J’aime l’éclat des Françaises, L’air fripon des Milanaises, La fraîcheur des Hollandaises, Le port noble des Anglaises ; Allemandes, Piémontaises, Toutes m’enivrent d’amour, Et m’enflamment tour tour !... Mais mon aimable Jeanette Est si belle, si bien faite, Qu’elle fait tourner la tête ; Elle enchante tous les yeux, Elle est l’objet de mes voeux. J’aime l’éclat, etc. Je l’aperçois avec mon jeune maître... Comme elle lui parle avec agitation !... En serait-elle amoureuse ?... Éloignons-nous pour m’en éclaircir. Oui, ma chère Jeanette, je ne dois plus vous cacher la vive impression que vous avez fait sur mon coeur ! Vos manières, votre maintien, votre figure charmante, tout annonce en vous une naissance distinguée. Monsieur, vos bontés me rendent confuse : je ne mérite point votre affection. Oubliez-vous ce que vous êtes, et ignorez-vous ce que je suis ? Je sais que vous êtes orpheline : je n’ignore point que notre fermière vous a élevée comme sa propre fille, et que depuis sa mort mon père prend soin de vous, mais je veux vous affranchir d’une condition obscure, et vous élever au sort le plus heureux si vous daignez approuver mon amour. Que dites-vous, Monsieur, quel est votre dessein ? Eh comment puis-je me flatter d’être aimée d’une personne de votre rang ; non, je ne le croirai jamais : ce serait trop vous abaisser. Moi, m’abaisser en vous aimant ! Ah rendez-vous plus de justice, et ne vous offensez point d’un aveu si légitime. Quand je vous vois, Jeannette, Quelle flamme secrète De moi vient s’emparer ! Je tremble votre vue, Je sens mon âme émue, Et n’ose soupirer. Ô Dieux ! Quel trouble me saisit. Aurais-je le malheur de vous déplaire ? Je ne sais que lui répondre... Adieu Monsieur. Quoi, vous me fuyez... Je ne puis rester plus longtemps avec vous. Ô Ciel ! Que vois-je ? Ne me quittez point avec tant de rigueur, et soyez sensible à la flamme que vous m’inspirez. Ah mon frère ! La déclaration est touchante. Je ne me serais jamais doutée que Jeannette fut l’objet de vos amours. Je suis perdue ! Ne rougissez-vous point de votre faiblesse. Non ma soeur : vous en êtes témoin, j’adore Jeannette, et je me fais gloire de le publier. Comment, une fille inconnue ?... Je vais en instruire mon père. Je ne crains point vos menaces, et je saurai moi-même le lui apprendre. Ah Madame, pourriez vous croire... Taisez-vous et sortez. Non, Jeannette, demeurez avec moi. Ah ! Quel indigne outrage ! Le dépit et la rage S’emparent de mon coeur ! Ce n’est plus un mystère. Jeannette a su vous plaire, Non, je ne puis mon frère Souffrir ce déshonneur. Que le courroux de ma soeur ne vous alarme point. Hélas ! Que pensera de moi Monsieur le Baron ? Mon père me chérit et vous estime : il sera touché de mon amour et consentira que vous soyez mon épouse. Moi, votre épouse ! Le voici : je vais le prévenir. Je vous cherchais, mon fils... Ah vous voila Jeannette... Quel embarras ! Ah mon père, j’ai une grâce à vous demander. J’ai suspendu pour quelque temps votre départ pour votre régiment... J’implore en ce moment votre bonté paternelle. Un Seigneur de mes voisins veut s’allier ma famille, et... C’est de vous seul que dépend mon bonheur. En un mot il vous destine sa fille : c’est un parti considérable, et son alliance m’honore. Il me destine sa fille !... Mais mon père... Quel contretemps ! Comment, cela t’afflige : parbleu j’aurai la plus grande joie de te voir marié avant que tu partes pour l’armée. Je suis veuf, il ne me reste plus que ta soeur établir, et je veux que mes petits enfants me dédommagent de ton absence. Mais vous n’avez pas encore donné votre parole. L’affaire est décidée, et demain nous passons le contrat. Demain... Ô ciel ! Avant de vous engager, il fallait du moins consulter mon coeur : non, je ne puis y consentir. Une fille adorable M’enflamme dès ce jour ; Ah ! Soyez favorable Au tourment qui m’accable, Voyez l’objet aimable, Pour qui je meurs