mais elle a beau faire, elle n’y réussira jamais, et je me suis toujours trouvé de l’inclination à vous rendre service ; cependant comme il nous est nécessaire dans la conjoncture présente de savoir ce qui se passe, afin de mieux prendre nos mesures, et de mieux venir à bout de notre dessein, j’ai envie de lui faire croire par de feintes complaisances que je suis entièrement dans ses intérêts, l’envie qu’elle a que j’y sois, ne manquera pas de la faire donner dans le panneau, c’est un sûr moyen pour découvrir ses intrigues, et cela nous servira beaucoup. Mais comment faire pour rompre ce coup terrible dont je suis menacée ? Il faut en premier lieu avertir Cléante du dessein de votre père, et le charger de s’acquitter au plus tôt de la parole qu’il vous a donnée ; il n’y a point de temps à perdre, il faut qu’il se détermine. As-tu quelqu’un propre à faire ce message ? Il est assez difficile, et je ne trouve personne plus propre à s’en acquitter que le vieux Usurier Polichinelle mon Amant, il m’en coûtera pour cela quelques faveurs, et quelques baisers que je veux bien dépenser pour vous ; Allez, reposez-vous sur moi, dormez seulement en repos, il est tard, je crains qu’on ait affaire de moi ; j’entends qu’on m’appelle, retirez-vous, adieu bonsoir, je vais songer à vous. Ô Amour, amour, amour, amour ! pauvre Polichinelle, quelle Diable de fantaisie t’es-tu allé mettre dans la cervelle ? À quoi t’amuses-tu, misérable insensé que tu es ? Tu quittes le soin de ton négoce, et tu laisses aller tes affaires à l’abandon. Tu ne manges plus, tu ne bois presque plus, tu perds le repos de la nuit, et tout cela pour qui ? Pour une Dragonne, franche Dragonne ; une Diablesse qui te rembarre, et se moque de tout ce que tu peux lui dire. Mais il n’y a point à raisonner là-dessus : tu le veux, amour ; il faut être fou comme beaucoup d’autres. Cela n’est pas le mieux du monde à un homme de mon âge : mais qu’y faire ? on n’est pas sage quand on veut, et les vieilles cervelles se démontent comme les jeunes. Je viens voir si je ne pourrai point adoucir ma tigresse par une Sérénade. Il n’y a rien parfois qui soit si touchant qu’un Amant qui vient chanter ses doléances aux gonds et aux verrous de la porte de sa Maîtresse. Voici de quoi accompagner ma voix. Ô nuit, ô chère nuit, porte mes plaintes amoureuses jusques dans le lit de mon Inflexible. Notte e dì v’ amo e v’ adoro Cerco un sì per mio ristoro, Ma se voi dite di nò Bell’ ingrata io morirò Fra la speranza S’afflige il cuore, In lontananza Consuma l’ore; Si dolce inganno Che mi figura Breve l’affanno, Ahy troppo dura, Cosi per tropp’ amar languisco e muoro Notte e dì v’ amo’ e v’ adoro Cerco un sì per mio ristoro, Mà se voi dite di nò Bell’ ingrata io morirò Se non dormite, Al men pensate Alle ferite Ch’al cuor mi fate; Deh al men fingete Per mio conforto, Se m’uccidete, D’aver il torto: Vostra pietà mi scemerà il martoro Notte e di v’ amo’ e v’ adoro Cerco un sì per mio ristoro, Ma se voi dite di nò Bell’ ingrata io morirò. Zerbinetti ch’ogn’or con finti sguardi, Mentiti desiri, Fallaci sospiri, Accenti Buggiardi, Di fede vi preggiate, Ah che non m’ingannate. Che gia sò per prova, Ch’in voi non si trova Constanza ne fede; Oh quanto è pazza colei che vi crede. Quei sguardi languidi Non m’innamorano, Quei sospir fervidi Più non m’infiammano Vel giuro a fé. Zerbino misero, Del vostro piangere Il mio cor libero Vuol semper ridere Credet’a me Che già sò per prova, Ch’ in voi non si trova Constanza ne fede; Oh quanto è pazza colei che vi crede. Quelle impertinente harmonie vient interrompre ici ma voix ? Paix là, taisez-vous, Violons. Laissez-moi me plaindre à mon aise des cruautés de mon Inexorable. Taisez-vous, vous dis-je. C’est moi qui veux chanter. Paix donc. Ouais ! Ahy. Est-ce pour rire ? Ah que de bruit. Le Diable vous emporte. J’enrage. Vous ne vous tairez pas ? Ah Dieu soit loué. Encore ? Peste des Violons. La sotte Musique que voilà ! La, la, la, la, la, la. La, la, la, la, la, la. La, la, la, la, la, la. La, la, la, la, la, la. La, la, la, la, la, la. Par ma foi cela me divertit. Poursuivez, Messieurs les Violons, vous me ferez plaisir. Allons donc, continuez. Je vous en prie. Voilà le moyen de les faire taire. La Musique est accoutumée à ne point faire ce qu’on veut. Ho sus à nous. Avant que de chanter il faut que je prélude un peu, et joue quelque pièce, afin de mieux prendre mon ton. Plan, plan, plan. Plin, plin, plin. Voilà un temps fâcheux pour mettre un Luth d’accord. Plin, plin, plin. Plin, tan, plan. Plin, plin. Les cordes ne tiennent point par ce temps-là. Plin, plan. J’entends du bruit. Mettons mon Luth contre la porte. Qui va là, qui va là ? Qui diable est-ce là ? est-ce que c’est la mode de parler en Musique ? Qui va là, qui va là, qui va là ? Moi, moi, moi. Qui va là, qui va là ? vous dis-je. Moi, moi, vous dis-je. Et qui toi, et qui toi ? Moi, moi, moi, moi, moi, moi. Dis ton nom, dis ton nom, sans davantage attendre. Mon nom est, va te faire pendre. Ici camarade, ici. Saisissons l’insolent qui nous répond ainsi. Qui va là ? Qui sont les coquins que j’entends ? Euh ! Holà mes laquais, mes gens. Par la mort. Par la sang. J’en jetterai par terre. Champagne, Poitevin, Picard, Basque, Breton. Donnez-moi mon Mousqueton. Poue. Ah, ah, ah, ah, comme je leur ai donné l’épouvante. Voilà de sottes gens d’avoir peur de moi qui ai peur des autres. Ma foi il n’est que de jouer d’adresse en ce monde. Si je n’avais tranché du grand Seigneur, et n’avais fait le brave, ils n’auraient pas manqué de me happer. Ah, ah, ah. Nous le tenons, à nous, Camarades, à nous, Dépêchez, de la lumière. Ah traître, ah fripon, c’est donc vous, Faquin, maraud, pendard, impudent, téméraire, Insolent, effronté, coquin, filou, voleur, Vous osez nous faire peur ? Messieurs, c’est que j’étais ivre. Non, non, point de raison, Il faut vous apprendre à vivre, En prison vite, en prison. Messieurs, je ne suis point voleur. En prison. Je suis un Bourgeois de la Ville. En prison. Qu’ai-je fait ? En prison, vite, en prison. Messieurs, laissez-moi aller. Non. Je vous prie. Non. Eh ! Non. De grâce. Non, non. Messieurs. Non, non, non. S’il vous plaît. Non, non. Par charité. Non, non. Au nom du Ciel. Non, non. Miséricorde. Non, non, non, point de raison. Il faut vous apprendre à vivre, En prison vite, en prison. Eh, n’est-il rien, Messieurs, qui soit capable d’attendrir vos âmes ? Il est aisé de nous toucher, Et nous sommes humains plus qu’on ne saurait croire, Donnez-nous doucement six pistoles pour boire ; Nous allons vous lâcher. Hélas, Messieurs, je vous assure que je n’ai pas un sol sur moi. Au défaut de six pistoles, Choisissez donc sans façon D’avoir trente croquignoles, Ou douze coups de bâton. Si c’est une nécessité, et qu’il faille en passer par là, je choisis les croquignoles. Allons, préparez-vous, Et comptez bien les coups. Un et deux. Trois et quatre. Cinq et six. Sept et huit. Neuf et dix. Onze et douze et treize, et quatorze et quinze. Ah ! ah ! vous en voulez passer ; Allons, c’est à recommencer. Ah, Messieurs, ma pauvre tête n’en peut plus, et vous venez de me la rendre comme une pomme cuite. J’aime mieux encore les coups de bâtons que de recommencer. Soit, puisque le bâton est pour vous plus charmant, Vous aurez contentement. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, ah, ah, ah, je n’y saurais plus résister. Tenez, Messieurs, voilà six pistoles que je vous donne. Ah l’honnête homme ! ah l’âme noble et belle ! Adieu, Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle. Messieurs, je vous donne le bonsoir. Adieu Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle. Votre Serviteur. Adieu Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle. Très humble valet. Adieu Seigneur, adieu, Seigneur Polichinelle. Jusqu’au revoir. Que demandez-vous, Monsieur ? Ce que je demande ? Ah, ah, c’est vous ! quelle surprise ! Que venez-vous faire céans ? Savoir ma Destinée ; parler à l’aimable Angélique ; consulter les sentiments de son cœur, et lui demander ses résolutions sur ce mariage fatal, dont on m’a averti. Oui ; mais on ne parle pas comme cela de but en blanc à Angélique. Il y faut des mystères, et l’on vous a dit l’étroite garde où elle est retenue. Qu’on ne la laisse, ni sortir, ni parler à personne, et que ce ne fut que la curiosité d’une vieille Tante, qui nous fit accorder la liberté d’aller à cette Comédie, qui donna lieu à la naissance de votre passion, et nous nous sommes bien gardées de parler de cette aventure. Aussi ne viens-je pas ici comme Cléante, et sous l’apparence de son Amant ; mais comme ami de son Maître de Musique, dont j’ai obtenu le pouvoir de dire qu’il m’envoie à sa place. Voici son Père. Retirez-vous un peu, et me laissez lui dire que vous êtes là. Monsieur Purgon m’a dit de me promener le matin dans ma Chambre douze allées et venues ; mais j’ai oublié à lui demander si c’est en long ou en large. Monsieur, voilà un… Parle bas, Pendarde, tu viens m’ébranler tout le cerveau, et tu ne songes pas qu’il ne faut point parler si haut à des malades. Je voulais vous dire Monsieur… Parle