Allons, Flipote, allons ; que d’eux je me délivre. Vous marchez d’un tel pas, qu’on a peine à vous suivre. Laissez, ma Bru, laissez ; ne venez pas plus loin ; Ce sont toutes façons, dont je n’ai pas besoin. De ce que l’on vous doit, envers vous on s’acquitte. Mais, ma Mère, d’où vient que vous sortez si vite ? C’est que je ne puis voir tout ce ménage-ci, Et que de me complaire, on ne prend nul souci. Oui, je sors de chez vous fort mal édifiée ; Dans toutes mes leçons, j’y suis contrariée ; On n’y respecte rien ; chacun y parle haut, Et c’est, tout justement, la cour du Roi Pétaut. Si…         Vous êtes, Mamie, une Fille Suivante Un peu trop forte en gueule, et fort impertinente : Vous vous mêlez sur tout de dire votre avis. Mais…         Vous êtes un sot en trois lettres, mon Fils ; C’est moi qui vous le dis, qui suis votre Grand-Mère ; Et j’ai prédit cent fois à mon Fils, votre Père, Que vous preniez tout l’air d’un méchant Garnement, Et ne lui donneriez jamais que du tourment. Je crois…         Mon Dieu, sa Sœur, vous faites la discrète, Et vous n’y touchez pas, tant vous semblez doucette : Mais il n’est, comme on dit, pire eau, que l’eau qui dort, Et vous menez sous chape, un train que je hais fort. Mais, ma Mère…         Ma Bru, qu’il ne vous en déplaise, Votre conduite en tout, est tout à fait mauvaise : Vous devriez leur mettre un bon exemple aux yeux, Et leur défunte Mère en usait beaucoup mieux. Vous êtes dépensière, et cet état me blesse, Que vous alliez vêtue ainsi qu’une Princesse. Quiconque à son mari veut plaire seulement, Ma Bru, n’a pas besoin de tant d’ajustement. Mais, Madame, après tout…         Pour vous, Monsieur son Frère, Je vous estime fort, vous aime, et vous révère : Mais enfin, si j’étais de mon Fils son Époux, Je vous prierais bien fort, de n’entrer point chez nous. Sans cesse vous prêchez des Maximes de vivre, Qui par d’honnêtes Gens ne se doivent point suivre : Je vous parle un peu franc, mais c’est là mon humeur, Et je ne mâche point ce que j’ai sur le cœur. Votre Monsieur Tartuffe est Bienheureux sans doute… C’est un Homme de bien, qu’il faut que l’on écoute ; Et je ne puis souffrir, sans me mettre en courroux, De le voir querellé par un Fou comme vous. Quoi ! je souffrirai, moi, qu’un Cagot de Critique, Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique ? Et que nous ne puissions à rien nous divertir, Si ce beau Monsieur-là n’y daigne consentir ? S’il le faut écouter, et croire à ses Maximes, On ne peut faire rien, qu’on ne fasse des crimes, Car il contrôle tout, ce Critique zélé. Et tout ce qu’il contrôle, est fort bien contrôlé. C’est au chemin du Ciel qu’il prétend vous conduire ; Et mon Fils, à l’aimer, vous devrait tous induire. Non, voyez-vous, ma Mère, il n’est Père, ni rien, Qui me puisse obliger à lui vouloir du bien. Je trahirais mon cœur, de parler d’autre sorte ; Sur ses façons de faire, à tous coups je m’emporte ; J’en prévois une suite, et qu’avec ce Pied plat Il faudra que j’en vienne à quelque grand éclat. Certes, c’est une chose aussi qui scandalise, De voir qu’un Inconnu céans s’impatronise ; Qu’un Gueux qui, quand il vint, n’avait pas de souliers, Et dont l’habit entier valait bien six deniers, En vienne jusque-là, que de se méconnaître, De contrarier tout, et de faire le Maître. Hé, merci de ma vie il en irait bien mieux, Si tout se gouvernait par ses ordres pieux. Il passe pour un Saint dans votre fantaisie ; Tout son fait, croyez-moi, n’est rien qu’hypocrisie. Voyez la langue !         À lui, non plus qu’à son Laurent, Je ne me fierais, moi, que sur un bon Garant. J’ignore ce qu’au fond le Serviteur peut être ; Mais pour Homme de bien, je garantis le Maître. Vous ne lui voulez mal, et ne le rebutez, Qu’à cause qu’il vous dit à tous vos vérités. C’est contre le Péché que son cœur se courrouce, Et l’intérêt du Ciel est tout ce qui le pousse. Oui ; mais pourquoi surtout, depuis un certain temps, Ne saurait-il souffrir qu’aucun hante céans ? En quoi blesse le Ciel une visite honnête, Pour en faire un vacarme à nous rompre la tête ? Veut-on que là-dessus je m’explique entre nous ? Je crois que de Madame il est, ma foi, jaloux. Taisez-vous, et songez aux choses que vous dites. Ce n’est pas lui tout seul qui blâme ces visites ; Tout ce tracas qui suit les Gens que vous hantez, Ces Carrosses sans cesse à la Porte plantés, Et de tant de Laquais le bruyant assemblage, Font un éclat fâcheux dans tout le voisinage. Je veux croire qu’au fond il ne se passe rien ; Mais enfin on en parle, et cela n’est pas bien. Hé, voulez-vous, Madame, empêcher qu’on ne cause ? Ce serait dans la vie une fâcheuse chose, Si pour les sots discours où l’on peut être mis, Il fallait renoncer à ses meilleurs Amis : Et quand même on pourrait se résoudre à le faire, Croiriez-vous obliger tout le monde à se taire ? Contre la Médisance il n’est point de rempart ; À tous les sots caquets n’ayons donc nul égard ; Efforçons-nous de vivre avec toute innocence, Et laissons aux Causeurs une pleine licence. Daphné notre Voisine, et son petit Époux, Ne seraient-ils point ceux qui parlent mal de nous ? Ceux de qui la conduite offre le plus à rire, Sont toujours sur autrui les premiers à médire ; Ils ne manquent jamais de saisir promptement L’apparente lueur du moindre attachement, D’en semer la nouvelle avec beaucoup de joie, Et d’y donner le tour qu’ils veulent qu’on y croie. Des actions d’autrui, teintes de leurs couleurs, Ils pensent dans le Monde autoriser les leurs, Et sous le faux espoir de quelque ressemblance, Aux intrigues qu’ils ont, donner de l’innocence, Ou faire ailleurs tomber quelques traits partagés De ce blâme public dont ils sont trop chargés. Tous ces raisonnements ne font rien à l’affaire : On sait qu’Orante mène une vie exemplaire ; Tous ses soins vont au Ciel, et j’ai su par des Gens, Qu’elle condamne fort le train qui vient céans. L’exemple est admirable, et cette Dame est bonne : Il est vrai qu’elle vit en austère Personne ; Mais l’âge, dans son âme, a mis ce zèle ardent, Et l’on sait qu’elle est Prude, à son corps défendant, Tant qu’elle a pu des Cœurs attirer les hommages, Elle a fort bien joui de tous ses avantages : Mais voyant de ses yeux tous les brillants baisser, Au Monde, qui la quitte, elle veut renoncer ; Et du voile pompeux d’une haute sagesse, De ses attraits usés, déguiser la faiblesse. Ce sont là les retours des Coquettes du temps. Il leur est dur de voir déserter les Galants. Dans un tel abandon, leur sombre inquiétude Ne voit d’autre recours que le métier de Prude ; Et la sévérité de ces Femmes de bien, Censure toute chose, et ne pardonne à rien ; Hautement, d’un chacun, elles blâment la vie, Non point par charité, mais par un trait d’envie Qui ne saurait souffrir qu’une autre ait les plaisirs, Dont le penchant de l’âge a sevré leurs désirs. Voilà les contes bleus qu’il vous faut, pour vous plaire. Ma Bru, l’on est, chez vous, contrainte de se taire ; Car Madame, à jaser, tient le dé tout le jour : Mais enfin, je prétends discourir à mon tour. Je vous dis que mon Fils n’a rien fait de plus sage, Qu’en recueillant chez soi ce dévot Personnage ; Que le Ciel au besoin l’a céans envoyé, Pour redresser à tous votre esprit fourvoyé ; Que pour votre salut vous le devez entendre, Et qu’il ne reprend rien, qui ne soit à reprendre. Ces Visites, ces Bals, ces Conversations, Sont, du malin Esprit, toutes inventions. Là, jamais on n’entend de pieuses paroles, Ce sont propos oisifs, chansons, et fariboles ; Bien souvent le Prochain en a sa bonne part, Et l’on y sait médire, et du tiers, et du quart. Enfin les Gens sensés ont leurs têtes troublées, De la confusion de telles assemblées : Mille caquets divers s’y font en moins de rien ; Et comme l’autre jour un Docteur dit fort bien, C’est véritablement la Tour de Babylone, Car chacun y babille, et tout du long de l’aune ; Et pour conter l’Histoire où ce point l’engagea... Voilà-t-il pas Monsieur qui ricane déjà ? Allez chercher vos Fous qui vous donnent à rire ; Et sans… Adieu, ma Bru, je ne veux plus rien dire. Sachez que pour céans j’en rabats de moitié, Et qu’il fera beau temps, quand j’y mettrai le pied. Allons, vous ; vous rêvez, et bayez aux Corneilles ; Jour de Dieu, je saurai vous frotter les oreilles ; Marchons, gaupe, marchons.         Je n’y veux point aller, De peur qu’elle ne vînt encor me quereller ; Que cette bonne Femme...         Ah ! certes, c’est dommage, Qu’elle ne vous ouît tenir un tel langage ; Elle vous dirait bien qu’elle vous trouve bon, Et qu’elle n’est point d’âge à lui donner ce nom. Comme elle s’est pour rien contre nous échauffée ! Et que de son Tartuffe elle paraît coiffée ! Oh vraiment, tout cela n’est rien au prix du Fils ; Et si vous l’aviez vu, vous diriez, c’est bien pis. Nos troubles l’avaient mis sur le pied d’Homme sage, Et pour servir son Prince, il montra du courage : Mais il est devenu comme un Homme hébété, Depuis que de Tartuffe on le voit entêté. Il l’appelle son Frère, et l’aime dans son âme Cent fois plus qu’il ne fait Mère, Fils, Fille, et Femme. C’est de tous ses secrets l’unique Confident, Et de ses actions le Directeur prudent. Il le choie, il l’embrasse ; et pour une Maîtresse, On ne saurait, je pense, avoir plus de tendresse. À table, au plus haut bout, il veut qu’il soit assis, Avec joie il l’y voit manger autant que six ; Les bons morceaux de tout, il fait qu’on les lui cède ; Et s’il vient à roter, il lui dit, Dieu vous aide. Enfin il en est fou ; c’est sont tout, son Héros ; Il l’admire à tous coups, le cite à tout propos ; Ses moindres actions lui semblent des miracles, Et tous les mots qu’il dit, sont pour lui des Oracles. Lui qui connaît sa dupe, et qui veut en jouir, Par cent dehors fardés, a l’art de l’éblouir ; Son Cagotisme en tire à toute heure des sommes, Et prend droit de gloser sur tous tant que nous sommes. Il n’est pas jusqu’au Fat, qui lui sert de Garçon, Qui ne se mêle aussi de nous faire leçon. Il vient nous sermonner avec des yeux farouches, Et jeter nos Rubans, notre Rouge, et nos Mouches. Le traître, l’autre jour, nous rompit de ses mains, Un Mouchoir qu’il trouva dans une Fleur des Saints ; Disant que nous mêlions, par un crime effroyable, Avec la Sainteté, les parures du Diable. Vous êtes bien heureux, de n’être point venu Au discours qu’à la Porte elle nous a tenu. Mais j’ai vu mon Mari ; comme il ne m’a point vue, Je veux aller là-haut attendre sa venue. Moi, je l’attends ici pour moins d’amusement, Et je vais lui donner le bonjour seulement. De l’hymen de ma Sœur, touchez-lui quelque chose. J’ai soupçon que Tartuffe à son effet s’oppose ; Qu’il oblige mon Père à des détours si grands, Et vous n’ignorez pas quel intérêt j’y prends. Si même ardeur enflamme, et ma Sœur, et Valère, La Sœur de cet Ami, vous le savez, m’est chère : Et s’il fallait…     Il entre.         Ah, mon Frère, bonjour. Je sortais, et j’ai joie à vous voir de retour : La Campagne, à présent, n’est pas beaucoup fleurie. Dorine, mon Beau-frère, attendez, je vous prie. Vous voulez bien souffrir, pour m’ôter de souci, Que je m’informe un peu des nouvelles d’ici. Tout s’est-il, ces deux jours, passé de bonne sorte ? Qu’est-ce qu’on fait céans ? comme est-ce qu’on s’y porte ? Madame eut, avant-hier, la fièvre jusqu’au soir, Avec un mal de tête étrange à concevoir. Et Tartuffe ? Tartuffe ? Il se porte à merveille, Gros, et gras, le teint frais, et la bouche vermeille. Le pauvre Homme !         Le soir elle eut un grand dégoût, Et ne put au Souper toucher à rien du tout, Tant sa douleur de tête était encor cruelle. Et Tartuffe ?         Il soupa, lui tout seul, devant elle, Et fort dévotement il mangea deux Perdrix, Avec une moitié de Gigot en hachis. Le pauvre Homme !         La nuit se passa toute entière, Sans qu’elle pût fermer un moment la paupière ; Des chaleurs l’empêchaient de pouvoir sommeiller, Et jusqu’au jour, près d’elle, il nous fallut veiller. Et Tartuffe ?         