Le sçay tu bien Clarine ? Ô Ciel ! est-il possible,1 Qu’Isabelle pour moy, cesse d’estre insensible ; Et que cette Beauté ressente en ma faveur Le feu que ses beaux yeux ont fait naistre en mon cœur ? Je vous le dis encor ; oüy vostre amour la touche, C’est une verité que j’ay sçeu de sa bouche. Je suis fort estonné d’un succez si charmant. Moy, je m’estonne fort peu de vostre estonnement ? Seigneur à vos plaisirs ne mettez point d’obstacle. Voir changer une fille, est-ce un si grand miracle ? Nous avons une pante à changer tour à tour, Soit ou l’amour en haine, ou la haine en amour ; Et lors que nostre haine, ou nostre amour se change, Un effet si commun doit peu sembler estrange : Isabelle est d’un âge à ressentir l’effet Et du feu qu’elle allume, & du mal qu’elle fait : La fin de ses froideurs ne vous doit pas surprendre, Qui donne de l’amour peut aisement en prendre, Et lors qu’un jeune cœur n’a jamais rien aymé, Au premier feu qui brille il s’en trouve enflammé, Ma Maistresse est sensible autant comme elle est belle ; Et vous serez heureux si vous estes fidele. Mais viens-tu par son ordre.         A m’expliquer sans fard Elle m’a commandé de parler de ma part ; Mais vostre honnesteté m’oblige à vous tout dire, C’est par son ordre exprés que je viens vous instruire Je vous ay découvert un important secret, Mais pour en profiter il faut estre discret : Pour bien sçavoir aymer, il faut sçavoir se taire. Je pouray dire au moins mon bon-heur à son frere, Nostre amitié l’oblige à me favoriser, Et je me ferois tort de lui rien déguiser. Ah c’est ce que sur tout ma Maistresse redoute ? Loin de l’en advertir craignez qu’il ne s’en doute ! Ignorez-vous encor que son Pere inhumain Ne luy permettra pas de vous donner la main : Qu’il veut pour soütenir l’éclat de sa famille Favoriser son fils aux despens de sa fille, Et comme il se pratique aujourd’huy fort souvent Destine à l’un ses biens, & pour l’autre un Couvent. Je sçay qu’à ce dessein son Pere se prepare ; Mais s’il est inhumain son frere est moins barbare, L’amitié nous unit par de si beaux liens, Que dans mes interests il confondra les siens. Sçachez si j’ose icy parler avec franchise Qu’il n’est point de liens que l’interest ne brise, Que l’on garde tousjours son bien mieux que sa foy, Et qu’il n’est point d’amy qu’on ayme plus que soy : Ne recevez personne en vostre confidence, Le peril fuit tousjours le trop de confiance : Moins un bien est connu, plus il doit estre doux ; Enfin que vos secrets ne soient sçeus que de vous, Ma Maistresse le veut.         Ah c’est assez Clarine Il n’est plus de raison qu’à présent j’examine, Il faut que j’obéïsse avec aveuglement, Et que le nom d’Amy cede à celuy d’Amant ; Mais verray-je ce soir nostre belle Maistresse. Monsieur il est bien tard.         Je connois ton adresse, Et tu sçais…         Oüy je sçay vos liberalitez, Je m’en vais l’advertir comme vous souhaitez, Et je viendray bien-tost, si vous voulez m’attendre, Ou vous faire monter, ou la faire descendre. Qu’il est doux d’attendrir un cœur fier & cruel ? Que l’Amour est charmant, quand il est mutuel, Et qu’un captif ressent de charmes dans ses peines, Quand la main qui le dompte aide à porter les chaisnes : Un bien acquis sans peine est peu delicieux ; Et plus il a cousté, plus il est precieux : Malgré l’obscurité dont l’orison se couvre, Je discerne aisement, que cette porte s’ouvre, C’est sans doute Isabelle, il se faut avancer. Mon bon-heur est plus grand que je n’osois penser, Je ne puis vous marquer quelque effort que j’employe Toute ma passion avec toute ma joye. De grace cher amy, laissons les complimens, Je suis persuadé de tes bons sentimens. Dieu que je suis confus, c’est son frere Fabrice. Tu sçais donc à quel point le destin m’est propice, Mon hymen est conclu, l’on vient de l’arrester, Et sans doute-tu viens pour m’en feliciter. Amy…         Je suis certain que c’est ce qui t’ameine, Qu’il est ingenieux à me tirer de peine. Tu viens pour prendre part à mon ravissement, Tu me ferois grand tort d’en juger autrement. Aprens que nos desirs estoient d’intelligence, J’allois t’en apporter l’advis en diligence, J’ay crü que mon bon-heur ne t’estoit pas connu, Et je n’attendois pas de me voir prevenu. A ta rare amitié je suis trop redevable. Je ne fais rien pour toy qui soit considerable, Mon interest m’ameine en ce lieu seulement, Et tu ne m’en dois faire aucun remerciement. Comment, quel interest en ce lieu t’a fait rendre. Celuy qu’en tes plaisirs l’amitié me fait prendre, Entre deux vrais amis tout doit estre commun, La joye en touche deux alors qu’elle en touche un : Sçache quand je prens part dans ton bon-heur extresme, Qu’au lieu de t’obliger, je m’oblige moy-mesme, Et du soin que je prens je suis si bien payé, Que je n’ay pas besoin d’estre remercié. Sçache aussi quand le sort me fait quelque advantage, Que Carlos le redouble alors qu’il le partage, Et qu’il diminuëroit si tu n’y prenois part, Mais de nostre maison qui peut sortir si tard. Entrez, entrez Seigneur, ma Maistresse Isabelle Vous attend en sa chambre & veut…         Quoy, que veut-elle ? O malheur ! c’est Fabrice, il faut dissimuler. Que veut-elle ? achevez.         Elle veut vous parler, Et vous marquer la joye où l’amitié l’engage Sur la conclusion de vostre Mariage. Je connois sa tendresse, & je sçay mon devoir, Je vais avec Carlos luy donner le bon soir. Cette voix que j’entends est celle de Fabrice, Je ne pouvois sortir dans un temps plus propice. J’y consens de bon cœur, allons-y de ce pas, Tes desirs sont les miens, tu dois n’en douter pas. Entrons…         Que ce succez favorise ma flamme. Mais qui vient m’arrester ? Ô Ciel c’est une femme, C’est à moy qu’elle en veut, demeure ;         Je t’attends, Voicy pour mon amour un nouveau contre-temps. D’où vient qu’elle s’esloigne alors que je m’avance. Elle te veut parler, sans doute en confidence. Dans l’espoir que c’est moy que vous venez chercher, Ne vous offensez pas si j’ose m’approcher. J’ay le cœur assez bon, & l’ame assez civile Pour m’estimer heureux si je vous suis utile ; Pour m’engager, Madame, à l’offre que je fais D’employer tous mes soins au gré de vos souhaits. Il suffit que du Ciel vous ayez l’advantage D’estre de ce beau Sexe à qui tout doit hommage, Si je puis, toutesfois, sans importunité Apprendre vostre Nom, & votre Qualité, Vous accroistrez mon zele, en me tirant de peine. Sors d’erreur, cher Fabrice, & reconnois Climene. Climene, ma Maistresse, est-il croyable, ô Cieux ? Quel sort t’a pû conduire à telle heure en ces lieux, Tu redoubles ma crainte & mon inquietude, Plus ta voix m’esclaircit, plus j’ay d’incertitude, Loin de sortir d’erreur j’entre en de nouveaux soins, Et j’estois plus heureux lors que j’en sçavois moins ; Quel dessein est le tien, je ne le puis comprendre ! Laisse-moy donc parler, je m’en vais te l’apprendre. Je ne te diray point combien dans un moment L’on m’a donné de joye & de ravissement, Lors qu’on m’a fait sçavoir que dans cette journée Nos parens ont enfin conclu nostre hymenée, Mon amour dont tu dois garder le souvenir, Doit m’exempter du soin de t’en entretenir, Et m’oblige à te faire un recit veritable Beaucoup plus important, & bien moins agreable. Quoy, qui peut maintenant troubler nostre heureux sort, Lors qu’ainsi que nos cœurs, nos parens sont d’accort. Ce n’est pas d’aujourd’huy que l’Amour s’accoûtume A mesler ses douceurs de beaucoup d’amertume, Ceux qu’il flate d’abord sont heureux rarement, Sa malice est égale à son aveuglement, Et comme la Fortune il a pris l’habitude De n’avoir de certain que son incertitude : C’est une verité qu’en cét évenement, Tu ne vas concevoir que trop sensiblement : Un jour le plus funeste entre ceux de ma vie, Où mon Pere accablé d’âge & de maladie, Receut le triste honneur de se voir visité Par le Duc de Ferrare en cette extremité, Ce prince me connut, & crut voir quelques charmes Sur mon visage pasle & tout couvert de larmes, Mes yeux pleurent aux siens, pour nos communs mal-heurs, Et sa flamme nâquit des sources de mes pleurs. Ah Climene je crains…         Cette crainte m’offence, Mon ame toute entiere estoit en ta puissance, Je te l’avois donnée, & cette passion N’a jamais exité que mon aversion : Si j’ay caché ce feu, tu ne dois pas t’en plaindre, Avant qu’il fut connu j’esperois de l’esteindre, Et j’aurois peine encor à te le reveler, Si ton propre interest ne me faisoit parler : Sur le bruit qui s’espend de nostre mariage, La passion du Duc s’est convertie en rage, Il m’est venu trouver dans son premier transport, M’a juré que mon choix est l’Arrest de ta mort, Que l’amour l’empeschant de me punir moy-mesme, Qu’il croira faire plus en perdant ce que j’aime, Et que pour me punir avec plus de rigueur, Il ira me chercher jusqu’au fonds de ton cœur ; Enfin connoissant bien que son unique envie Est d’ataquer mes jours, en ataquant ta vie, Conduite par l’amour & plus par la terreur, Je viens te conjurer d’éviter sa fureur ; Fuis d’icy, quelque soin pour moy qui t’y retienne, Et pour sauver ma vie, enfin sauve la tienne. Ce discours est cruel autant qu’il paroit doux, Quoy vous me conseillez de m’esloigner de vous, Je sçaurais mal aymer si je pouvais m’en taire : Dites tout, avoüez que vostre amour s’altere, Que mon reste d’espoir se doit évanoüir, Et que les feus du Duc ont sçeu vous esbloüir ; Je voy bien que ma flamme icy vous importune, Que vous quittez l’Amour pour suivre la Fortune, Et qu’avec tous ses fers Fabrice infortuné Plaist moins à vos beaux yeux qu’un captif couronné ; Je n’accuseray point cette rigueur insigne, Vous me privez d’un bien dont je n’estois pas digne, Et recevant un Sceptre offert à vos beautez, Vous obtenez bien moins que vous ne meritez ! Reignez, rien n’est honteux pour prendre un Diadëme ; Et comme je vous ayme encor plus que moy-mesme, Je tiendray dans ma mort mon destin assez beau, Si je vous laisse au thrône en entrant au tombeau. Peus-tu m’aimer Fabrice, & le pouray-je croire, Quand tu ne me crois pas digne de cette gloire, Et quand, par des soupçons que tu devrais banir, De ma fidelle amour tu perds le souvenir. Peus-tu bien ignorer avec quelque justice, Que j’aime beaucoup moins un Sceptre que Fabrice, Et trouve plus de joye en partageant tes fers, A regner sur ton cœur qu’à regir l’Univers. Ah ! Climene il suffit, mon ame qui t’adore, Quand tu l’abuserois te voudroit croire encore, Et quoy que le mensonge ait de noir & de bas, En sortant de ta bouche il auroit des appas ; Mais d’où vient quand pour moy tu fuis une Couronne, Que tu veux que je parte & que je t’abandonne ? Quoy je te laisserois au pouvoir d’un rival, Non ce cruel remede est pire que le mal : Souffre mon desespoir ou souffre ma presence, Qu’importe qui me tuë, ou le Duc, ou l’absence. Il faut de deux perils songer au plus pressant, Icy ta perte est seure, & tu peux vivre absent, Songe qu’à quelque peine ou nostre amour te livre, Tu ne sçaurois mourir sans m’empescher de vivre, Qu’avecque tes destins mes jours seront finis, Qu’au cercueüil par la mort nous serons réunis ; Qu’où je ne te voy pas, je ne voy point de charmes, Et si tu ne m’en crois, du moins crois-en mes larmes. N’accrois point mes ennuis avecque tes douleurs, Tout mon sang ne vaut pas les moindres de tes pleurs, Et les maux dont je sens mon ame menacée Sont desja trop payez d’une larme versée. Quite ces vains discours, & consens à partir ? Hé bien ! hé bien Climene il y faut consentir. J’ay lieu d’estre affligée autant que satisfaite, Je crains plus ton depart, que je ne le souhaite ; Et je t’arresterois, je t’en donne ma foy, Si je le pouvois faire, & n’exposer que moy : Separons-nous ; mais quoy, cette image funeste Me dérobe desja la force qui me reste. Espargne moy de grace, en partant de ce lieu, Le danger de mourir en te disant adieu. Climene ; elle me fuit, ô destin déplorable ! Amy console-toy.         