bas, te dis-je. Monsieur… Eh ? Je vous dis que… Qu’est-ce que tu dis ? Je dis que voilà un homme qui veut parler à vous. Qu’il vienne. Monsieur… Ne parlez pas si haut, de peur d’ébranler le cerveau de Monsieur. Monsieur, je suis ravi de vous trouver debout, et de voir que vous vous portez mieux. Comment qu’il se porte mieux ! cela est faux, Monsieur se porte toujours mal. J’ai ouï dire que Monsieur était mieux, et je lui trouve bon visage. Que voulez-vous dire avec votre bon visage ? Monsieur l’a fort mauvais, et ce sont des impertinents qui vous ont dit qu’il était mieux, il ne s’est jamais si mal porté. Elle a raison. Il marche, dort, mange, et boit tout comme les autres : mais cela n’empêche pas qu’il ne soit fort malade. Cela est vrai. Monsieur, j’en suis au désespoir. Je viens de la part du Maître à chanter de Mademoiselle votre Fille. Il s’est vu obligé d’aller à la campagne pour quelques jours ; et comme son ami intime, il m’envoie à sa place pour lui continuer ses leçons, de peur qu’en les interrompant, elle ne vînt à oublier ce qu’elle sait déjà. Fort bien. Appelez Angélique. Je crois, Monsieur, qu’il sera mieux de mener Monsieur à sa Chambre. Non, faites-la venir. Il ne pourra lui donner leçon comme il faut, s’ils ne sont en particulier. Si fait, si fait. Monsieur, cela ne fera que vous étourdir, et il ne faut rien pour vous émouvoir en l’état où vous êtes. Point, point, j’aime la Musique, et je serai bien aise de… Ah ! la voici. Allez vous-en voir, vous, si ma Femme est habillée. Venez, ma Fille, votre Maître de Musique est allé aux champs, et voilà une personne qu’il envoie à sa place pour vous montrer. Ah Ciel ! Qu’est-ce ? D’où vient cette surprise ? C’est… Quoi ? qui vous émeut de la sorte ? C’est, mon Père, une aventure surprenante qui se rencontre ici. Comment ? J’ai songé cette nuit que j’étais dans le plus grand embarras du monde, et qu’une personne faite tout comme Monsieur s’est présentée à moi à qui j’ai demandé secours, et qui m’est venue tirer de la peine où j’étais, et ma surprise a été grande de voir inopinément en arrivant ici, ce que j’ai eu dans l’idée toute la nuit. Ce n’est pas être malheureux que d’occuper votre pensée soit en dormant soit en veillant, et mon bonheur serait grand sans doute, si vous étiez dans quelque peine dont vous me jugeassiez assez digne de vous tirer ; et il n’y a rien que je ne fisse pour… Ma foi, Monsieur, je suis pour vous maintenant, et je me dédis de tout ce que je disais hier. Voici Monsieur Diafoirus le Père, et Monsieur Diafoirus le Fils qui viennent vous rendre visite. Que vous serez bien engendré ! Vous allez voir le garçon le mieux fait du monde, et le plus spirituel. Il n’a dit que deux mots qui m’ont ravie, et votre fille va être charmée de lui. Ne vous en allez point, Monsieur ; c’est que je marie ma Fille, et voilà qu’on lui amène son prétendu mari, qu’elle n’a point encore vu. C’est m’honorer beaucoup, Monsieur, de vouloir que je sois témoin d’une entrevue si agréable. C’est le Fils d’un habile Médecin, et le mariage se fera dans quatre jours. Fort bien. Mandez-le un peu à son Maître de Musique, afin qu’il se trouve à la Noce. Je n’y manquerai pas. Je vous y prie aussi. Vous me faites beaucoup d’honneur. Allons qu’on se range, les voici. Monsieur Purgon, Monsieur, m’a défendu de découvrir ma tête. Vous êtes du métier ; vous savez les conséquences. Nous sommes dans toutes nos visites pour porter secours aux malades, et non pour leur porter de l’incommodité. Je reçois, Monsieur… Nous venons ici, Monsieur… Avec beaucoup de joie, Mon Fils Thomas et moi, L’honneur que vous me faites : Vous témoigner, Monsieur, Et j’aurais souhaité Le ravissement où nous sommes, De pouvoir aller chez vous De la grâce que vous nous faites Pour vous en assurer : De vouloir bien nous recevoir Mais vous savez, Monsieur, Dans l’honneur, Monsieur, Ce que c’est qu’un pauvre malade De votre alliance ; Qui ne peut faire autre chose, Et vous assurer, Que de vous dire ici, Que dans les choses qui dépendront de notre métier, Qu’il cherchera toutes les occasions De même qu’en toute autre, De vous faire connaître, Monsieur, Nous serons toujours prêts, Monsieur, Qu’il est tout à votre service. À vous témoigner notre zèle. Allons, Thomas, avancez, faites vos compliments. N’est-ce pas par le Père qu’il convient commencer ? Oui. Monsieur, je viens saluer, reconnaître, chérir, et révérer en vous un second Père : mais un second Père auquel j’ose dire que je me trouve plus redevable qu’au premier. Le premier m’a engendré ; mais vous m’avez choisi. Il m’a reçu par nécessité ; mais vous m’avez accepté par grâce. Ce que je tiens de lui est un ouvrage de son corps ; mais ce que je tiens de vous est un ouvrage de votre volonté ; et d’autant plus que les facultés spirituelles sont au-dessus des corporelles, d’autant plus je vous dois, et d’autant plus je tiens précieuse cette future Filiation, dont je viens aujourd’hui vous rendre par avance les très humbles, et très respectueux hommages. Vivent les Collèges d’où l’on sort si habile homme. Cela a-t-il bien été, mon Père ? Optime. Allons, saluez Monsieur. Baiserai-je ? Oui, oui. Madame, c’est avec justice que le Ciel vous a concédé le nom de belle-Mère, puisque l’on… Ce n’est pas ma Femme, c’est ma Fille à qui vous parlez. Où donc est-elle ? Elle va venir. Attendrai-je, mon Père, qu’elle soit venue ? Faites toujours le compliment de Mademoiselle. Mademoiselle, ne plus, ne moins que la Statue de Memnon rendait un son harmonieux lorsqu’elle venait à être éclairée des rayons du Soleil, tout de même me sens-je animé d’un doux transport à l’apparition du Soleil de vos beautés ; et comme les Naturalistes remarquent que la Fleur nommée Héliotrope tourne sans cesse vers cet Astre du jour, aussi mon cœur d’ores en avant tournera-t-il toujours vers les Astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez donc, Mademoiselle, que j’appende aujourd’hui à l’Autel de vos charmes l’offrande de ce cœur, qui ne respire, et n’ambitionne autre gloire, que d’être toute sa vie, Mademoiselle, votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur, et mari. Voilà ce que c’est que d’étudier, on apprend à dire de belles choses. Eh ? que dites-vous de cela ? Que Monsieur fait merveilles, et que s’il est aussi bon Médecin, qu’il est bon Orateur, il y aura plaisir à être de ses malades. Assurément. Ce sera quelque chose d’admirable, s’il fait d’aussi belles cures, qu’il fait de beaux discours. Allons vite ma chaise, et des sièges à tout le monde. Mettez-vous là, ma Fille. Vous voyez, Monsieur, que tout le monde admire Monsieur votre Fils, et je vous trouve bien heureux de vous voir un Garçon comme cela. Monsieur, ce n’est pas parce que je suis son père, mais je puis dire que j’ai sujet d’être content de lui, et que tous ceux qui le voient en parlent comme d’un Garçon qui n’a point de méchanceté. Il n’a jamais eu l’imagination bien vive, ni ce feu d’esprit qu’on remarque dans quelques-uns ; mais c’est par là que j’ai toujours bien auguré de sa judiciaire, qualité requise pour l’exercice de notre Art. Lorsqu’il était petit, il n’a jamais été ce qu’on appelle mièvre et éveillé. On le voyait toujours doux, paisible, et taciturne ; ne disant jamais mot, et ne jouant jamais à tous ces petits jeux que l’on nomme Enfantins. On eut toutes les peines du monde à lui apprendre à lire, et il avait neuf ans qu’il ne connaissait pas encore ses lettres. Bon, disais-je en moi-même, les Arbres tardifs sont ceux qui portent les meilleurs fruits. On grave sur le marbre, bien plus malaisément que sur le sable ; mais les choses y sont conservées bien plus longtemps, et cette lenteur à comprendre, cette pesanteur d’imagination est la marque d’un bon jugement à venir. Lorsque je l’envoyai au Collège il trouva de la peine ; mais il se raidissait contre les difficultés, et ses Régents se louaient toujours à moi de son assiduité, et de son travail. Enfin, à force de battre le fer, il en est venu glorieusement à avoir ses Licences, et je puis dire sans vanité que depuis deux ans qu’il est sur les Bancs, il n’y a point de Candidat qui ait fait plus de bruit que lui dans toutes les disputes de notre École ; il s’y est rendu redoutable, et il ne s’y passe point d’Acte où il n’aille argumenter à outrance pour la proposition contraire. Il est ferme dans la dispute, fort comme un Turc sur ses principes, ne démord jamais de son opinion, et poursuit un raisonnement jusques dans les derniers recoins de la Logique ; mais sur toute chose, ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c’est qu’il s’attache aveuglément aux Opinions de nos Anciens ; et que jamais il n’a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle, touchant la Circulation du sang et autres opinions de même forme. J’ai contre les Circulateurs soutenu une Thèse qu’avec la permission de Monsieur j’ose présenter à Mademoiselle, comme un hommage que je lui dois des prémices de mon esprit. Monsieur, c’est pour moi un meuble inutile, et je ne me connais pas à ces choses-là. Donnez, donnez, elle est toujours bonne à prendre pour