d’amour. Quoi, Jeannette ! Mon fils, y pensez-vous ? Oui, je ne respire que pour elle. Ah le petit effronté ! Je vous ai dit mes intentions, éloignez-vous de ma présence et songez m’obéir. Vous, Jeannette, demeurez. Je suis au désespoir ! Que son imprudence me chagrine ! Il en est amoureux, il faut que je m’explique avec elle. Jeannette, nous sommes seuls, parlez moi sans détour.... Auriez-vous quelque penchant pour Florival, seriez-vous sensible la folle tendresse de ce jeune étourdi ? Moi, Monsieur !en auriez-vous quelque soupçon ? Non, non, ma belle enfant, je ne l’imagine point, mais vous n’ignorez pas combien vous m’êtes chère. Vous me comblez chaque jour de nouveaux bienfaits. Depuis que vous êtes chez moi, j’exige que l’on vous rende autant d’égards qu’à moi-même. Je ne les mérite pas. Je n’en fais pas encore assez, mais je crois que vous devez m’aimer par reconnaissance. Ah ! Monsieur, tant que je vivrai. Eh bien, pour vous prouver combien j’y suis sensible, je veux vous donner un époux riche, de bonne maison, et qui n’est ni trop jeune, ni trop vieux. Quel est donc cet époux ? C’est moi, belle Jeannette ! Oui, c’est moi-même qui depuis longtemps soupire pour vous, et j’ai résolu de vous prendre pour ma femme. Pour votre femme ! Vous paraissez surprise ! Comment ? Ne seriez-vous point charmée de devenir Baronne ? Je respecte en vous mon maître, Je me plais à vous servir : Mais c’est trop vous méconnaître, Votre amour me fait rougir. Je suis une infortunée, Ignorant sa destinée... Ah ! Monsieur, quelle pensée ! Laissez-moi plutôt vous fuir. Elle me quitte avec indifférence, et ses beaux yeux sont baignés de larmes : mais enfin, elle sait que je l’aime, cela me donne quelque espoir. Il s’agit à présent de marier mon fils au plutôt, ou de le faire partir pour son régiment, il n’aura plus la liberté de voir Jeannette, et je l’épouserai sans crainte... Cependant si mon âge lui donne quelque répugnance, malgré les droits que j’ai sur elle, est-il en mon pouvoir de forcer sa volonté ? Il est vrai, je suis son maître, Mais son époux, il n’en est rien. Eh comment me le promettre ?... Imaginons un moyen... Ah ! Que faire !... Je n’en sais rien. Oh ! Oh ! Je croyais trouver encore ici Jeannette ! Elle n’y est plus. Où peut-elle être présent. Je la cherche partout et je m’impatiente, il faut cependant que je lui déclare mon amour, cela me pèse trop sur le coeur.... Mais voici Zerbine ; peste soit de l’importune ! Qu’elle vient ici mal propos. Bonjour Fabrice. Serviteur. Comme tu parais fier ! Quel ton brusque et méprisant ! Eh ! Dis moi donc, que t’ai-je fait pour me recevoir de la sorte ? Depuis quelque temps tu me fais sans cesse, et tu daignes peine me regarder.Ne suis-je pas toujours ta fidèle Zerbine ; hélas ! Ne m’aimerais-tu plus. Eh ! Que sais-je ; cela pourrait bien être. Ingrat ! As-tu donc oublié toutes les promesses que tu m’as fait tant de fois. Non : je m’en souviens encore, mais je n’y pense plus. Pourquoi m’as-tu trompée ? Oh dame, je ne sais qui faire : c’est que j’ai changé de sentiment. Ah traître ! Crois-tu que j’ignore que tu m’abandonnes pour Jeannette ! Que ne puis-je changer comme toi et me venger de ta perfidie. Eh bien, prends un autre amoureux, je te le permets. Non : je ne veux aimer que toi. L’amour m’enflamme, Sa vive flamme Brûle mon âme ; Mais ton outrage Est mon partage, Ton coeur volage M’ose trahir. Tiens, oublie moi tout fait et nous serons d’accord. Hélas ! Il n’est plus en mon pouvoir. La tourterelle Est mon modèle : J’aime comme elle. On la délaisse, De sa tendresse Elle a sans cesse Le souvenir. Enfin m’en voilà débarrassé : mais je vois venir Clarisse avec le Vicomte, allons chercher partout ma belle Jeannette. Ah ! Monsieur, si vous vous intéressez l’honneur de ma famille, et si vous avez pour elle quelque considération, vous m’en donnerez une preuve dès ce moment. Je vous ai tout appris : je sais combien vous avez de