Je suis inconsolable, Il faut mourir Carlos, puisqu’il faut m’absenter. Tu seras plus heureux si tu veux m’écouter, Tu ne partiras point, & tu verras Climene, Tous les jours sans peril, sans tesmoins, & sans peine. Me vouloir abuser, c’est mal me secourir, C’est irriter mon mal, & non pas le guerir, On ne peut trouver l’art de me rendre invisible. Bien donc, croy que pour toy je feray l’impossible, Souffre que je te parle, & dedans un moment Tu perdras ta douleur et ton estonnement : Tu sçais depuis quel temps l’Italie affligée, Entre deux factions se trouve partagée, Dont en chaque Cité les partisans mutins Se nomment hautement Guelphes & Gibelins ; Souviens-toy que mon Pere, & celuy de Climene Prirent pour ce sujet, une immortelle haine, Et que par leur credit & leur condition Chacun d’eux se rendit Chef d’une faction : Le Duc l’ayant appris & redoutant l’issuë De cette inimitié, si fortement conceuë, Il les fit arrester avec quelque raison, Laissant à chacun d’eux son logis pour prison Mon Pere qui voyoit sa pretention vaine,  Sçachant que sa maison de l’autre estoit prochaine Eut recours à l’adresse, & se creut tout permis Pour perdre le plus grand de tous ses ennemis ; Et lors pour advancer en secret sa ruine Jusque sous son Jardin fit creuser une Mine ; Desja mesme elle estoit achevée à peu pres, Lors qu’il tomba malade & mourut tost apres : Je fus, comme tu sçais par le droit de naissance, Heritier de ses biens, & non de sa vengeance : Et quand je hairois Climene dans ce jour, Je voudrois immoler ma haine à ton amour, En ouvrant cette Mine, avec un peu d’adresse, Tu peus, sans qu’on te voye, entrer chez ta Maistresse, Et pour l’executer en toute sureté Nous ferons croire à tous que tu t’es absenté. Que ne te dois-je point ? quelle reconnoissance… De tes remercimens mon amitié s’offense, Je m’en vais chez le Duc faire ma cour expres Pour sçavoir ses desseins touchant tes interests : Entre dans mon logis.         Ne te mets point en peine. Je vais de cét advis faire part à Climene ; Mais qu’est-ce que j’entens         Faites ce que j’ay dit. C’est le Duc, la fureur me rend tout interdit. Quelqu’horreur que Climene ait montré pour ma flamme, Quelque reste d’espoir flate encore mon ame, J’ay gagné la suivante, & le viens de sçavoir Qu’elle veut m’introduire en sa chambre ce soir, On ouvre, est-ce Jacinte ?         Ouy, tout nous est propice, Ma Maistresse se trompe, & vous prend pour Fabrice, Elle m’a commandé d’ouvrir sans differer, Et son ordre m’excuse en vous laissant entrer, Ne perdez point de temps, mais je l’entends descendre, Ne parlez pas, sans doute, elle se va méprendre. Il faut nous éclaircir, approchons doucement. Que peus-tu souhaiter, où viens-tu cher Amant. Amant qu’entend-je, ô ciel ?         J’ay sujet de me plaindre, A ma priere un soir ne peus-tu te contraindre, Je t’excuse pourtant, & je veux presumer Que l’on se contraint mal, quand on sçait bien aimer, Et ne veux pas nier que mon ame charmée Ne peut se plaindre icy que d’estre trop aimée. Le puis-je croire, ô Ciel, suis-je point enchanté. Tu ne sçaurois douter de cette verité, Quand je veux m’irriter je sens que je m’abuse, Mon ame se défend quand ma bouche t’accuse. O trop heureux Fabrice !         O trop heureux Rival ? Tu connois mon amour.         Je le connoissois mal. Quoy, tu ne respons rien, doutes-tu de ma flamme, Crains-tu qu’un autre objet te chasse de mon ame, Quoy qu’il puisse arriver, sois certain que tousjours Mon amour & ma vie auront un mesme cours, Que de ne t’aimer plus je me trouve incapable. Que je suis mal-heureux.         Que je suis miserable. Qui t’oblige tout bas encor à murmurer, Faut-il quelques serments pour mieux t’en assurer, Si tousjours mon amour ne fait toute ma gloire, Si tu n’occupes seul mon cœur & ma memoire, Que le…         Ne jurez pas, ame ingrate & sans foy, Il n’en est pas besoin, perfide je vous croy. Ton trespas de bien prés suivra ton insolence ! A moy Gardes.         En vain je ferois resistance. Qu’on le suive et qu’il meure.         Helas je meurs d’effroy. La force me deffaut, Jacinte soûtiens moy. Qu’il perisse, sa mort n’est que trop legitime, Un merite trop grand est souvent un grand crime ; En perdant ce Rival je puis tout acquerir, Et s’il ne perit pas mon espoir doit perir, Sçachons si le succez respond à mon envie. Ah Seigneur ! c’en est fait, il est tombé sans vie, En vain pour se deffendre il a fait quelque effort, De mille coups mortels il a receu la mort, Et de son corps sanglant & couvert de blessures, Son ame a pour s’enfuir trouvé mille ouvertures. Ah ! Seigneur arrestez.         Tes soins sont superflus, Je suis vangé, Jacinte, & Fabrice n’est plus. N’entrez point au logis, si vous aymez Climene, D’une grande foiblesse elle revient à peine. Le sang que j’ay versé luy coûtera des pleurs, Entre je n’iray point accroistre ses douleurs, Je vais me retirer, vous cependant Valere, Du trespas de Fabrice avertissez son Pere, Et luy faites sçavoir que sa temerité, N’a receu que le prix qu’elle avoit merité. Fin du premier Acte. Qui vient d’entrer ceans.         Madame c’est Valere, Qui de la part du Duc entretient vostre Pere. Quel sujet si pressant peut icy l’amener. Pour vous le pouvoir dire, il faudroit deviner. Un message à telle heure est chose assez nouvelle. C’est ce qui comme vous me tient fort en cervelle. Attendons-en l’issuë, & changeons de propos. Vous voulez m’obliger à parler de Carlos ! Advoüez-le, Madame.         Il faut que je t’avoüe Que j’ay quelque plaisir, quand j’entens qu’on le loüe. J’aurois perdu le sens, si j’en disois du mal, C’est un fort honneste homme, il est fort liberal, Il merite beaucoup.         Mais de quelle maniere A-t’il sceu que pour luy mon humeur est moins fiere, Et que mon cœur enfin se dispose à l’aimer. Avecque des transports qu’on ne peut exprimer. Sur tout as-tu bien sceu luy dire avec adresse, Qu’afin de le servir tu trahis ta Maistresse, Et que tu l’avertis sans mon consentement. Oüy, je l’ay dit, Madame, & fort adroitement ; Mais votre amour bizarre a droit de me surprendre, Vous craignez qu’il le sçache, & luy faites apprendre : S’il en sçait un peu moins, en ferez-vous bien mieux, Les esprits des Amans sont bien capricieux. Bien que j’ayme Carlos, soit raison, ou caprice, Je crois me faire tort, quand je luy fais justice, La pudeur que le Ciel dans nostre Sexe a mis, En matiere d’amour ne se croit rien permis ; Et par certain pouvoir, que j’ignore moy-mesme, Ne sçauroit, sans rougir, me laisser dire, j’ayme : Il semble que nos yeux, faits pour dompter les cœurs, Alors que nos captifs deviennent nos vainqueurs, Quoy qu’ils trouvent d’aimable au trait qui nous surmonte. Ne peuvent regarder ce changement sans honte. De mépriser l’amour mon cœur ne sçait plus l’art : Mais que vois-je Carlos, dans ma chambre & si tard. O Ciel ?         De ce logis, voyant la porte ouverte, Je n’ay pû refuser l’occasion offerte, Et suivant mon amour j’ay cru pouvoir monter, Sans perdre le respect, & sans vous irriter. Quoy, vous vous figurez que sans que je m’irrite Je puisse ainsi de vous souffrir une visite, Non, votre espoir se trompe, & cette liberté Marque en vous peu d’amour, ou trop de vanité ! Pouvez-vous bien m’aimer, & prendre une licence, Qui fera contre moi parler la médisance, Ou sans estre trop vain pouvez-vous bien penser Qu’un dessein si hardy ne puisse m’offenser. Quelque raison que j’aye icy pour ma deffense, Je me tiens criminel, puisque je vous offense, Et profiterois peu d’estre assez obstiné, Pour me croire innocent, quand je suis condamné. Oüy, oüy, je vous condamne, & pour vostre supplice, Il faut que vous sortiez, & que je vous banisse. Je n’en appelle point, je vais me retirer, J’obeis à regret, mais sans en murmurer. Quoy, vous sortez si-tost, quel motif vous y porte. Puisque vous l’ordonnez, il faut bien que je sorte, Je dois vous obeyr.         Pour un parfait amant C’est obeyr Carlos, un peu bien promptement : Croyant que vous m’aimez je paroistrois trop vaine, On cherit sans ardeur, ce qu’on quite sans peine ; L’amour par ses respects se sçait mal exprimer, Qui sçait bien obeyr, ne sçait pas bien aimer. Ce discours surprenant rend mon ame interdite ! Pouvez-vous bien vous plaindre alors que je vous quite ; Quand je vous obeis contre mon sentiment, Quand mon amour éclate en mon aveuglement, Et quand par une ardeur, qui n’est pas fort commune, Mon bon-heur me déplaist, lors qu’il vous importune ; Que n’auriez-vous point dit, si cherchant mes plaisirs J’avois à vos souhaits preferé mes desirs, Et de quelle façon pouray-je enfin vous plaire, Si vous obeissant je vous mets en colere. Pour un homme amoureux, vous raisonnez trop bien, Où l’Amour est puissant, la Raison ne peut rien, L’un ne peut s’establir, tant que l’autre subsiste, Quelquesfois une fille ayme qu’on luy resiste, Qu’on s’obstine à l’aimer sans son consentement ; Et comme ses desirs s’expliquent rarement, Elle parle souvent pour se voir contredire, Et pour estre forcée à ce qu’elle desire : Suivant cette maxime, en cét évenement, Possible ay-je parlé contre mon sentiment, Et peut-estre bien loin de me croire outragée, Ne m’obéissant pas, vous m’auriez obligée. C’est agreablement que je reste confus, Si cét adveu m’estonne, il me charme encor plus, Et s’il faut demeurer pour ne vous pas déplaire, Il n’est rien plus aisé que de vous satisfaire ; Puisque l’obéissance a pour vous peu d’appas, Je resteray, Madame, & n’obéiray pas. Il n’est plus temps ! sortez, j’ay changé de pensée, L’occasion se perd si-tost qu’elle est passée, Vous auriez trop d’orgueil, & j’en aurois trop peu, Si je vous retenois apres un tel aveu. Cét ordre est rigoureux.         