Pressé d’un sommeil agréable, Il passa dans sa Chambre, au sortir de la Table ; Et dans son Lit bien chaud, il se mit tout soudain, Où sans trouble il dormit jusques au lendemain. Le pauvre Homme !         À la fin, par nos raisons gagnée, Elle se résolut à souffrir la saignée, Et le soulagement suivit tout aussitôt. Et Tartuffe ?         Il reprit courage comme il faut ; Et contre tous les maux fortifiant son âme, Pour réparer le sang qu’avait perdu Madame, But à son déjeuner, quatre grands coups de Vin. Le pauvre Homme !         Tous deux se portent bien enfin ; Et je vais à Madame annoncer par avance, La part que vous prenez à sa convalescence. À votre nez, mon Frère, elle se rit de vous ; Et sans avoir dessein de vous mettre en courroux, Je vous dirai tout franc, que c’est avec justice. A-t-on jamais parlé d’un semblable caprice ? Et se peut-il qu’un Homme ait un charme aujourd’hui À vous faire oublier toutes choses pour lui ? Qu’après avoir chez vous réparé sa misère, Vous en veniez au point…         Halte-là, mon Beau-frère, Vous ne connaissez pas celui dont vous parlez. Je ne le connais pas, puisque vous le voulez : Mais enfin, pour savoir quel Homme ce peut être... Mon Frère, vous seriez charmé de le connaître, Et vos ravissements ne prendraient point de fin. C’est un Homme… qui… ha… un Homme… un Homme enfin. Qui suit bien ses leçons, goûte une paix profonde, Et comme du fumier, regarde tout le monde. Oui, je deviens tout autre avec son entretien, Il m’enseigne à n’avoir affection pour rien ; De toutes amitiés il détache mon âme ; Et je verrais mourir Frère, Enfants, Mère, et Femme, Que je m’en soucierais autant que de cela. Les sentiments humains, mon Frère, que voilà ! Ha, si vous aviez vu comme j’en fis rencontre, Vous auriez pris pour lui l’amitié que je montre. Chaque jour à l’Église il venait d’un air doux, Tout vis-à-vis de moi, se mettre à deux genoux. Il attirait les yeux de l’assemblée entière, Par l’ardeur dont au Ciel il poussait sa prière : Il faisait des soupirs, de grands élancements, Et baisait humblement la terre à tous moments ; Et lorsque je sortais, il me devançait vite, Pour m’aller à la Porte offrir de l’Eau bénite. Instruit par son Garçon, qui dans tout l’imitait, Et de son indigence, et de ce qu’il était, Je lui faisais des dons ; mais avec modestie, Il me voulait toujours en rendre une partie. C’est trop, me disait-il, c’est trop de la moitié, Je ne mérite pas de vous faire pitié : Et quand je refusais de le vouloir reprendre, Aux Pauvres, à mes yeux, il allait le répandre. Enfin le Ciel, chez moi, me le fit retirer, Et depuis ce temps-là, tout semble y prospérer. Je vois qu’il reprend tout, et qu’à ma Femme même, Il prend pour mon honneur un intérêt extrême ; Il m’avertit des Gens qui lui font les yeux doux, Et plus que moi, six fois, il s’en montre jaloux. Mais vous ne croiriez point jusqu’où monte son zèle ; Il s’impute à péché la moindre bagatelle, Un rien presque suffit pour le scandaliser, Jusque-là qu’il se vint l’autre jour accuser D’avoir pris une Puce en faisant sa prière, Et de l’avoir tuée avec trop de colère. Parbleu, vous êtes fou, mon Frère, que je crois. Avec de tels discours vous moquez-vous de moi ? Et que prétendez-vous que tout ce badinage… Mon Frère, ce discours sent le libertinage. Vous en êtes un peu dans votre âme entiché ; Et comme je vous l’ai plus de dix fois prêché, Vous vous attirerez quelque méchante affaire. Voilà de vos pareils le discours ordinaire. Ils veulent que chacun soit aveugle comme eux. C’est être libertin, que d’avoir de bons yeux ; Et qui n’adore pas de vaines simagrées, N’a ni respect, ni foi, pour les choses sacrées. Allez, tous vos discours ne me font point de peur ; Je sais comme je parle, et le Ciel voit mon cœur. De tous vos Façonniers on n’est point les Esclaves, Il est de faux Dévots, ainsi que de faux Braves : Et comme on ne voit pas qu’où l’honneur les conduit, Les vrais Braves soient ceux qui font beaucoup de bruit ; Les bons et vrais Dévots qu’on doit suivre à la trace, Ne sont pas ceux aussi qui font tant de grimace. Hé quoi ! vous ne ferez nulle distinction Entre l’Hypocrisie, et la Dévotion ? Vous les voulez traiter d’un semblable langage, Et rendre même honneur au masque qu’au visage ? Égaler l’artifice, à la sincérité ; Confondre l’apparence, avec la vérité ; Estimer le Fantôme, autant que la Personne ; Et la fausse monnaie, à l’égal de la bonne ? Les Hommes, la plupart, sont étrangement faits ! Dans la juste nature on ne les voit jamais. La raison a pour eux des bornes trop petites. En chaque caractère ils passent ses limites, Et la plus noble chose, ils la gâtent souvent, Pour la vouloir outrer, et pousser trop avant. Que cela vous soit dit en passant, mon Beau-frère. Oui, vous êtes, sans doute, un Docteur qu’on révère ; Tout le savoir du Monde est chez vous retiré, Vous êtes le seul Sage, et le seul éclairé, Un Oracle, un Caton, dans le Siècle où nous sommes, Et près de vous ce sont des Sots, que tous les Hommes. Je ne suis point, mon Frère, un Docteur révéré, Et le Savoir, chez moi, n’est pas tout retiré. Mais en un mot je sais, pour toute ma science, Du faux, avec le vrai, faire la différence : Et comme je ne vois nul genre de Héros Qui soient plus à priser que les parfaits Dévots ; Aucune chose au Monde, et plus noble, et plus belle, Que la sainte ferveur d’un véritable zèle ; Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux, Que le dehors plâtré d’un zèle spécieux ; Que ces francs Charlatans, que ces Dévots de Place, De qui la sacrilège et trompeuse grimace Abuse impunément, et se joue à leur gré, De ce qu’ont les Mortels de plus saint, et sacré. Ces Gens, qui par une âme à l’intérêt soumise, Font de Dévotion métier et marchandise, Et veulent acheter crédit, et dignités, À prix de faux clins d’yeux, et d’élans affectés. Ces Gens, dis-je, qu’on voit d’une ardeur non commune, Par le chemin du Ciel courir à leur fortune ; Qui brûlants, et priants, demandent chaque jour, Et prêchent la retraite au milieu de la Cour : Qui savent ajuster leur zèle avec leurs vices, Sont prompts, vindicatifs, sans foi, pleins d’artifices, Et pour perdre quelqu’un, couvrent insolemment, De l’intérêt du Ciel, leur fier ressentiment ; D’autant plus dangereux dans leur âpre colère, Qu’ils prennent contre nous des armes qu’on révère, Et que leur passion dont on leur sait bon gré, Veut nous assassiner avec un fer sacré. De ce faux caractère, on en voit trop paraître ; Mais les Dévots de cœur sont aisés à connaître. Notre Siècle, mon Frère, en expose à nos yeux, Qui peuvent nous servir d’exemples glorieux. Regardez Ariston, regardez Périandre, Oronte, Alcidamas, Polydore, Clitandre : Ce titre par aucun ne leur est débattu, Ce ne sont point du tout Fanfarons de vertu, On ne voit point en eux ce faste insupportable, Et leur Dévotion est humaine, est traitable. Ils ne censurent point toutes nos actions, Ils trouvent trop d’orgueil dans ces corrections, Et laissant la fierté des paroles aux autres, C’est par leurs actions, qu’ils reprennent les nôtres. L’apparence du mal a chez eux peu d’appui, Et leur âme est portée à juger bien d’autrui ; Point de cabale en eux, point d’intrigues à suivre ; On les voit pour tous soins, se mêler de bien vivre. Jamais contre un Pécheur ils n’ont d’acharnement. Ils attachent leur haine au Péché seulement, Et ne veulent point prendre, avec un zèle extrême, Les intérêts du Ciel, plus qu’il ne veut lui-même. Voilà mes Gens, voilà comme il en faut user, Voilà l’exemple enfin qu’il se faut proposer. Votre Homme, à dire vrai, n’est pas de ce modèle, C’est de fort bonne foi que vous vantez son zèle, Mais par un faux éclat je vous crois ébloui. Monsieur mon cher Beau-frère, avez-vous tout dit ?         Oui. Je suis votre valet.         De grâce, un mot, mon Frère, Laissons là ce discours. Vous savez que Valère, Pour être votre Gendre, a parole de vous. Oui.         Vous aviez pris jour pour un lien si doux. Il est vrai.         Pourquoi donc en différer la fête ? Je ne sais.         Auriez-vous autre pensée en tête ? Peut-être.         Vous voulez manquer à votre foi ? Je ne dis pas cela.         Nul obstacle, je crois, Ne vous peut empêcher d’accomplir vos promesses. Selon.         Pour dire un mot, faut-il tant de finesses ? Valère, sur ce point, me fait vous visiter. Le Ciel en soit loué.         Mais que lui reporter ? Tout ce qu’il vous plaira.         Mais il est nécessaire De savoir vos desseins. Quels sont-ils donc ?         De faire Ce que le Ciel voudra.         Mais parlons tout de bon. Valère a votre foi. La tiendrez-vous, ou non ? Adieu.         Pour son amour, je crains une disgrâce, Et je dois l’avertir de tout ce qui se passe. Mariane.     Mon Père.         Approchez. J’ai de quoi Vous parler en secret.     Que cherchez-vous ?         Je vois Si quelqu’un n’est point là, qui pourrait nous entendre ; Car ce petit endroit est propre pour surprendre. Or sus, nous voilà bien. J’ai, Mariane, en vous, Reconnu, de tout temps, un esprit assez doux ; Et de tout temps aussi vous m’avez été chère. Je suis fort redevable à cet amour de Père. C’est fort bien dit, ma Fille ; et pour le mériter, Vous devez n’avoir soin que de me contenter. C’est où je mets aussi ma gloire la plus haute. Fort bien. Que dites-vous de Tartuffe notre Hôte ? Qui, moi ?         Vous. Voyez bien comme vous répondrez. Hélas ! j’en dirai, moi, tout ce que vous voudrez. C’est parler sagement. Dites-moi donc, ma Fille, Qu’en toute sa Personne un haut mérite brille, Qu’il touche votre cœur, et qu’il vous serait doux De le voir, par mon choix, devenir votre Époux. Eh ?     Eh ?     Qu’est-ce ?     laît-il ?     Quoi ?         Me suis-je méprise ? Comment ?         Qui voulez-vous, mon Père, que je dise, Qui me touche le cœur, et qu’il me serait doux De voir, par votre choix, devenir mon Époux ? Tartuffe.         Il n’en est rien, mon Père, je vous jure : Pourquoi me faire dire une telle imposture ? Mais je veux que cela soit une vérité ; Et c’est assez pour vous, que je l’aie arrêté. Quoi ! vous voulez, mon Père...         Oui, je prétends, ma Fille, Unir, par votre hymen, Tartuffe à ma Famille. Il sera votre Époux, j’ai résolu cela ; Et comme sur vos vœux je…         Que faites-vous là ? La curiosité qui vous presse, est bien forte, Mamie, à nous venir écouter de la sorte. Vraiment, je ne sais pas si c’est un bruit qui part De quelque conjecture, ou d’un coup de hasard ; Mais de ce mariage on m’a dit la nouvelle, Et j’ai traité cela de pure bagatelle. Quoi donc, la chose est-elle incroyable ?         À tel point, Que vous-même, Monsieur, je ne vous en crois point. Je sais bien le moyen de vous le faire croire. Oui, oui, vous nous contez une plaisante Histoire. Je conte justement ce qu’on verra dans peu. Chansons.         Ce que je dis, ma Fille, n’est point jeu. Allez, ne croyez point à Monsieur votre Père, Il raille.     Je vous dis…         Non, vous avez beau faire, On ne vous croira point.         