l’Image, cela servira à parer notre chambre. Avec la permission aussi de Monsieur, je vous invite à venir voir l’un de ces jours pour vous divertir, la Dissection d’une femme sur quoi je dois raisonner. Le divertissement sera agréable. Il y en a qui donnent la Comédie à leurs Maîtresses ; mais donner une dissection est quelque chose de plus galant. Au reste, pour ce qui est des qualités requises pour le Mariage et la propagation, je vous assure que selon les règles de nos Docteurs, il est tel qu’on le peut souhaiter. Qu’il possède en un degré louable la vertu prolifique, et qu’il est du tempérament qu’il faut pour engendrer et procréer des enfants bien conditionnés. N’est-ce pas votre intention, Monsieur, de le pousser à la Cour, et d’y ménager pour lui une Charge de Médecin ? À vous en parler franchement, notre métier auprès des Grands ne m’a jamais paru agréable, et j’ai toujours trouvé qu’il valait mieux, pour nous autres, demeurer au public. Le public est commode ; vous n’avez à répondre de vos actions à personne, et pourvu que l’on suive le courant des règles de l’Art, on ne se met point en peine de tout ce qui peut arriver. Mais ce qu’il y a de fâcheux auprès des Grands, c’est que quand ils viennent à être malades, ils veulent absolument que leurs Médecins les guérissent. Cela est plaisant, et ils sont bien impertinents de vouloir que vous autres Messieurs vous les guérissiez. Vous n’êtes point auprès d’eux pour cela. Vous n’y êtes que pour recevoir vos pensions et leur ordonner des Remèdes, c’est à eux à guérir s’ils peuvent. Cela est vrai. On n’est obligé qu’à traiter les gens dans les formes. Monsieur, faites un peu chanter ma Fille devant la Compagnie. J’attendais vos ordres, Monsieur, et il m’est venu en pensée, pour divertir la Compagnie, de chanter avec Mademoiselle une Scène d’un petit Opéra qu’on a fait depuis peu. Tenez ; voilà votre Partie. Moi ? Ne vous défendez point, s’il vous plaît, et me laissez vous faire comprendre ce que c’est que la Scène que nous devons chanter. Je n’ai pas une voix à chanter ; mais il suffit que je me fasse entendre, et l’on aura la bonté de m’excuser par la nécessité où je me trouve de faire chanter Mademoiselle. Les Vers en sont-ils beaux ? C’est proprement ici un petit Opéra impromptu, et vous n’allez entendre chanter, que de la Prose cadencée, ou des manières de Vers libres, tels que la passion et la nécessité peuvent faire trouver à deux personnes qui disent les choses d’eux-mêmes, et parlent sur-le-champ. Fort bien. Écoutons. Voici le sujet de la Scène. Un Berger était attentif aux beautés d’un Spectacle qui ne faisait que de commencer, lorsqu’il fut tiré de son attention par un bruit qu’il entendit à ses côtés. Il se retourne, et voit un brutal, qui de paroles insolentes maltraitait une Bergère. D’abord il prend les intérêts d’un sexe à qui tous les hommes doivent hommage ; et après avoir donné au brutal le châtiment de son insolence, il vient à la Bergère, et voit une jeune personne qui des deux plus beaux yeux qu’il eût jamais vus, versait des larmes, qu’il trouva les plus belles du monde. Hélas ! dit-il en lui-même, est-on capable d’outrager une personne si aimable ? Et quel inhumain, quel barbare ne serait touché par de telles larmes ? Il prend soin de les arrêter, ces larmes qu’il trouve si belles, et l’aimable Bergère prend soin en même temps de le remercier de son léger service ; mais d’une manière si charmante, si tendre, et si passionnée que le Berger n’y peut résister : chaque mot, et chaque regard, est un trait plein de flamme, dont son cœur se sent pénétré. Est-il, disait-il, quelque chose qui puisse mériter les aimables paroles d’un tel remerciement ? Et que ne voudrait-on pas faire, à quels services, à quels dangers ne serait-on pas ravi de courir pour s’attirer un seul moment des touchantes douceurs d’une âme si reconnaissante ? Tout le Spectacle passe sans qu’il y donne aucune attention : mais il se plaint qu’il est trop court, parce qu’en finissant il le sépare de son adorable Bergère, et de cette première vue, de ce premier moment il emporte chez lui tout ce qu’un amour de plusieurs années peut avoir de plus violent. Le voilà aussitôt à sentir tous les maux de l’absence, et il est tourmenté de ne plus voir ce qu’il a si peu vu. Il fait tout ce qu’il peut pour se redonner cette vue, dont il conserve nuit et jour une si chère idée, mais la grande contrainte où l’on tient sa Bergère, lui en ôte tous les moiens. La violence de sa passion le fait résoudre à demander en Mariage l’adorable Beauté sans laquelle il ne peut plus vivre, et il en obtient d’elle la permission par un Billet qu’il a l’adresse de lui faire tenir. Mais dans le même temps on l’avertit que le Père de cette Belle a conclu son mariage avec un autre, et que tout se dispose pour en célébrer la Cérémonie. Jugez quelle atteinte cruelle au cœur de ce triste Berger. Le voilà accablé d’une mortelle douleur. Il ne peut souffrir l’effroyable Idée de voir tout ce qu’il aime entre les bras d’un autre, et son amour au désespoir lui fait trouver moien de s’introduire dans la maison de sa Bergère, pour apprendre ses sentiments, et savoir d’elle la Destinée à laquelle il doit se résoudre. Il y rencontre les apprêts de tout ce qu’il craint. Il y voit venir l’indigne Rival que le caprice d’un Père oppose aux tendresses de son amour. Il le voit Triomphant, ce Rival ridicule auprès de l’aimable Bergère, ainsi qu’auprès d’une Conquête qui lui est assurée, et cette vue le remplit d’une colère dont il a peine à se rendre le maître. Il jette de douloureux regards sur celle qu’il adore, et son respect, et la présence de son Père, l’empêchent de lui rien dire que des yeux : mais enfin, il force toute contrainte, et le transport de son amour l’oblige à lui parler ainsi. Belle Philis, c’est trop, c’est trop souffrir, Rompons ce dur silence, et m’ouvrez vos pensées, Apprenez-moi ma Destinée, Faut-il vivre ? Faut-il mourir ? Vous me voyez, Tircis, triste et mélancolique Aux apprêts de l’Hymen, dont vous vous alarmez, Je lève au Ciel les yeux, je vous regarde, je soupire, C’est vous en dire assez. Ouais, je ne croyais pas que ma Fille fût si habile que de chanter ainsi à Livre ouvert sans hésiter. Hélas ! belle Philis, Se pourrait-il, que l’amoureux Tircis, Eût assez de bonheur, Pour avoir quelque place dans votre cœur ? Je ne m’en défends point, dans cette peine extrême : Oui, Tircis, je vous aime. Ô parole pleine d’appas ! Ai-je bien entendu ? hélas Redites-la, Philis, que je n’en doute pas. Oui, Tircis, je vous aime. De grâce encore, Philis. Je vous aime. Recommencez cent fois, ne vous en lassez pas. Je vous aime, je vous aime, Oui, Tircis, je vous aime. Dieux, Rois, qui sous vos pieds regardez tout le monde, Pouvez-vous comparer votre bonheur au mien ? Mais, Philis, une pensée Vient troubler ce doux transport, Un Rival, un Rival… Ah ! je le hais plus que la mort, Et sa présence ainsi qu’à vous M’est un cruel supplice. Mais un Père à ses vœux vous veut assujettir. Plutôt, plutôt mourir, Que de jamais y consentir, Plutôt, plutôt mourir, plutôt mourir. Et que dit le Père à tout cela ? Il ne dit rien. Voilà un sot Père que ce Père-là, de souffrir toutes ces sottises-là, sans rien dire. Ah ! mon amour… Non, non, en voilà assez, cette Comédie-là est de fort mauvais exemple. Le Berger Tircis est un impertinent, et la Bergère Philis une impudente de parler de la sorte devant son Père. Montrez-moi ce papier. Ha, ha. Où sont donc les paroles que vous avez dites ? Il n’y a là que de la Musique écrite ? Est-ce que vous ne savez pas, Monsieur, qu’on a trouvé depuis peu l’invention d’écrire les paroles avec les notes mêmes ? Fort bien. Je suis votre serviteur, Monsieur, jusqu’au revoir. Nous nous serions bien passés de votre impertinent d’Opéra. J’ai cru vous divertir. Les sottises ne divertissent point. Ah ! voici ma Femme. Mamour, voilà le Fils de Monsieur Diafoirus Madame, c’est avec justice que le Ciel vous a concédé le nom de Belle-mère, puisque l’on voit sur votre visage… Monsieur, je suis ravie d’être venue ici à propos pour avoir l’honneur de vous voir. Puisque l’on voit sur votre visage… Madame, vous m’avez interrompu dans le milieu de ma période, et cela m’a troublé la mémoire. Thomas, réservez cela pour une autre fois. Je voudrais, ma Mie, que vous eussiez été ici tantôt. Ah, Madame, vous avez bien perdu de n’avoir point été au second Père, à la Statue de Memnon, et à la Fleur nommée Héliotrope. Allons, ma Fille, touchez dans la main de Monsieur, et lui donnez votre Foi comme à votre Mari. Mon Père. Hé bien, mon Père. Qu’est-ce que cela veut dire ? De grâce ne précipitez pas les choses. Donnez-nous au moins le temps de nous connaître, et de voir naître en nous l’un pour l’autre cette inclination si nécessaire à composer une union parfaite. Quant à moi, Mademoiselle, elle est déjà toute née en moi ; et je n’ai pas besoin d’attendre davantage. Si vous êtes si prompt, Monsieur, il n’en est pas de même de moi, et je vous avoue que votre mérite n’a pas encore fait assez d’impression dans mon âme. Ho bien, bien, cela aura tout le loisir