Il est sans injustice, Je n’aime pas tousjours qu’on me desobéisse, Suivez Clarine, allez, & gardez d’estre veu. O Ciel ? j’entens mon Pere.         Helas tout est perdu, Possible il s’est douté de vostre intelligence, Dedans ce cabinet entrez en diligence. Ah ma fille ? ah ma fille ?         Il paroist furieux, Je lis trop clairement mon mal-heur dans ses yeux. Pourois-je vivre apres des disgraces si grandes. Qu’est-il donc arrivé ?         Quoy tu me le demandes, Vois-tu pas dans l’excez de mes vives douleurs, Que je suis accablé du plus grand des mal-heurs. Quoy, quel mal-heur mon Pere ?         Isabelle, Isabelle, Ce n’est plus de ce nom qu’il faut que l’on m’appelle. Je feindrois vainement, il faut tout confesser. Quel fatal changement ? Ciel qui l’eut pû penser. De grace escoutez-moy.         Que veux-tu que j’escoute, Je ne sçay que trop bien ce qu’aujourd’huy me coute, Cét amour qui se plaist dans le sang et les pleurs, Et cache des poisons quand il montre des fleurs. J’advoüe…         Ah que souvent nos attentes sont vaines, Souhaitans des enfans, qu’on souhaite de peines. Si son trespas…         Ouy, ouy, son trespas est certain. Souffrez que par mes pleurs.         Tu les répans en vain. Mon Pere la vangeance est fort aisée à prendre. Helas ! contre le Duc que pourois-je entreprendre. Le Duc ! que dites-vous.         Hé quoy, tu ne sçais pas. Que mon fils par son ordre a receu le trépas. C’est ce que j’ignorois ! ô disgrace cruelle. Valere de sa part m’en a dit la nouvelle, Et m’a voulu forcer de demeurer d’accord, Qu’il n’a rien fait d’injuste en luy donnant la mort. Quoy donc par une injuste & barbare contrainte, Ainsi que la vengeance on vous deffend la plainte. Oüy, pour punir mon fils, mesme avec son trépas, On veut que je l’apprenne, & n’en murmure pas ; Il semble qu’on souhaite, en causant ma rüine, Que j’aille encor baiser la main qui m’assassine, Et qui d’un fils si cher ayant percé le flanc, Est encore fumante & teinte de mon sang. Mais Seigneur, songez-vous dans cette conjecture, Que le corps de mon frere attend la sepulture. Oüy, j’en ay pris le soin, par mon commandement On le doit apporter dans cét appartement. Seigneur de vostre fils la mort est trop certaine, Nous l’avons apporté dans la chambre prochaine, A quelques pas d’icy nous l’avons rencontré, Sans habits & de coups si fort défiguré, Que l’on pouvoit douter avec quelque justice, Que ce funeste corps fut celuy de Fabrice, Si l’on n’avoit trouvé, cherchant avecque soin, Sa casaque assez proche, & son chapeau plus loin ; Ce qui dans ce malheur m’a mis le plus en peine, C’est que j’ay fait du reste une recherche vaine, Ses autres vestemens ne se sont point trouvez, Et j’ignore qui peut les avoir enlevez. O fils infortuné d’un Pere miserable ! Vous pouvez voir d’icy cét objet deplorable. Avant qu’on se prepare à le mettre au tombeau, S’il vous plaist d’ordonner qu’on tire ce rideau. Il est fort à propos, Licaste qu’on le tire ! Que l’on nous laisse seuls, que chacun se retire : Dans ce funeste objet mes regards interdits Ne treuvent presque plus aucun trait de mon fils, Et mon desordre a peine à me laisser connoistre Dans ce corps massacré celuy que j’ay fait naistre : Mon fils, si dans l’estat où nos malheurs t’ont mis, Un nom encor si doux me peut estre permis, A ce spectacle affreux qui rend ma peine extresme, Je me sens plus atteint de tes coups que toy-mesme, Mon destin mal-heureux differe peu du tien, Le sang que tu répands est le plus pur du mien ; Le bras dont la rigueur haste tes funerailles, N’a pû percer ton flanc sans percer mes entrailles, Et si nous differons dans un sort si confus, C’est que je sens les maux que tu ne souffres plus ! Sources de mes ennuis, Blessures violentes, Qui ne parroissez plus que des bouches sanglantes, Dont les muets accents solicitent mon bras A vanger cette mort par un autre trépas, Le sort d’un souverain n’est pas en ma puissance, En vain contre un tel sang vous demandez vengeance ; Je ne puis vous offrir d’autre sang en ces lieux, Que celuy que mon cœur fait couler par mes yeux. La cruauté du Duc devroit estre punie. Il est mon Prince encor malgré sa tirannie, Le destin des Sujets dépend des Souverains, Un crime devient juste en partant de leurs mains ; Et malgré leurs rigueurs, si ces Dieux de la terre Doivent estre punis, c’est d’un coup de Tonnerre ; Je ferois aussi bien des efforts superflus, Mon fils revivra-t’il si le Duc ne vit plus ? Mais Clarine à la haste icy s’est avancée. Ah Seigneur ; ah Madame…         Estes-vous insensée ? J’ay veu…         Qu’avez-vous veu qui vous trouble si fort. J’ay veu, j’ay veu…     Quoy donc…         J’ay veu marcher un mort. Vous perdez la raison.         Rien n’est plus veritable, Il marche sur mes pas ce Fantosme effroyable. Je l’entends, je le voy ce spectre que je fuys. C’est mon frere…         O merveille ! en effet c’est mon fils. Mon fils, mon ame est-elle éclaircie ou trompée, Est-ce une illusion dont ma veuë est frappée Si c’est un vain objet que forme ma terreur, Finisse au moins ma vie avecque mon erreur ? Peus-tu bien des vivans estre encore du nombre, Vois-je ton corps Fabrice, ou bien vois-je ton ombre, Viens-tu pour me combler ou de joye, ou d’effroy, Viens m’éclaircir, mon fils ! approche, embrasse-moy. Je vois le jour, Seigneur, & j’y trouve des charmes, Puis qu’à vos yeux ma vie épargne quelques larmes ; Ce n’est pas qu’outragé du sort & de l’Amour, L’on ne me fît faveur de me priver du jour, Mais bien qu’on m’obligeat dans l’estat où j’ay l’ame, D’esteindre avec mon sang tout ce que j’ay de flamme ; Et que ce sang versé rendit mon sort plus doux, J’ayme à le conserver, parce qu’il vient de vous. D’où te vient pour la vie une si forte haine, Tu ne sçaurois douter de l’amour de Climene ; La passion du Duc te rend trop alarmé, Si tu cheris beaucoup, tu n’es pas moins aymé. C’est un témoin bien faux qu’une belle apparence, Je m’asseurois trop bien de sa perseverance, Et croyois mesme encor ses desirs innocens, Si je pouvois douter du rapport de mes sens : J’ay de sa perfidie un trop seur témoignage, J’ay de sa propre bouche appris qu’elle est volage, L’ingrate entretenoit mon Rival fortuné, D’un air si peu commun & si passionné, Que le respect du Duc, ny les soins de ma vie, De marquer mon dépit n’ont pû m’oster l’envie : Le Duc aux premiers mots plein de haine & d’amour A donné l’ordre exprés de me priver du jour ; Et connoissant alors ma deffence inutile, Sous un portail obscur j’ay cherché mon azile, Tandis qu’un inconnu marchant de ce costé Que l’on a pris pour moy parmy l’obscurité, S’est trouvé tout à coup environné de Gardes, Et s’est senty percer de coups de Hallebardes. Dés que ces assassins ont esté retirez Pour tirer de peril mes jours mal asseurez, Et rendre cette erreur encor plus vray-semblable, J’ay pris l’habit sanglant de ce corps déplorable ; Et j’estois déja prest à luy laisser le mien Dans le courant du fleuve ayant jetté le sien, Alors qu’un bruit de voix traversant mon envie, M’a fait laisser ce corps sans habits & sans vie, Pour me rendre en ces lieux prés de vous promptement, Et vous donner advis de cét évenement. De cét heureux succez la suitte m’épouvante, Aprens que de ta mort déja le Duc se vente ; Il croit ta perte juste, & m’oblige à juger Que tes jours conservez sont encor en danger ; Si tu veux m’obeïr par une prompte absence, Soustraits sans differer ta vie à sa vengeance. Mais quoy ! quitter Climene.         Elle t’a bien quitté, Son exemple te guide à l’infidellité ; Si trahir qui nous ayme est un trait de bassesse, Aymer qui nous trahit n’est pas moindre foiblesse. Je suis tousjours Amant, quoy qu’Amant mal-traitté, Elle a moins d’injustice encor que de beauté : Son crime dans ses yeux n’a rien mis d’effroyable, Elle cesse d’aymer sans cesser d’estre aymable ; Et mon cœur qu’elle charme & qu’elle a sçeu trahir, S’est trompé s’il a creu qu’il la pouvoit hayr. De cette erreur, l’absence est l’unique remede, Il faut à mes desirs que ta passion cede ; Fuys par obeyssance ou par ressentiment, Assure ton salut par ton esloignement, C’est ce que je desire.         Et ce que j’apprehende. N’importe…     Mais Seigneur.         Mais je te le commande, De peur d’estre apperceu, sors sans suitte & sans bruit, Va passer chez Carlos le reste de la nuict ; Et prends devant le jour le chemin de Florence, Où j’ay beaucoup d’amis qui prendront la deffence ; Je feray chez Carlos par un fidelle Agent, Te conduire un cheval avecque de l’argent. Ma sœur.         Par des regrets n’accroists point ma disgrace, Sors, sors sans differer, adieu, que je t’embrasse, De mon plus cher appuy je me laisse priver, Mais quoy je ne te perds qu’afin de te sauver. Par quelle cruauté bannissez-vous mon frere. Tu me parles en sœur, & moy j’agis en Pere ; Il est beaucoup plus doux à mon esprit confus D’avoir un fils absent, que de n’en avoir plus : Je veux tromper le Duc, & qu’il perde l’envie, En sçachant son trespas de poursuivre sa vie : Je veux que dés demain ma maison soit en deüil, Que pour mon fils ce corps soit mis en un cercueil, Afin qu’avec le Duc tout Ferarre se trompe, Je le veux honnorer d’une funebre pompe ; Aussi bien devons-nous quelque honneur pour le prix, D’un sang de qui la perte a conservé mon fils. Enfin,     Seigneur…         Qui peut te troubler de la sorte. J’ay rencontré le Duc auprés de nostre porte, Il suivoit un flambeau qui m’a pû faire voir, J’oy du bruit, il me suit, allez-le recevoir. O Devoir trop injuste ! ô contrainte cruelle, Dedans ce cabinet passe avec Isabelle. Il va trouver Carlos, que dois-je devenir. Suivez-moy donc ma sœur, qui peut vous retenir. J’ay peur qu’on ne vous voye, & j’auray moins de crainte, Pourveu que la lumiere en ce lieu soit estainte. Je n’y contredits point, dépeschons-nous d’entrer. Ils sont entrez tous deux, sortons sans differer. Le sort à mes desirs cesse d’estre contraire, Je puis sortir ; mais quoy, j’entends la voix du Pere. Que je suis mal-heureux.         