À la fin, mon courroux… Hé bien on vous croit donc, et c’est tant pis pour vous. Quoi ! se peut-il, Monsieur, qu’avec l’air d’Homme sage, Et cette large barbe au milieu du visage, Vous soyez assez fou pour vouloir…         Écoutez. Vous avez pris céans certaines privautés Qui ne me plaisent point ; je vous le dis, Mamie. Parlons sans nous fâcher, Monsieur, je vous supplie. Vous moquez-vous des Gens, d’avoir fait ce complot ? Votre Fille n’est point l’affaire d’un Bigot. Il a d’autres emplois auxquels il faut qu’il pense ; t puis, que vous apporte une telle alliance ? À quel sujet aller, avec tout votre bien, Choisir un Gendre gueux…         Taisez-vous. S’il n’a rien, Sachez que c’est par là, qu’il faut qu’on le révère. Sa misère est sans doute une honnête misère. Au-dessus des grandeurs elle doit l’élever, Puisque enfin de son bien il s’est laissé priver Par son trop peu de soin des choses temporelles, Et sa puissante attache aux choses éternelles. Mais mon secours pourra lui donner les moyens De sortir d’embarras, et rentrer dans ses biens. Ce sont Fiefs qu’à bon titre au Pays on renomme ; Et tel que l’on le voit, il est bien Gentilhomme. Oui, c’est lui qui le dit ; et cette vanité, Monsieur, ne sied pas bien avec la Piété. Qui d’une sainte vie embrasse l’innocence, Ne doit point tant prôner son nom, et sa naissance ; Et l’humble procédé de la Dévotion, Souffre mal les éclats de cette ambition. À quoi bon cet orgueil… Mais ce discours vous blesse, Parlons de sa Personne, et laissons sa Noblesse. Ferez-vous possesseur, sans quelque peu d’ennui, D’une Fille comme elle, un Homme comme lui ? Et ne devez-vous pas songer aux bienséances, Et de cette union prévoir les conséquences ? Sachez que d’une Fille on risque la vertu, Lorsque dans son hymen son goût est combattu ; Que le dessein d’y vivre en honnête Personne, Dépend des qualités du Mari qu’on lui donne ; Et que ceux dont partout on montre au doigt le front, Font leurs Femmes souvent, ce qu’on voit qu’elles sont. Il est bien difficile enfin d’être fidèle À de certains Maris faits d’un certain modèle ; Et qui donne à sa Fille un Homme qu’elle hait, Est responsable au Ciel des fautes qu’elle fait. Songez à quels périls votre dessein vous livre. Je vous dis qu’il me faut apprendre d’elle à vivre. Vous n’en feriez que mieux, de suivre mes leçons. Ne nous amusons point, ma Fille, à ces chansons ; Je sais ce qu’il vous faut, et je suis votre Père. J’avais donné pour vous ma parole à Valère ; Mais outre qu’à jouer on dit qu’il est enclin, Je le soupçonne encor d’être un peu libertin ; Je ne remarque point qu’il hante les églises. Voulez-vous qu’il y coure à vos heures précises, Comme ceux qui n’y vont que pour être aperçus ? Je ne demande pas votre avis là-dessus. Enfin, avec le Ciel, l’autre est le mieux du monde, Et c’est une richesse à nulle autre seconde. Cet hymen, de tous biens, comblera vos désirs. Il sera tout confit en douceurs, et plaisirs. Ensemble vous vivrez, dans vos ardeurs fidèles, Comme deux vrais Enfants, comme deux Tourterelles. À nul fâcheux débat jamais vous n’en viendrez, Et vous ferez de lui tout ce que vous voudrez. Elle ? Elle n’en fera qu’un Sot, je vous assure. Ouais, quels discours !         Je dis qu’il en a l’encolure, Et que son ascendant, Monsieur, l’emportera Sur toute la vertu que votre Fille aura. Cessez de m’interrompre, et songez à vous taire, Sans mettre votre nez où vous n’avez que faire. Je n’en parle, Monsieur, que pour votre intérêt. C’est prendre trop de soin ; taisez-vous, s’il vous plaît. Si l’on ne vous aimait…         Je ne veux pas qu’on m’aime. Et je veux vous aimer, Monsieur, malgré vous-même. Ah !         Votre honneur m’est cher, et je ne puis souffrir Qu’aux brocards d’un chacun vous alliez vous offrir. Vous ne vous tairez point ?         C’est une conscience, Que de vous laisser faire une telle alliance. Te tairas-tu, Serpent, dont les traits effrontés... Ah ! vous êtes Dévot, et vous vous emportez ? Oui, ma bile s’échauffe à toutes ces fadaises, Et, tout résolument, je veux que tu te taises. Soit. Mais ne disant mot, je n’en pense pas moins. Pense, si tu le veux ; mais applique tes soins À ne m’en point parler, ou… suffit.         Comme sage, J’ai pesé mûrement toutes choses.         J’enrage De ne pouvoir parler.         Sans être Damoiseau, Tartuffe est fait de sorte…         Oui, c’est un beau museau. Que quand tu n’aurais même aucune sympathie Pour tous les autres dons…         La voilà bien lotie. Si j’étais en sa place, un Homme assurément Ne m’épouserait pas de force, impunément ; Et je lui ferais voir bientôt, après la fête, Qu’une Femme a toujours une vengeance prête. Donc, de ce que je dis, on ne fera nul cas ? De quoi vous plaignez-vous ? je ne vous parle pas. Qu’est-ce que tu fais donc ?         Je me parle à moi-même. Fort bien. Pour châtier son insolence extrême, Il faut que je lui donne un revers de ma main. Ma Fille, vous devez approuver mon dessein... Croire que le Mari… que j’ai su vous élire... Que ne te parles-tu ?         Je n’ai rien à me dire. Encore un petit mot.         Il ne me plaît pas, moi. Certes, je t’y guettais.         Quelque sotte, ma foi. Enfin, ma Fille, il faut payer d’obéissance, Et montrer, pour mon choix, entière déférence. Je me moquerais fort, de prendre un tel Époux. Vous avez là, ma Fille, une peste avec vous, Avec qui, sans péché, je ne saurais plus vivre. Je me sens hors d’état maintenant de poursuivre, Ses discours insolents m’ont mis l’esprit en feu, Et je vais prendre l’air, pour me rasseoir un peu. Avez-vous donc perdu, dites-moi, la parole ? Et faut-il qu’en ceci je fasse votre rôle ? Souffrir qu’on vous propose un projet insensé, Sans que du moindre mot vous l’ayez repoussé ! Contre un Père absolu, que veux-tu que je fasse ? Ce qu’il faut pour parer une telle menace. Quoi ?         Lui dire qu’un cœur n’aime point par autrui ; Que vous vous mariez pour vous, non pas pour lui ; Qu’étant celle pour qui se fait toute l’affaire, C’est à vous, non à lui, que le Mari doit plaire ; Et que si son Tartuffe est pour lui si charmant, Il le peut épouser, sans nul empêchement. Un Père, je l’avoue, a sur nous tant d’empire, Que je n’ai jamais eu la force de rien dire. Mais raisonnons. Valère a fait pour vous des pas ; L’aimez-vous, je vous prie, ou ne l’aimez-vous pas ? Ah ! qu’envers mon amour, ton injustice est grande, Dorine ! Me dois-tu faire cette demande ? T’ai-je pas là-dessus ouvert cent fois mon cœur ? Et sais-tu pas, pour lui, jusqu’où va mon ardeur ? Que sais-je si le cœur a parlé par la bouche, Et si c’est tout de bon que cet Amant vous touche ? Tu me fais un grand tort, Dorine, d’en douter, Et mes vrais sentiments ont su trop éclater. Enfin, vous l’aimez donc ?         Oui, d’une ardeur extrême. Et selon l’apparence, il vous aime de même ? Je le crois.         Et tous deux brûlez également De vous voir mariés ensemble ?         Assurément. Sur cette autre union, quelle est donc votre attente ? De me donner la mort, si l’on me violente. Fort bien. C’est un recours où je ne songeais pas ; Vous n’avez qu’à mourir, pour sortir d’embarras, Le remède sans doute est merveilleux. J’enrage, Lorsque j’entends tenir ces sortes de langage. Mon Dieu, de quelle humeur, Dorine, tu te rends ! Tu ne compatis point aux déplaisirs des Gens. Je ne compatis point à qui dit des sornettes, Et dans l’occasion mollit comme vous faites. Mais que veux-tu ? si j’ai de la timidité. Mais l’amour dans un cœur veut de la fermeté. Mais n’en gardé-je pas pour les feux de Valère ? Et n’est-ce pas à lui de m’obtenir d’un Père ? Mais quoi ! si votre Père est un Bourru fieffé, Qui s’est de son Tartuffe entièrement coiffé, Et manque à l’union qu’il avait arrêtée, La faute à votre Amant doit-elle être imputée ? Mais par un haut refus, et d’éclatants mépris, Ferai-je, dans mon choix, voir un cœur trop épris ? Sortirai-je pour lui, quelque éclat dont il brille, De la pudeur du Sexe, et du devoir de Fille ? Et veux-tu que mes feux par le monde étalés… Non, non, je ne veux rien. Je vois que vous voulez Être à Monsieur Tartuffe ; et j’aurais, quand j’y pense, Tort de vous détourner d’une telle alliance. Quelle raison aurais-je à combattre vos vœux ? Le Parti, de soi-même, est fort avantageux. Monsieur Tartuffe ! oh, oh, n’est-ce rien qu’on propose ? Certes, Monsieur Tartuffe, à bien prendre la chose, N’est pas un Homme, non, qui se mouche du pied, Et ce n’est pas peu d’heur, que d’être sa Moitié. Tout le monde déjà de gloire le couronne, Il est Noble chez lui, bien fait de sa Personne, Il a l’oreille rouge, et le teint bien fleuri ; Vous vivrez trop contente avec un tel Mari. Mon Dieu…         Quelle allégresse aurez-vous dans votre âme, Quand d’un Époux si beau vous vous verrez la Femme ! Ha, cesse, je te prie, un semblable discours, Et contre cet hymen ouvre-moi du secours. C’en est fait, je me rends, et suis prête à tout faire. Non, il faut qu’une Fille obéisse à son Père, Voulût-il lui donner un Singe pour Époux. Votre sort est fort beau, de quoi vous plaignez-vous ? Vous irez par le Coche en sa petite Ville, Qu’en Oncles, et Cousins, vous trouverez fertile ; Et vous vous plairez fort à les entretenir. D’abord chez le beau Monde on vous fera venir. Vous irez visiter, pour votre bienvenue, Madame la Baillive, et Madame l’Élue, Qui d’un Siège pliant vous feront honorer. Là, dans le Carnaval, vous pourrez espérer Le Bal, et la Grand’Bande, à savoir, deux Musettes, Et, parfois, Fagotin, et les Marionnettes. Si pourtant votre Époux…         Ah ! tu me fais mourir. De tes conseils, plutôt, songe à me secourir. Je suis votre Servante.         Eh, Dorine, de grâce… Il faut, pour vous punir, que cette affaire passe. Ma pauvre Fille !     Non.         Si mes vœux déclarés… Point, Tartuffe est votre Homme, et vous en tâterez. Tu sais qu’à toi toujours je me suis confiée. Fais-moi…         Non ; vous serez, ma foi, Tartuffiée. Hé bien, puisque mon sort ne saurait t’émouvoir, Laisse-moi désormais toute à mon désespoir. C’est de lui que mon cœur empruntera de l’aide, Et je sais, de mes maux, l’infaillible remède. Hé, là, là, revenez ; je quitte mon courroux. Il faut, nonobstant tout, avoir pitié de vous. Vois-tu, si l’on m’expose à ce cruel martyre, Je te le dis, Dorine, il faudra que j’expire. Ne vous tourmentez point, on peut adroitement Empêcher… Mais voici Valère votre Amant. On vient de débiter, Madame, une nouvelle, Que je ne savais pas, et qui sans doute est belle. Quoi ?     Que vous épousez Tartuffe.         Il est certain Que mon Père s’est mis en tête ce dessein. Votre Père, Madame…         A changé de visée. La chose vient par lui de m’être proposée. Quoi, sérieusement ?         Oui, sérieusement ; Il s’est, pour cet hymen, déclaré hautement. Et quel est le dessein où votre âme s’arrête, Madame ?     Je ne sais.         La réponse est honnête. Vous ne savez ?     Non.     Non ?         Que me conseillez-vous ? Je vous conseille, moi, de prendre cet Époux. Vous me le conseillez ?         Oui.     Tout de bon ?         Sans doute. Le choix est glorieux, et vaut bien qu’on l’écoute. Hé bien, c’est un conseil, Monsieur, que je reçois. Vous n’aurez pas grand-peine à le suivre, je crois. Pas plus qu’à le donner en a souffert votre âme. Moi, je vous l’ai donné pour vous plaire, Madame. Et moi, je le suivrai, pour vous faire plaisir. Voyons ce qui pourra de ceci réussir. C’est donc ainsi qu’on aime ? Et c’était tromperie, Quand vous…         Ne parlons point de cela, je vous prie. Vous m’avez dit tout franc, que je dois accepter Celui que, pour Époux, on me veut présenter : Et je déclare, moi, que je prétends le faire, Puisque vous m’en donnez le conseil salutaire. Ne vous excusez point sur mes intentions. Vous aviez pris déjà vos résolutions ; Et vous vous saisissez d’un prétexte frivole, Pour vous autoriser à manquer de parole. Il est vrai, c’est bien dit.         Sans doute, et votre cœur N’a jamais eu pour moi de véritable ardeur. Hélas ! permis à vous d’avoir cette pensée. Oui, oui, permis à moi ; mais mon âme offensée Vous préviendra, peut-être, en un pareil dessein ; Et je sais où porter, et mes vœux, et ma main. Ah ! je n’en doute point ; et les ardeurs qu’excite Le mérite…         Mon Dieu, laissons là le mérite ; J’en ai fort peu, sans doute, et vous en faites foi : Mais j’espère aux bontés qu’une autre aura pour moi ; Et j’en sais de qui l’âme, à ma retraite ouverte, Consentira sans honte à réparer ma perte. La perte n’est pas grande, et de ce changement Vous vous consolerez assez facilement. J’y ferai mon possible, et vous le pouvez croire. Un cœur qui nous oublie, engage notre gloire. Il faut à l’oublier, mettre aussi tous nos soins. Si l’on n’en vient à bout, on le doit feindre au moins ; Et cette lâcheté jamais ne se pardonne, De montrer de l’amour pour qui nous abandonne. Ce sentiment, sans doute, est noble, et relevé. Fort bien, et d’un chacun il doit être approuvé. Hé quoi ! vous voudriez qu’à jamais, dans mon âme, Je gardasse pour vous les ardeurs de ma flamme ? Et vous visse, à mes yeux, passer en d’autres bras, Sans mettre ailleurs un cœur dont vous ne voulez pas ? Au contraire, pour moi, c’est ce que je souhaite ; Et je voudrais déjà que la chose fût faite. Vous le voudriez ?     