crédit sur l’esprit de mon père ; il faut absolument que vous l’engagiez renvoyer d’ici Jeanette, je veux qu’elle en sorte avant la fin du jour. Ah ! Madame, qu’exigez-vous de moi ? Ce serait une tyrannie. Vous voulez faire le malheur de cet aimable enfant, parce que votre frère a du penchant pour elle. Réfléchissez de grâce sur la démarche que vous me proposez, et soyez moins inhumaine. Je crois que cette jeune fille ne mérite point le mépris dont vous l’accablez. Quoi qu’il en soit, Monsieur, je vous prie de me rendre ce service auprès de mon père : je ne vous demande là-dessus aucune réflexion : que je fasse bien ou mal, cela me convient, et je le veux ainsi ; adieu. Non je ne me prêterai jamais à une action si injuste. Je m’intéresse, Et j’y songe sans cesse ; Ses grâces, sa jeunesse Ont attendri mon coeur ; Tout parle en sa faveur. Hélas ! Quel trouble m’agite ! Clarisse en vain s’irrite ! Je veux la protéger, Je ne puis l’affliger. Je ne sais quel parti prendre... que de malheurs je prévois ! Comment les éviter ! Monsieur le Baron veut que je l’épouse et son fils plus dangereux encore, a conçu le projet de m’enlever. Que vais-je devenir! Je viens de disposer tout pour notre départ... Non Monsieur, ne persistez plus dans votre dessein : la pudeur et la bienséance me défendent de vous suivre. Ah ! Si je vous étais plus cher, vous n’hésiteriez point. Vous me pressez en vain, laissez-moi : votre père va nous surprendre. Je brave sa colère. Vous me faites frémir : éloignez-vous. Quoi, vous me l’ordonnez ? Oui, je l’exige en ce moment. Eh bien, cruelle, je vous laisse : adieu, vous ne me verrez plus. Mais que fais-je ! Dois-je l’abandonner ? La céder mon père ! Non : cet effort coûte trop mon coeur. Je ne puis vous quitter. Ah ! Quel effroi m’agite ! Hélas ! Mon coeur palpite ; Cessez de soupirer : Il faut nous séparer. Ah suivez sans crainte, un tendre amant qui va devenir votre époux ! Non jamais, sans l’aveu de votre père. Mon père est mon rival et nous n’avons plus d’espoir. Consentez me suivre ou me voir mourir vos yeux. Téméraire ! Dieux ! Mon père. C’en est assez modérez-vous, et calmez votre frénésie amoureuse : je viens de rompre le mariage qu’on vous proposait ; votre jeunesse m’a servi d’excuse : ainsi dès demain vous irez rejoindre votre régiment. Je partirai : mais si j’osais vous supplier... Je n’écoute plus rien : prenez congé de Jeannette, et partez. Quel adieu funeste ! Ah Jeannette ! Cet amour qui vous engage D’un guerrier plein de courage, Doit-il être le partage ? Il est indigne de vous. Et vous petite innocente, Soyez moins compatissante Croyez-vous que je consente Qu’il devienne votre époux ? Non je ne veux rien entendre, Ne pensez point me surprendre ; À mon ordre il faut se rendre, Craignez mon juste courroux. Il me ravit tout ce que j’aime, et il faut encore que je me contraigne malgré moi ! Ô ciel ! Dois-je obéir cet ordre barbare ! On nous sépare. Quel affreux désespoir de mon âme s’empare ! Je ne résiste plus au trouble qui me presse. Non je n’écoute plus ni respect, ni tendresse. Le dépit, la colère, Me rendent téméraire ! Une vertu guerrière : Fait bouillonner mon sang. Rien ne m’arrête. On m’enlève Jeannette ! Oui, je suis intrépide. La vengeance me guide. Je combattrai, j’aurai la gloire De remporter la victoire, Et Jeannette bientôt me verra triomphant. À la tête d’une armée Oui je vais paraître ses yeux. Par la flamme ou par l’épée, Je veux détruire ces lieux. Armons nous, prenons courage ; Dans la mort, dans le carnage, Que tout ressente ma rage !... J’ai déjà tout l’avantage : Jeannette enfin est moi ! Cher objet qu’ici j’implore, Calme un feu qui me dévore Du vainqueur reçois la foi... Mais que faire quoi ! Loin d’elle ! On veut me ravir ma belle, Dieux ! Quelle frayeur mortelle ! Je ne puis vivre sans elle Qu’on la rende son amant ! Quel supplice ; quel tourment. Toute la maison est en désordre pour Jeannette, et