Je ne suis point déceu, Vostre fils est vivant, Alphonce je l’ay veu : Ayant sceu que Climene estoit évanoüye, J’ay voulu prendre soin d’une si belle vie ; Et conduit par l’amour j’allois en son logis, Alors que le hazard m’a fait voir vostre fils ; Je sçay qu’elle l’adore, & j’oseray vous dire Que son mal cessera si Fabrice respire ; Enfin je le souhaitte, & suis icy monté Afin de m’éclaircir de cette verité. Seigneur il est aisé de vous tirer de peine, Voicy mon fils, jugez si la perte est certaine, Vous le craignez vivant, ne le craignez plus mort, Voyez son sang glacé qui fume à vostre abord. C’est trop, j’ay de sa perte une asseurance entiere, Mais que faisoit Carlos en ce lieu sans lumiere. Pour sauver nostre amy, feignons addroitement. Il paroist interdit.         Seigneur c’est justement. Venant pour de Fabrice apprendre icy la perte, Dés que je suis entré dans cette chambre ouverte, Son spectre au mesme instant s’est offert devant moy, Mais dedans un estat qui m’a trancy d’effroy ; D’un Fantosme effroyable il avoit la figure, Son sein estoit ouvert d’une large blessure, Tout son teint estoit pasle, & tout son corps sanglant, Il n’avançoit vers moy que d’un pas chancellant ; Il lançoit un regard languissant & farrouche, Un sang livide & noir luy sortoit de la bouche ; Et sa vigueur mourante en ce dernier effort, Promenoit dans ses yeux l’image de la mort. La mesme vision tantost m’est survenüe, Mais Fabrice a paru moins horrible à ma veuë, J’ay creu le voir vivant.         Je vous donne ma foy Que vostre Altesse a veu son Ombre comme moy : C’est ce qui me confond, je tenois pour un conte Ce que des spectres vains le vulgaire raconte : Je ne pouvois penser qu’un esprit hors d’un corps, Pour s’offrir aux vivants se separa des morts ; Qu’il cessa d’estre simple, & qu’il luy fut possible, Quand il n’a plus de corps d’estre encore visible ; Ce succez toutesfois me doit épouventer, Je ne le sçaurois croire, & je n’en puis douter ; Mais adieu, vostre ennuy s’acroist par ma presence. Seigneur je vous conduis.         Non, je vous en dispence. Je sçay ce qu’est un Pere, & qu’il n’est pas permis De rendre des devoirs à qui vous oste un fils. Que ne vous dois-je point.         La grace n’est pas grande, Que Fabrice à l’instant en mon logis se rende, D’icy sans qu’on le voye il se peut évader, Je vais suivre le Duc pour le persuader. Sors & choisis demain Florence pour retraitte. Seigneur…         Sans repliquer, fais ce que je souhaite, Pour toy tous mes desirs doivent estre des loix ; Adieu, viens m’embrasser pour la derniere fois. Seigneur, malgré vos soins je crains bien que mon frere Ne se puisse soûmettre à cet ordre severe : Par ses derniers discours je n’ay que trop compris Qu’il ayme encor Climene apres tous ses mépris, Et que son ame aveugle est encor resoluë A tout perdre, plustost qu’à la perdre de veuë. Je veux m’en éclaircir, & j’y sçauray pourvoir, Chez Climene demain rends-toy devers le soir ; Le mal qui l’a surprise à ce devoir t’invite, Et tandis à Carlos j’iray rendre visite ; Si mon fils est resté, j’espere avec raison De le trouver dans l’une ou dans l’autre maison ; Mais il est tard, adieu, la Fortune inhumaine, T’accorde du repos autant que j’ay de peine, Je souffre assez d’ennuis.         Les maux que je ressens Pour estre plus cachez ne sont pas moins pressans. Fin du second Acte. C’est icy le jardin, Seigneur, où ma Maistresse Viendra dans un moment promener sa tristesse : L’ennuy que luy produit la mort de son Amant, Ainsi que sa santé trouble son jugement, Encor que de son mal, le danger soit extresme, Elle marche & voudroit se fuir presque elle-mesme ; Je puis vous asseurer que bien-tost ses douleurs L’ameineront icy, pour pleurer ses mal-heurs, Et vous la pourez voir sans témoins & sans peine, Pour peu que Vostre Altesse en ce lieu se promeine. Ton soin accroist ma peine, & non pas mon espoir, Je brûle également, & je crains de la voir : Je brûle de la voir, quand je me represente De toutes ses beautez une image charmante ; Et quand ses déplaisirs me sont representez Je crains de rencontrer ses beaux yeux irritez ? Oüy, oüy, je crains de voir cette belle affligée, Me reprocher les maux où mes feux l’ont plongée, Dire que de mes soins sa haine est le seul fruit ; Et qu’avec mon Rival mon esprit est détruit. Vostre Altesse, Seigneur, doit estre preparée Aux reproches sanglants d’une Amante éplorée ? A vous parler sans fard, j’ay peine à presumer Que son cœur aisément se porte à vous aymer ; Mais vostre ame en ce point doit-elle estre incertaine, Servez-vous de la force, où la douceur est vaine, Puisque tous vos desirs tendent à l’espouser : Ravissez un bon-heur qu’on veut vous refuser ? Enlevez cette Amante, aveugle & rigoureuse, Et malgré qu’elle en ait forcez-là d’estre heureuse. Moy l’enlever ! non, non, je n’y puis consentir, La force avec l’amour ne sçauroit compatir : Je voudrois estre aimé sans qu’elle fut contrainte, Et qu’elle eut de l’amour sans avoir de la crainte ; Mais loin que son dédain cessast par cét effort, En devenant plus juste il deviendroit plus fort. Vos raisons ne sont pas tout à fait legitimes, Nostre Sexe, Seigneur, a d’estranges maximes ; Souvent ce qu’il témoigne est ce qu’il ne sent pas, Il aime rarement le débris du trépas : Dans l’esprit d’une Amante, apres cette disgrace, L’amour devient douleur, & la douleur se passe ; Et malgré ses sermens & ses cris superflus, La passion defaut lors que l’objet n’est plus ? Climene dans son cœur dés ce moment peut-estre Des cendres de l’amour sent l’ambition naistre, S’apreste à preferer, malgré son juste deüil ; Le possesseur d’un Trône au dépost d’un cerceüil ; Et possible des-ja de ses ennuis lassée, A cét eslection voudroit estre forcée. La forcer à l’hymen & la faire enlever, Sont les derniers moyens que je veux éprouver, Avant que de tanter la moindre violence Je veux la voir.         Seigneur, la voicy qui s’avance. Voy comment elle resve, & comme ses pas lens Marquent de son esprit les troubles violens, On void sur sa pâleur sa tristesse étalée. Laissez-moy l’aborder ? passez dans cette allée. Madame…         Qu’on me laisse un moment seule icy ! Que chacun se retire, & vous Jacinte aussy ! Mais si le Duc…         Sortez, sans achever le reste, Ne prononcez jamais ce nom que je déteste. Ah ! que j’ay de mal-heurs !         Je vous l’avois bien dit, La douceur ne peut rien sur ce farouche esprit. Je suivray ton conseil ! sortons en diligence, Sa fierté s’accroistroit encor par ma presence. De peur qu’on ne vous voye, il faut la voir entrer Avant que de ces lieux je vous puisse tirer : Je vais y prendre garde, & tandis vostre Altesse Peut dans ces promenoirs divertir sa tristesse. STANCES. Toy qui fais l’impossible avec facilité, Guide errant & sans yeux, enfans sans innocence, Tirant des cœurs amour, qui t’es tousjours vanté, Que la mort cede à ta puissance. Contre elle de tes droits viens donner connoissance, Ou permets qu’à ces traits je puisse recourir, Fais revivre Fabrice ; ou laisse moy mourir. Les objets les plus doux, loin de me divertir, Accroissent de mes maux la rigueur & le nombre, Le Soleil qui me luit ne sert qu’à m’advertir, Que Fabrice n’est plus qu’une Ombre. Les lis me semblent noirs, & la Verdure sombre, Et la plus vive Rose, en ce fatal moment, Paroist tainte à mes yeux du sang de mon Amant ! Cher Amant, triste Objet de mes cris superflus, Dont l’image est sans cesse en ma memoire errante, Ne me reproche point, si quand tu ne vis plus Je demeure encore vivante. La mort m’auroit rejointe à ton Ombre sanglante, Si j’avois pû finir ma vie & ma langueur, Sans faire encor perir Fabrice dans mon cœur. Ton Rival animé du barbare dessein, De terminer ton sort, qui luy faisoit envie, Ne frappa que mon cœur, lors qu’il perça ton sein, Et n’attentat que sur ma vie. Sa fureur est trompée, au lieu d’estre assouvie, En tranchant tes destins, il a trahy ses vœux ; Car je meurs dans ta cendre, & tu vis dans mes feux. Et tu vis dans mes feux ! ah que dis-je insensée, Ton image vivante en mon ame est tracée, Mais ces traits immortels qui me flatent si fort, Sont les traits de Fabrice, & de Fabrice mort ! Estoit il raisonnable, injuste destinée, Que la mort l’attendit si pres de l’himenée ? Mais ne raisonnons point en de si grands mal-heurs, Etouffons nos sanglots, interdisons nos pleurs, Et pour de nos ennuis envenimer l’atteinte, Ne nous accordons pas l’usage de la plainte. Nourrissons notre deüil, & par des soins prudens, De peur de l’affoiblir, renfermons-le dedans, Signalons nos regrets, mieux qu’avec la parole : Lors qu’on a tout perdu, qui se plaint, se console ? Oüy, cher amant, pour mieux déplorer ton trespas : Mais quel bruit effroyable enten-je sous mes pas, Pour me joindre à Fabrice, il semble qu’un tonnere Se prepare à sortir du centre de la terre ? Ciel ! le bruit se redouble, & par des coups nouveaux Je sens que sous mes pieds on creuse des tombeaux, Je voy tomber les fleurs, deraciner les plantes, Des arbres les plus forts, les souches sont tremblantes, Fuyons, mais je ne puis, la peur me le deffend, Dieu le desordre augmente, & la terre se fend ? O Ciel ! Fabrice en sort, la force icy me laisse, Je n’en puis plus, je meurs de crainte & de foiblesse. Grace aux soins de Carlos, & malgré le destin, J’ose esperer de voir Climene en ce jardin, Mais pour cacher à tous cette estrange aventure, Couvrons de cette Mine avec soin l’ouverture : Ces caisses pourront rendre avec ces rameaux verts Cette mine invisible, & ces débris couverts, Il ne me reste plus que de chercher l’ingrate, Devant qui je pretens que mon dépit éclate ; Je luy veux reprocher mes services passez, Son Amour inconstante, & ses sermens faussez, De peur que mon trépas lui donne de la joye, Afin de l’affliger, je veux qu’elle me voye, Et que l’ingrate icy m’entende protester, Que je veux vivre encor, mais pour la détester. Je la voy, je la voy, cette belle inconstante, Mais helas je la voy, pasle, froide & mourante : A ce funeste objet, qui me rend interdit, Une tendre pitié succede à mon dépit ; Et si cette pitié que son mal-heur me cause, N’est pas encor amour, il s’en faut peu de chose : Climene ! beau sujet de mon feu renaissant, Jette encor sur Fabrice un regard languissant, Malgré tout mon dépit, malgré ton inconstance, Je n’ay point contre toy souhaité de vengeance. Reviens, & si tu veus que je ne vive pas, D’un regard tout au moins honore mon trespas : J’entens quelqu’un marcher, cachons nous sans l’attendre. Si j’entrois dans la Mine, on pouroit me surprendre. Je viens d’oüir des coups qui m’ont inquieté, Le bruit qui m’a surpris est fait de ce costé ? Avançons, j’apperçois Climene qui sommeille ; Mais, helas ! ô disgrace à nulle autre pareille ; Elle a perdu le jour, & sous un voile épais Ses beaux yeux sont fermez pour ne s’ouvrir jamais. Par quelles Loix faut-il ! ô destin tyrannique, Qu’une beauté si rare ait un sort si tragique, Et que l’Astre naissant, dont mon feu s’est produit, Trouve dés son matin une eternelle nuit ; Mais, quelle est mon erreur ! ô merveille adorable ! Le sort est innocent, & je suis seul coupable, C’est un bras inhumain, qui par un coup fatal M’a ravy ma Maistresse, en m’ostant mon Rival. Helas…         Elle respire, Amour sois moy propice. Climene ouvrez les yeux.         