Oui.         C’est assez m’insulter, Madame, et de ce pas je vais vous contenter. Fort bien.         Souvenez-vous au moins, que c’est vous-même Qui contraignez mon cœur à cet effort extrême. Oui.         Et que le dessein que mon âme conçoit, N’est rien qu’à votre exemple.         À mon exemple, soit. Suffit ; vous allez être à point nommé servie. Tant mieux.         Vous me voyez, c’est pour toute ma vie. À la bonne heure.     Euh ?     Quoi ?         Ne m’appelez-vous pas ? Moi ! vous rêvez.         Hé bien, je poursuis donc mes pas. Adieu, Madame.     Adieu, Monsieur.         Pour moi, je pense Que vous perdez l’esprit, par cette extravagance ; Et je vous ai laissé tout du long quereller, Pour voir où tout cela pourrait enfin aller. Holà, Seigneur Valère.         Hé, que veux-tu, Dorine ? Venez ici.         Non, non, le dépit me domine. Ne me détourne point de ce qu’elle a voulu. Arrêtez.         Non, vois-tu, c’est un point résolu. Ah.         Il souffre à me voir, ma présence le chasse ; Et je ferai bien mieux, de lui quitter la place. À l’autre. Où courez-vous ?     Laisse.         Il faut revenir. Non, non, Dorine, en vain tu veux me retenir. Je vois bien que ma vue est pour elle un supplice ; Et sans doute, il vaut mieux que je l’en affranchisse. Encor ? Diantre soit fait de vous, si je le veux. Cessez ce badinage, et venez çà tous deux. Mais quel est ton dessein ?         Qu’est-ce que tu veux faire ? Vous bien remettre ensemble, et vous tirer d’affaire. Êtes-vous fou, d’avoir un pareil démêlé ? N’as-tu pas entendu comme elle m’a parlé ? Êtes-vous folle, vous, de vous être emportée ? N’as-tu pas vu la chose, et comme il m’a traitée ? Sottise des deux parts. Elle n’a d’autre soin, Que de se conserver à vous, j’en suis témoin. Il n’aime que vous seule, et n’a point d’autre envie Que d’être votre Époux ; j’en réponds sur ma vie. Pourquoi donc me donner un semblable conseil ? Pourquoi m’en demander sur un sujet pareil ? Vous êtes fous tous deux. Çà, la main l’un, et l’autre. Allons, vous.     À quoi bon ma main ?         Ah ! çà, la vôtre. De quoi sert tout cela ?         Mon Dieu, vite, avancez. Vous vous aimez tous deux plus que vous ne pensez. Mais ne faites donc point les choses avec peine, Et regardez un peu les Gens sans nulle haine. À vous dire le vrai, les Amants sont bien fous ! Ho çà, n’ai-je pas lieu de me plaindre de vous ? Et pour n’en point mentir, n’êtes-vous pas méchante, De vous plaire à me dire une chose affligeante ? Mais vous, n’êtes-vous pas l’Homme le plus ingrat... Pour une autre saison, laissons tout ce débat, Et songeons à parer ce fâcheux Mariage. Dis-nous donc quels ressorts il faut mettre en usage. Nous en ferons agir de toutes les façons. Votre père se moque, et ce sont des chansons. Mais, pour vous, il vaut mieux qu’à son extravagance, D’un doux consentement vous prêtiez l’apparence, Afin qu’en cas d’alarme, il vous soit plus aisé De tirer en longueur cet hymen proposé. En attrapant du temps, à tout on remédie. Tantôt vous payerez de quelque maladie, Qui viendra tout à coup, et voudra des délais. Tantôt vous payerez de présages mauvais ; Vous aurez fait d’un Mort la rencontre fâcheuse, Cassé quelque Miroir, ou songé d’eau bourbeuse. Enfin le bon de tout, c’est qu’à d’autres qu’à lui, On ne vous peut lier, que vous ne disiez oui. Mais pour mieux réussir, il est bon, ce me semble, Qu’on ne vous trouve point tous deux parlant ensemble. Sortez, et sans tarder, employez vos Amis Pour vous faire tenir ce qu’on vous a promis. Nous allons réveiller les efforts de son Frère, Et dans notre Parti jeter la Belle-Mère. Adieu.         Quelques efforts que nous préparions tous, Ma plus grande espérance, à vrai dire, est en vous. Je ne vous réponds pas des volontés d’un Père ; Mais je ne serai point à d’autre qu’à Valère. Que vous me comblez d’aise ! Et quoi que puisse oser... Ah ! jamais les Amants ne sont las de jaser. Sortez, vous dis-je.     Enfin...         Quel caquet est le vôtre ! Tirez de cette part ; et vous, tirez de l’autre. Que la Foudre, sur l’heure, achève mes destins ; Qu’on me traite partout, du plus grand des Faquins, S’il est aucun respect, ni pouvoir, qui m’arrête, Et si je ne fais pas quelque coup de ma tête. De grâce, modérez un tel emportement, Votre père n’a fait qu’en parler simplement : On n’exécute pas tout ce qui se propose ; Et le chemin est long, du projet à la chose. Il faut que de ce Fat j’arrête les complots, Et qu’à l’oreille, un peu, je lui dise deux mots. Ha, tout doux ; envers lui, comme envers votre Père, Laissez agir les soins de votre Belle-Mère. Sur l’esprit de Tartuffe, elle a quelque crédit ; Il se rend complaisant à tout ce qu’elle dit, Et pourrait bien avoir douceur de cœur pour elle. Plût à Dieu qu’il fût vrai ! la chose serait belle. Enfin votre intérêt l’oblige à le mander ; Sur l’hymen qui vous trouble, elle veut le sonder, Savoir ses sentiments, et lui faire connaître Quels fâcheux démêlés il pourra faire naître ; S’il faut qu’à ce dessein il prête quelque espoir. Son Valet dit qu’il prie, et je n’ai pu le voir : Mais ce Valet m’a dit qu’il s’en allait descendre. Sortez donc, je vous prie, et me laissez l’attendre. Je puis être présent à tout cet entretien. Point, il faut qu’ils soient seuls.         Je ne lui dirai rien. Vous vous moquez ; on sait vos transports ordinaires, Et c’est le vrai moyen de gâter les affaires. Sortez.         Non, je veux voir, sans me mettre en courroux. Que vous êtes fâcheux ! Il vient, retirez-vous. Laurent, serrez ma Haire, avec ma Discipline, Et priez que toujours le Ciel vous illumine. Si l’on vient pour me voir, je vais aux Prisonniers, Des aumônes que j’ai, partager les deniers. Que d’affectation, et de forfanterie ! Que voulez-vous ?     Vous dire...         Ah ! mon Dieu, je vous prie, Avant que de parler, prenez-moi ce mouchoir. Comment ?         Couvrez ce Sein, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées. Vous êtes donc bien tendre à la tentation ; Et la Chair, sur vos sens, fait grande impression ? Certes, je ne sais pas quelle chaleur vous monte : Mais à convoiter, moi, je ne suis point si prompte ; Et je vous verrais nu du haut jusques en bas, Que toute votre peau ne me tenterait pas. Mettez dans vos discours un peu de modestie, Ou je vais, sur-le-champ, vous quitter la partie. Non, non, c’est moi qui vais vous laisser en repos, Et je n’ai seulement qu’à vous dire deux mots. Madame va venir dans cette Salle basse, Et d’un mot d’entretien vous demande la grâce. Hélas ! très volontiers.         Comme il se radoucit ! Ma foi, je suis toujours pour ce que j’en ai dit. Viendra-t-elle bientôt ?         Je l’entends, ce me semble. Oui, c’est elle en personne, et je vous laisse ensemble. Que le Ciel à jamais, par sa toute bonté, Et de l’âme, et du corps, vous donne la santé ; Et bénisse vos jours autant que le désire Le plus humble de ceux que son amour inspire. Je suis fort obligée à ce souhait pieux : Mais prenons une Chaise, afin d’être un peu mieux. Comment, de votre mal, vous sentez-vous remise ? Fort bien ; et cette fièvre a bientôt quitté prise. Mes prières n’ont pas le mérite qu’il faut Pour avoir attiré cette grâce d’En haut : Mais je n’ai fait au Ciel nulle dévote instance Qui n’ait eu pour objet votre convalescence. Votre zèle pour moi s’est trop inquiété. On ne peut trop chérir votre chère santé ; Et pour la rétablir, j’aurais donné la mienne. C’est pousser bien avant la charité Chrétienne ; Et je vous dois beaucoup, pour toutes ces bontés. Je fais bien moins pour vous, que vous ne méritez. J’ai voulu vous parler en secret, d’une affaire, Et suis bien aise, ici qu’aucun ne nous éclaire. J’en suis ravi de même ; et sans doute il m’est doux, Madame, de me voir, seul à seul, avec vous. C’est une occasion qu’au Ciel j’ai demandée, Sans que, jusqu’à cette heure, il me l’ait accordée. Pour moi, ce que je veux, c’est un mot d’entretien, Où tout votre cœur s’ouvre, et ne me cache rien. Et je ne veux aussi, pour grâce singulière, Que montrer à vos yeux mon âme toute entière ; Et vous faire serment, que les bruits que j’ai faits, Des visites qu’ici reçoivent vos attraits, Ne sont pas, envers vous, l’effet d’aucune haine, Mais plutôt d’un transport de zèle qui m’entraîne, Et d’un pur mouvement…         Je le prends bien aussi, Et crois que mon salut vous donne ce souci. Oui, Madame, sans doute ; et ma ferveur est telle... Ouf, vous me serrez trop.         C’est par excès de zèle. De vous faire aucun mal, je n’eus jamais dessein, Et j’aurais bien plutôt…         Que fait là votre main ? Je tâte votre habit, l’étoffe en est moelleuse. Ah ! de grâce, laissez, je suis fort chatouilleuse. Mon Dieu, que de ce Point l’ouvrage est merveilleux ! On travaille aujourd’hui, d’un air miraculeux ; Jamais, en toute chose, on n’a vu si bien faire. Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire. On tient que mon Mari veut dégager sa foi, Et vous donner sa Fille ; Est-il vrai, dites-moi ? Il m’en a dit deux mots : mais, Madame, à vrai dire, Ce n’est pas le bonheur après quoi je soupire ; Et je vois autre part les merveilleux attraits De la félicité qui fait tous mes souhaits. C’est que vous n’aimez rien des choses de la Terre. Mon sein n’enferme pas un cœur qui soit de pierre. Pour moi, je crois qu’au Ciel tendent tous vos soupirs, Et que rien, ici-bas, n’arrête vos désirs. L’amour qui nous attache aux Beautés éternelles, N’étouffe pas en nous l’amour des temporelles. Nos sens facilement peuvent être charmés Des ouvrages parfaits que le Ciel a formés. Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles : Mais il étale en vous ses plus rares merveilles. Il a sur votre face épanché des beautés, Dont les yeux sont surpris, et les cœurs transportés ; Et je n’ai pu vous voir, parfaite Créature, Sans admirer en vous l’Auteur de la Nature, Et d’une ardente amour sentir mon cœur atteint, Au plus beau des Portraits où lui-même il s’est peint. D’abord j’appréhendai que cette ardeur secrète Ne fût du noir Esprit une surprise adroite ; Et même à fuir vos yeux, mon cœur se résolut, Vous croyant un obstacle à faire mon salut. Mais enfin je connus, ô Beauté toute aimable, Que cette passion peut n’être point coupable ; Que je puis l’ajuster avecque la pudeur, Et c’est ce qui m’y fait abandonner mon cœur. Ce m’est, je le confesse, une audace bien grande, Que d’oser, de ce cœur, vous adresser l’offrande ; Mais j’attends, en mes vœux, tout de votre bonté, Et rien des vains efforts de mon infirmité. En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétude : De vous dépend ma peine, ou ma béatitude ; Et je vais être enfin, par votre seul Arrêt, Heureux, si vous voulez ; malheureux, s’il vous plaît. La déclaration est tout à fait galante : Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante. Vous deviez, ce me semble, armer mieux votre sein, Et raisonner un peu sur un pareil dessein. Un Dévot comme vous, et que partout on nomme… Ah ! pour être Dévot, je n’en suis pas moins homme ; Et lorsqu’on vient à voir vos célestes appas, Un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas. Je sais qu’un tel discours de moi paraît étrange ; Mais, Madame, après tout, je ne suis pas un Ange ; Et si vous condamnez l’aveu que je vous fais, Vous devez vous en prendre à vos charmants attraits. Dès que j’en vis briller la splendeur plus qu’humaine, De mon intérieur vous fûtes souveraine. De vos regards