de se faire quand vous serez mariés ensemble. Eh mon Père, donnez-moi du temps, je vous prie, le Mariage est une chaîne, où l’on ne doit jamais soumettre un cœur par force ; et si Monsieur est honnête homme, il ne doit point vouloir accepter une personne, qui serait à lui par contrainte. Nego consequentiam, Mademoiselle ; et je puis être honnête homme, et vouloir bien vous accepter des mains de Monsieur votre Père. C’est un méchant moyen de se faire aimer de quelqu’un, que de lui faire violence. Nous lisons des Anciens, Mademoiselle, que leur coutume était d’enlever par force de la maison des Pères les Filles qu’on menait marier, afin qu’il ne semblât pas que ce fût de leur consentement qu’elles convolaient dans les bras d’un homme. Les Anciens, Monsieur, sont les Anciens, et nous sommes les gens de maintenant. Les grimaces ne sont point nécessaires dans notre Siècle ; et quand un mariage nous plaît, nous savons fort bien y aller, sans qu’on nous y traîne. Donnez-vous patience ; si vous m’aimez, Monsieur, vous devez vouloir tout ce que je veux. Oui, Mademoiselle, jusques aux intérêts de mon amour exclusivement. Mais la grande marque d’amour, c’est d’être soumis aux volontés de celle qu’on aime. Distinguo, Mademoiselle, dans ce qui ne regarde point sa possession, Concedo, mais dans ce qui la regarde, Nego. Vous avez beau raisonner ; Monsieur est frais émoulu du Collège, et il vous donnera toujours votre reste. Pourquoi tant résister, et refuser la gloire d’être attachée au Corps de la Faculté ? Elle a peut-être quelque inclination en tête. Si j’en avais, Madame, elle serait telle que la raison et l’honnêteté pourraient me la permettre. Ouais, je joue ici un plaisant personnage. Si j’étais que de vous, mon Fils, je ne la forcerais point à se marier, et je sais bien ce que je ferais. Je sais, Madame, ce que vous voulez dire, et les bontés que vous avez pour moi, mais peut-être que vos conseils ne seront pas assez heureux pour être exécutés. C’est que les Filles bien sages et bien honnêtes comme vous, se moquent d’être obéissantes, et soumises aux volontés de leurs Pères. Cela était bon autrefois. Le devoir d’une Fille a des bornes, Madame, et la raison et les lois ne l’étendent point à toutes sortes de choses. C’est-à-dire que vos pensées ne sont que pour le mariage ; mais vous voulez choisir un Époux à votre fantaisie. Si mon Père ne veut pas me donner un Mari qui me plaise, je le conjurerai, au moins, de ne me point forcer à en épouser un que je ne puisse pas aimer. Messieurs, je vous demande pardon de tout ceci. Chacun a son but en se mariant ; pour moi qui ne veux un Mari que pour l’aimer véritablement, et qui prétends en faire tout l’attachement de ma vie, je vous avoue que j’y cherche quelque précaution. Il y en a d’aucunes qui prennent des Maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents, et se mettre en état de faire tout ce qu’elles voudront. Il y en a d’autres, Madame, qui font du mariage un commerce de pur intérêt ; qui ne se marient que pour gagner des douaires ; que pour s’enrichir par la mort de ceux qu’elles épousent, et courent sans scrupule de Mari en Mari, pour s’approprier leurs dépouilles. Ces personnes-là à la vérité n’y cherchent pas tant de façons, et regardent peu la personne. Je vous trouve aujourd’hui bien raisonnante, et je voudrais bien savoir ce que vous voulez dire par là. Moi, Madame ? Que voudrais-je dire que ce que je dis ? Vous êtes si sotte, ma Mie, qu’on ne saurait plus vous souffrir. Vous voudriez bien, Madame, m’obliger à vous répondre quelque impertinence ; mais je vous avertis que vous n’aurez pas cet avantage. Il n’est rien d’égal à votre insolence. Non, Madame, vous avez beau dire. Et vous avez un ridicule orgueil, une impertinente présomption qui fait hausser les épaules à tout le monde. Tout cela, Madame, ne servira de rien, je serai sage en dépit de vous ; et pour vous ôter l’espérance de pouvoir réussir dans ce que vous voulez, je vais m’ôter de votre vue. Écoute, il n’y a point de milieu à cela, choisis d’épouser dans quatre jours, ou Monsieur, ou un Convent. Ne vous mettez pas en peine, je la rangerai bien. Je suis fâchée de vous quitter, mon Fils ; mais j’ai une affaire en Ville dont je ne puis me dispenser. Je reviendrai bientôt. Allez, mamour, et passez chez votre Notaire, afin qu’il expédie ce que vous savez. Adieu, mon petit Ami. Adieu, ma Mie. Voilà une femme qui m’aime… Cela n’est pas croyable. Nous allons, Monsieur, prendre congé de vous. Je vous prie, Monsieur, de me dire un peu comment je suis. Allons, Thomas, prenez l’autre bras de Monsieur, pour voir si vous saurez porter un bon jugement de son pouls. Quid dicis ? Dico, que le pouls de Monsieur est le pouls d’un homme qui ne se porte point bien. Bon. Qu’il est Duriuscule, pour ne pas dire dur. Fort bien. Repoussant. Bene. Et même un peu caprisant. Optime. Ce qui marque une intempérie dans le parenchyme splénique, c’est-à-dire la rate. Fort bien. Non, Monsieur Purgon dit que c’est mon foie qui est malade. Eh oui, qui dit parenchyme dit l’un et l’autre, à cause de l’étroite sympathie qu’ils ont ensemble par le moyen du vas breve du pylore, et souvent des méats cholidoques. Il vous ordonne sans doute de manger force rôti. Non, rien que du bouilli. Eh oui, rôti, bouilli, même chose. Il vous ordonne fort prudemment, et vous ne pouvez être en de meilleures mains. Monsieur, combien est-ce qu’il faut mettre de grains de sel dans un œuf ? Six, huit, dix, par les nombres pairs, comme dans les médicaments par les nombres impairs. Jusques au revoir, Monsieur. Je viens, mon Fils, avant que de sortir, vous donner avis d’une chose, à laquelle il faut que vous preniez garde. En passant par-devant la chambre d’Angélique, j’ai vu un jeune homme avec elle, qui s’est sauvé d’abord qu’il m’a vue. Un jeune homme avec ma Fille ? Oui. Votre petite Fille Louison était avec eux, qui pourra vous en dire des nouvelles. Envoyez-la ici, mamour ; envoyez-la ici. Ah l’effrontée ! Je ne m’étonne plus de sa résistance. Qu’est-ce que vous voulez, mon Papa ? ma belle-Maman m’a dit que vous me demandez. Oui, venez ça, avancez là. Tournez-vous, levez les yeux. Regardez-moi. Eh ! Quoi, mon Papa ? Là ? Quoi ? N’avez-vous rien à me dire ? Je vous dirai, si vous voulez, pour vous désennuyer, le conte de peau d’Âne, ou bien la fable du Corbeau et du Renard, qu’on m’a apprise depuis peu. Ce n’est pas là ce que je demande. Quoi donc ? Ah rusée, vous savez bien ce que je veux dire. Pardonnez-moi, mon Papa. Est-ce là comme vous m’obéissez ? Quoi ? Ne vous ai-je pas recommandé de me venir dire d’abord tout ce que vous voyez ? Oui, mon Papa. L’avez-vous fait ? Oui, mon Papa, je vous suis venu dire tout ce que j’ai vu. Et n’avez-vous rien vu aujourd’hui ? Non, mon Papa. Non ? Non, mon Papa. Assurément ? Assurément. Oh çà, je m’en vais vous faire voir quelque chose, moi. Ah, mon Papa ! Ah, ah, petite masque, vous ne me dites pas que vous avez vu un homme dans la chambre de votre sœur. Mon Papa. Voici qui vous apprendra à mentir. Ah ! mon Papa, je vous demande pardon ; c’est que ma Sœur m’avait dit de ne pas vous le dire ; mais je m’en vais vous dire tout. Il faut premièrement que vous ayez le fouet pour avoir menti ; puis après nous verrons au reste. Pardon, mon Papa. Non, non. Mon pauvre Papa, ne me donnez pas le fouet. Vous l’aurez. Au nom de Dieu, mon Papa, que je ne l’aie pas. Allons, allons. Ah, mon Papa, vous m’avez blessée ! attendez je suis morte. Holà, qu’est-ce là ? Louison, Louison. Ah, mon Dieu ! Louison ! Ah ma Fille ! Ah, malheureux, ma pauvre Fille est morte. Qu’ai-je fait, misérable ? Ah, chiennes de Verges, la peste soit des Verges. Ah, ma pauvre Fille ! ma pauvre petite Louison. Là, là, mon Papa, ne pleurez point tant, je ne suis pas encore morte tout à fait. Voyez-vous la petite rusée ? Oh çà, çà, je vous pardonne pour cette fois-ci, pourvu que vous me disiez bien tout. Ho oui mon Papa. Prenez-y bien garde au moins ; car voilà un petit doigt qui sait tout, qui me dira si vous mentez. Mais, mon Papa, ne dites pas à ma Sœur que je vous l’ai dit. Non, non. C’est, mon Papa, qu’il est venu un homme dans la chambre de ma Sœur comme j’y étais. Hé bien ? Je lui ai demandé ce qu’il demandait, et il m’a dit qu’il était son Maître à chanter. Hon, hon ! Voilà l’affaire. Hé bien ? Ma Sœur est venue après. Hé bien ? Elle lui a dit : Sortez, sortez, sortez ; mon Dieu, sortez, vous me mettez au désespoir. Hé bien ? Et lui, il ne voulait point sortir. Qu’est-ce qu’il lui disait ? Il lui disait je ne sais combien de choses. Et quoi encore ? Il lui disait, tout ci, tout ça, qu’il l’aimait bien, et qu’elle était la plus belle du monde. Et puis après ? Et puis après, il se mettait à genoux devant elle. Et puis après ? Et puis après il lui baisait les mains. Et puis après ? Et puis après, ma belle-Maman est venue à la porte, et il s’est enfui. Il n’y a point autre chose ? Non, mon Papa. Voilà mon petit doigt pourtant qui gronde quelque chose, attendez. Eh ! ah, ah ! oui ? oh, oh ! voilà mon petit doigt qui me dit quelque chose que vous avez vu, et que vous