C’est donc toy, cher Fabrice, Fantosme que j’adore, Ombre de mon Amant ? Que veux-tu…         Sa douleur trouble son jugement. Viens-tu me reprocher d’une vois inpreveuë, Que tu verrois le jour, si tu ne m’avois veuë, Et que de nostre Amour, le feu jadis si beau Brilla pour t’éclairer à descendre au tombeau. Non, non, détrompez-vous, adorable Climene. Dis moy donc cher Amant le sujet qui t’ameine Viens-tu soliciter, & mon cœur, & mon bras, De differer ma mort pour vanger ton trépas ; Veux-tu que cette main, au sang du Duc plongée, Rende ma perte juste, & la tienne vangée ! Parle, parle ? hé bien par un illustre effort Il sera hors d’estat de rire de ta mort ; Au milieu de sa Cour, aux yeux de tout Ferrare, J’iray percer le cœur de ce Prince Barbare. Ce n’est que de vos yeux que mon cœur craint les coups ? Connoissez qui vous parle, & revenez à vous, L’excez de vos ennuis vous fait un tort extréme. Que vois-je…         Vous voyez un Prince qui vous ayme. Quel accident funeste, & quel crüel destein, Au lieu de mon Amant, m’offre son assassin, Seigneur, souffrez ce mot d’une Amante offencée, Qui de vous respecter doit estre dispensée. Quoy vous n’estes donc pas assouvy plainement, D’avoir sceu me priver d’un Noble & cher Amant, Et par ces cruautez sans exemple & sans nombre, Vous venez donc encor me priver de son Ombre. L’ombre dont vous parlez n’est qu’une illusion, Que forme votre crainte, & vostre affliction, Et quand j’ay dissipé cette funeste image, J’ay creu vous faire plus de faveur que d’outrage : Quant à Fabrice mort, daignez vous souvenir Que c’est vostre interest qui me l’a fait punir, Le discours qu’il vous tint avec tant d’insolence, M’a porté justement à cette violence : Je vous eusse offencée en luy laissant le jour, Et j’aurois moins osé, si j’eusse eu moins d’amour. A ce compte il faudra que je vous rende grace De m’avoir exposée aux dernieres disgraces, D’avoir crüellement fait perir à mes yeux L’objet, sans qui pour moy le jour est odieux ; D’avoir ravy mon ame, à la sienne assortie, Et percé de mon cœur la plus chere partie : De vos pretentions vous estes esloigné, Et perdant un Rival, vous n’avez rien gagné, Et l’art que vous mettez à le noircir de blâme, Ne sçauroit l’empescher de vivre dans mon ame ? Quand ce mort que je sens vivant dans mes esprits M’eust autant témoigné de haine & de mépris, Que vous montrez d’amour & de respect encore, Je l’eusse autant aimé, comme je vous abhorre. Je ne condamne point ce juste emportement, S’il estoit mon Rival, il estoit vostre Amant, Et j’eus tort d’outrager d’une rage animée, Vostre image charmante en son cœur imprimée. Je sçay que ce Rival, qui m’estoit odieux Eut plus de droit que moy de plaire à vos beaux yeux : Son merite tout seul l’avoit rendu coupable, Et je le hayssois pour estre trop aimable ; Mais en le hayssant, je vous aimois assez, Pour voir sans murmurer ses soins recompensez, S’il eut pû comme moy joindre en vostre personne, Au present de son cœur le don d’une Couronne ; Vous pouvez recevoir ces deux biens de ma main, Mais desja vos regards marquent vostre dedain : Pour moins vous irriter, je vous laisse & j’espere Qu’un jour à mes desirs vous serez moins contraire. Le temps n’a point pour moy de remede assez fort, Mon mal n’aura jamais de terme que ma mort. Approchons, j’apperçoy le Duc qui se retire, Ma peine est dissipée, & Climene respire ; Mais Dieu ! qui vient encore icy me traverser. Le funebre appareil à l’instant va passer. Quoy celuy de Fabrice ?         Approchons, c’est Jacinte, Pour elle il ne faut pas me faire de contrainte. Oüy, de vostre Balcon dans ce mesme moment, L’on peut voir le cercuëil qui cache vostre Amant : Son Pere qui pretend rendre son deüil celebre, Honnore son trespas d’une pompe funebre ; Et tandis qu’on le porte au temple destiné, Vous pourrez voir passer ce corps infortuné. C’est mon dernier souhait.         Il faut qu’il s’accomplisse. Contentez-vous ? voyez, le mal-heureux Fabrice. Ciel contre ce Fantosme, où dois-je avoir recours, La fuitte en ce peril sera mon seul secours ! Où puis-je me sauver.         Quoy, Jacinte me laisse ? Je ne reconnois plus que la peur pour Maistresse. Vous me fuyez ingratte & perfide beauté, C’est faire aller trop loin vostre legereté : Si sur vostre ame encor quelque justice regne, Apres m’avoir trahy, souffrez que je me plaigne. Moy vous trahir ? qu’entens-je, en quel estonnement Me met la nouveauté de cét evenement ; S’il faut croire mes yeux dedans cette rencontre, C’est Fabrice vivant que ce hazard me monstre ; Mais si j’en croy sa voix, ce n’est assurément Qu’un Fantosme trompeur d’un si fidelle Amant. Je suis ce mesme Amant, qui contre vostre envie, En perdant tout espoir n’a pû perdre la vie, Oüy ! oüy, je vis encore, & malgré mon courroux, Ingratte je crains bien de vivre encor pour vous : Je ne sçay qui s’oppose au dépit qui m’inspire, Qu’au lieu de murmurer, je sens que je soûpire, Et que toute l’ardeur qui me reste en ce jour Ressemble beaucoup moins au dépit qu’à l’amour. A ce dernier aveu je reconnois Fabrice, En secret, malgré luy son cœur me rend justice ; Et quand sa bouche injuste oze me condamner A me croire fidelle, il semble s’obstiner. Fidelle ! ah c’est au Duc que ce discours s’adresse, Il doit seul esperer toute vostre tendresse. Peux-tu bien m’imputer ces lasches sentimens ! Ce sont des veritez, si j’en croy vos sermens, Je douterois encor de ce malheur extréme, Si je l’avois apris d’autre que de vous-mesme. D’un mal que l’on connoist, le remede est aisé, Je connois ton erreur, cesse d’estre abusé ; Si dans le dernier soir, second en infortune, J’ay marqué pour le Duc des bontez peu communes, J’ay creu t’entretenir, & dessus cette foy, Ce que j’ay dit pour luy ne s’addressoit qu’à toy : Ton image qui sçait avecque tant de gloire Occuper tous mes sens mon cœur et ma memoire, Fut seule criminelle en ce fatal moment, Si c’est crime en amour qu’un peu d’aveuglement. Pour un Amant dont l’ame aux soupçons s’abandonne, La plus mauvaise excuse est toujours assez bonne ; Un mensonge qui plaist trompe agreablement, Et tout ce qu’on souhaitte est creu fort aisément : Quand toutes tes raisons seroient des raisons feintes, Il est si doux pour moy de voir finir mes craintes, Et flatter les ennuis que tu m’as sceu causer, Que tu m’obligerois de vouloir m’abuser. De ces lasches soupçons que ton cœur se délivre, Si tu veux t’esloigner, je suis preste à te suivre ; Tu connoistras par tout l’equité de ma foy, Soit qu’il me faille vivre ou mourir avec toy ? Que le Ciel favorise ou trompe nostre attente, Je vivray satisfaite, & je mourray contente. Que dois-je…         Tu ne dois aucuns remerciements, En suivant tes desirs je suis mes sentimens : Mais qui t’a pû sauver.         Le destin m’a fait grace, Un passant a pery dans la nuict en ma place ; Et cette mine encor m’a donné le moyen Du logis de Carlos de passer dans le tien. Tu peux entretenir icy tes resveries, Cependant que j’iray prendre mes pierreries ? Passe sous ce berceau, je crois oüyr du bruit, Je te viendrai trouver si-tost qu’il fera nuict. Si je ne suis trompé, Jacinte icy s’avance, De ma chere Climene elle a la confidence ; De tout point aujourd’huy le sort me sera doux, Si je puis l’obliger à partir avec nous. De ma derniere peur remise encor à peine, Je retourne en tremblant au logis de Climene ; J’ay fait perir Fabrice, & je dois bien juger Qu’il vient de l’autre monde afin de se vanger : Ma perte en ce moment seroit inévitable Si j’allois rencontrer ce spectre épouventable. Arreste…         C’est l’esprit, bon Dieu je meurs d’effroy ! Ah ! Monsieur le Fantosme ayez pitié de moy ; Je reconnois ma faute, & je vous fais promesse De ne trahir jamais ny vous, ny ma Maistresse. Qu’enten-je ? il faut sçavoir les secrets jusqu’au bout, Ne me déguise rien, aussi bien je sçay tout. Ne me touchez dont point, je m’en vais vous tout dire ; Il est vray que tousjours j’ay tasché de vous nuire, Que pour servir le Duc j’ay fait tout mon effort, Et que mesme je suis cause de vostre mort. Esprit pernicieux…         N’entrez point en furie, Ce n’est pas encor tout, écoutez, je vous prie ; J’oubliois que le Duc a, par mon sentiment, De Climene aujourd’huy conclud l’enlevement ; Et que ce mesme soir possible sans remise On doit executer cette injuste entreprise. Quelle infidelité…         J’ay tout dit mes forfaits, Trouvez bon maintenant que je vous laisse en paix ! Et sçachez que pour moy la peine est sans seconde, D’entretenir long-temps des gens de l’autre monde ; Si vous n’estiez point mort vous seriez assez bon Pour à mon repentir accorder mon pardon. Il me seroit honteux de punir une femme : Allez…         Monsieur l’Esprit, Dieu veüille avoir vostre ame. Le Duc doit enlever Climene cette nuict : Ciel ! mon espoir encor doit-il estre destruit ; Mais d’une vaine peur mon cœur se laisse atteindre, Puis que je suis aymé, je n’ay plus rien à craindre. Allons, souvenons-nous qu’il n’est rien d’assez fort Pour des-unir deux Cœurs que l’Amour met d’accort ; Et qu’augmentant sa force au milieu des obstacles, Ce Dieu sçait tousjours l’art de faire des miracles. Fin du troisiéme Acte. Voicy l’heure propice où j’espere de voir La beauté dont mon cœur adore le pouvoir : Des-ja l’Astre du jour achevant sa cariere, Ne lance plus icy qu’une foible lumiere ; De ses derniers rayons il pare l’Occident, Il tombe avec éclat, il brille en se perdant ; Et le reste brillant de sa clarté mourante, Rend sa cheutte pompeuse, & sa perte éclatante. Pardonnez, ô Soleil ! dont la splendeur me nuit, Si mon espoir s’accroist quand vostre éclat s’enfuit : L’amour ingenieux assemble pour ma peine Tout l’éclat qui me charme aux beaux yeux de Climene ; Et bien-tost ses regards me rendront des clartez, Qui passent de beaucoup celles que vous m’ostez ; Mais qu’elle tarde ! ô Ciel, qu’elle a de negligence, Elle ne paroist point, & la Lune s’avance ; Tout mon espoir des-ja s’esteint avec le jour, Ce long retardement marque un defaut d’amour ! On marche, & si mes yeux sont des tesmoins fideles, Je voy venir enfin ce miracle des Belles. Fabrice ?...         