divins, l’ineffable douceur, Força la résistance où s’obstinait mon cœur ; Elle surmonta tout, jeûnes, prières, larmes, Et tourna tous mes vœux du côté de vos charmes. Mes yeux, et mes soupirs, vous l’ont dit mille fois ; Et pour mieux m’expliquer, j’emploie ici la voix. Que si vous contemplez, d’une âme un peu bénigne, Les tribulations de votre Esclave indigne ; S’il faut que vos bontés veuillent me consoler, Et jusqu’à mon néant daignent se ravaler, J’aurai toujours pour vous, ô suave merveille, Une dévotion à nulle autre pareille. Votre honneur, avec moi, ne court point de hasard ; Et n’a nulle disgrâce à craindre de ma part. Tous ces Galants de Cour, dont les Femmes sont folles, Sont bruyants dans leurs faits, et vains dans leurs paroles. De leurs progrès sans cesse on les voit se targuer ; Ils n’ont point de faveurs, qu’ils n’aillent divulguer ; Et leur langue indiscrète, en qui l’on se confie, Déshonore l’Autel où leur cœur sacrifie : Mais les Gens comme nous, brûlent d’un feu discret, Avec qui pour toujours on est sûr du secret. Le soin que nous prenons de notre renommée, Répond de toute chose à la Personne aimée ; Et c’est en nous qu’on trouve, acceptant notre cœur, De l’amour sans scandale, et du plaisir sans peur. Je vous écoute dire, et votre Rhétorique, En termes assez forts, à mon âme s’explique. N’appréhendez-vous point, que je ne sois d’humeur À dire à mon Mari cette galante ardeur ? Et que le prompt avis d’un amour de la sorte, Ne pût bien altérer l’amitié qu’il vous porte ? Je sais que vous avez trop de bénignité, Et que vous ferez grâce à ma témérité ; Que vous m’excuserez sur l’humaine faiblesse Des violents transports d’un amour qui vous blesse ; Et considérerez, en regardant votre air, Que l’on n’est pas aveugle, et qu’un Homme est de chair. D’autres prendraient cela d’autre façon, peut-être ; Mais ma discrétion se veut faire paraître. Je ne redirai point l’affaire à mon Époux ; Mais je veux en revanche une chose de vous. C’est de presser tout franc, et sans nulle chicane, L’union de Valère avecque Mariane ; De renoncer vous-même à l’injuste pouvoir Qui veut du bien d’un autre enrichir votre espoir ; Et...         Non, Madame, non, ceci doit se répandre. J’étais en cet endroit, d’où j’ai pu tout entendre ; Et la bonté du Ciel m’y semble avoir conduit, Pour confondre l’orgueil d’un Traître qui me nuit ; Pour m’ouvrir une voie à prendre la vengeance De son hypocrisie, et de son insolence ; À détromper mon Père, et lui mettre en plein jour, L’âme d’un Scélérat qui vous parle d’amour. Non, Damis, il suffit qu’il se rende plus sage, Et tâche à mériter la grâce où je m’engage. Puisque je l’ai promis, ne m’en dédites pas. Ce n’est point mon humeur de faire des éclats ; Une Femme se rit de sottises pareilles, Et jamais d’un Mari n’en trouble les oreilles. Vous avez vos raisons pour en user ainsi ; Et pour faire autrement, j’ai les miennes aussi. Le vouloir épargner, est une raillerie, Et l’insolent orgueil de sa Cagoterie, N’a triomphé que trop de mon juste courroux, Et que trop excité de désordre chez nous. Le Fourbe, trop longtemps, a gouverné mon Père, Et desservi mes feux avec ceux de Valère. Il faut que du Perfide il soit désabusé, Et le Ciel, pour cela, m’offre un moyen aisé. De cette occasion, je lui suis redevable ; Et pour la négliger, elle est trop favorable. Ce serait mériter qu’il me la vînt ravir, Que de l’avoir en main, et ne m’en pas servir. Damis…         Non, s’il vous plaît, il faut que je me croie. Mon âme est maintenant au comble de sa joie ; Et vos discours en vain prétendent m’obliger À quitter le plaisir de me pouvoir venger. Sans aller plus avant, je vais vider d’affaire ; Et voici justement de quoi me satisfaire. Nous allons régaler, mon Père, votre abord, D’un incident tout frais, qui vous surprendra fort. Vous êtes bien payé de toutes vos caresses ; Et Monsieur, d’un beau prix, reconnaît vos tendresses. Son grand zèle, pour vous, vient de se déclarer. Il ne va pas à moins qu’à vous déshonorer ; Et je l’ai surpris, là, qui faisait à Madame L’injurieux aveu d’une coupable flamme. Elle est d’une humeur douce, et son cœur trop discret Voulait, à toute force, en garder le secret : Mais je ne puis flatter une telle impudence, Et crois que vous la taire, est vous faire une offense. Oui, je tiens que jamais, de tous ces vains propos, On ne doit d’un Mari traverser le repos ; Que ce n’est point de là que l’honneur peut dépendre, Et qu’il suffit, pour nous, de savoir nous défendre. Ce sont mes sentiments ; et vous n’auriez rien dit, Damis, si j’avais eu sur vous quelque crédit. Ce que je viens d’entendre, ô Ciel ! est-il croyable ? Oui, mon Frère, je suis un méchant, un coupable, Un malheureux Pécheur, tout plein d’iniquité, Le plus grand scélérat qui jamais ait été. Chaque instant de ma vie est chargé de souillures, Elle n’est qu’un amas de crimes, et d’ordures ; Et je vois que le Ciel, pour ma punition, Me veut mortifier en cette occasion. De quelque grand forfait qu’on me puisse reprendre, Je n’ai garde d’avoir l’orgueil de m’en défendre. Croyez ce qu’on vous dit, armez votre courroux, Et comme un Criminel, chassez-moi de chez vous. Je ne saurais avoir tant de honte en partage, Que je n’en aie encor mérité davantage. Ah ! traître, oses-tu bien, par cette fausseté, Vouloir de sa vertu ternir la pureté ? Quoi ! la feinte douceur de cette âme hypocrite Vous fera démentir…         Tais-toi, peste maudite. Ah ! laissez-le parler, vous l’accusez à tort, Et vous ferez bien mieux de croire à son rapport. Pourquoi, sur un tel fait, m’être si favorable ? Savez-vous, après tout, de quoi je suis capable ? Vous fiez-vous, mon Frère, à mon extérieur ? Et pour tout ce qu’on voit, me croyez-vous meilleur ? Non, non, vous vous laissez tromper à l’apparence, Et je ne suis rien moins, hélas ! que ce qu’on pense. Tout le monde me prend pour un Homme de bien ; Mais la vérité pure, est, que je ne vaux rien. Oui, mon cher Fils, parlez, traitez-moi de perfide, D’infâme, de perdu, de voleur, d’homicide. Accablez-moi de noms encor plus détestés. Je n’y contredis point, je les ai mérités, Et j’en veux à genoux souffrir l’ignominie, Comme une honte due aux crimes de ma vie. Mon Frère, c’en est trop.         Ton cœur ne se rend point, Traître.         Quoi ! ses discours vous séduiront au point... Tais-toi, pendard.         Mon Frère, eh ! levez-vous, de grâce. Infâme.     Il peut...     Tais-toi.         J’enrage ! Quoi, je passe… Si tu dis un seul mot, je te romprai les bras. Mon Frère, au nom de Dieu, ne vous emportez pas. J’aimerais mieux souffrir la peine la plus dure, Qu’il eût reçu pour moi la moindre égratignure. Ingrat.         Laissez-le en paix. S’il faut à deux genoux Vous demander sa grâce…         Hélas ! vous moquez-vous ? Coquin, vois sa bonté.     Donc...     Paix.     Quoi, je...         Paix, dis-je. Je sais bien quel motif, à l’attaquer, t’oblige. Vous le haïssez tous, et je vois aujourd’hui, Femme, Enfants, et Valets, déchaînés contre lui. On met impudemment toute chose en usage, Pour ôter de chez moi ce dévot Personnage : Mais plus on fait d’effort afin de l’en bannir, Plus j’en veux employer à l’y mieux retenir ; Et je vais me hâter de lui donner ma Fille, Pour confondre l’orgueil de toute ma Famille. À recevoir sa main, on pense l’obliger ? Oui, traître ; et dès ce soir, pour vous faire enrager. Ah ! je vous brave tous, et vous ferai connaître, Qu’il faut qu’on m’obéisse, et que je suis le Maître. Allons, qu’on se rétracte, et qu’à l’instant, fripon, On se jette à ses pieds, pour demander pardon. Qui, moi ? de ce coquin, qui par ses impostures… Ah ! tu résistes, gueux, et lui dis des injures ? Un bâton, un bâton.         Ne me retenez pas. Sus, que de ma Maison on sorte de ce pas, Et que d’y revenir, on n’ait jamais l’audace. Oui, je sortirai, mais…         Vite, quittons la place. Je te prive, pendard, de ma succession, Et te donne, de plus, ma malédiction. Offenser de la sorte une sainte Personne ! Ô Ciel ! pardonne-lui la douleur qu’il me donne. Si vous pouviez savoir avec quel déplaisir Je vois qu’envers mon Frère, on tâche à me noircir... Hélas !         Le seul penser de cette ingratitude Fait souffrir à mon âme un supplice si rude... L’horreur que j’en conçois… J’ai le cœur si serré, Que je ne puis parler, et crois que j’en mourrai. Coquin. Je me repens que ma main t’ait fait grâce, Et ne t’ait pas d’abord assommé sur la place. Remettez-vous, mon Frère, et ne vous fâchez pas. Rompons, rompons le cours de ces fâcheux débats. Je regarde céans quels grands troubles j’apporte, Et crois qu’il est besoin, mon Frère, que j’en sorte. Comment ? Vous moquez-vous ?         On m’y hait, et je vois Qu’on cherche à vous donner des soupçons de ma foi. Qu’importe ; Voyez-vous que mon cœur les écoute ? On ne manquera pas de poursuivre, sans doute ; Et ces mêmes rapports, qu’ici vous rejetez, Peut-être, une autre fois, seront-ils écoutés. Non, mon Frère, jamais.         Ah ! mon Frère, une Femme Aisément, d’un Mari, peut bien surprendre l’âme. Non, non.         Laissez-moi vite, en m’éloignant d’ici, Leur ôter tout sujet de m’attaquer ainsi. Non, vous demeurerez, il y va de ma vie. Hé bien, il faudra donc que je me mortifie. Pourtant, si vous vouliez…     Ah !         Soit, n’en parlons plus. Mais je sais comme il faut en user là-dessus. L’honneur est délicat, et l’amitié m’engage À prévenir les bruits, et les sujets d’ombrage. Je fuirai votre Épouse, et vous ne me verrez… Non, en dépit de tous, vous la fréquenterez. Faire enrager le monde, est ma plus grande joie, Et je veux qu’à toute heure avec elle on vous voie. Ce n’est pas tout encor ; pour les mieux braver tous, Je ne veux point avoir d’autre héritier que vous ; Et je vais de ce pas, en fort bonne manière, Vous faire de mon bien, donation entière. Un bon et franc Ami, que pour Gendre je prends, M’est bien plus cher que Fils, que Femme, et que Parents. N’accepterez-vous pas ce que je vous propose ? La volonté du Ciel soit faite en toute chose. Le pauvre Homme ! Allons vite en dresser un Écrit, Et que puisse l’Envie en crever de dépit. Oui, tout le monde en parle, et vous m’en pouvez croire. L’éclat que fait ce bruit, n’est point à votre gloire ; Et je vous ai trouvé, Monsieur, fort à propos, Pour vous en dire net ma pensée en deux mots. Je n’examine point à fond ce qu’on expose, Je passe là-dessus, et prends au pis la chose. Supposons que Damis n’en ait pas bien usé, Et que ce soit à tort qu’on vous ait accusé : N’est-il pas d’un Chrétien, de pardonner l’offense, Et d’éteindre en son cœur tout désir de vengeance ? Et devez-vous souffrir, pour votre démêlé, Que du Logis d’un Père, un Fils soit exilé ? Je vous le dis encore, et parle avec franchise ; Il n’est petit, ni grand, qui ne s’en scandalise ; Et si vous m’en croyez, vous pacifierez tout, Et ne pousserez point les affaires à bout. Sacrifiez à Dieu toute votre colère, Et remettez le Fils en grâce avec le père. Hélas ! je le voudrais, quant à moi, de bon cœur ; Je ne garde pour lui, Monsieur, aucune aigreur, Je lui pardonne tout, de rien je ne le blâme, Et voudrais le servir du meilleur de mon âme : Mais l’intérêt du Ciel n’y saurait consentir ; Et s’il rentre céans, c’est à moi d’en sortir. Après son action qui n’eut jamais d’égale, Le commerce, entre nous, porterait du scandale : Dieu sait ce que d’abord tout le monde en croirait ; À pure politique, on me l’imputerait ; Et l’on dirait partout, que me sentant coupable, Je feins, pour qui m’accuse, un zèle charitable ; Que mon cœur l’appréhende, et veut le ménager, Pour le pouvoir, sous main, au silence engager. Vous nous payez ici d’excuses colorées, Et toutes vos raisons, Monsieur, sont trop tirées. Des intérêts du Ciel, pourquoi vous chargez-vous ? Pour punir le coupable, a-t-il besoin de nous ? Laissez-lui, laissez-lui le soin de ses vengeances, Ne songez qu’au pardon qu’il prescrit des