on ne sait plus qui entendre : mais voici Fabrice, il a l’air tout affligé ; il ne me voit pas, épions-le et écoutons ce qu’il va dire. Ô disgrâce imprévue ! On va renvoyer Jeannette, et elle doit sortir d’ici avant la fin du jour : non, je ne souffrirai point qu’elle s’en aille toute seule, et je m’enfuirai avec elle sans que personne s’en aperçoive. M’y voila tout résolu, allons la trouver. Enfin me voila bien convaincue de son infidélité. Le traître veut s’enfuir avec Jeannette, mais je l’en empêcherai ; je vais en avertir Monsieur le Baron ; il faut que je me venge du tour que Fabrice veut me jouer. Ah ! Qu’une fille est malheureuse de s’attacher à un amant volage ! Gentilles fillettes Craignez les fleurettes Et méfiez-vous des amants trompeurs. Ils ont un air tendre, C’est pour vous surprendre ; Cherchez à défendre Vos faibles coeurs. Loin de vous rendre À leurs douceurs, Il faut défendre Vos faibles coeurs. Que ma situation est cruelle ! C’est endurer trop de tourments la fois! Ciel ! Où vais-je ? Je frissonne ! Mon courage m’abandonne ! Du malheur qui m’environne, Rien ne peut me garantir. Ah ! Dissipez vos alarmes ! Je suis épris de vos charmes, Ne répandez plus de larmes, Je viens pour vous secourir. Ah ! C’est vous : pourquoi me plaindre ! Je vous aime, j’ai tout à craindre ! Mais écoutons...         Non, ce n’est rien. Dieux ! Quel bruit !         Oui je l’entends bien. Il me semble qu’il redouble Ah ! Que va-t-il arriver Il vaudrait mieux nous sauver. Je vous aime.         Je me trouble ! Mais le bruit toujours redouble. Nos Maîtres sont en courroux Je vais m’enfuir avec vous. Quelle peine me tourmente ! Mais cette fille charmante. Je ne cesse d’y songer Je ne saurais l’affliger. L’ingrat le parjure ! Voyez quelle injure. La belle Jeannette Cette fille honnête Qu’ici chacun fête S’en fait en cachette : C’est avec Fabrice. Ah ! Quelle malice ! Je suis au supplice, De son artifice Il faut le punir. Qu’entends-je ! Cruelle ! Eh ! Pourquoi me fuir ? Jeannette ! Infidèle ! Ah quel embarras ! Courons sur leurs pas. Quel malheur ! Quelle disgrâce ! Que Jeannette obtienne grâce. Oui je veux quoique l’on fasse, L’adorer jusqu’au trépas ! Ah ! Quelle aventure L’ingrat le parjure, etc. Qu’entends-je ! Cruelle ! Eh pourquoi me fuir ! Jeannette ! Infidèle ! Ah !quel embarras, Courons sur leurs pas. Mais où peut-elle être ! Fabrice, le traître, Ô ciel !     Mon père !         Que faire ? Ils ont pris la fuite. Mon coeur se dépite. L’ingrate me quitte Courons sur ses pas. Quel est donc tout ce tapage ? Qui cause tant de ravage ? Je vois sur chaque visage, Les signes de la douleur. Ah ma fille !         Quel outrage ! J’en étouffe !         J’en enrage. Je sens déchirer mon coeur ! Ah ! Quel dessein malhonnête Dans l’instant j’ai vu Jeannette, Avec Fabrice le traître Hélas pourriez-vous permettre Cette noire trahison ! Quelle ruse, quelle audace ! Et quelle âme vile et basse ! Il faut en avoir raison. Punissons ce téméraire. Les transports de la colère Me font perdre la raison ! Hélas ! Que faire ! Dans cette affaire, Je désespère ; Ah pauvre hère, Où me cacher ! Chère maîtresse, Quelle détresse ! Chacun s’empresse À te chercher, Quelle tristesse Où me cacher! Te voila traître !         Perfide arrête ! Rends-nous Jeannette ! Rends-moi, fripon, l’objet de mon amour. Ou dans l’instant, tu va perdre le jour. Modérez ce transport ! Quel triste sort ! Ah je suis mort ! Soyez plus doux Plus de courroux ! Ah ! Par pitié, Monsieur, modérez vous ! Ah ! Quel nouveau malheur ! Quel sort plein de rigueur ! Jeannette va mourir Venez la secourir Elle succombe sa douleur ! Que rien ne nous arrête, Volons près de Jeannette, Et calmons sa douleur ! Ah laissez moi, de grâce, Je cède ma disgrâce, Je veux quoique l’on fasse, Terminer mon malheur. Calmez votre tristesse ! Votre sort m’intéresse, N’ayez plus de souci. Elle est enfin ici. Ah ! Vous voilà perfide Quel sentiment vous guide ? Je ne suis point perfide Mais la pitié me guide, Je dois agir ainsi. Mais par quelle injustice Me quitter pour Fabrice ? Ah ! S’il est vrai qu’il l’aime Mon malheur est extrême ! Oui tout cet artifice Est digne de Fabrice. Je demeure interdite ! Ne blâmez point ma fuite : Je déteste ces lieux, Ils me sont odieux ! Justes dieux ! Si l’on m’accuse... Point d’excuse. Elle est sage. Je la hais !         