publié par Paul FIEVRE février 2012
Ah !
Ah !...
Déjà neuf heures !...
Monsieur l’Abbé ne tardera peut-être pas à sortir du lit, c’est à-dire, à vouloir que je l’en sorte ; car, sans moi, il y resterait longtemps ; mais il attend Mademoiselle d’Aubigné ; il sera matinal.
Préparons-lui toutes ses petites affaires...
Sa table...
Ses livres...
Ses lettres...
La dernière épreuve de Jodelet...
Jodelet !
C’est ça une belle comédie !
Comme tout le monde y court !
Que d’argent elle rapporte aux comédiens !
Aussi, ces messieurs sont-ils venus en députation prier Monsieur Scarron de leur en faire une autre, toute pareille.
Mais il faut passer cette petite inconséquence à ces messieurs, s’ils ont bien voulu se transporter chez mon maître, c’est qu’ils avaient besoin de lui, et qu’ils ne pouvaient pas le faire venir chez eux, attendu qu’il ne marche pas...
Eh !
Puis, quand un homme d’église, un chanoine, fils d’un conseiller au parlement, fait tant que d’être auteur, on sent bien que ce n’est pas un auteur comme un autre.
Voilà ce que c’est...
Quand je l’aurai roulé là, il aura tout sous sa main...
Voyons maintenant si je n’ai rien oublié de ses commissions...
Relisons sa petite note.
Les vers à Mademoiselle d’Hautefort...
Je les ai remis, et le pâté qu’elle m’a donné est à l’office.
Un exemplaire du Virgile travesti à Monsieur le Surintendant....
Il l’a, et c’est un ouvrage bien placé : Monsieur Fouquet est reconnaissant, il sait ce que vaut une dédicace.
Chez le commandeur de Souvré...
J’y ai été, et j’en ai rapporté un panier de vin muscat...
Passer chez Mademoiselle Ninon de Lenclos...
J’en viens, et nous la verrons ce matin...
Savoir des nouvelles de messieurs Segrais, Pelisson, Voiture, Sarrazin, et cœtera...
Tout cela est fait.
Monsieur l’Abbé peut sonner quand il voudra.
Eh !
C’est monsieur de Villarceaux !
Lui-même, mon cher Maugin.
Si matin ici !
Tu vas savoir pourquoi.
Je sors de chez quelqu’un de votre connaissance, et j’ai été bien surpris de ne pas vous y trouver, vous qu’on y trouve toujours.
Écoute-moi.
Vous faites bien d’aller là ; Mademoiselle Ninon est une dame bien aimable.
Sans doute, mais....
Aussi, tout le monde l’aime, et, comme dit la chanson de ce monsieur qu’elle aimait avant vous....
De grâce !...
Elle est bonne cette chanson là.
Mais enfin...
Tra, la, la, la, la, la...
Je la sais par cœur.
Je le crois ; mais....
Laisse-là ta chanson.
Il ne me fera pas grâce d’un couplet.
Qu’il m’impatiente !
Comme tout le monde a chanté cela !
As-tu fini ?
Oui, monsieur ; mais vous avez le temps : Monsieur l’Abbé n’est pas levé.
Ce n’est pas à Scarron que j’ai affaire ; c’est à toi.
A moi, monsieur de Villarceaux !...
Ah !
Si j’avais pu le prévoir, je n’aurais pas chanté la chanson ; au reste, je n’en suis pas fâché : vous êtes toujours bien aise qu’on vous parle de Mademoiselle Ninon.
Il s’agit de Mademoiselle d’Aubigné.
Notre voisine !...
Elle arriva hier de Saint-Maur, et doit venir ici ce matin.
Je sais qu’elle y vient souvent.
Tous les jours, quand elle est à Paris.
Ton maître reçoit beaucoup de monde?
La cour et la ville ; des quatre coins de Paris on vient au Marais pour le voir.
Eh !