Il n’est pas loin, beau sujet de mes feux ? Ce Fabrice fidele autant qu’il est heureux. Auprés de toy plustost j’esperois de me rendre, Je crains de t’avoir fait ennuyer de m’attendre. Pour Fabrice en effet croy que de tes beaux yeux Le joindre esloignement est beaucoup ennuyeux ; Je t’attendois plustost, & pour ne te rien feindre, J’avois dessus ce poinct resolu de me plaindre ; Mais pour tout oublier, il suffit de te voir, De me plaindre à tes yeux, je n’ay pas le pouvoir ; Et le plaisir present qui flatte ma pensée M’oste le souvenir de ma peine passée. Puis que l’amour te force à ne pas m’accuser, La mesme passion m’oblige à m’excuser. Le soin des Diamants dont je me suis chargée, A ce retardement ne m’a pas engagée ; Le soin de prendre un temps propre à nostre départ, A pû seul m’obliger à te joindre si tard. Il faut de ces discours remettre ailleurs la suitte, Achevons nos desseins, & hastons nostre fuitte ; Du sort injurieux je crains encor les coups, On s’y doit moins fier, lors qu’il paroist plus doux. Hastons-nous, j’y consens, mais que vois-je paroistre, Je crains que ce flambeau ne te fasse connoistre? Cache toy…         Je mourray plustost que me cacher, On veut te faire outrage, & je dois l’empescher ; Je suis bien averty que le Duc se prepare A te faire enlever par un ordre barbare. Elle doit estre icy…         Je me tire à l’écart, J’entendray tout ? allez, & parlez de ma part. Quoy souffrir qu’on t’enleve, & mesme en ma presence, Non, si tu t’apperçois de quelque violence ; Avance à mon secours, cependant cache-toy, Et ne me laisse encor à craindre que pour moy. Que cherchez-vous, Valere, en ces lieux à telle heure ? Je ne souhaittois pas de rencontre meilleure ; Un carrosse à present vous attend icy prés, Je vous y dois conduire, & j’en ay l’ordre exprés. De qui vous vient cét ordre ?         Il vient du Duc mon Maistre, Qu’icy pour Souverain chacun doit reconnoistre. Tout Souverain qu’il est il doit pourtant sçavoir Que l’ame de Climene est hors de son pouvoir ; Mon cœur dépend d’un autre, & quoy qu’il puisse dire, Ce n’est pas un sujet qui soit sous son Empire. Madame, je vous plains, mais il faut obeyr. Croit-il se faire aymer, comme on se fait hayr ; Perdant la liberté, pense-t’il que je prenne Pour des effets d’amour tant de marques de hayne ; De son inimitié, que peut-on redouter, Si quand il m’ayme il cherche à me persecuter. Je suis autant forcé que vous estes contrainte, Mais quoy vostre ame en vain s’abandonne à la plainte ; Suivez-moy promptement ou je vais…         Arrestez ! Pour souffrir qu’on l’outrage elle a trop de Beautez, Ou plutost quelque peine où sa rigueur m’engage, J’ay trop de passion pour souffrir qu’on l’outrage. Ouy de vostre mépris, confus, desesperé, A vostre enlevement je m’estois preparé ; J’en attendois l’issuë, & j’avoüeray, Madame, Que l’amour surmontoit le respect de mon ame : Mais à vos premiers mots par un soudain retour, Le respect dans mon ame a surmonté l’amour ! Cessez, cessez de craindre, ô merveille charmante, L’ardeur de cette amour un peu trop violente : Vostre cœur deut-il estre aussi dur qu’un rocher, J’emploieray le respect tout seul pour le toucher ; J’ay plus de passion que vous n’avez de hayne, Par tout où je seray vous serez Souveraine ; Et je tiendray mon sort trop heureux & trop doux, Non de donner des loix, mais d’en prendre de vous. Je rendrois grace au Duc d’un adveu si propice, Si je pouvois flatter l’ennemy de Fabrice. Encore que sa perte ait lieu de m’obliger, Puis qu’elle vous afflige elle doit m’affliger ; Mais il court sur ce poinct un bruit qui m’épouvante, On tient que son Fantosme à vos yeux se presente. Ce bruit n’a rien de faux, il est vray qu’en ces lieux Fabrice apres sa mort s’est offert à mes yeux. Afin de dissiper les craintes dangereuses, Que vous pourroient causer des visions fascheuses ; Quatre ou cinq de mes gens & des mieux resolus Auront ordre à l’instant de ne vous quitter plus. Ah ! Seigneur, ce n’est pas ce que je vous demande. C’est le moindre devoir qu’il faut que je vous rende ! Souffrez que l’on vous garde.         Il n’en est pas besoin. Vostre repos me touche, & j’en dois prendre soin, Au lieu de m’obliger vostre dessein me blesse, Mes desirs de ce soin dispensent vostre Altesse. Ce seroit vous trahir que suivre vos desirs, La vision d’un mort accroist vos déplaisirs. Permettez ?         Non, Seigneur, deffendez qu’on me suive, La vision m’en plaist, & je crains qu’on m’en prive. Ce spectre troublera tousjours vostre raison, Tant que vous resterez seule en cette maison. S’il ne tient qu’à changer de logis pour vous plaire, Dés ce mesme moment je veux vous satisfaire ; Le logis de Carlos au mien se trouve joint. Si vous en faites choix, je n’y contredits point, Sa Mere est fort prudente, & ses conseils solides Seront un grand secours pour vos esprits timides ; Souffrez que je vous meine en son appartement. Seigneur, cette priere est un commandement ; De le suivre en ce lieu je ne puis me deffendre, Puis qu’aussi bien Fabrice a dessein de s’y rendre : De quoy donc si long-temps peut-elle discourir ; Mais Dieux le Duc l’emmeine, allons la secourir. Ce Fantosme est l’effet d’une triste pensée, Tous les sens sont troublez lors que l’Ame est blessée. Esteignons la lumiere.         Enfin je vous promets Qu’il n’est point de Fantosme, & qu’il n’en fût jamais ; Mais que vois-je, ô prodige ! ah Ciel quelle est ma peine. C’est Fabrice qui vient vous arracher Climene. Fabrice, à quel danger es-tu venu t’offrir ? Sauve-toy ma Climene, ou laisse moy perir. Mes jours sont en peril lors que tu te hazardes ; Je m’esloigne, suis moy.         Que l’on s’avance, Gardes, Je veux estre éclaircy, ne m’abandonnez pas. Climene est esloignée, allons suivre ses pas. N’en doutez point, Seigneur, c’est l’ombre de Fabrice. N’importe, il faut encor que je m’en éclaircisse. Secourons nostre amy, ce bruit me fait juger Que ses jours en ces lieux courent quelque danger. D’un Fantosme trompeur la prise est impossible, Il est pris toutesfois, & c’est un corps sensible. Ah traistre ! ah, le plus grand de tous mes ennemis. Ah Seigneur ! quel forfait Carlos a-t’il commis ? Vous n’avez jamais eu de sujet plus fidele. Qu’entends-je ! c’est Carlos, la surprise est nouvelle ; Tous mes raisonnements se trouvent icy vains, Venez-vous d’enlever Climene de mes mains. Moy, Seigneur, nullement le bruit qu’on vient d’entendre, Pour en sçavoir la cause en ce lieu m’a fait rendre. Qui donc en ce jardin est venu m’arrester. C’est l’ombre de Fabrice, en pouvez-vous douter ; Nous en pouvons tous rendre un fort seur témoignage, Nous aurons bien connu sa voix & son visage. Je les ay remarquez aussi distinctement. De Fabrice, Seigneur, c’est l’ombre asseurément. Ce prodige me laisse en une estrange peine, A quiter ce logis j’avois porté Climene, Et jusqu’en sa maison j’allois l’accompagner, Quand ce spectre est venu, qui l’a fait esloigner. Ainsi que vous, Seigneur, ce succez m’épouvante. Carlos il faut trouver cette Beauté charmante, Et pour sa seureté la conduire chez toy. Cherche de ce costé : vous autres suivez-moy. Ah Ciel ! tout est perdu, la fourbe est averée, Si Fabrice est trouvé, sa perte est asseurée ; Mais si malgré la nuit, je ne m’abuse pas, J’apperçoy qu’une femme addresse icy ses pas. Fabrice, est-ce toy…     Non…         Ah ma peine est extréme. Si ce n’est luy du moins, c’est un autre luy-mesme. C’est Carlos…         Ah, Seigneur, quel mal-heur est le mien. J’ay sçeu vostre disgrace, & n’en ignore rien, J’ay tout apris du Duc, qui brûlant de colere Vous cherche avec un soin qui n’est pas ordinaire. Fabrice est en ces lieux, s’il alloit le treuver, Il seroit impossible apres de le sauver ; Carlos, si vous l’aimez, destournez ses disgraces, Pour rejoindre le Duc, marchez dessus ses traces, Afin de l’éloigner, il le faut avertir, Que de ce lieu fatal je suis preste à sortir ; Et qu’enfin j’ay promis icy de vous attendre, Pour en vostre logis avecque vous me rendre. J’y cours ; vous, essayez d’avertir vostre Amant ; Et sur tout, rendez-vous en ce lieu promptement. La fortune pour moy n’est pas assez propice, Pour souffrir qu’à present je rencontre Fabrice, Avecque trop d’ardeur son couroux me poursuit, Pour m’accorder ce bien : toutesfois, j’oy du bruit : Possible que l’Amour favorable à mes flames, Guide icy mon Amant ; mais quoy, ce sont deux femmes, Elles m’ont apperceu, ou je m’abuse fort, Allons chercher Fabrice, & fuyons leur abord. C’est Climene, approchez avec toute asseurence, Et souffrez qu’au logis je rentre en diligence, Ma conduite & mes soins sont icy superflus. Demeure ? elle s’esloigne, & je ne la voy plus, Marchons dessus ses pas, & prenons cette route. Dieu si j’allois trouver l’esprit que je redoute. Tu sçais tous ces détours, & tu m’y peux guider, Passe devant…         Quoi moy ? Dieu m’en veuille garder, Je sçay bien mon devoir, quoy que fille grossiere, Madame c’est à vous de passer la premiere : Ah ! si l’esprit venoit punir ma trahison. Mais tu trembles…         Hélas ! ce n’est pas sans raison. Demeure donc, sans toy je vais suivre Climene. Elle me laisse seule, ah ma perte est certaine, Madame, où courez-vous ?         N’arreste point mes pas. Vous deussiez vous fascher, vous ne la suivrez pas. Ton importunité, sans mentir est extréme, Pourquoy m’arreste-tu ?         