Ciel quel outrage ! Quel affront !         Je perds courage. Que mon destin malheureux, Touche votre âme. Ingrate !     Par pitié !         Mon coeur s’enflamme ! Quel mépris, quelle injustice ! Quel supplice ! Ah ! C’est trop me faire souffrir. Ah ! quel trouble ! Quel délire ! Je m’égare je soupire ! Ce que mon âme désire, Ne saurait se définir. Ah mon fils ! Jeannette s’est sauvée de la maison : je suis dans la plus grande inquiétude. Elle s’est sauvée ! Quoi, toute seule ? Non mon frère rassurez-vous : son cher amant Fabrice votre digne rival l’accompagne dans sa fuite ainsi n’en soyez plus en peine l’un et l’autre, et si vous m’en croyez présent, vous ne vous disputerez plus la conquête de cette charmante Hélène. Ce procédé me révolte. Je la méprise autant que je l’aimais. Oh ! Vous avez raison, elle ne mérite aucune pitié. Avec son air d’innocence, avoir autant d’effronterie ? Mais je devrais l’oublier, et j’y pense toujours malgré moi ! Ah ! Croyez moi mon frère, Suivez votre carrière. Qu’une vertu guerrière Enflamme votre sang : Ayez moins de tendresse Une telle faiblesse, Dégrade votre rang. Oui : c’en est fait, je me rends aux conseils de ma soeur. Mon parti est pris : je vais abandonner ces lieux. Jeannette ne méritait point mon coeur : elle a trahi mon amour, je veux pour jamais la bannir de ma pensée, et toute mon envie est d’aller rejoindre mon régiment. J’entends le bruit des armes ; Amour je fuis tes charmes : Sans craintes, sans alarmes J’ose braver tes traits. Oui la gloire m’appelle, Je ne veux suivre qu’elle, Je quitte une infidèle Et je pars sans regrets. Oh ! Pour le coup, Fabrice ne m’attend pas ici. Le stratagème dont je vais me servir, l’empêchera de suivre Jeanette. Ah ! Pauvre Zerbine ! Quel détour te faut-il employer ! L’amour soutient mon espérance : Dans ces bois je viens en silence, Suivre les pas d’un inconstant. Malgré le soupçon qui me blesse, Hélas ! Je sens que ma tendresse, Pour lui redouble chaque instant, Ah ! Quand on attend ce qu’on aime, On éprouve un plaisir extrême Mais le coeur n’est jamais content. J’aperçois Fabrice, il faut que je le surprenne. Comment ! C’est toi Zerbine ! Oui, c’est moi même ; je viens comme toi me promener dans cette campagne. La fâcheuse rencontre ! Tu parais embarrassé de me voir.... Aurais-tu donné quelque rendez-vous Jeannette ? Oh ! Ne te gêne point mon ami, et va la trouver, je serais désolée de porter aucun ombrage aux inclinations de Monsieur Fabrice. De quoi te mêles-tu ? Je n’ai que faire de tes conseils. Je ne le vois que trop pour mon malheur. Tiens, tu feras mieux de me laisser tranquille... Elle ne s’en ira point. Ah, tu le prends sur ce ton ! Eh bien adieu... Cependant avant de te quitter, je suis bien aise de t’avertir de quelque chose qui me fait de la peine pour toi. Je ne veux pas le savoir. À la bonne heure. Mais s’il t’arrive quelque fâcheux événement, quelque désastre ! Que-sais-je ! Oh ce ne sera pas ma faute, adieu, adieu. Que veux-tu dire, attends. Eh non, tu ne veux rien savoir. Quel est donc ce désastre, explique toi ? C’est une bagatelle, et tu n’as rien craindre. Si Monsieur le Baron te fait chercher partout pour te faire assommer, il est inutile que tu le saches ; d’ailleurs Monsieur Fabrice est un garçon si spirituel et si avisé qu’il évitera lui-même l’orage qui menace son dos... Oh tu n’en sauras pas davantage, fais ce que tu voudras, et console-toi avec Jeannette. Ah ma chère Zerbine, écoutes moi, ne m’abandonnes pas, parles pour moi