Dis-moi, Maugin ; dans la nombreuse société qui se trouve chez lui, Mademoiselle d’Aubigné n’a-t-elle pas distingué quelqu’un de nos jeunes courtisans ?
Non, monsieur, Mademoiselle d’Aubigné ne distingue personne ; mais ça ne veut pas dire que personne ne la distingue.
Il y a donc quelqu’un...
Oui, Monsieur, quelqu’un qui est toujours ici quand elle y vient.
Toujours ici ?
Il n’en sort pas.
Il est donc bien épris ?
Ah !
Monsieur, cette femme-là lui tourne la tête ; il n’est occupé que d’elle, il en parle, il en rêve, il n’est bien qu’avec elle.
Il la suit partout ?
Non, Monsieur, il ne la suit pas...
Oh !
Ce n’est pas un amoureux... comme vous, par exemple.
Que veux-tu dire ?
Qu’est-ce que cela signifie ?
De qui veux-tu parler ?
Vous ne devinez pas ?
Du tout.
C’est de monsieur l’Abbé.
Scarron !
Lui-même.
Scarron amoureux de Mademoiselle d’Aubigné !
Comme un fou ; au point que souvent il en est triste, lui qui ne l’a jamais été, même en perdant son procès, sa fortune, sa santé, ses jambes, sa figure, sa taille...
Car il a perdu tout cela.
Je le sais.
Mais vous ne savez peut être pas comment cela lui est arrivé ?
Eh !
Qu’importe !
Oh !
C’est une drôle d’histoire...
Il était à son canonicat du Mans, un jour de carnaval ; on courait les masques, il voulut s’en mêler...
Oui, il se déguisa en sauvage.
Non, en oiseau.
Il avait perdu l’esprit.
Il avait à ménager le décorum d’un chanoine qui ne peut pas se masquer comme un autre.
Quelle extravagance !
D’où il est sorti dans l’état où nous le voyons.
Si je n’ai point d’autre rival, me voilà bien tranquille.
Et que dit Mademoiselle d’Aubigné des soupirs de son Adonis ?
Je ne sais pas, monsieur...
Mais écoutez donc, d’après toutes vos questions, ne seriez-vous pas vous-même...
Oh !
Non, c’est impossible.
Quoi donc ?
Tu crois ?
Demandez-le lui plutôt, la voilà.
Ninon !
Quel contre-temps!
Maugin, est-il jour chez ton maître ?
Non, mademoiselle, il n’a pas encore sonné ; mais voilà monsieur de Villarceaux qui vous fera compagnie.
Ah !
Ah !
Vous voilà, monsieur ?
Oui, madame, c’est que...
Après trois jours d’absence, il faut venir ici pour vous rencontrer !
Madame, j’allais me rendre chez vous !
Chez moi !
Que dites-vous ?...
Je ne comprends pas...
Et moi, je comprends fort bien que vous ne m’aimez plus.
Moi, Madame !
Ah !
C’est très-fâcheux; mais cela est...
Oui, vos distractions, vos froideurs, vos absences, vos assiduités dans les maisons où va Mademoiselle d’Aubigné, que sans doute vous espérez rencontrer ici....
Mademoiselle d’Aubigné !
Vous prétendez...
Ah !
Ninon, croyez qu’il m’est affreux de mériter vos reproches.
Des reproches !...
Vous connaissez bien peu Ninon.
Eh !
Pourquoi vous serais-je un crime de ce qui ne dépend pas de vous !
Tout passe dans la vie, et surtout l’amour...
Ce qui vous arrive aujourd’hui pouvait m’arriver demain.
Que lui répondre ?
Tenez, mon ami, si dans ce qu’on appelle rupture, inconstance, on écoutait moins l’amour-propre, on se trouverait moins d’amour, on verrait moins de justice à ses plaintes, à ses emportements, et l’on se conduirait tout aussi sagement que moi.
Je suis confondu.