Parce que je vous ayme, Vous seriez en peril, si vous alliez plus loin, Votre salut m’est cher, & j’en veux prendre soin. Laisse moy…         Non, sçachez une chose incroyable, Il revient en ces lieux un esprit effroyable. Est-ce un esprit folet…         Non, il n’est point plaisant. C’est plûtost un esprit malin & mal-faisant. Qui te l’a dit…         Mes yeux, Madame, & je vous jure Que je l’ay veu vingt fois, sous diverse figure, Tantost en forme d’homme, & puis en Loup-garou, Et chaque fois tout prest à me tordre le cou. Climene donc icy n’est pas en asseurance. Je ne sçay, mais je croy qu’ils ont fait connoissance, Ils s’accordent fort bien, mais je l’avois bien dit, En forme de Geant voicy venir l’esprit. C’est Jacinte, & Climene est sans doute avec elle. Elle approche, ah fuyons, sa rencontre est mortelle. C’est à moy qu’il s’arreste ! ô Ciel que j’ay d’effroy. Climene c’est Fabrice, arreste écoute moy. Parlons bas, c’est mon Frere, ah Dieu quelle surprise. Faignons, pour découvrir quelle est son entreprise. Le Duc à qui mes soins viennent de t’arracher, Sans doute en ce moment s’employe à te chercher ; Ne perdons point de temps pour fuir sa violence, Au logis de Carlos passons en diligence : De plus, je crains ma sœur, car chez mon Pere au soir, Elle me témoigna qu’elle viendroit te voir ; S’il faut qu’elle me voye, au mesme instant mon Pere, Qui me croit desja loin, apprendra le contraire, Ce n’est pas que ma sœur soit fine au dernier point, Elle est fort innocente, & ne me nuira point ; Mais elle a le deffaut de ne pouvoir rien taire. Vous m’obligez beaucoup, continüez mon frere. C’est ma sœur Isabelle ? ah quel est mon mal-heur. Poursuivez donc…         Helas j’en ay trop dit, ma sœur Excuse d’un Amant la foiblesse & les craintes, Si ton cœur ressentoit de pareilles atteintes, Tu sçaurois que le Dieu qui preside aux amours, Est un enfant timide, & qui tremble toûjours. Des maximes d’Amour je suis fort ignorante, Et pour les bien sçavoir je suis fort innocente: Quant à vostre sejour que j’apprens à regret, Ce secret sceu de moy n’en est pas moins secret : Je veux en vous montrant que je sçay bien me taire Estre meilleure sœur, que vous n’estes bon frere. Ah c’est avoir pour moy des sentimens trop doux. J’entends quelqu’un marcher, mon frere éloignez-vous. Je suivray ton advis, sors de cette demeure, Et t’en vas chez Carlos, je te suis tout à l’heure. Vous voyez en ce lieu Climene qui m’attent. Conduis-la ? c’est assez, je sortiray contant. Madame c’est Carlos, suivez mes pas sans crainte, Parlez bas…         C’est Carlos, suivons-le sans contrainte. Gardes, suivez Climene, il faudra pour ce soir Que mes yeux soient privez du bon-heur de la voir, Mon amour à la suivre en vain me solicite ? Differons à demain de luy rendre visite, Le bien que j’en attens seroit trop achepté, S’il coûtoit à Climene une importunité ? Sortons, & flatons nous encor de l’esperance, Qu’on vient à bout de tout par la perseverance, Et qu’il n’est point de cœur, soit de bronze ou de fer, Que des feux bien ardens ne puissent échauffer. Fabrice…     Ma Climene…         Ah Ciel qu’ay-je entendu, Mon jugement icy se trouve confondu, Climene suit Carlos, quel charme que j’ignore, Avec l’Ombre d’un mort la fait trouver encore. Chacun est retiré, nous sommes seuls enfin, Et le Duc à present n’est plus en ce Jardin : Je viens d’oüir un bruit de gens qui se retirent, Achevons le dessein où nos souhaits aspirent ; Pressons notre retraite, & fuyons sans terreur, L’amour de ce Tyran pour qui j’ay tant d’horreur. Dans un gouffre d’herreur ce prodige me plonge. Est-ce une verité, seroit-ce point un songe ? Hastons-nous, mais je crains que dans l’obscurité, Tu n’entres dans la Mine avec difficulté. Il faut de ce Jardin sortir d’autre maniere, Il m’est aisé d’ouvrir la porte de derriere : J’en ay pris dessus moy la clef secretement, Nous pouvons chez Carlos passer commodement, Et dés qu’il fera jour je seray preparée De suivre ta fortune en toute autre contrée. Par quels remercimens.         Hastons nous de sortir, Ne perdons point de temps, suis moy sans repartir. Il n’en faut point douter, la chose est tres-certaine, Fabrice, vif ou mort enleve encor Climene, Ha je ne puis souffrir cette outrage à mes yeux, Allons, il faut nous perdre ou la sauver ? ah Cieux. Fin du Quatrième Acte. Que vois-je, qu’ay-je fait ! ah rencontre cruelle, Ne m’abusay-je point, est-ce vous Isabelle ? Qu’entend-je ! quoy Carlos, vous me méconnoissez, Mes traits en un instant se sont-ils effacez, Non ils me sont restez, & j’ay bien lieu de croire Que s’ils sont effacez c’est de vostre memoire. Ce soupçon est injuste ; avec sincerité Je vous veux sur ce point dire la verité. Quelle sincerité de vous peut-on attendre ? Ne me condamnez point avant que de m’entendre : J’avois fait un dessein qui n’a pas reüssy, Je pretendois conduire une autre femme icy ; J’avoüeray qu’à regret je vous voys en sa place, Et que vostre presence en effect m’embarasse : Mais,         Il suffit ingrat, ton crime est confessé, Et plus sincerement que je n’aurois pensé. Souffrez que je m’explique !         Il n’est pas nécessaire Quelle explication pourroit estre plus claire. Escoutez ce qui reste.         Ah je n’escoute plus, Tous tes deguisemens sont icy superflus. Mais sçachez…         Je n’ay rien à sçavoir davantage, Ne m’as-tu pas appris que ton ame est volage ; Tu pretendois conduire une autre femme icy, Tu veux que je le croye, & je le croys aussy. Je n’ay,         Tu n’as pour moy que froideur & qu’audace. Avec regret, dis-tu, tu me voys en sa place, Et d’une injuste ardeur ton esprit emporté, Passe de l’inconstance à l’incivilité. Souffrez que je vous parle !         Hé que me peus-tu dire ; Que d’un plus digne Objet tu reconnois l’empire, Qu’à ses charmes ton cœur en vain a resisté, Et que pour t’acquerir j’ay trop peu de beauté. Ah prenez moins de soin à vous tromper vous-même, Et soyez moins injuste pour mon cœur qui vous aime ! Je perdray peu, perdant un cœur comme le tien, Il est fourbe, il est lasche, & je n’y pretends rien ! Adieu,         Quoy sans m’entendre ? ah demeurez de grace ! Arrestez,         Ma presence en ce lieu t’embarasse. C’est la verité mesme,         Ingrat la verité ? Vous ne sortirez point sans m’avoir escouté ! Souffrez que sur ce point j’explique ma pensée. De tes discours encor je serois offencée. Ce que je vous diray se peut verifier. Non, non, je te deffens de te justifier. Pour la derniere fois laissez moy dire encore, Que ce n’est que vous seule aujourd’huy que j’adore, Que je suis tout à vous :         Hé bien fais moy donc voir S’il me reste en ton ame encor quelque pouvoir. Madame, commandez, vous serez satisfaite. Ne dis rien qui t’excuse & souffre ma retraite ; Je l’ordonne ? obeys :         Pour un parfait Amant, C’est crime d’obeyr un peu trop promptement. Non, non, sur ton esprit si j’ay quelque puissance, Montre encor ton respect par ton obeyssance. L’Amour par des respects se sçait mal exprimer ! Qui sçait bien obeyr ne sçait pas bien aymer : Ce conseil favorable ! ô beauté trop cruelle, Fut donné pour Carlos :         Ouy pour Carlos fidelle ; Mais ce conseil fatal dont tu presumes tant, Ne fut jamais donné pour Carlos inconstant. Quel est mon crime :         Ingrat, je veux bien te l’apprendre, J’ay tousjours eu pour toy je ne sçay quoy de tendre, Et ce je ne sçay quoy commençoit en ce jour D’estre peu different de ce qu’on nomme Amour : J’estois Amante, enfin, alors que pour ma peine, J’ay sceu que mon amour n’a produit que ta haine ; Ouy tu n’es plus atteint quand je me sens toucher, Je deviens importune à qui me devient cher ; Lors que mon feu paroist ta flame est consommée, Et commençant d’aymer, je cesse d’estre aymée. Aymée ! ah qu’ay-je dit, j’apprens par les effets, Que tu faignis tousjours, & ne m’aimas jamais : Ingrat pour t’excuser que pourois-tu respondre, Un reproche si juste a droit de te confondre. Pour te justifier tu ne t’empresses plus, Tu reconnois ton crime & tu restes confus. Cette confusion qui dans mes yeux s’exprime, Vient de vostre injustice, & non pas de mon crime. Deffends-toy ? qu’ays-je dit que tu puisses nier. Vous m’avez deffendu de me justifier ; De mes discours encor vous seriez offencée. Non, non, parlez Carlos, ma colere est passée ; Fussiez-vous inconstant, m’eussiez-vous pû trahir, Je pouray bien me plaindre, & non pas vous hayr ; Et quelque changement que vous fassiez paroistre, Vous serez excusé, si vous le voulez estre. Dessus vos belles mains pour cét aveu charmant, Que j’exprime ma joye & mon ressentiment. Que vois-je ?         Vos soupçons me font un tort extréme. Mes soupçons à Carlos font sçavoir que je l’ayme. Vous l’aymez :     Dieu, qu’entens-je ?         O sort trop inhumain. Il faut me disposer à mourir de sa main : Mon Pere ?         Indigne objet de ma juste colere, Je suis ton ennemy, je ne suis plus ton Pere. Quoy perdant à la fois l’honneur & la raison, Tu viens chercher Carlos de nuict en sa Maison : Et méprisant le Cloistre où je t’ay destinée, A de lasches Amours Tu t’es abandonnée. De grace, escoutez-moy ! faites-vous cét effort, Me refuserez-vous :         Ouy tout hormis la mort. Souffrez que l’equité par ma bouche s’exprime,  Je suis seul criminel si sa flame est un crime. Ouy ! si c’est un forfait, daignez vous souvenir, Que c’est moy qui le cause, & qu’on doit seul punir : Sans estre plus humain, soyez plus équitable ; Conservez l’innocente, & perdez le coupable. Non, soyez contre moy seulement animé, Si c’est crime qu’aymer, c’est vertu qu’estre aimé : Tout ce que pour Carlos je ressens de tendresse, Tesmoigne son merite, & fait voir ma foiblesse ; Et si ma passion est digne du trespas, Je suis seule coupable, & Carlos ne l’est pas. Tu mourras donc perfide.         Ah ! perdez cette envie. Carlos avec l’honneur ostez-moy donc la vie : Pour asseurer son crime il le faut achever, Et si l’on ne me perd, on ne peut la sauver : Ma mort peut seulement empescher son supplice, Et s’il faut que je vive, il faut qu’elle perisse. Ne craignez rien de moy, j’ay du respect pour vous ; Et puis que je n’ay pû calmer vostre couroux, Loin de combatre encor cette fureur cruelle, Je ne vous presse plus que de perdre Isabelle. Quoy vous pressez ma perte ! ah c’est dans ce moment Que je puis du destin me plaindre justement : Je me plains de vous voir avec tant d’injustice, Estre plustost mon Juge icy que mon complice ! J’allois mourir, Carlos, & mon sort m’estoit doux, Quand je songeois qu’au moins j’allois mourir pour vous ; Mais je ne croyois pas que dans cette avanture, L’Amour deut me trahir ainsi que la Nature ; Et qu’enfin je ne deusse entrer au monument, Que par le coup d’un Pere, & l’arrest d’un Amant. Madame, je n’ay dit que ce que j’ay deu dire ! Ouy, Seigneur, puis qu’il faut que vostre fille expire, Et qu’en vain je voudrois empescher son trépas ; Contentez-vous ? frappez, mais ne vous trompez pas ; Portez icy vos coups, c’est là qu’est Isabelle ; C’est là qu’elle est amante, & qu’elle est criminelle ! C’est là pour la punir, qu’il la faut attaquer ; En me perçant le cœur on ne la peut manquer. Ah ne le croyez pas ! tournez icy vos armes. Prest à verser mon sang, je sens couler mes larmes, Ma colere s’esteint ; & par un prompt effet Je reste seul vaincu du combat qu’ils ont fait. Feignons encor pourtant ?         