offenses ; Et ne regardez point aux jugements humains, Quand vous suivez du Ciel les ordres souverains. Quoi ! le faible intérêt de ce qu’on pourra croire, D’une bonne action, empêchera la gloire ? Non, non, faisons toujours ce que le Ciel prescrit, Et d’aucun autre soin ne nous brouillons l’esprit. Je vous ai déjà dit que mon cœur lui pardonne, Et c’est faire, Monsieur, ce que le Ciel ordonne : Mais après le scandale, et l’affront d’aujourd’hui, Le Ciel n’ordonne pas que je vive avec lui. Et vous ordonne-t-il, Monsieur, d’ouvrir l’oreille À ce qu’un pur caprice à son Père conseille ? Et d’accepter le don qui vous est fait d’un bien Où le droit vous oblige à ne prétendre rien. Ceux qui me connaîtront, n’auront pas la pensée Que ce soit un effet d’une âme intéressée. Tous les biens de ce monde ont pour moi peu d’appas, De leur éclat trompeur je ne m’éblouis pas ; Et si je me résous à recevoir du Père Cette donation qu’il a voulu me faire, Ce n’est à dire vrai, que parce que je crains Que tout ce bien ne tombe en de méchantes mains ; Qu’il ne trouve des Gens, qui l’ayant en partage, En fassent, dans le Monde, un criminel usage ; Et ne s’en servent pas, ainsi que j’ai dessein, Pour la gloire du Ciel, et le bien du Prochain. Hé, Monsieur, n’ayez point ces délicates craintes, Qui d’un juste héritier peuvent causer les plaintes. Souffrez, sans vous vouloir embarrasser de rien, Qu’il soit, à ses périls, possesseur de son bien ; Et songez qu’il vaut mieux encor qu’il en mésuse, Que si de l’en frustrer, il faut qu’on vous accuse. J’admire seulement que, sans confusion, Vous en ayez souffert la proposition : Car enfin, le vrai zèle a-t-il quelque maxime Qui montre à dépouiller l’héritier légitime ? Et s’il faut que le Ciel dans votre cœur ait mis Un invincible obstacle à vivre avec Damis, Ne vaudrait-il pas mieux, qu’en Personne discrète, Vous fissiez de céans une honnête retraite, Que de souffrir ainsi, contre toute raison, Qu’on en chasse, pour vous, le Fils de la Maison ? Croyez-moi, c’est donner de votre prud’homie, Monsieur…         Il est, Monsieur, trois heures et demie ; Certain devoir pieux me demande là-haut, Et vous m’excuserez, de vous quitter sitôt. Ah !         De grâce, avec nous, employez-vous pour elle, Monsieur, son âme souffre une douleur mortelle ; Et l’accord que son Père a conclu pour ce soir, La fait, à tous moments, entrer en désespoir. Il va venir ; joignons nos efforts, je vous prie, Et tâchons d’ébranler de force, ou d’industrie, Ce malheureux dessein qui nous a tous troublés. Ha, je me réjouis de vous voir assemblés. Je porte, en ce Contrat, de quoi vous faire rire, Et vous savez déjà ce que cela veut dire. Mon père, au nom du Ciel, qui connaît ma douleur, Et par tout ce qui peut émouvoir votre cœur, Relâchez-vous un peu des droits de la naissance, Et dispensez mes vœux de cette obéissance. Ne me réduisez point, par cette dure Loi, Jusqu’à me plaindre au Ciel de ce que je vous dois : Et cette vie, hélas ! que vous m’avez donnée, Ne me la rendez pas, mon Père, infortunée. Si contre un doux espoir que j’avais pu former, Vous me défendez d’être à ce que j’ose aimer ; Au moins, par vos bontés, qu’à vos genoux j’implore, Sauvez-moi du tourment d’être à ce que j’abhorre ; Et ne me portez point à quelque désespoir, En vous servant, sur moi, de tout votre pouvoir. Allons, ferme, mon cœur, point de faiblesse humaine. Vos tendresses pour lui, ne me font point de peine ; Faites-les éclater, donnez-lui votre bien ; Et si ce n’est assez, joignez-y tout le mien, J’y consens de bon cœur, et je vous l’abandonne. Mais au moins n’allez pas jusques à ma personne, Et souffrez qu’un Couvent, dans les austérités, Use les tristes jours que le Ciel m’a comptés. Ah ! voilà justement de mes Religieuses, Lorsqu’un Père combat leurs flammes amoureuses. Debout. Plus votre cœur répugne à l’accepter, Plus ce sera pour vous, matière à mériter. Mortifiez vos sens avec ce Mariage, Et ne me rompez pas la tête davantage. Mais quoi...         Taisez-vous, vous. Parlez à votre écot, Je vous défends, tout net, d’oser dire un seul mot. Si par quelque conseil, vous souffrez qu’on réponde... Mon Frère, vos conseils sont les meilleurs du monde, Ils sont bien raisonnés, et j’en fais un grand cas ; Mais vous trouverez bon que je n’en use pas. À voir ce que je vois, je ne sais plus que dire, Et votre aveuglement fait que je vous admire. C’est être bien coiffé, bien prévenu de lui, Que de nous démentir sur le fait d’aujourd’hui. Je suis votre Valet, et crois les apparences. Pour mon fripon de Fils, je sais vos complaisances, Et vous avez eu peur de le désavouer Du trait qu’à ce pauvre Homme il a voulu jouer. Vous étiez trop tranquille enfin, pour être crue, Et vous auriez paru d’autre manière émue. Est-ce qu’au simple aveu d’un amoureux transport, Il faut que notre honneur se gendarme si fort ? Et ne peut-on répondre à tout ce qui le touche, Que le feu dans les yeux, et l’injure à la bouche ? Pour moi, de tels propos, je me ris simplement, Et l’éclat, là-dessus, ne me plaît nullement. J’aime qu’avec douceur nous nous montrions sages, Et ne suis point, du tout, pour ces Prudes sauvages, Dont l’honneur est armé de griffes, et de dents, Et veut, au moindre mot, dévisager les Gens. Me préserve le Ciel d’une telle sagesse ! Je veux une Vertu qui ne soit point diablesse, Et crois que d’un refus, la discrète froideur, N’en est pas moins puissante à rebuter un cœur. Enfin je sais l’affaire, et ne prends point le change. J’admire, encore un coup, cette faiblesse étrange. Mais que me répondrait votre incrédulité, Si je vous faisais voir qu’on vous dit vérité ? Voir ?     Oui.     Chansons.         Mais quoi ! si je trouvais manière De vous le faire voir avec pleine lumière ? Contes en l’air.         Quel homme ! Au moins répondez-moi. Je ne vous parle pas de nous ajouter foi : Mais supposons ici, que d’un lieu qu’on peut prendre, On vous fît clairement tout voir, et tout entendre, Que diriez-vous alors de votre Homme de bien ? En ce cas, je dirais que… Je ne dirais rien, Car cela ne se peut.         L’erreur trop longtemps dure, Et c’est trop condamner ma bouche d’imposture. Il faut que par plaisir, et sans aller plus loin, De tout ce qu’on vous dit, je vous fasse témoin. Soit je vous prends au mot. Nous verrons votre adresse Et comment vous pourrez remplir cette promesse. Faites-le-moi venir.         Son esprit est rusé, Et peut-être, à surprendre, il sera malaisé. Non, on est aisément dupé par ce qu’on aime, Et l’amour-propre, engage à se tromper soi-même. Faites-le-moi descendre ; et vous, retirez-vous. Approchons cette Table, et vous mettez dessous. Comment ?         Vous bien cacher, est un point nécessaire. Pourquoi sous cette Table ?         Ah ! mon Dieu, laissez faire, J’ai mon dessein en tête, et vous en jugerez. Mettez-vous là, vous dis-je ; et quand vous y serez, Gardez qu’on ne vous voie, et qu’on ne vous entende. Je confesse qu’ici ma complaisance est grande ; Mais de votre entreprise, il vous faut voir sortir. Vous n’aurez, que je crois, rien à me repartir. Au moins, je vais toucher une étrange matière, Ne vous scandalisez en aucune manière. Quoi que je puisse dire, il doit m’être permis, Et c’est pour vous convaincre, ainsi que j’ai promis. Je vais par des douceurs, puisque j’y suis réduite, Faire poser le masque à cette âme hypocrite, Flatter, de son amour, les désirs effrontés, Et donner un champ libre à ses témérités. Comme c’est pour vous seul, et pour mieux le confondre, Que mon âme à ses vœux va feindre de répondre, J’aurai lieu de cesser dès que vous vous rendrez, Et les choses n’iront que jusqu’où vous voudrez. C’est à vous d’arrêter son ardeur insensée, Quand vous croirez l’affaire assez avant poussée ; D’épargner votre Femme, et de ne m’exposer Qu’à ce qu’il vous faudra pour vous désabuser. Ce sont vos intérêts, vous en serez le maître, Et… L’on vient, tenez-vous, et gardez de paraître. On m’a dit qu’en ce lieu vous me vouliez parler. Oui, l’on a des secrets à vous y révéler : Mais tirez cette Porte avant qu’on vous les dise, Et regardez partout, de crainte de surprise : Une affaire pareille à celle de tantôt, N’est pas assurément ici ce qu’il nous faut. Jamais il ne s’est vu de surprise de même, Damis m’a fait, pour vous, une frayeur extrême, Et vous avez bien vu que j’ai fait mes efforts Pour rompre son dessein, et calmer ses transports. Mon trouble, il est bien vrai, m’a si fort possédée, Que de le démentir je n’ai point eu l’idée : Mais par là, grâce au Ciel, tout a bien mieux été, Et les choses en sont dans plus de sûreté. L’estime où l’on vous tient, a dissipé l’orage, Et mon Mari, de vous, ne peut prendre d’ombrage. Pour mieux braver l’éclat des mauvais jugements, Il veut que nous soyons ensemble à tous moments ; Et c’est par où je puis, sans peur d’être blâmée, Me trouver ici seule avec vous enfermée, Et ce qui m’autorise à vous ouvrir un cœur Un peu trop prompt, peut-être, à souffrir votre ardeur. Ce langage, à comprendre, est assez difficile, Madame, et vous parliez tantôt d’un autre style. Ah ! si d’un tel refus vous êtes en courroux, Que le cœur d’une Femme est mal connu de vous ! Et que vous savez peu ce qu’il veut faire entendre, Lorsque si faiblement on le voit se défendre ! Toujours notre pudeur combat, dans ces moments, Ce qu’on peut nous donner de tendres sentiments. Quelque raison qu’on trouve à l’amour qui nous dompte, On trouve à l’avouer, toujours un peu de honte ; On s’en défend d’abord ; mais de l’air qu’on s’y prend, On fait connaître assez que notre cœur se rend ; Qu’à nos vœux, par honneur, notre bouche s’oppose, Et que de tels refus promettent toute chose. C’est vous faire, sans doute, un assez libre aveu, Et sur notre pudeur me ménager bien peu : Mais puisque la parole enfin en est lâchée, À retenir Damis, me serais-je attachée ? Aurais-je, je vous prie, avec tant de douceur, Écouté tout au long l’offre de votre cœur ? Aurais-je pris la chose ainsi qu’on m’a vu faire, Si l’offre de ce cœur n’eût eu de quoi me plaire ? Et lorsque j’ai voulu moi-même vous forcer À refuser l’hymen qu’on venait d’annoncer, Qu’est-ce que cette instance a dû vous faire entendre, Que l’intérêt qu’en vous on s’avise de prendre, Et l’ennui qu’on aurait que ce nœud qu’on résout, Vînt partager du moins un cœur que l’on veut tout ? C’est sans doute, Madame, une douceur extrême, Que d’entendre ces mots d’une bouche qu’on aime ; Leur miel, dans tous mes sens, fait couler à longs traits Une suavité qu’on ne goûta jamais. Le bonheur de vous plaire, est ma suprême étude, Et mon cœur, de vos vœux, fait sa béatitude ; Mais ce cœur vous demande ici la liberté, D’oser douter un peu de sa félicité. Je puis croire ces mots un artifice honnête, Pour m’obliger à rompre un hymen qui s’apprête ; Et s’il faut librement m’expliquer avec vous, Je ne me fierai point à des propos si doux, Qu’un peu de vos faveurs, après quoi je soupire, Ne vienne m’assurer tout ce qu’ils m’ont pu dire, Et planter dans mon âme une constante foi Des charmantes bontés que vous avez pour moi. Quoi ! vous voulez aller avec cette vitesse, Et d’un cœur, tout d’abord, épuiser la tendresse ? On se tue à vous faire un aveu des plus doux, Cependant ce n’est pas encore assez pour vous ; Et l’on ne peut aller jusqu’à vous satisfaire, Qu’aux dernières faveurs on ne pousse l’affaire ? Moins on mérite un bien, moins on l’ose espérer ; Nos vœux, sur des discours, ont peine à s’assurer ; On soupçonne aisément un sort tout plein de gloire, Et l’on veut en jouir, avant que de le croire. Pour moi, qui crois si peu mériter vos bontés, Je doute du bonheur de mes témérités ; Et je ne croirai rien, que vous n’ayez, Madame, Par des réalités, su convaincre ma flamme. Mon Dieu, que votre amour, en vrai Tyran agit ! Et qu’en un trouble étrange il me jette l’esprit ! Que sur les cœurs il prend un furieux empire ! Et qu’avec violence il veut ce qu’il désire ! Quoi ! de votre poursuite, on ne peut se parer, Et vous ne donnez pas le temps de respirer ? Sied-il bien de tenir une rigueur si grande ? De vouloir sans quartier, les choses qu’on demande ? Et d’abuser ainsi, par vos efforts pressants, Du faible que pour vous, vous voyez qu’ont les Gens ? Mais si d’un œil bénin vous voyez mes hommages, Pourquoi m’en refuser d’assurés témoignages ? Mais comment consentir à ce que vous voulez, Sans offenser le Ciel, dont toujours vous parlez ? Si ce n’est que le Ciel qu’à mes vœux on oppose, Lever un tel obstacle, est à moi peu de chose, Et cela ne doit pas retenir votre cœur. Mais des Arrêts du Ciel on nous fait tant de peur. Je puis vous dissiper ces craintes ridicules, Madame, et je sais l’art de lever les scrupules. Le Ciel défend, de vrai, certains contentements ; Mais on trouve avec lui des accommodements. Selon divers besoins, il est une Science, D’étendre les liens de notre conscience, Et de rectifier le mal de l’action Avec la pureté de notre intention. De ces secrets, Madame, on saura vous instruire ; Vous n’avez seulement qu’à vous laisser conduire. Contentez mon désir, et n’ayez point d’effroi, Je vous réponds de tout, et prends le mal sur moi. Vous toussez fort, Madame.         