D’ailleurs, je ne vous épouserais pas, car j’ai bien résolu de ne jamais me donner un maître ; vous, Monsieur, il faut que vous vous mariiez, et Mademoiselle d’Aubigné est un parti qui vous convient sous tous les rapports ; elle a de la naissance, de la beauté, de l’esprit, point de fortune, à la vérité ; mais vous en avez beaucoup, et le plus bel usage que vous en puissiez faire, est de la partager avec elle.
Et c’est vous qui me le conseillez !
Bien plus: j’aurai le courage de vous servir, de sacrifier l’amour à l’amitié.
Vous, Ninon !
Je m’oublierai pour votre bonheur.
Vous connaissez mes liaisons avec Madame de Neuillant, la protectrice de mademoiselle d’Aubigné ; dès aujourd’hui, je veux l’aller trouver à Saint-Maur, et je suis sûre d’en rapporter son consentement à votre union.
Est-il possible !
Ah !
Mademoiselle d’Aubigné.
Ciel !
Tâchons de faire bonne contenance.
Ma chère amie, vous arrivez bien à propos ; nous parlions de vous avec Monsieur de Villarceaux.
Avec Monsieur de Villarceaux !
Il vous rend bien justice....
Auprès de vous, peut-on s’occuper de moi ?
Il ne manque à ce portrait que d’être ressemblant.
Ah !
Mademoiselle, quand on a le bonheur de vous voir, de vous entendre, on est forcé de convenir que la nature n’a rien fait de plus accompli, de plus digne de nos hommages.
Monsieur, de grâce....
Et l’admiration, le respect...
Mon cher ami, vous n’avez pas le sens commun.
C’est vrai.
Vous êtes trop amoureux pour savoir ce que vous dites ; allez-vous-en, et laissez-moi parler pour vous.
Ah !
Ma chère Ninon !...
Saluez Mademoiselle d’Aubigné.
Le pauvre garçon était bien mal à son aise !
Eh quoi !
Ma chère amie, vous voilà toute déconcertée ?
J’ai lieu du moins d’être surprise.
Il faut pourtant vous accoutumer à ce langage ; on n’est pas aussi belle sans attirer les regards et les éloges.
Je ne les cherche, ni ne les mérite.
Ma chère amie, parlons sérieusement : avec un nom illustre, mais sans fortune, combien jusqu’à ce jour vous avez été malheureuse !
Oui, je n’ai connu que des peines.
Née dans les prisons de Niort, où se trouvaient mes parents persécutés, menée à l’âge de trois ans en Amérique, laissée sur le rivage par la négligence d’un domestique, prête à être dévorée par un serpent, embarquée à douze ans, attaquée d’une maladie violente, regardée comme morte, et au moment d’être jetée à la mer, rendue à la vie, ramenée en France, orpheline et sans bien, je n’y trouve de ressource que dans les bienfaits d’une parente, à qui je ne sens que trop que je suis à charge.
Votre sort doit changer : on ne revient pas de si loin pour peu de chose ; mais prenez-y garde.
Eh !
Croyez-vous donc le mariage une perspective si agréable pour moi ?
Mais il me semble qu’un hymen avantageux...
Serait peut-être un malheur de plus.
Que dites-vous ?
Cela se voit quelquefois : mais il est aussi des hommes trop généreux, trop délicats, pour croire que jamais leur fortune puisse payer les qualités de celle qu’ils épousent, et, plus que toute autre, vous êtes faite pour rencontrer un pareil mari.
Vous me flattez, Ninon, et votre amitié vous aveugle.
Non, ma chère d’Aubigné...
Mais ne trouvez-vous pas singulier que ce soit Ninon qui vous presse de prendre un époux ?
Effectivement personne ne s’en douterait.
C’est que personne ne sait ce qui se passe là.
Mais quand je serais assez heureuse pour trouver un mari qui me convînt, et qui voulût bien réparer en moi les torts de la fortune, vous savez que je dépends de Madame de Neuillant.
Qui n’aurait aucune raison de s’opposer à votre bonheur.
Je vais la voir ce matin, et je me charge de la pressentir là-dessus ; ensuite le mari pourra se présenter d’un moment à l’autre.