ne m’avez pas dit. Ah mon Papa, votre petit doigt est un menteur. Prenez garde. Non, mon Papa, ne le croyez pas, il ment, je vous assure. Oh bien bien nous verrons cela. Allez-vous-en, et prenez bien garde à tout. Ah que d’affaires ! je n’ai pas seulement le loisir de songer à ma Maladie, en vérité je n’en puis plus. Hé bien, mon Frère, qu’est-ce ? comment vous portez-vous ? Ah mon Frère, fort mal. Comment fort mal ? Oui, je suis dans une faiblesse si grande, que cela n’est pas croyable. Voilà qui est fâcheux. Je n’ai pas seulement la force de pouvoir parler. J’étais venu ici, mon Frère, vous proposer un parti pour ma Nièce Angélique. Mon Frère, ne me parlez point de cette coquine-là. C’est une friponne, une impertinente, une effrontée que je mettrai dans un Convent avant qu’il soit deux jours. Ah ! voilà qui est bien. Je suis bien aise que la force vous revienne un peu, et que ma visite vous fasse du bien. Oh çà, nous parlerons d’affaires tantôt. Je vous amène ici un divertissement que j’ai rencontré, qui dissipera votre chagrin, et vous rendra l’âme mieux disposée aux choses que nous avons à dire. Ce sont des Égyptiens vêtus en Maures, qui font des danses mêlées de chansons, où je suis sûr que vous prendrez plaisir, et cela vaudra bien une Ordonnance de Monsieur Purgon. Allons. Profitez du Printemps De vos beaux ans, Aimable jeunesse ; Profitez du Printemps De vos beaux ans, Donnez-vous à la tendresse. Les plaisirs les plus charmants, Sans l’amoureuse flamme, Pour contenter une âme N’ont point d’attraits assez puissants. Profitez du Printemps De vos beaux ans, Aimable jeunesse ; Profitez du Printemps De vos beaux ans, Donnez-vous à la tendresse. Ne perdez point ces précieux moments; La beauté passe, Le temps l’efface, L’âge de glace Vient à sa place, Qui nous ôte le goût de ces doux passe-temps. Profitez du Printemps De vos beaux ans, Aimable jeunesse ; Profitez du Printemps, De vos beaux ans, Donnez-vous à la tendresse. Quand d’aimer on nous presse, À quoi songez-vous ? Nos cœurs dans la jeunesse N’ont vers la tendresse Qu’un penchant trop doux ; L’amour a pour nous prendre De si doux attraits, Que de soi, sans attendre, On voudrait se rendre À ses premiers traits : Mais tout ce qu’on écoute, Des vives douleurs Et des pleurs qu’il nous coûte, Fait qu’on en redoute Toutes les douceurs. Il est doux à notre âge D’aimer tendrement Un Amant Qui s’engage : Mais s’il est volage Hélas ! quel tourment ? L’Amant qui se dégage N’est pas le malheur, La douleur Et la rage ; C’est que le volage Garde notre cœur. Quel parti faut-il prendre Pour nos jeunes cœurs ? Devons-nous nous y rendre Malgré ses rigueurs ? Oui, suivons ses ardeurs, Ses transports, ses caprices, Ses douces langueurs ; S’il a quelques supplices, Il a cent délices Qui charment les cœurs. Hé bien, mon Frère, que dites-vous du plaisir que vous venez d’avoir, cela ne vaut-il pas bien une prise de Casse ? De bonne Casse est bonne. Puisque vous êtes mieux, mon Frère, vous voulez bien que je vous entretienne un peu de l’affaire de tantôt. Un peu de patience, mon Frère, je reviens dans un moment. Monsieur, vous oubliez votre bâton ; vous ne songez pas que vous ne sauriez marcher sans lui. Tu as raison, donne vite. Eh, Monsieur, n’avez-vous point de pitié pour votre Nièce, et la laisserez-vous sacrifier au caprice de son Père, qui veut absolument qu’elle épouse ce qu’elle hait le plus au monde? Dans le vrai, la nouvelle de ce bizarre mariage m’a fort surpris, je veux tout mettre en usage pour rompre ce coup, et je porterai même les choses à la dernière extrémité, plutôt que de le souffrir. Je lui ai déjà parlé en faveur de Cléante ; j’ai été très mal reçu ; mais afin de faire réussir leurs feux, il faut commencer par le dégoûter de l’autre, et c’est ce qui m’embarrasse fort. Il est vrai que difficilement le fait-on changer de sentiment. Écoutez, pourtant, je songe à quelque chose qui pourrait bien nous réussir. Que prétends-tu faire ? C’est un dessein assez burlesque, et une imagination fort plaisante qui me vient dans l’esprit pour duper notre homme ; je songe qu’il faudrait faire venir un Médecin à notre poste, qui eût une méthode tout contraire à celle de Monsieur Purgon, qui le décriât et le fît passer pour un ignorant ; qui lui offrît ses services, et lui promît de prendre soin de lui en sa place, peut-être serons nous plus heureux que sages : éprouvons ceci à tout hasard ; mais comme je ne vois personne propre à bien faire le Médecin, j’ai envie de jouer un tour de ma teste. Quel est-il ? Vous verrez ce que c’est, j’entends votre Frère secondez-moi bien seulement. Je veux, mon Frère, vous faire une prière avant que de vous parler d’affaires. Quelle est-elle cette prière ? C’est d’écouter favorablement tout ce que j’ai à vous dire. Bien, soit. De ne vous point emporter à votre ordinaire. Oui, je le ferai. Et de me répondre sans chaleur précisément sur chaque chose. Hé bien oui : voici bien du préambule. Ainsi, mon Frère, par quelle raison, dites-moi, voulez-vous marier votre Fille à un Médecin ? Par la raison, mon Frère, que je suis le Maître chez moi, et que je puis disposer à ma volonté de tout ce qui est en ma puissance. Mais encore, pourquoi choisir plutôt un Médecin qu’un autre ? Parce que dans l’état où je suis, un Médecin m’est plus nécessaire que tout autre ; et si ma Fille était raisonnable, c’en serait assez pour le lui faire accepter. Par cette même raison, si votre petite Louison était plus grande, vous la donneriez en mariage à un Apothicaire. Eh pourquoi non ? Voyez un peu le grand mal qu’il y aurait. En vérité, mon Frère, je ne puis souffrir l’entêtement que vous avez des Médecins, et que vous vouliez être malade en dépit de vous-même. Qu’entendez-vous par là, mon Frère ? J’entends, mon Frère, que je ne vois guère d’hommes qui se portent mieux que vous et que je ne voudrais pas avoir une meilleure constitution que la vôtre : une grande marque que vous vous portez bien, c’est que toutes les Médecines et les Lavements qu’on vous a fait prendre, n’aient point encore altéré la bonté de votre tempérament ; et un de mes étonnements est, que vous ne soyez point crevé à force de remèdes. Monsieur Purgon dit que c’est ce qui me fait vivre : et que je mourrais, s’il était seulement deux jours sans prendre soin de moi. Oui, oui, il en prendra tant de soin, que devant qu’il soit peu, vous n’aurez plus besoin de lui. Mais, mon Frère, vous ne croyez donc point à la Médecine ? Moi, mon Frère ? nullement, et je ne vois pas que pour son salut, il soit nécessaire d’y croire. Quoi ? vous ne croyez pas à une Science qui depuis un si long temps est si solidement établie par toute la terre et respectée de tous les hommes ? Non, vous dis-je, et je ne vois pas même une plus plaisante momerie : rien au monde de plus impertinent qu’un homme qui se veut mêler d’en guérir un autre. Eh pourquoi, mon Frère, ne voulez-vous pas qu’un homme en puisse guérir un autre ? Parce que les ressorts de notre machine sont mystères jusques ici inconnus, où les hommes ne voient goutte, et dont l’Auteur de toutes choses s’est réservé la connaissance. Que faut-il donc faire lorsque l’on est malade ? Rien que se tenir de repos, et laisser faire la nature ; puisque c’est elle qui est tombée dans le désordre, elle s’en peut aussi bien retirer, et se rétablir elle-même. Mais encore devez-vous m’avouer qu’on peut aider cette nature. Bien éloigné de cela, on ne fait bien souvent que l’empêcher de faire son effet : et j’ai connu bien des gens qui sont morts des remèdes qu’on leur a fait prendre, qui se porteraient bien présentement s’ils l’eussent laissé faire. Vous voulez donc dire, mon Frère, que les Médecins ne savent rien ? Non, je ne dis pas cela ; la plupart d’entre eux sont de très bons Humanistes qui parlent fort bien Latin, qui savent nommer en Grec toutes les maladies, les définir ; mais pour les guérir, c’est ce qu’il ne savent pas. Mais pourquoi donc, mon Frère, tous les hommes sont-ils dans la même erreur où vous voulez que je sois ? C’est, mon Frère, parce qu’il y a des choses dont l’apparence nous charme, et que nous croyons véritables, par l’envie que nous avons qu’elles se fassent. La Médecine est de celle-là ; il n’y a rien de si beau et de si charmant que son objet : par exemple, lorsqu’un Médecin vous parle de purifier le sang, de fortifier le cœur, de rafraîchir les entrailles, de rétablir la poitrine, de raccommoder la rate, d’apaiser la trop grande chaleur du foie, de régler, modérer et retirer la chaleur naturelle, il vous dit justement le Roman de la Médecine, et il en est comme de ces beaux songes qui pendant la nuit nous ont bien divertis, et qui ne nous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir eus. Ouais, vous êtes devenu fort habile homme en peu de temps. Dans les discours et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands Médecins ; entendez-les parler, ce sont les plus habiles gens du monde ; voyez-les faire, les plus ignorants de tous les hommes ; de telle manière que toute leur science est renfermée en un pompeux Galimatias, et un spécieux babil. Ce sont