Oui, je suis au supplice. Vous plaît-il un morceau de ce jus de Réglisse ? C’est un rhume obstiné, sans doute, et je vois bien Que tous les jus du Monde, ici, ne feront rien. Cela, certe, est fâcheux.         Oui, plus qu’on ne peut dire. Enfin votre scrupule est facile à détruire, Vous êtes assurée ici d’un plein secret, Et le mal n’est jamais que dans l’éclat qu’on fait. Le scandale du monde, est ce qui fait l’offense ; Et ce n’est pas pécher, que pécher en silence. Enfin je vois qu’il faut se résoudre à céder, Qu’il faut que je consente à vous tout accorder ; Et qu’à moins de cela, je ne dois point prétendre Qu’on puisse être content, et qu’on veuille se rendre. Sans doute, il est fâcheux d’en venir jusque-là, Et c’est bien malgré moi, que je franchis cela : Mais puisque l’on s’obstine à m’y vouloir réduire, Puisqu’on ne veut point croire à tout ce qu’on peut dire, Et qu’on veut des témoins qui soient plus convaincants, Il faut bien s’y résoudre, et contenter les Gens. Si ce consentement porte en soi quelque offense, Tant pis pour qui me force à cette violence ; La faute assurément n’en doit pas être à moi. Oui, Madame, on s’en charge, et la chose de soi… Ouvrez un peu la Porte, et voyez, je vous prie, Si mon Mari n’est point dans cette Galerie. Qu’est-il besoin pour lui, du soin que vous prenez ? C’est un Homme, entre nous, à mener par le nez. De tous nos entretiens, il est pour faire gloire, Et je l’ai mis au point de voir tout, sans rien croire. Il n’importe, sortez, je vous prie, un moment, Et partout, là dehors, voyez exactement. Voilà, je vous l’avoue, un abominable Homme ! Je n’en puis revenir, et tout ceci m’assomme. Quoi ! vous sortez sitôt ? Vous vous moquez des Gens. Rentrez sous le Tapis, il n’est pas encor temps ; Attendez jusqu’au bout, pour voir les choses sûres, Et ne vous fiez point aux simples conjectures. Non, rien de plus méchant n’est sorti de l’Enfer. Mon Dieu, l’on ne doit point croire trop de léger ; Laissez-vous bien convaincre, avant que de vous rendre, Et ne vous hâtez point, de peur de vous méprendre. Tout conspire, Madame, à mon contentement : J’ai visité, de l’œil, tout cet appartement, Personne ne s’y trouve, et mon âme ravie… Tout doux, vous suivez trop votre amoureuse envie, Et vous ne devez pas vous tant passionner. Ah, ah, l’Homme de bien, vous m’en voulez donner ! Comme aux tentations s’abandonne votre âme ! Vous épousiez ma Fille, et convoitiez ma Femme ! J’ai douté fort longtemps, que ce fût tout de bon, Et je croyais toujours qu’on changerait de ton : Mais c’est assez avant pousser le témoignage, Je m’y tiens, et n’en veux pour moi pas davantage. C’est contre mon humeur, que j’ai fait tout ceci ; Mais on m’a mise au point de vous traiter ainsi. Quoi ! vous croyez…         Allons, point de bruit, je vous prie ; Dénichons de céans, et sans cérémonie. Mon dessein…         Ces discours ne sont plus de saison, Il faut, tout sur-le-champ, sortir de la Maison. C’est à vous d’en sortir, vous qui parlez en Maître. La Maison m’appartient, je le ferai connaître, Et vous montrerai bien qu’en vain on a recours, Pour me chercher querelle, à ces lâches détours ; Qu’on n’est pas où l’on pense, en me faisant injure ; Que j’ai de quoi confondre, et punir l’imposture, Venger le Ciel qu’on blesse, et faire repentir Ceux qui parlent ici de me faire sortir. Quel est donc ce langage, et qu’est-ce qu’il veut dire ? Ma foi, je suis confus, et n’ai pas lieu de rire. Comment ?         Je vois ma faute, aux choses qu’il me dit, Et la donation m’embarrasse l’esprit. La donation…         Oui, c’est une affaire faite ; Mais j’ai quelque autre chose encor qui m’inquiète. Et quoi ?         Vous saurez tout : mais voyons au plus tôt, Si certaine Cassette est encore là-haut. Où voulez-vous courir ?     Las ! que sais-je ?         Il me semble Que l’on doit commencer par consulter ensemble, Les choses qu’on peut faire en cet événement. Cette Cassette-là me trouble entièrement. Plus que le reste encore, elle me désespère. Cette Cassette est donc un important mystère ? C’est un dépôt qu’Argas, cet Ami que je plains, Lui-même, en grand secret, m’a mis entre les mains. Pour cela, dans sa fuite, il me voulut élire ; Et ce sont des papiers, à ce qu’il m’a pu dire, Où sa vie, et ses biens, se trouvent attachés. Pourquoi donc les avoir en d’autres mains lâchés ? Ce fut par un motif de Cas de Conscience. J’allai droit à mon Traître en faire confidence, Et son raisonnement me vint persuader De lui donner plutôt la Cassette à garder ; Afin que pour nier, en cas de quelque enquête, J’eusse d’un faux-fuyant, la faveur toute prête, Par où ma conscience eût pleine sûreté À faire des serments contre la vérité. Vous voilà mal, au moins si j’en crois l’apparence, Et la donation, et cette confidence, Sont, à vous en parler selon mon sentiment, Des démarches, par vous, faites légèrement. On peut vous mener loin avec de pareils gages, Et cet Homme, sur vous, ayant ces avantages, Le pousser est encor grande imprudence à vous, Et vous deviez chercher quelque biais plus doux. Quoi ! sous un beau semblant de ferveur si touchante, Cacher un cœur si double, une âme si méchante ? Et moi qui l’ai reçu gueusant, et n’ayant rien... C’en est fait, je renonce à tous les Gens de bien. J’en aurai désormais une horreur effroyable, Et m’en vais devenir, pour eux, pire qu’un Diable. Hé bien, ne voilà pas de vos emportements ! Vous ne gardez en rien les doux tempéraments. Dans la droite raison, jamais n’entre la vôtre ; Et toujours, d’un excès, vous vous jetez dans l’autre. Vous voyez votre erreur, et vous avez connu, Que par un zèle feint vous étiez prévenu : Mais pour vous corriger, quelle raison demande Que vous alliez passer dans une erreur plus grande, Et qu’avecque le cœur d’un perfide Vaurien, Vous confondiez les cœurs de tous les Gens de bien ? Quoi ! parce qu’un fripon vous dupe avec audace, Sous le pompeux éclat d’une austère grimace, Vous voulez que partout on soit fait comme lui, Et qu’aucun vrai Dévot ne se trouve aujourd’hui ? Laissez aux Libertins ces sottes conséquences, Démêlez la Vertu d’avec ses apparences, Ne hasardez jamais votre estime trop tôt, Et soyez, pour cela, dans le milieu qu’il faut. Gardez-vous, s’il se peut, d’honorer l’Imposture : Mais au vrai zèle aussi n’allez pas faire injure ; Et s’il vous faut tomber dans une extrémité, Péchez plutôt encor de cet autre côté. Quoi ! mon Père, est-il vrai qu’un Coquin vous menace ? Qu’il n’est point de bienfait qu’en son âme il n’efface ; Et que son lâche orgueil, trop digne de courroux, Se fait, de vos bontés, des armes contre vous ? Oui, mon Fils, et j’en sens des douleurs nonpareilles. Laissez-moi, je lui veux couper les deux oreilles. Contre son insolence, on ne doit point gauchir. C’est à moi, tout d’un coup, de vous en affranchir ; Et pour sortir d’affaire, il faut que je l’assomme. Voilà, tout justement, parler en vrai jeune Homme. Modérez, s’il vous plaît, ces transports éclatants ; Nous vivons sous un règne, et sommes dans un temps, Où, par la violence, on fait mal ses affaires. Qu’est-ce ? J’apprends ici de terribles mystères. Ce sont des nouveautés dont mes yeux sont témoins, Et vous voyez le prix dont sont payés mes soins. Je recueille, avec zèle, un Homme en sa misère, Je le loge, et le tiens comme mon propre Frère ; De bienfaits, chaque jour, il est par moi chargé, Je lui donne ma Fille, et tout le bien que j’ai ; Et dans le même temps, le Perfide, l’Infâme, Tente le noir dessein de suborner ma Femme ; Et non content encor de ces lâches essais, Il m’ose menacer de mes propres bienfaits, Et veut, à ma ruine, user des avantages Dont le viennent d’armer mes bontés trop peu sages ; Me chasser de mes biens où je l’ai transféré, Et me réduire au point d’où je l’ai retiré. Le pauvre Homme !         Mon Fils, je ne puis du tout croire Qu’il ait voulu commettre une action si noire. Comment ?         Les Gens de bien sont enviés toujours. Que voulez-vous donc dire avec votre discours, Ma Mère ?         Que chez vous on vit d’étrange sorte, Et qu’on ne sait que trop la haine qu’on lui porte. Qu’a cette haine à faire avec ce qu’on vous dit ? Je vous l’ai dit cent fois, quand vous étiez petit. La Vertu, dans le Monde, est toujours poursuivie ; Les Envieux mourront, mais non jamais l’Envie. Mais que fait ce discours aux choses d’aujourd’hui ? On vous aura forgé cent sots contes de lui. Je vous ai dit déjà, que j’ai vu tout moi-même. Des Esprits médisants, la malice est extrême. Vous me feriez damner, ma Mère. Je vous dis, Que j’ai vu de mes yeux, un crime si hardi. Les langues ont toujours du venin à répandre ; Et rien n’est, ici-bas, qui s’en puisse défendre. C’est tenir un propos de sens bien dépourvu ! Je l’ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu, Ce qu’on appelle vu : Faut-il vous le rebattre Aux oreilles cent fois, et crier comme quatre ? Mon Dieu, le plus souvent, l’apparence déçoit. Il ne faut pas toujours juger sur ce qu’on voit. J’enrage.         Aux faux soupçons la Nature est sujette ; Et c’est souvent à mal, que le bien s’interprète. Je dois interpréter à charitable soin, Le désir d’embrasser ma Femme ? Il est besoin,         Pour accuser les gens, d’avoir de justes causes, Et vous deviez attendre à vous voir sûr des choses. Hé, diantre, le moyen de m’en assurer mieux ? Je devais donc, ma Mère, attendre qu’à mes yeux Il eût… Vous me feriez dire quelque sottise. Enfin d’un trop pur zèle on voit son âme éprise, Et je ne puis du tout me mettre dans l’esprit, Qu’il ait voulu tenter les choses que l’on dit. Allez. Je ne sais pas, si vous n’étiez ma Mère, Ce que je vous dirais, tant je suis en colère. Juste retour, Monsieur, des choses d’ici-bas. Vous ne vouliez point croire, et l’on ne vous croit pas. Nous perdons des moments, en bagatelles pures, Qu’il faudrait employer à prendre des mesures. Aux menaces du Fourbe, on doit ne dormir point. Quoi ! son effronterie irait jusqu’à ce point ? Pour moi, je ne crois pas cette instance possible, Et son ingratitude est ici trop visible. Ne vous y fiez pas, il aura des ressorts, Pour donner, contre vous, raison à ses efforts ; Et sur moins que cela, le poids d’une Cabale Embarrasse les Gens dans un fâcheux Dédale. Je vous le dis encore, armé de ce qu’il a, Vous ne deviez jamais le pousser jusque-là. Il est vrai, mais qu’y faire ? À l’orgueil de ce Traître, De mes ressentiments je n’ai pas été maître. Je voudrais de bon cœur, qu’on pût entre vous deux, De quelque ombre de paix, raccommoder les nœuds. Si j’avais su qu’en main il a de telles armes, Je n’aurais pas donné matière à tant d’alarmes, Et mes…         Que veut cet Homme ? Allez tôt le savoir ; Je suis bien en état que l’on me vienne voir. Bonjour, ma chère Sœur. Faites, je vous supplie, Que je parle à Monsieur.         