Vous croyez ?
J’en suis sûre ; mais Scarron ne paraît pas.
Je l’attends ici ; il m’a fait demander un entretien particulier.
Un entretien particulier !...
En ce cas-là, je ne le verrai que ce soir...
Il a bien de l’amitié pour vous, Scarron.
Chaque jour il m’en donne des preuves, et je ne sais comment reconnaître les services qu’il ne cesse de me rendre.
Oh !
Il a le cœur excellent...
Ce soir, vous serez des nôtres ?
Je l’espère.
À ce soir donc, et j’aurai vu Madame de Neuillant.
L’Attachement que Ninon a pour moi, l’éclaire sur les désagréments de ma position.
L’hymen est donc mon seul espoir...
Eh !
Quel espoir !
Mademoiselle, monsieur l’Abbé ne peut se dispenser de recevoir Monsieur Ménage, qui veut absolument lui parler à l’instant même ; c’est ici qu’ils vont causer...
Eh bien !
Je reviendrai.
Non pas !...
Monsieur l’Abbé vous prie de passer un moment dans le jardin ; cela ne sera pas long.
Sais-tu ce qu’il peut me vouloir ?
Non : mais il paraît que cela est fort important ; car, après Monsieur Ménage, sa porte sera fermée pour tout le monde.
Je vais donc attendre.
Promenez-vous là-bas, sous le berceau...
Entrez, monsieur Ménage...
Mon maître est en voiture, je vais vous l’amener.
Enfin, je saurai si ce qu’on m’a dit est vrai, et si mon diable de fou a tout-à-fait perdu la tête...
Le voici.
Toujours la même gaîté.
Cela ne doit pas te surprendre.
La douleur qui pique les autres hommes, ne fait que me chatouiller.
Veille à ce que Mademoiselle d’Aubigné ne s’impatiente pas.
Oui, Monsieur.
Si tu étais à ma place, mon cher Ménage, tu ferais de beaux cris, tu jurerais d’une belle force, toi qui n’es pas endurant.
Ah !
Chacun a son humeur.
Et la tienne est aigre....
Mais sachons quelle est la grande affaire qui t’amène et qui ne pouvait se remettre.
C’est une chose qui te regarde particulièrement, et qui te donne un ridicule....
Un ridicule !
Tant mieux ; il est très joli de n’en avoir qu’un.
Laissons la bouffonnerie.
Je ne le peux pas, mon ami, c’est tout ce qui me reste ; mais au fait, je suis pressé.
Il n’est pas question de plaisanter.
C’est donc bien sérieux ?
On dit, mon cher, qu’oubliant ta tournure, ton état, tes infirmités...
Cela n’est pas vrai ; car voilà un petit chatouillement qui m’en fait souvenir...
Mais ce n’est rien.
Continue...
On dit donc.
Que tu songes à te marier.
On dit cela dans la ville ?
Tu conçois combien un tel propos a dû me paraître absurde.
Sans doute ; d’autant que cela n’est pas encore tout-à-fait décidé.
Comment ?
Il en serait question ?
Il ne manque plus que le consentement de la future.
Tu me tranquillises ; car j’espère qu’aucune femme ne consentira à t’épouser.
Je l’espère aussi ; mais si malheureusement il s’en trouvait une qui fût capable...
Elle ne se trouvera pas.
Que sait-on ?
En fait de mariage, on en voit de si extraordinaire !
Je ne parle pas des mariages sous la cheminée.
Monsieur Scarron, avec une pareille fantaisie, vous irez tout droit à l’hôpital des fous.
Je n’irai pas ; on m’y portera.
Eh !
Malheureux impotent !
Ce n’est pas un contrat de mariage qu’il te faudrait faire, c’est ton testament.
Il est fait, Monsieur ; mon épitaphe aussi...
Vous êtes connaisseur, je vais vous en régaler, écoutez.
Quel assemblage de philosophie et d’extravagance !