Carlos, vostre artifice, Pour bien peu de moments retarde son suplice ; Mais sur ce qui m’ameine ostez-moy ce soucy, Dites-moy si mon fils n’est point encore icy : S’il se trouve en ces lieux sa mort n’est que trop seure. Il n’est point en ces lieux, & je vous en asseure. Je n’en veux point douter, puis que vous l’asseurez. Enfin des mains du Duc nous sommes délivrez. O Ciel ! est-il possible.         Ah funeste rencontre. Quoy Fabrice à mes yeux encore icy se montre : J’avois à vos discours donné trop de credit. Il n’estoit point icy lors que je vous l’ay dit. O toy fils aveuglé ! par quelle ingratitude, Fonde-tu tes plaisirs sur mon inquietude ; Qui te fait mépriser les volontez d’un Pere, A qui tu sçais ingrat, que ta vie est si chere ; Et pourquoy violant toute sorte de droits, Fais-tu si peu d’estat du jour que tu me dois. Le soin de mon salut vous donne trop de peine, J’ayme le jour, Seigneur ; mais bien moins que Climene. Je t’avois commandé de quitter ce sejour. J’en avois un autre ordre ;     Et de qui,         De l’Amour. L’Amour ne fait des loix, que pour qui veut en prendre, Et la raison alors te le devoit deffendre. Ah Seigneur, la raison m’avoit abandonné, Et pour pouvoir partir j’estois trop enchaisné. Peus-tu rester sans honte aupres d’une infidelle : Ma Climene est constante autant comme elle est belle ; D’un injuste soupçon j’avois l’esprit frappé, Elle est preste à me suivre, & je suis detrompé. A te suivre :         Ouy, Seigneur, je m’y suis engagée : Si son sort est changé, je ne suis point changée. J’avois tousjours douté jusques à ce moment, Qu’une femme jamais pût aymer constamment ; Mais si dans vostre amour quelque raison vous reste, Hastez-vous de sortir de ce pays funeste. Il n’est rien qui demain puisse arrester nos pas ? Seigneur, je vous le jure,         Amy, n’en jurez pas. Si vous ne le croyez vostre erreur est extréme ? Qui peut nous arrester.         C’est peut-estre moy-mesme. Vous,         Ouy, soyez instruit d’un triste evenement, Qui doit estre à tous deux funeste esgallement. Sçachez ! qu’une infortune, à nulle autre seconde, Met Climene en ma garde, & veut que j’en responde : J’en ay l’ordre du Duc ; & pour dernier malheur, J’ay crû prendre Climene, & j’ay pris vostre sœur. Quoy ? c’est donc le sujet qui tantost a fait naistre Le trouble que d’abord vous avéz fait paroistre. Avec peu de raison vous en avez douté ; Mais connoissez ma peine en cet extremité : Si Climene s’enfuit, il faudra qu’au lieu d’elle, Aux passions du Duc j’abandonne Isabelle. Je l’ayme, il n’est plus temps de vous rien déguiser, Jugez en ce peril si je dois l’exposer ! Nostre malheur est grand :         Bien moins qu’il ne nous semble ; Pour ne craindre plus rien, partez tous quatre ensemble ! Le Duc à s’appaiser apres sera reduit. Ce moyen est fort seur, mais d’où provient ce bruit. Plusieurs hommes, Seigneur, armez de hallebardes, Desirent vous parler ;         C’est le Duc & ses Gardes ; Leur dessein me surprend :         Tout mon espoir se pert. Carlos, asseurement mon fils est découvert. Nous serons sur ce point esclaircis tout à l’heure ! Que sans clarté Fabrice en cet endroit demeure ; Et s’il se peut douter qu’on le vienne chercher, Derriere ce faux mur il pourra se cacher ! Vous, voyez comme il tourne : avant sa mort mon pere, Craignant ses ennemis en secret le fit faire, Et je sçay qu’il n’est point d’esprit assez adroit Pour pouvoir découvrir Fabrice en cét endroit. Fais-toy ce peu d’effort pour asseurer ta vie. Ton pere t’en conjure,         Et Climene t’en prie. J’obeys comme fils ; j’obeys comme amant. Cessons de discourir & sortons promptement. Ciel ! faut-il que tousjours & je craigne & j’espere : Et qu’un amour si juste ait le sort si contraire ; Le Duc ayme, on l’abhore ; & je reconnois bien Que je dois craindre tout de qui n’espere rien ; Et que sur toute chose il est dangereux d’estre Concurrant de son Prince & rival de son Maistre ; Mais quoy ! n’entend-je pas icy quelqu’un marcher, Qui tesmoigne de moy se vouloir approcher. Apres avoir passé par une estroite route, J’entre en un lieu plus grand & ne sors point de doute, Mon espoir se confond & n’a point de clartez Qui puissent m’esclaircir dans les obscuritez ! Suis-je entre les mortels ! Suis-je au creux de quelque antre ! Suis-je encor sur la terre ; ou suis-je dans son centre : Fabrice massacré s’offre à mon souvenir Le Ciel de son trépas me voudroit-il punir ! J’oy du bruit, qui va là,     C’est Fabrice,         Fabrice. Quoy son Fantosme icy paroist pour mon supplice, Et pour estre puny des maux qu’il a soufferts ; Je suis donc descendu tout vivant aux Enfers ? J’entends la voix du Duc qui m’est assez connuë. Je n’en douteray plus pour peu qu’il continuë ; Seigneur Duc, c’est donc vous ?         Tu ne t’abuses pas. Ouy Fabrice, je suis l’autheur de ton trépas : Je ne te diray rien pour me sauver la vie, Tu peux l’oster sans crime à qui te l’a ravie ? Tout l’effroy qui me reste en un si triste sort, Ne vient que de mon crime & non pas de ma mort ; Et si dans ce moment quelque douleur m’accable, Ce n’est pas de mourir, mais de mourir coupable. Il me croit tousjours mort, profitons de l’erreur ! Duc, vous avez sujet de craindre ma fureur, Vostre sort maintenant se trouve en ma puissance, Rien ne vous peut soustraire au cours de ma vengeance, Je puis sacrifier tout vostre sang au mien ; Mais vous estes mon Prince, & je n’en feray rien ; J’abore l’injustice, & malgré ma colere, Seigneur, j’ayme encor mieux la souffrir que la faire. Plus ton respect pour moy se fait encore voir, Plus ta perte est injuste, & plus mon crime est noir ; Mon forfait en devient doublement condamnable ; Et moins tu me punis, plus je suis punissable ! Mais si ton ombre encor pretend me respecter, Qui t’oblige en tous lieux à me persecuter ? D’où vient que tu me fais des faveurs imparfaites ? Pourquoy me poursuis-tu ; qu’est-ce que tu souhaites ? Puis que vous l’ordonnez, Seigneur, je vais parler. Sçachez qu’il m’est permis de ne vous rien celer, Que vous ne sçauriez voir la fin de cette peine, Que vous n’ayez devant cessé d’aimer Climene. Cessé d’aymer Climene ; ah ! c’est trop presumer, Je puis cesser de vivre, & non pas de l’aymer : Pour rendre de tes vœux le succez infaillible, Tu devois souhaiter une chose possible ; Mais je t’abuserois si je t’avois flatté De l’espoir de cesser d’aymer cette beauté. C’est aymer en tyran, que d’aymer de la sorte. Ouy, ouy, j’ayme en tyran, je le sçay, mais n’importe, Sçache aussi que l’amour qui me donne la loy, Est encor un tyran plus aveugle que moy : Pour me forcer d’aymer cette ingrate Maistresse, Il n’a que trop de force & moy trop de foiblesse ; Et je puis seulement te donner quelque espoir, Non de ne l’aymer plus, mais de ne la plus voir. Qui peut perdre l’objet peut perdre aussi la flame, Ce que l’on oste aux yeux s’oste aisément de l’ame : De nostre volonté l’Amour tient son pouvoir, Et pour cesser d’aymer on n’a qu’à le vouloir : Pour perdre tous ses feux, perdez toute esperance, Et cedez pour jamais Climene à ma constance. Mais toy que pretends-tu, si je fais cét effort ; L’espouser,         l’espouser ? quoy ? tu n’es donc pas mort. Qu’ais-je dit,         Des vivants tu dois estre du nombre, Qui peut cherir un corps ne sçauroit estre une ombre ? Parles & crois que ta mort m’a cousté des regrez. Il feint pour me connoistre, & pour me perdre aprez. Il ne dit mot ? cherchons ; mais de peur qu’il ne sorte, Il est plus à propos de garder cette porte, Pour sçavoir où je suis, il faut faire du bruit ! Hola quelqu’un à moy.         Ciel où suis-je reduit. Avant que l’on apporte de la lumiere, Avançons vers ce mur & nous cachons derriere. Nous sortirons d’erreur, voicy de la clairté, Qui pourra m’esclaircir de ce dont j’ay douté. Voyons-nous pas le Duc.         Vois-je encor ma Maistresse ? Ah Seigneur ! en tous lieux nous cherchons vostre Altesse. Est-ce un anchantement ? où suis-je.         En mon logis. Mais qu’est-il devenu,     Qui Seigneur ?         Vostre fils. Mon fils n’est plus, Seigneur, vostre Altesse s’abuse ; Je viens de luy parler ne cherchez point de ruse. Ce sont des visions ;         Ce sont des veritez ; Mais il n’a pû sortir ? cherchons de tous costez. Ah Carlos que je crains ;         Ne craignez rien vous dis-je. Seigneur, je n’ay rien vu.         Ciel quel nouveau prodige ; Jugez si j’ay raison de me croire enchanté : Je sortois du Jardin où j’estois seul resté, Croyant voir devant moy le spectre de Fabrice, Lors que je suis tombé dedant un precipice ; Et passant par des lieux que je ne connois pas, J’ay porté jusqu’icy mon erreur & mes pas ; Où pour combler d’effroy mon ame espouvantée, Son Ombre devant moy s’est encor presentée, Qui m’a parlé long-temps, pour me persuader De n’aimer plus Climene & de la luy ceder. Ce discours qui m’a mis en quelque inquietude, M’a donné de son sort beaucoup d’incertitude : J’ay douté qu’il fut mort, mais surpris & confus, J’apprends de ce succez qu’il faut n’en douter plus ! Pleut ô Ciel, que sa mort ne fut point veritable, Je serois delivré du remords qui m’accable ; Je luy ferois justice, & perdant tous mes feux, Je me rendrois content en le rendant heureux. La generosité n’est pas grande de plaindre, L’ennemy qu’on opprime, & qui n’est plus à craindre : Vous croyez mon fils mort, & le plaignez en vain, Mais s’il estoit vivant vous seriez moins humain. Je tiendrois ma parole, Alphonce je vous jure ! Par le Ciel, par Climene, & toute la nature ! Que si par un miracle à l’instant en ces lieux, Fabrice encor vivant paroissoit à mes yeux, A ses justes desirs bien loin d’estre contraire, Il obtiendroit de moy cette beauté si chere. Vous me voyez vivant Prince trop genereux, Tenez vostre parole & me rendez heureux ! Est-ce un Fantosme ! ô Ciel ;         Dissippez vostre crainte, C’est Fabrice vivant & sa mort n’est que feinte. J’attends de vos serments l’effect à vos genoux. Ouy je tiens ma parole, & Climene est à vous. Favorisez, Seigneur de tout point ma famille, Et souffrez que Carlos espouse aussi ma fille ! Approuvez avec moy leurs desirs innocens. Veuillez y consentir, Seigneur !         Ouy j’y consens : Je suis trompé Carlos & par vostre artifice ; Mais perdant mon amour, je perds mon injustice ; Vous trahissiez ma gloire à ne me pas trahir, A qui commande mal on doit mal obeir ; Aux injustes desseins, on peut justement nuire, Suivez-moy cependant ; & me venez instruire Par quel Art mon Rival aussi constant qu’heureux, A passé dans ce jour pour Fantosme Amoureux. Fin du cinquiesme & dernier Acte.