donc de méchantes gens d’abuser ainsi de la crédulité et de la bonne foi des hommes ? Il y en a entre eux qui sont dans l’erreur aussi bien que les autres, d’autres qui en profitent sans y être. Votre Monsieur Purgon y est plus que personne. C’est un homme tout Médecin depuis la tête jusques aux pieds, qui croit plus aux règles de son Art qu’à toutes les démonstrations de Mathématique, et qui donne à travers les purgations et les saignées sans y rien connaître, et qui lorsqu’il vous tuera ne fera dans cette occasion que ce qu’il a fait à sa femme et à ses enfants, et ce qu’en un besoin il ferait à lui-même. C’est que vous avez une dent de lait contre lui. Quelle raison m’en aurait-il donnée ? Je voudrais bien, mon Frère, qu’il y eût ici quelqu’un de ces Messieurs pour vous tenir tête, pour rembarrer un peu tout ce que vous venez de dire, et vous apprendre à les attaquer. Moi, mon Frère ? je ne prétends point les attaquer ; ce que j’en dis n’est qu’entre nous, et que par manière de conversation, chacun à ses périls et fortunes en peut croire tout ce qu’il lui plaira. Voyez-vous, mon Frère, ne me parlez plus contre ces gens-là, ils me tiennent trop au cœur, vous ne faites que m’échauffer et augmenter mon mal. Soit, je le veux bien, mais je souhaiterais seulement pour vous désennuyer vous mener voir un de ces jours représenter une des Comédies de Molière sur ce sujet. Ce sont de plaisants impertinents que vos Comédiens, avec leurs Comédies de Molière ; c’est bien à faire à eux à se moquer de la Médecine. Ce sont de bons nigauds, et je les trouve bien ridicules de mettre sur leur Théâtre de vénérables Messieurs comme ces Messieurs-là. Que voulez-vous qu’ils y mettent que les diverses professions des hommes ? Nous y voyons bien tous les jours des Princes et des Rois qui sont du moins d’aussi bonne maison que les Médecins. Par la mort non d’un diable, je les attraperais bien quand ils seraient malades, ils auraient beau me prier, je prendrais plaisir à les voir souffrir, je ne voudrais pas les soulager en rien, je ne leur ordonnerais pas la moindre petite saignée, le moindre petit Lavement, je me vengerais bien de leur insolence, et leur dirais : Crevez, crevez, crevez mes petits Messieurs, cela vous apprendra à vous moquer une autre fois de la Faculté. Ils ne s’exposent point à de pareilles épreuves, et ils savent très bien se guérir eux-mêmes lorsqu’ils sont malades. C’est un petit Clystère que je vous apporte ; prenez vite, Monsieur, prenez vite, il est comme il faut, il est comme il faut. Que voulez-vous faire, mon Frère ? Attendez un moment, cela sera bientôt fait. Je crois que vous vous moquez de moi ; Eh ne sauriez-vous prendre un autre temps ? allez, Monsieur, revenez une autre fois. À ce soir, s’il vous plaît, Monsieur Fleurant. De quoi vous mêlez-vous, Monsieur ? vous êtes bien plaisant d’empêcher Monsieur de prendre son Clystère, sont-ce là vos affaires ? On voit bien, Monsieur, que vous n’avez pas accoutumé de parler à des visages. Que voulez-vous dire avec vos visages ? sachez que je ne perds pas ainsi mes pas, et que je viens ici en vertu d’une bonne Ordonnance, et vous Monsieur, vous vous repentirez du mépris que vous en faites, je vais le dire à Monsieur Purgon, vous verrez, vous verrez. Mon Frère, vous allez être cause ici de quelque malheur ; et je crains fort que Monsieur Purgon ne se fâche quand il saura que je n’ai pas pris son Lavement. Voyez un peu le grand mal de n’avoir pas pris un Lavement que Monsieur Purgon a ordonné, vous ne vous mettriez pas plus en peine si vous aviez commis un crime considérable. Encore un coup, est-il possible qu’on ne vous puisse pas guérir de la maladie des Médecins, et ne vous verrai-je jamais qu’avec un Lavement et une Médecine dans le corps ? Mon Dieu, mon Frère, vous parlez comme un homme qui se porte bien ; si vous étiez en ma place, vous seriez aussi embarrassé que moi. Hé bien, mon Frère, faites ce que vous voudrez. Mais j’en reviens toujours là, votre Fille n’est point destinée pour un Médecin, et le parti dont je veux vous parler, lui est bien plus convenable. Il ne l’est pas pour moi, et cela me suffit ; en un mot elle est promise, et elle n’a qu’à se déterminer à cela ou à un Convent. Votre femme n’est pas des dernières à vous donner ce Conseil. Ah ! j’étais bien étonné si l’on ne me parlait pas de la pauvre femme, c’est toujours elle qui fait tout, il faut que tout le monde en parle. Ah ! j’ai tort, il est vrai, c’est une femme qui a trop d’amitié pour vos enfants ; et qui pour l’amitié qu’elle leur porte, voudrait les voir toutes deux bonnes Religieuses. Qu’est-ce ? on vient de m’apprendre de belles nouvelles. Comment, refuser un Clystère que j’avais pris plaisir moi-même de composer avec grand soin ? Monsieur Purgon, ce n’est pas moi, c’est mon Frère. Voilà une étrange rébellion d’un Malade contre son Médecin. Cela est vrai. Le renvoyer avec audace ; c’est une action exorbitante. Assurément. Un attentat énorme contre la Médecine. Cela est certain. C’est un crime de lèse-Faculté. Vous avez raison. Je vous aurais dans peu tiré d’affaire, et je ne voulais plus que dix Médecines, et vingt Lavements pour vider le fond du sac. Il ne le mérite pas. Mais puisque vous avez eu l’insolence de mépriser mon Clystère. Eh Monsieur Purgon, ce n’est pas ma faute, c’est la sienne. Que vous vous êtes soustrait de l’obéissance qu’un Malade doit à son Médecin. Ce n’est pas moi, vous dis-je. Je ne veux plus avoir d’alliance avec vous, et voici le don que je faisais de tout mon bien à mon Neveu, en faveur du Mariage avec votre Fille, que je déchire en mille pièces. C’est fort bien fait. Mon frère, vous êtes cause de tout ceci. Je ne veux plus prendre soin de vous, et être davantage votre Médecin. Je vous demande pardon. Je vous abandonne à votre méchante constitution, à l’intempérie de votre tempérament, et à la féculence de vos humeurs. Faites-le venir, je le prendrai devant vous. Je veux que dans peu vous soyez en un état incurable. Ah! je suis mort. Et je vous avertis que vous tomberez dans l’Épilepsie. Monsieur Purgon. De l’Épilepsie dans la Phtisie. Monsieur Purgon. De la Phtisie dans la Bradypepsie. Doucement Monsieur Purgon. De la Bradypepsie dans la Lienterie. Ah, Monsieur Purgon. De la Lienterie dans la Dysenterie. Mon pauvre Monsieur Purgon ! De la Dysenterie dans l’Hydropisie. Monsieur Purgon. De l’Hydropisie dans l’Apoplexie. Monsieur Purgon ? De l’Apoplexie dans la privation de la vie où vous aura conduit votre folie. Ah, c’en est fait, de moi, je suis perdu, je n’en puis revenir ; ah je sens déjà que la Médecine se venge. Sérieusement, mon Frère, vous n’êtes pas raisonnable, et je ne voudrais pas qu’il y eût ici personne qui vous vît faire ces extravagances. Vous avez beau dire, toutes ces maladies en ies me font trembler, et je les ai toutes sur le cœur. Le simple homme que vous êtes, comme si Monsieur Purgon tenait entre ses mains le fil de votre vie, et qu’il pût l’allonger ou l’accourcir, comme bon lui semblerait ; détrompez-vous, encore une fois, et sachez qu’il y peut encore moins, qu’à vous guérir lorsque vous êtes malade. Il dit que je deviendrai incurable. Dans le vrai, vous êtes un homme d’une grande prévention ; et lorsque vous vous êtes mis quelque chose dans l’esprit, difficilement peut-on l’en chasser. Que ferai-je, mon Frère, à présent qu’il m’a abandonné, et où trouverai-je un Médecin qui me puisse traiter aussi bien que lui ? Mon Dieu, mon Frère, puisque c’est une nécessité pour vous d’avoir un Médecin, l’on vous en trouvera un du moins aussi habile, qui n’ira pas si vite, avec qui vous courrez moins de risque, et qui prendra plus de précaution aux remèdes qu’il vous ordonnera. Ah, mon frère, il connaissait mon tempérament, et savait mon mal mieux que moi-même. Monsieur, il y a un Médecin à la porte qui souhaite parler à vous. Quel est-il ce Médecin ? C’est un Médecin de la Médecine qui me ressemble comme deux gouttes d’eau ; et si je ne savais que ma mère était honnête femme, je croirais que ce serait quelque petit frère qu’elle m’aurait donné depuis le trépas de mon père. Dis-lui qu’il prenne la peine d’entrer, c’est sans doute un Médecin qui vient de la part de Monsieur Purgon, pour nous bien remettre ensemble ; il faut voir ce que c’est, et ne pas laisser échapper une si belle occasion de me raccommoder avec lui. Monsieur, quoique je n’aie pas l’honneur d’être connu de vous, ayant appris que vous êtes malade, je viens vous offrir mon service pour toutes les purgations et les saignées dont vous aurez besoin. Ma foi, mon Frère, c’est Toinette elle-même. Monsieur, je vous demande pardon, j’ai une petite affaire en Ville, permettez-moi d’y envoyer mon Valet que j’ai laissé à votre porte, dire que l’on m’attende. Je crois sûrement que c’est elle ; qu’en croyez-vous ? Pourquoi voulez-vous cela ? sont-ce les premiers qui ont quelque ressemblance, et ne voyons-nous pas souvent arriver de ces sortes de choses ? Que voulez-vous, Monsieur ? Quoi ? Ne m’avez-vous pas appelée ? Moi ? tu te trompes. Il faut donc que les oreilles m’aient corné. Demeure, demeure, pour voir