Monsieur le Baron. Je suis donc présent ta chère Zerbine ? Eh bien il te faut renoncer à Jeannette, si tu veux que je te rende ce service. Oh ! Je te le promets. Jure moi donc de m’être toujours fidèle et de n’ai-mer que moi : mais... Que vois-je !... Tu soupires... Et tu n’oses point me regarder ? Dis-moi seulement une tendre parole qui m’assure de ton amour. Allons, voila qui est fait : je ne pense plus à Jeannette, et je te rends mon coeur. Je dirai sans cesse Que cette finesse, Toujours m’intéresse : Que ta gentillesse Ton air de noblesse ; Sont dignes ma foi, De charmer un Roi. Je fais la promesse De n’aimer que toi. Ah ! Quelle allégresse ! Quelle douce ivresse, Reçois ma tendresse, Oui je veux sans cesse, Ne penser qu’à toi. Si l’amour t’engage, Ne sois plus volage, Rends moi ton hommage Donne moi ta foi ; Zerbine est à toi. Reçois ma tendresse. Je te rends ma foi. Oui je veux sans cesse, Ne penser qu’à toi. Ah ! Je jouis de ma liberté ! Mais... que dis-je ?.. Me voila seule... Sans appui... Sans secours... Et j’ignore où ma destinée me conduit... Hélas !... Errante dans ces lieux champêtres, j’y trouverai sans doute une retraite où l’innocence n’est point opprimée ?... Enfin me voilà délivrée de la persécution ! Restons dans cet asile : Je pourrai vivre ici tranquille. Sans peine, J’y braverai la haine. Ah ! Malheureuse ! On m’insulte sans cesse ! Une maîtresse Sans égard me menace, Et ma disgrâce Ne peut toucher personne. Florival m’abandonne. Son père inexorable, Me croit coupable. Ah, viens amant barbare ! Calme le trouble ou mon âme s’égare... Ô dieux ! qu’entends-je ? Est-ce lui qui m’appelle ? Ah ! Je chancelle... Il me croit infidèle... Il me méprise, et mon coeur le regrette ! Pauvre Jeannette ! Mais ; quel espoir m’arrête ? Ah parjure ! Ah je t’aime encore ! Cher amant que j’implore Devrais-tu me mépriser ? Oui parjure, je t’abhorre ! Quelle peine me dévore ! Quelle honte d’y penser! Pour jamais fuyons ce traître ; Sans qu’on puisse me connaître Je veux habiter ces lieux : Cachons nous tous les yeux. Vous voilà satisfaite, Madame : Jeannette a quitté votre maison ; elle n’y causera plus de désordre. Excusez-moi si je m’entretiens encore avec vous de cette infortunée, sa situation me touche et je ne saurais y penser sans émotion. Vous prenez encore sa défense ! En vérité Mon- sieur, vous avez bonne grâce la justifier après- tout ce qu’elle a fait. Mais que peut-on lui reprocher ? Elle a mis le trouble et la confusion dans toute ma famille. Dites plutôt qu’elle en est la victime. Une fille de son état, oser prétendre la main de mon frère, et qui plus est, avoir la coquetterie de vouloir inspirer de l’amour mon père et même à Fabrice, avec lequel elle s’est sauvée sans aucun mystère ; mais, qu’est-ce que j’entends ? Oui : c’est toi seul fils ingrat qui est la cause de la fuite de Jeannette. C’est tort qu’on l’accuse d’aimer Fabrice, tu voulais l’enlever de chez moi !... Moi, mon père ! Toi même : éloigne-toi de ma présence... Ah mon cher Vicomte, sauriez-vous en quel lieu elle pourrait être ? Je l’ignore, et je voudrais le savoir ; mais je vais mettre tout en usage pour le découvrir, et si je la retrouve je vous promets de la ramener chez vous. Vous me rendrez la vie. Quel est votre dessein ? Je n’ai point de compte vous rendre. Allez, courrez, qu’on la ramène. Je veux réparer vis-à-vis d’elle mon injustice. Oh ! Tout ceci est une énigme pour moi. Ah ! Mon père, permettez-moi de me justifier, et ne m’accablez point de votre indignation. Non : tu m’as trop offensé : je ne veux jamais te revoir. Écoutez une seule parole. Non, pars d’ici tout l’heure, et ne m’irrite pas davantage. Quel malheur m’environne ! Pouvais-je le prévoir. Mon père m’abandonne... Je frémis je frissonne, Je suis au désespoir ! À quoi donc me résoudre ? Je n’attends que la foudre Pour finir mes tourments, Je l’attends !... Si vous m’aimez, mon père, Calmez votre