Au surplus, je suis venu ici pour affaires, et non pour te donner des conseils.
Je ne t’en demande point.
Quand tu m’en demanderais, je ne t’en donnerais pas.
Les amants sont comme les auteurs.
Ils sont fort bien.
Je compte sur la tienne.
Oh !
Tu t’en passeras fort bien.
Mais tu me fais pitié ; pour la dernière fois, mon ami Scarron, je t’en prie, je t’en supplie, songe aux dangers que tu cours.
Je ne crains rien.
Les femmes...
Je suis sûr de la mienne.
Ah !
Monsieur, vous citez mes vers !
Qui ne sont pas bons.
Qu’on applaudit.
Qu’on n’applaudira pas toujours.
Bien obligé.
Mais je vais t’envoyer Girault, mon valet-de-chambre, qui, d’après ton mariage, a un marché à te proposer.
Quel est ce marché ?
Il te l’expliquera.
Mademoiselle D’Aubigné.
Elle est au fond du jardin ; je vais la chercher.
Bon !
Bon...
Je verrai tout cela dans un autre moment...
Une lettre de ma sœur... hum... hum... elle se porte bien ; elle revient dans dix jours, tant mieux : Monsieur de Mesme en sera bien aise...
Ah !
La dernière épreuve de Jodelet.
Maudit imprimeur !
Toujours des fautes !
Toujours des sottises !
Comme si ce n’était pas assez de celles de l’auteur !
Voilà le vrai comique...
Aussi, cinquante représentations de suite.
Et l’on fera bien...
Mais je crois entendre Mademoiselle d’Aubigné...
Non, pas encore.
Voilà longtemps que je la chante sous les noms de Cloris et de Sylvie ; mais aujourd’hui il n’est plus question de Sylvie ni de Cloris ; c’est à Mademoiselle d’Aubigné qu’il faut que je parle.
La voici...
La peur me prend et le sérieux me gagne...
Adieu, Scarron.
Pardon, mademoiselle, si je ne vais pas au-devant de vous.
Un siège.
Comment vous trouvez-vous aujourd’hui ?
Toujours bien quand je vous vois.
Que l’on nous laisse seuls.
Le tête-à-tête ne vous épouvante pas, Mademoiselle ?
Vous avez à me parler ?
D’une affaire importante, très importante.
Pour vous ?
Pour tous les deux.
Mademoiselle, vous m’avez intéressé dès l’instant que j’ai eu l’avantage de vous voir ; plus je vous ai connue, et plus j’ai désiré votre bonheur : je ne cesse de réfléchir sur votre position ; elle m’afflige votre position...
Elle me tourmente.
Il est vrai que le sort ne m’a pas traitée bien favorablement ; mais il est des êtres plus malheureux que moi.
Je sais tout ce que vous avez à souffrir de Madame de Neuillant ; je sais combien il est dur de devoir tout à l’humanité d’une femme avare, qui assaisonne chaque bienfait d’un reproche, et qui, se faisant honneur de paraître avec vous en public, dans le particulier vous confond avec ses domestiques.
Et qui vous a dit ?...
Ce n’est pas vous qui ne vous plaignez jamais.
Bien éloignée de me plaindre de Madame de Neuillant, je ne crains que de la perdre.
Et si cela vous arrive, que deviendrez-vous ?
Poursuivie, pressée, obsédée par tous les aimables de la cour, qui ne chercheront qu’à vous tromper ; les Méran, les Chevreuse, les Villarceaux, et tant d’autres...
Que deviendrez-vous enfin ?
Ce que le ciel voudra.
Mais quand un séducteur opulent, profitant de votre détresse, vous proposera de pourvoir à tout, le ciel viendra-t-il vous dire à l’oreille que votre indigence est préférable à la richesse qu’on vous offre ?
Que voulez-vous que je fasse ?
Tenez...
Que dites-vous ?
Rien de tout cela n’est séduisant, je le sais ; mais la raison vous commande.