ce Médecin qui te ressemble si fort. Ah, vraiment oui ; je l’ai assez vu. Ma foi, mon Frère, cela est admirable, et je ne le croirais pas, si je ne les voyais tous deux ensemble. Cela n’est point si surprenant, notre Siècle nous en fournit plusieurs exemples ; et vous devez, ce me semble, vous souvenir de quelques-uns qui ont fait tant de bruit dans le monde. Monsieur, excusez-moi s’il vous plaît. Je ne puis sortir de mon étonnement, et il semble que c’est elle-même. Je suis un Médecin passager, courant de Villes en Villes, et de Royaumes en Royaumes pour chercher d’illustres Malades, et pour trouver d’amples matières à ma Capacité. Je ne suis pas de ces Médecins d’ordinaire, qui ne s’amusent qu’à des bagatelles de Fiévrottes, de Rhumatismes, de Migraines, et autres Maladies de peu de conséquence : je veux de bonnes Fièvres continues, avec des transports au Cerveau, de bonnes oppressions de Poitrine, de bons Maux de Côté, de bonnes Fièvres pourprées, de bonnes Véroles, de bonnes Pestes. C’est là où je me plais ; c’est là où je triomphe ; et je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes ces maladies ensemble ; que vous fussiez abandonné de tous les Médecins, et à l’agonie, pour vous montrer la longue et grande expérience que j’ai dans notre Art, et la passion que j’ai de vous rendre service. Je vous suis trop obligé, Monsieur ; cela n’est point nécessaire. Je vois que vous me regardez fixement, quel âge croyez-vous bien que j’aie ? Je ne le puis savoir au juste, pourtant vous avez bien vingt-sept ou vingt-huit ans au plus. Bon, j’en ai quatre-vingt dix. Quatre-vingt dix ? voilà un beau jeune Vieillard. Oui, quatre-vingt dix ans, et j’ai su me maintenir toujours frais et jeune, comme vous voyez, par la vertu et la bonté de mes Remèdes. Donnez-moi bien votre pouls : allons donc, voilà un pouls bien impertinent ; ah, je vois bien que vous ne me connaissez pas encore, je vous ferai bien aller comme il faut. Qui est votre Médecin ? Monsieur Purgon. Monsieur Purgon ? ce nom ne m’est point connu, et n’est point écrit sur mes Tablettes dans le rang des grands et fameux Médecins qui y sont : quittez-moi cet homme, ce n’est point du tout votre affaire, il faut que ce soit peu de chose ; je veux vous en donner un de ma main. On le tient pourtant en grande réputation. De quoi dit-il que vous êtes malade ? Il dit que c’est de la Rate, d’autres disent que c’est du Foie. L’ignorant ! c’est du Poumon que vous êtes malade. Du Poumon ? Oui, du Poumon : n’avez-vous pas grand appétit à ce que vous mangez ? Eh oui. C’est justement le Poumon : ne trouvez-vous pas le vin bon ? Oui. Le Poumon ; ne rêvez-vous point pendant la nuit ? Oui, oui, même assez souvent. Le Poumon ; ne faites-vous point un petit sommeil après le repas? Ah oui tous les jours. Le Poumon ; le Poumon, vous dis-je. Ah ! mon Frère, le Poumon. Que vous ordonne-t-il de manger ? Du Potage. L’ignorant ! De prendre force bouillons. L’ignorant ! Du bouilli. L’ignorant ! Du Veau, et des Poulets. L’ignorant ! Et le soir de petits Pruneaux pour lâcher le ventre. Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Et moi, je vous ordonne de bon gros Pain bis, de bon gros Bœuf, de bons gros Pois, de bon Fromage d’Hollande ; et afin que vous ne crachiez plus, des Marrons et des Oublies, pour coller et conglutiner. Mais voyez un peu, mon Frère, quelle Ordonnance. Croyez-moi exécutez-la, vous vous en trouverez bien. À propos, je m’aperçois ici d’une chose. Dites-moi, Monsieur que faites-vous de ce bras-là ? Ce que j’en fais? la belle demande! Si vous me croyez, vous vous le ferez couper tout à l’heure. Et la raison ? Ne voyez-vous pas qu’il attire à lui toute la nourriture, et qu’il empêche l’autre côté de profiter ? Eh ! je ne me soucie pas de cela, j’aime bien mieux les avoir tous deux. Si j’étais aussi en votre place, je me ferais crever cet œil-ci tout à l’heure. Et pourquoi le faire crever ? N’en verrez-vous pas une fois plus clair de l’autre ? faites-le, vous dis-je, et tout à présent. Je suis votre serviteur, j’aime beaucoup mieux ne voir pas si clair de l’un, et n’en avoir point de manque. Excusez-moi, Monsieur, si je suis obligé de vous quitter si tôt, je vous verrai quelquefois pendant le séjour que je ferai en cette Ville ; mais je suis obligé de me trouver aujourd’hui à une Consultation qui se doit faire pour un Malade qui mourut hier. Pourquoi une Consultation pour un Malade qui mourut hier ? Pour aviser aux Remèdes qu’il eût fallu lui faire pour le guérir, et s’en servir dans une semblable occasion. Monsieur, je ne vous reconduis point, vous savez que les Malades en sont exempts. Hé bien, mon Frère, que dites-vous de ce Médecin ? Comment Diable? il me semble qu’il va bien vite en besogne. Comme font tous ces grands Médecins, et il ne le serait pas s’il faisait autrement. Couper un bras, crever un œil, voyez quelle plaisante opération, de me faire borgne et manchot. Doucement, doucement, Monsieur le Médecin, modérez, s’il vous plaît, votre appétit. Qu’as-tu donc, Toinette ? Vraiment votre Médecin veut rire, ma foi il a voulu mettre sa main sur mon sein en sortant. Cela est étonnant, à son âge, qui pourrait croire cela, qu’à quatre-vingt-dix ans l’on fût encore si gaillard? Enfin, mon Frère, puisque vous avez rompu avec Monsieur Purgon ; qu’il n’y a plus d’espérance d’y pouvoir renouer, et qu’il a déchiré les Articles d’entre son Neveu et votre Fille, rien ne vous peut plus empêcher d’accepter le parti que je vous propose pour ma Nièce : c’est un… Je vous prie, mon Frère, ne parlons point de cela, je sais bien ce que j’ai à faire, et je la mettrai dès demain dans un Convent. Vous voulez faire plaisir à quelqu’un. Ô çà voilà encore la pauvre femme en jeu. Hé bien oui, mon Frère, c’est d’elle dont je veux parler ; et non plus que l’entêtement des Médecins, je ne puis supporter celui que vous avez pour elle. Vous ne la connaissez pas, mon Frère, c’est une femme qui a trop d’amitié pour moi. Demandez-lui les caresses qu’elle me fait ; à moins que de les voir on ne le croirait pas. Monsieur a raison, et on ne peut pas concevoir l’amitié qu’elle a pour lui ; voulez-vous que je vous fasse voir comme Madame aime Monsieur ? Comment ? Eh Monsieur laissez-moi faire, souffrez que je le détrompe, et que je lui fasse voir son bec jaune. Que faut-il faire pour cela ? J’entends Madame qui revient de Ville. Vous Monsieur, cachez-vous dans ce petit endroit, et prenez garde surtout que l’on ne vous voie ; approchons votre chaise, mettez-vous dedans tout de votre long, et contrefaites le mort. Vous verrez par le regret qu’elle témoignera de votre perte, l’amitié qu’elle vous porte : la voici. Oui, oui, oui, oui ; bon, bon, bon, bon. Ah Ciel ! quelle cruelle aventure ! quel malheur imprévu vient de m’arriver ? que ferai-je malheureuse ? Et comment annoncer à Madame de si méchantes nouvelles ? Ah ! ah ! Qu’as-tu, Toinette ? Ah Madame ! quelle perte venez-vous de faire ? Monsieur vient de mourir tout à l’heure subitement ; j’étais seule ici, et il n’y avait personne pour le secourir. Quoi, mon mari est mort ? Hélas ! oui, le pauvre homme défunt est trépassé. Le Ciel en soit loué, me voila délivrée d’un grand fardeau : que tu es folle, Toinette, de pleurer ! Moi, Madame? et je croyais qu’il fallût pleurer. Bon, et je voudrais bien savoir pour quelle raison ai-je fait une si grande perte : quoi ? pleurer un homme mal bâti, mal fait, sans esprit, de mauvaise humeur, fort âgé, toujours toussant, mouchant, crachant, reniflant, fâcheux, ennuyeux, incommode à tout le monde, grondant sans cesse et sans raison, toujours un Lavement ou une Médecine dans le corps, de méchante odeur : il faudrait que je n’eusse pas le sens commun. Voila une belle Oraison Funèbre. Je ne prétends pas avoir passé la plus grande partie de ma jeunesse avec lui sans y profiter de quelque chose ; et il faut, Toinette, que tu m’aides à bien faire mes affaires sûrement, ta récompense est sûre. Ah ! Madame, je n’ai garde de manquer à mon devoir. Puisque tu m’assures que sa mort n’est sue de personne, saisissons-nous de l’argent, et de tout ce qu’il y a de meilleur ; portons-le dans son lit, et quand j’aurai tout mis à couvert, nous ferons en sorte que quelque autre l’y trouve mort, et ainsi on ne se doutera point de ce que nous aurons fait. Il faut d’abord que je lui prenne ses clefs qui sont dans cette poche. Tout beau, tout beau, Madame la carogne : ah, ah, je suis ravi d’avoir entendu le bel Éloge que vous avez fait de moi ; cela m’empêchera de faire bien des choses. Quoi, le défunt n’est pas mort ? Hé bien, mon Frère, voyez-vous à présent comme votre femme vous aime. Ah vraiment oui, je le vois, je ne le vois que trop. Je vous jure que j’ai bien été trompée, et je n’eusse jamais cru cela. Mais j’aperçois votre fille, retournez-vous-en où vous étiez ; et vous remettez dans votre chaise, il est bon aussi de l’éprouver, et ainsi vous connaîtrez les sentiments de toute votre famille. Tu as raison, tu as raison. Ah quel étrange accident ! mon pauvre Maître est mort ; que de larmes, que de pleurs il nous va coûter ! quel désastre ! s’il