colère, De moi prenez pitié : Accordez-moi, mon père Un regard d’amitié. Mais ma prière est vaine, Son âme est inhumaine, Tout redouble ma peine, Je suis au désespoir ! Oh ! Qu’il parte de chez moi sans différer ! Il n’abusera plus de mes bontés. Qu’avez-vous donc, Monsieur! Ah ! Zerbine, la colère me suffoque ; mon fils et Jeannette me font mourir de chagrin. Ah ! Mon cher maître, vous n’êtes pas le seul plaindre. Comment ? Que t’est-il arrivé ? Ah ! Monsieur, vous me voyez prête expirer de douleur. Mais, qu’as-tu donc ? Qui te fait pleurer de la sorte. Un traître, un lâche, un perfide !... Il vient de me faire le plus tendre serment, et dans le même instant m’abandonne pour une autre. Voilà comme sont les amants : ils dédaignent toujours un coeur qui leur appartient et ne sont jaloux d’obtenir que celui qu’on leur refuse. Sans orgueil, j’ose vous dire Que plus d’un amant soupire Pour jouir de ma faveur. L’un me dit, ma chère amie, Je t’aime plus que ma vie ; Un autre me dit sans cesse De mes biens sois la maîtresse ; Mais du seul qui m’intéresse, Je ne puis toucher le coeur. Quelle peine ! Quelle gêne ! Je désire, Je soupire, Mais l’attente, Me tourmente, L’espérance qui m’enchante Augmente encore mon ardeur. Ah ! Ma chère Jeannette ! Où puis-je te retrouver. Viens avez moi, Zerbine, allons la chercher de tous les côtés ; je ne tiens plus mon impatience. Si je puis rencontrer Fabrice, je crois que je l’étranglerai dans ma fureur. Habitants de ces bocages Je viens garder vos troupeaux ; Ces gazons, ces doux ombrages, Ces oiseaux par leurs ramages Me font oublier mes maux. Ô fortunés Bergers ! Je serai près de vous sans crainte, sans dangers. Vous ne connaissez point les soucis ni les larmes : Loin des alarmes Vous goûtez mille charmes. Votre amitié m’est chère ; Prenez moi pour bergère, Exaucez ma prière. Mais je respire peine, Je ne puis prendre haleine ! Cruel chagrin, sortez de ma pensée ! De mon amour suis je encore occupée ? Je me sens oppressée... Infortunée! Ô doux charme de la vie, Ô sommeil ! Fais que j’oublie Le cruel qui m’a trahie ! Satisfaits mon tendre coeur, Et viens calmer ma douleur. La voilà ! Que je suis content ! Ah ! Jeannette, je viens partager votre infortune, et je veux vous aimer toute ma vie. Je suis pénétrée des sentiments que vous avez pour moi ; mais, Fabrice, je ne saurais y être sensible ; cessez une vaine poursuite, et renoncez tout espoir : car il m’est impossible de vous aimer. Me voilà bien avancé. Je vous prie même de vous éloigner de moi dans l’instant. Ah ! Cruelle ! Devais-je m’attendre cet accueil ? Je quitte pour vous ma fidèle Zerbine, et je m’expose à la colère de mon maître... Ah ! C’en est trop ! Je ne veux pas survivre cet affront. Au fond d’un précipice, Je vais finir mon sort ! Du malheureux Fabrice Vous causerez la mort. Chacun dira d’abord, Voilà cette cruelle ! Amants, fuyez loin d’elle ! Redoutez sa rigueur, Ou craignez mon malheur. Je ne puis avoir pitié de lui ; hélas ! Mon esprit inquiet n’est occupé que de Florival ! Mais, quoi me sert d’y penser, je ne le reverrai peut-être jamais... J’entends venir quelqu’un.... Ô dieux ! Que vois-je c’est lui... Je meurs ! Ah ! Je vous retrouve enfin, ma chère Jeannette ! Rien ne peut me séparer de vous. Je vous ai outragée, pardonnez moi mes injustes soupçons : vous n’étiez point capable de me trahir ; si j’ai causé votre malheur, je le répare en vous donnant ma main. Cher Florival ! Que n’est-il en mon pouvoir de disposer de la mienne comme de mon coeur ! Mais tout s’y oppose, vous le savez ?... Allez où votre devoir vous appelle, et laissez-moi vivre ignorée : je me croirai trop heureuse lorsque je penserai à vous. Que cet aveu m’enchante ! C’est l’amour qui m’inspire Le plus tendre délire ; Je languis, je soupire, Et mon âme désire De vous voir mon époux ; Mais hélas ! Quel martyre, Je ne puis être vous. Ciel !je vois venir mon pere !