Il est en compagnie, Et je doute qu’il puisse, à présent, voir quelqu’un. Je ne suis pas pour être, en ces lieux, importun. Mon abord n’aura rien, je crois, qui lui déplaise, Et je viens pour un fait dont il sera bien aise. Votre nom ?         Dites-lui seulement que je viens De la part de Monsieur Tartuffe, pour son bien. C’est un Homme qui vient, avec douce manière, De la part de Monsieur Tartuffe, pour affaire, Dont vous serez, dit-il, bien aise.         Il vous faut voir Ce que c’est que cet Homme, et ce qu’il peut vouloir. Pour nous raccommoder, il vient ici, peut-être. Quels sentiments aurai-je à lui faire paraître ? Votre ressentiment ne doit point éclater, Et s’il parle d’accord, il le faut écouter. Salut, Monsieur. Le Ciel perde qui vous veut nuire, Et vous soit favorable autant que je désire. Ce doux début s’accorde avec mon jugement, Et présage déjà quelque accommodement. Toute votre Maison m’a toujours été chère, Et j’étais serviteur de Monsieur votre Père. Monsieur, j’ai grande honte, et demande pardon, D’être sans vous connaître, ou savoir votre nom. Je m’appelle Loyal, natif de Normandie, Et suis Huissier à Verge, en dépit de l’Envie. J’ai depuis quarante ans, grâce au Ciel, le bonheur D’en exercer la Charge avec beaucoup d’honneur ; Et je vous viens, Monsieur, avec votre licence, Signifier l’Exploit de certaine Ordonnance. Quoi ! vous êtes ici…         Monsieur, sans passion, Ce n’est rien seulement qu’une Sommation, Un ordre de vider d’ici, vous, et les vôtres, Mettre vos meubles hors, et faire place à d’autres, Sans délai, ni remise, ainsi que besoin est... Moi, sortir de céans ?         Oui, Monsieur, s’il vous plaît. La Maison à présent, comme savez de reste, Au bon Monsieur Tartuffe appartient sans conteste. De vos biens désormais il est Maître, et Seigneur, En vertu d’un Contrat duquel je suis Porteur. Il est en bonne forme, et l’on n’y peut rien dire. Certes, cette impudence est grande, et je l’admire. Monsieur, je ne dois point avoir affaire à vous ; C’est à Monsieur, il est, et raisonnable, et doux, Et d’un Homme de bien il sait trop bien l’office, Pour se vouloir du tout opposer à Justice. Mais…         Oui, Monsieur, je sais que pour un million Vous ne voudriez pas faire rébellion ; Et que vous souffrirez en honnête Personne, Que j’exécute ici les ordres qu’on me donne. Vous pourriez bien ici, sur votre noir jupon, Monsieur l’Huissier à Verge, attirer le bâton. Faites que votre Fils se taise, ou se retire, Monsieur ; j’aurais regret d’être obligé d’écrire, Et de vous voir couché dans mon Procès-verbal. Ce Monsieur Loyal porte un air bien déloyal ! Pour tous les Gens de bien, j’ai de grandes tendresses, Et ne me suis voulu, Monsieur, charger des Pièces, Que pour vous obliger, et vous faire plaisir ; Que pour ôter, par là, le moyen d’en choisir, Qui n’ayant pas pour vous le zèle qui me pousse, Auraient pu procéder d’une façon moins douce. Et que peut-on de pis, que d’ordonner aux Gens De sortir de chez eux ?         On vous donne du temps, Et jusques à demain, je ferai surséance À l’exécution, Monsieur, de l’Ordonnance. Je viendrai seulement passer ici la nuit, Avec dix de mes Gens, sans scandale, et sans bruit. Pour la forme, il faudra, s’il vous plaît, qu’on m’apporte, Avant que se coucher, les clefs de votre Porte. J’aurai soin de ne pas troubler votre repos, Et de ne rien souffrir qui ne soit à propos. Mais demain du matin, il vous faut être habile À vider de céans jusqu’au moindre ustensile. Mes Gens vous aideront ; et je les ai pris forts, Pour vous faire service à tout mettre dehors. On n’en peut pas user mieux que je fais, je pense ; Et comme je vous traite avec grande indulgence, Je vous conjure aussi, Monsieur, d’en user bien, Et qu’au dû de ma Charge on ne me trouble en rien. Du meilleur de mon cœur, je donnerais sur l’heure Les cent plus beaux Louis de ce qui me demeure, Et pouvoir à plaisir, sur ce mufle asséner Le plus grand coup de poing qui se puisse donner. Laissez, ne gâtons rien.         À cette audace étrange, J’ai peine à me tenir, et la main me démange. Avec un si bon dos, ma foi, Monsieur Loyal, Quelques coups de bâton ne vous siéraient pas mal. On pourrait bien punir ces paroles infâmes, Mamie, et l’on décrète aussi contre les Femmes. Finissons tout cela, Monsieur, c’en est assez ; Donnez tôt ce papier, de grâce, et nous laissez. Jusqu’au revoir. Le Ciel vous tienne tous en joie. Puisse-t-il te confondre, et celui qui t’envoie ! Hé bien, vous le voyez, ma Mère, si j’ai droit ; Et vous pouvez juger du reste, par l’Exploit. Ses trahisons enfin, vous sont-elles connues ? Je suis toute ébaubie, et je tombe des nues. Vous vous plaignez à tort, à tort vous le blâmez, Et ses pieux desseins, par là, sont confirmés. Dans l’amour du Prochain, sa vertu se consomme, Il sait que très souvent les biens corrompent l’Homme ; Et par charité pure, il veut vous enlever Tout ce qui vous peut faire obstacle à vous sauver. Taisez-vous ; c’est le mot qu’il vous faut toujours dire. Allons voir quel conseil on doit vous faire élire. Allez faire éclater l’audace de l’Ingrat. Ce procédé détruit la vertu du Contrat ; Et sa déloyauté va paraître trop noire, Pour souffrir qu’il en ait le succès qu’on veut croire. Avec regret, Monsieur, je viens vous affliger ; Mais je m’y vois contraint par le pressant danger. Un Ami qui m’est joint d’une amitié fort tendre, Et qui sait l’intérêt qu’en vous j’ai lieu de prendre, A violé pour moi, par un pas délicat, Le secret que l’on doit aux affaires d’État, Et me vient d’envoyer un avis dont la suite Vous réduit au parti d’une soudaine fuite. Le Fourbe, qui longtemps a pu vous imposer, Depuis une heure, au Prince a su vous accuser, Et remettre en ses mains, dans les traits qu’il vous jette, D’un Criminel d’État, l’importante Cassette, Dont au mépris, dit-il, du devoir d’un Sujet, Vous avez conservé le coupable secret. J’ignore le détail du crime qu’on vous donne, Mais un Ordre est donné contre votre personne ; Et lui-même est chargé, pour mieux l’exécuter, D’accompagner celui qui vous doit arrêter. Voilà ses droits armés, et c’est par où le Traître, De vos biens qu’il prétend, cherche à se rendre maître. L’Homme est, je vous l’avoue, un méchant Animal ! Le moindre amusement vous peut être fatal. J’ai, pour vous emmener, mon Carrosse à la Porte, Avec mille Louis qu’ici je vous apporte. Ne perdons point de temps, le trait est foudroyant, Et ce sont de ces coups que l’on pare en fuyant. À vous mettre en lieu sûr, je m’offre pour conduite, Et veux accompagner, jusqu’au bout, votre fuite. Las ! que ne dois-je point à vos soins obligeants ? Pour vous en rendre grâce, il faut un autre temps ; Et je demande au Ciel, de m’être assez propice, Pour reconnaître un jour ce généreux service. Adieu, prenez le soin vous autres…         Allez tôt ; Nous songerons, mon Frère, à faire ce qu’il faut. Tout beau, Monsieur, tout beau, ne courez point si vite, Vous n’irez pas fort loin, pour trouver votre gîte, Et de la part du Prince, on vous fait prisonnier. Traître, tu me gardais ce trait pour le dernier. C’est le coup, Scélérat, par où tu m’expédies, Et voilà couronner toutes tes perfidies. Vos injures n’ont rien à me pouvoir aigrir, Et je suis, pour le Ciel, appris à tout souffrir. La modération est grande, je l’avoue. Comme du Ciel, l’Infâme, impudemment se joue ! Tous vos emportements ne sauraient m’émouvoir, Et je ne songe à rien, qu’à faire mon devoir. Vous avez de ceci, grande gloire à prétendre, Et cet emploi pour vous, est fort honnête à prendre. Un emploi ne saurait être que glorieux, Quand il part du pouvoir qui m’envoie en ces lieux. Mais t’es-tu souvenu que ma main charitable, Ingrat, t’a retiré d’un état misérable ? Oui, je sais quels secours j’en ai pu recevoir ; Mais l’intérêt du Prince est mon premier devoir ! De ce devoir sacré, la juste violence Étouffe dans mon cœur toute reconnaissance ; Et je sacrifierais à de si puissants nœuds, Ami, Femme, Parents, et moi-même avec eux. L’Imposteur !         Comme il sait, de traîtresse manière, Se faire un beau manteau de tout ce qu’on révère ! Mais s’il est si parfait que vous le déclarez, Ce zèle qui vous pousse, et dont vous vous parez ; D’où vient que pour paraître, il s’avise d’attendre, Qu’à poursuivre sa Femme, il ait su vous surprendre ? Et que vous ne songez à l’aller dénoncer, Que lorsque son honneur l’oblige à vous chasser ? Je ne vous parle point, pour devoir en distraire, Du don de tout son bien qu’il venait de vous faire : Mais le voulant traiter en coupable aujourd’hui, Pourquoi consentiez-vous à rien prendre de lui ? Délivrez-moi, Monsieur, de la criaillerie, Et daignez accomplir votre Ordre, je vous prie. Oui, c’est trop demeurer, sans doute, à l’accomplir. Votre bouche à propos m’invite à le remplir ; Et pour l’exécuter, suivez-moi tout à l’heure Dans la Prison qu’on doit vous donner pour demeure. Qui, moi, Monsieur ?     Oui, vous.         Pourquoi donc la Prison ? Ce n’est pas vous à qui j’en veux rendre raison. Remettez-vous, Monsieur, d’une alarme si chaude. Nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude, Un Prince dont les yeux se font jour dans les cœurs, Et que ne peut tromper tout l’art des Imposteurs. D’un fin discernement, sa grande âme pourvue, Sur les choses toujours jette une droite vue, Chez elle jamais rien ne surprend trop d’accès, Et sa ferme raison ne tombe en nul excès. Il donne aux Gens de bien une gloire immortelle, Mais sans aveuglement il fait briller ce zèle, Et l’amour pour les vrais, ne ferme point son cœur À tout ce que les faux doivent donner d’horreur. Celui-ci n’était pas pour le pouvoir surprendre, Et de pièges plus fins on le voit se défendre. D’abord il a percé, par ses vives clartés, Des replis de son cœur, toutes les lâchetés. Venant vous accuser, il s’est trahi lui-même, Et par un juste trait de l’équité suprême, S’est découvert au Prince un Fourbe renommé, Dont sous un autre nom il était informé ; Et c’est un long détail d’actions toutes noires, Dont on pourrait former des Volumes d’Histoires. Ce Monarque, en un mot, a vers vous détesté Sa lâche ingratitude, et sa déloyauté ; À ses autres horreurs, il a joint cette suite, Et ne m’a, jusqu’ici, soumis à sa conduite, Que pour voir l’impudence aller jusques au bout, Et vous faire, par lui, faire raison de tout. Oui, de tous vos papiers, dont il se dit le maître, Il veut qu’entre vos mains, je dépouille le Traître. D’un souverain pouvoir il brise les liens Du Contrat qui lui fait un don de tous vos biens, Et vous pardonne enfin cette offense secrète Où vous a, d’un Ami, fait tomber la retraite ; Et c’est le prix qu’il donne au zèle qu’autrefois On vous vit témoigner, en appuyant ses droits ; Pour montrer que son cœur sait, quand moins on y pense, D’une bonne action verser la récompense ; Que jamais le mérite, avec lui, ne perd rien, Et que mieux que du mal, il se souvient du bien. Que le Ciel soit loué !         Maintenant je respire. Favorable succès !         Qui l’aurait osé dire ? Hé bien, te voilà, Traître…         Ah ! mon Frère, arrêtez, Et ne descendez point à des indignités. À son mauvais destin laissez un misérable, Et ne vous joignez point au remords qui l’accable. Souhaitez bien plutôt, que son cœur, en ce jour, Au sein de la Vertu fasse un heureux retour ; Qu’il corrige sa vie, en détestant son vice, Et puisse du grand Prince adoucir la justice ; Tandis qu’à sa bonté vous irez à genoux, Rendre ce que demande un traitement si doux. Oui, c’est bien dit ; allons à ses pieds, avec joie, Nous louer des bontés que son cœur nous déploie : Puis acquittés un peu de ce premier devoir, Aux justes soins d’un autre, il nous faudra pourvoir ; Et par un doux hymen, couronner en Valère, La flamme d’un Amant généreux, et sincère.