était encore mort d’une autre manière, on n’en aurait pas tant de regret ! ah ! que j’en ai de déplaisir ; ha, ha, ha ! Qu’y a-t-il de nouveau, Toinette, pour te causer tant de gémissements ? Hélas ! votre père est mort. Mon Père est mort, Toinette ? Ah il ne l’est que trop, et il vient d’expirer entre mes bras d’une faiblesse qui lui a prise. Tenez, voyez-le, le voilà tout étendu dans sa chaise. Ha, ha. Mon Père est mort, et justement dans le temps où il était en colère contre moi, par la résistance que je lui ai faite tantôt, en refusant le Mari qu’il me voulait donner ? que deviendrai-je, misérable que je suis ? et comment cacher une chose qui a paru devant tant de personnes ? Juste Ciel ! que vois-je ? dites, qu’avez-vous, belle Angélique ? Ah Cléante, ne me parlez plus de rien, mon Père est mort, il faut vous dire adieu pour toujours, et nous séparer entièrement l’un de l’autre. Quelle infortune, grand Dieu ! hélas! après la demande que j’avais prié votre Oncle de lui faire de vous, je venais moi-même me jeter à ses pieds pour faire un dernier effort afin de vous obtenir. Le Ciel ne l’a pas voulu, vous devez comme moi vous soumettre à ce qu’il veut, et il faut vous résoudre de me quitter pour toujours. Oui, mon Père, puisque j’ai été assez infortunée pour ne pas faire ce que vous vouliez de moi pendant votre vie, du moins ai-je dessein de le réparer après votre mort ; je veux exécuter votre dernière volonté, et je vais me retirer dans un Convent pour y pleurer votre mort pendant tout le reste de ma vie. Oui, mon cher Père, souffrez que je vous en donne ici les dernières assurances, et que je vous embrasse… Ah, ma fille… Ha, ha, ha, ha ! Viens, ma chère Enfant, que je te baise ; va, je ne suis pas mort, je vois que tu es ma Fille, et je suis bien aise de reconnaître ton bon naturel. Mon Père, permettez que je me mette à genoux devant vous, pour vous conjurer que si vous ne me voulez pas faire la grâce de me donner Cléante pour Époux, vous ne me refusiez pas celle de ne m’en pas donner un avec lequel je ne puisse vivre. Eh Monsieur, serez-vous insensible à tant d’amour ? et ne peut-on pas vous attendrir par aucun endroit ? Mon Frère, avez-vous à consulter, et ne devriez-vous pas déjà l’avoir donnée aux vœux de Monsieur ? Comment ! vous résisterez à de si grandes marques de tendresse ? là Monsieur, rendez-vous. Hé bien, qu’il se fasse Médecin, et je lui donne ma Fille. Oui-da, Monsieur, je le veux bien ; Apothicaire même si vous voulez. Je ferais encore des choses bien plus difficiles pour avoir la belle Angélique. Mais, mon Frère, il me vient une pensée ; faites-vous Médecin vous-même plutôt que Monsieur. Moi, Médecin ? Oui vous, c’est le véritable moyen de vous bien porter ; et il n’y a aucune Maladie, si redoutable qu’elle soit, qui ait l’audace de s’attaquer à un Médecin. Tenez, Monsieur, votre barbe y peut beaucoup, et la barbe fait plus de la moitié d’un Médecin. Vous vous moquez, je crois ; et je ne sais pas un seul mot de Latin, comment donc faire ? Voila une belle raison ! allez, allez, il y en a parmi eux qui en savent encore moins que vous et lorsque vous aurez la robe et le bonnet, vous en saurez plus qu’il ne vous en faut. En tout cas, me voila prêt à faire ce que l’on voudra. Mais, mon Frère, cela ne se peut faire si tôt. Tout à présent, si vous voulez, et j’ai une Faculté de mes amis fort près d’ici, que j’enverrai quérir pour célébrer la Cérémonie, allez vous préparer seulement, toutes choses seront bientôt prêtes. Allons, voyons, voyons. Quel est donc votre dessein ? et que voulez-vous dire avec cette Faculté de vos amis ? C’est un Intermède de la réception d’un Médecin que des Comédiens ont représenté ces jours passés : je les avais fait venir pour le jouer ce soir ici devant nous, afin de nous bien divertir ; et je prétends que mon Frère y joue le premier Personnage. Mais, mon Oncle, il me semble que c’est se railler un peu fortement de mon Père. Ce n’est pas tant le railler que de s’accommoder à son humeur, outre que pour lui ôter tout sujet de se fâcher quand il aura reconnu la pièce que nous lui jouons, nous pouvons y prendre chacun un rôle, et jouer en même temps que lui. Allons donc nous habiller. Y consentez-vous ? Il le faut bien. Savantissimi Doctores, Medicinæ Professores, Qui hic assemblati estis ; Et vos altri Messiores, Sententiarum Facultatis Fideles executores, Chirurgiani et Apothicari, Atque tota Compania aussi, Salus, honor, et argentum, Atque bonum appetitum. Non possum Docti confréri, En moi satis admirari, Qualis bona inventio, Est Medici professio : Quam bella chosa est et bene trovata, Medicina illa benedicta, Quæ suo nomine solo Surprenanti miraculo, Depuis si longo tempore Facit à gogo vivere Tant de gens omni genere. Per totam terram videmus Grandam vogam ubi sumus ; Et quod grandes et petiti Sunt de nobis infatuti : Totus mundus currens ad nostros remedios, Nos regardat sicut Deos, Et nostris Ordonnanciis Principes et Reges soumissos videtis. Donque il est nostræ sapientiæ, Boni sensus atque prudentiæ, De fortement travaillare, A nos bene conservare In tali credito, voga, et honore ; Et prandere gardam à non recevere In nostro docto corpore Quam personas capabiles, Et totas dignas ramplire Has plaças honorabiles. C’est pour cela que nunc convocati estis, Et credo quod trovabitis Dignam matieram medici, In savanti homine que voici : Lequel in chosis omnibus Dono ad interrogandum, Et à fond examinandum Vostris capacitatibus. Si mihi licenciam dat Dominus Præses, Et tanti docti Doctores, Et assistantes illustres, Très savanti Bacheliero Quem estimo et honoro, Domandabo causam et rationem, quare Opium facit dormire ? Mihi à docto Doctore Domandatur causam et rationem, quare Opium facit dormire ? A quoi respondeo, Quia est in eo Virtus dormitiva. Cujus es natura Sensus assoupire. Bene, bene, bene, bene respondere Dignus, dignus est entrare In nostro docto corpore. Bene, bene respondere. Cum permissione Domini Præsidis, Doctissimæ facultatis, Et totius his nostris actis Compania assistantis, Domandabo tibi, docte Bacheliere, Quæ sunt remedia, Quæ in maladia Dicta hidropisia Convenit facere. Clisterium donare, Postea seignare, Ensuitta purgare. Bene, bene, bene, bene respondere Dignus, dignus est entrare In nostro docto corpore. Si bonum semblatur Domino Præsidi, Doctissimæ facultati Et Companiæ præsenti, Domandabo tibi, docte Bacheliere, Quæ remedia Eticis, Pulmonicis atque Asmaticis Trovas à propos facere. Clisterium donare, Postea seignare, Ensuitta purgare. Bene, bene, bene, bene respondere: Dignus, dignus est entrare In nostro docto corpore. Super illas maladias, Doctus Bachelierus dixit maravillas : Mais si non ennuyo Dominum Præsidem, Doctissimam Facultatem, Et totam honorabilem Companiam écoutantem ; Faciam illi unam questionem, De hiero maladus unus Tombavit in meas manus : Habet grandam fiévram cum redoublamentis Grandam dolorem capitis, Et grandum malum au côté, Cum granda difficultaté Et pena respirare : Veillas mihi dire, Docte Bacheliere, Quid illi facere. Clisterium donare, Postea seignare, Ensuitta purgare. Mais si maladia Opiniatria, Non vult se garire, Quid illi facere ? Clisterium donare, Postea seignare, Ensuitta purgare. Bene, bene, bene, bene respondere : Dignus, dignus est entrare In nostro docto corpore. Juras gardare statuta Per Facultatem præscripta, Cum sensu et jugeamento ? Juro. Essere in omnibus Consultationibus Ancieni aviso ; Aut bono, Aut mauvaiso ? Juro. De non jamais te servire De remediis aucunis, Quam de ceux seulement doctæ facultatis ; Maladus dût-il crevare Et mori de suo malo ? Juro. Ego cum isto boneto Venerabili et docto, Dono tibi et concedo Virtutem et puissanciam, Medicandi, Purgandi, Seignandi, Perçandi, Taillandi, Coupandi, Et occidendi Impune per totam terram. Grandes Doctores doctrinæ, De la Rhubarbe et du Sené : Ce serait sans douta à moy chosa folla, Inepta et ridicula, Si j’alloibam m’engageare Vobis louangeas donare, Et entreprenoibam adjoutare Des lumieras au Soleillo, Et des Etoilas au Cielo, Des Ondas à l’Oceano ; Et des Rosas au Printanno ; Agreate qu’avec uno moto Pro toto remercimento Rendam gratiam corpori tam docto, Vobis, vobis debeo Bien plus qu’à naturæ, et qu’à patri meo, Natura et pater meus Hominem me habent factum : Mais vos me, ce qui est bien plus, Avetis factum Medicum, Honor, favor, et gratia, Qui in hoc corde que voilà, Imprimant ressentimenta Qui dureront in secula. Vivat, vivat, vivat, vivat, cent fois vivat Novus Doctor, qui tam bene parlat, Mille, mille annis, et manget et bibat, Et seignet et tuat. Puisse-t-il voir doctas Suas Ordonnancias, Omnium Chirurgorum, Et Apotiquarum Remplire boutiquas Vivat, vivat, vivat, vivat, cent fois vivat Novus Doctor, qui tam bene parlat, Mille, mille annis, et manget et bibat, Et seignet et tuat. Puisse toti anni, Lui essere boni Et favorabiles, Et n’habere jamais Quam pestas, verolas, Fiévras, pluresias, Fluxus de sang et dissenterias. Vivat, vivat, vivat, vivat, cent fois vivat Novus Doctor, qui tam bene parlat, Mille, mille annis, et manget et bibat, Et seignet et tuat.