évitons ses regards. Ah ! Monsieur le Baron, quelle est ma joie ? Comment ! Auriez-vous trouvé Jeannette ? Non, Monsieur, mais je suis au comble de mes voeux. Eh pour quel sujet ? Je reçois une lettre de mon père que nous avions cru perdu ! Quelle heureuse nouvelle ! Après quinze années d’absence, il m’apprend qu’il est arrivé à Naples et qu’il se dispose à partir pour Florence. Quoi, je reverrai encore mon intime ami ? Oui, nous ne tarderons point l’embrasser. Racontez-moi cet événement. Vous savez, Monsieur, que dans la dernière guerre de Venise, mon père fut pris par des corsaires, et que ces barbares le conduisirent esclave Tunis : depuis ce temps nous avons ignoré sa destinée, mais enfin notre auguste Monarque, dont la justice égale la clémence, vient d’obtenir sa liberté en accordant la rançon qu’on avait exigé pour lui. Quelle âme généreuse ! Mon coeur est si ému, que je puis peine respirer. Monsieur, voici une lettre qu’un courrier m’a chargé de vous remettre : je crois qu’elle est de conséquence, car il attend la réponse. Voyons ce que c’est... Mais elle n’est pas pour moi... À Madame Simone, Fermière de Monsieur le Baron... Hélas ! La bonne femme est morte depuis six mois : qui pourrait lui écrire ? Ouvrons la lettre... Que vois-je, c’est votre père qui lui écrit... Mon père ?... Quel pressentiment ! Quel soupçon ! Ah ! Monsieur, lisez vite. « Vous devez être étonnée, Madame, de n’avoir jamais entendu parler de moi depuis que j’ai mis ma fille entre vos mains : je vous ordonnai de l’élever secrètement sous le nom de Jeannette, ayant des raisons pour cacher sa naissance : elle se nomme Sophie, faites-la reconnaître à Monsieur le Baron... » Dieux ! Jeannette est ma soeur! Quoi, Sophie réduite au sort le plus affreux ! Je ne m’étonne plus présent si elle était aussi fière avec moi. Ah ! Florival, accourez. Viens mon fils ! Je te rends toute ma tendresse. Quel bonheur imprévu ! Qu’est-il arrivé ? Un prodige, un enchantement, une lettre de mon père qui est à Naples. Votre père ! Ah Monsieur, je vous en félicite ! Mais, ce n’est pas encore tout... Apprenez... Quoi, parlez ! Jeannette ? Eh bien ? Elle est ma soeur. Est-il possible ? Oh, n’en doutez point, elle se nomme Sophie... Sophie ! Votre soeur... Ah je n’en doute plus ! Elle avait trop de sentiments pour ne pas être d’une noble origine ! Je me sens attendri et je renonce mes prétentions : épouse-là, elle est digne de toi... Tiens, lis cette lettre. Voilà une aventure bien extraordinaire. Ô ciel ! Je serais la soeur du Vicomte, contraignons-nous pour un instant. Allons informer ma fille de cet heureux événement. Et moi, ma chère Sophie. Ah ! J’ai tout entendu ! Quoi, je suis sa soeur ? Qui, vous êtes Sophie, Quel fort digne d’envie ! Partagez mon transport ! Ô Dieux ! Quelle trouble extrême ! Je fuis hors de moi-même, De mon bonheur suprême, Hélas ! Je doute encor. Viens, accours, tendre amour, Accours, vole en ce séjour ! Tu rends notre âme contente, D’un guerrier et d’une amante Tu triomphes dans ce jour. Quel bien suprême ! Bonheur extrême ! Vole amour en ce séjour. Les voilà rassemblés : ah ! Ma chère Sophie ! Partage nos transports ! Que l’hymen t’unifie à mon fils ! Oui : tu mérites nos hommages autant par tes vertus, que par l’éclat de ta naissance. Quel bonheur, quelle allégresse ! Livrez-vous à la tendresse, L’amour enchaîne vos coeurs, Jouissez de ses faveurs. Mon sort n’est plus une misère. Je revois un tendre frère, Ah ! Quels doux frémissements S’emparent de tous mes sens ! Quel plaisir ressent mon âme, L’hymen va remplir nos voeux, L’amour couronne ma flamme, Il m’élève au rang des Dieux. Ne me fais donc plus la mine, Tu m’aimes, je le devine, Rends moi ton coeur et ta foi. Je ne serai plus volage, Fabrice enfin est à toi, Qu’un tendre amour nous engage Reçois mon coeur et ma foi. Quel bonheur, quelle allégresse ! Livrons-nous la tendresse : L’amour enchaîne nos coeurs, Jouissons de ses faveurs.