Quoi que vous choisissiez, je serai, sinon heureux, du moins content de vous voir délivrée de la dureté de Madame de Neuillant, de l’opulence des financiers, et des artifices des courtisans.
Ah !
Scarron, vous me pénétrez d’admiration ; combien tant de délicatesse ajoute à l’amitié !
C’est elle seule qui m’inspire.
Comment répondre à vos offres !
En acceptant l’une ou l’autre.
L’une ou l’autre ?
Ce sera le couvent.
Non, Scarron.
Non !
Comment !
Quoi !
Vous préférez l’hymen !
L’hymen avec Scarron !
Je ne possède rien, mais il lui faut des secours, des soins continuels...
C’est le seul époux à qui je puisse apporter une dot.
Oh !
Trop heureux Scarron !
Je ne doute pas que ma bienfaitrice n’approuve cette union ; cependant je dois la consulter.
Oh !
Nous aurons son aveu, j’en réponds.
Je ne la verrai que demain.
Eh bien !
Ce soir, je vous remettrai le projet de notre contrat que vous lui porterez.
Quoi !
Sitôt....
Je ne veux pas vous faire attendre.
Mais il me semble...
Je n’étais que le malade de la Reine, je vais être le malade de ma femme, et ma femme verra que je ne remplirai que trop bien ma charge...
Vous rougissez...
Vous n’êtes pas encore faite à mon style ; mais vous vous y ferez.
J’aimerais mieux...
Pardon, si j’ose...
Avec moi !
Aux termes où nous en sommes, vous pouvez tout oser.
Eh bien !
Puisque vous permettez que je vous parle avec franchise...
Je l’exige.
Au lieu de me faire à votre style, j’aimerais beaucoup mieux vous accoutumer à mettre dans vos ouvrages plus de délicatesse et plus de décence.
Vous n’y perdriez rien pour la gaîté, et vous y gagneriez pour la considération.
Avant tout, le public veut qu’on l’amuse.
Eh !
Mais...
Monsieur Scarron, vous m’avez autorisée...
Votre réflexion est juste, mademoiselle.
Je m’étais toujours bien douté que cette petite fille que je vis entrer dans ma chambre, avec une robe trop courte, et qui se mit à pleurer, je ne sais pas bien pourquoi, était aussi spirituelle qu’elle en avait la mine.
Vous tenez parole ; ainsi, vous me dirigerez ; je ne publierai plus rien sans vous consulter.
Il ne vous manque que d’être un peu plus difficile.
Girault, le valet-de-chambre de Monsieur Ménage est là ; il dit que vous lui avez donné rendez-vous pour affaire.
Oui, mais qu’il attende.
Non, je ne puis rester plus longtemps.
Qu’il vienne donc...
À propos, j’oubliais...
Mademoiselle, voici un exemplaire du Roman comique que j’ai promis à Madame de Neuillant...
Voulez-vous bien vous en charger ?
Volontiers.
Je n’aurais pas été la chercher.
Je vous laisse.
Ouf !...
Ah !
Scarron, mon ami, si la santé peut te revenir...
Eh bien !
Mon cher Girault, Ménage prétend que tu as un marché à faire avec moi.
Oui, Monsieur l’Abbé.
De quoi s’agit-il, mon ami ?
On dit, monsieur l’Abbé, que vous prenez une femme.
Non, c’est une femme qui me prend.
Ainsi, vous ne gardez pas votre canonicat!
Non, mais je le vends.
Et moi, je l’achète.
Toi, mon ami ?
Oui, monsieur l’Abbé ; si vous n’êtes pas trop cher, je m’en accommoderai.
Ce n’est pas tout que le prix ; c’est la vocation qu’il faut.
La vocation, monsieur l’Abbé !...
Oh !
Dieu merci, je suis bien appelé à cet état-là.
Monsieur l’Abbé, je l’espère.
Monsieur Girault...
Vous voyez bien qu’il ne s’agit que du prix...
Quel est le vôtre ?
Faut-il te parler en conscience ?
Oh !
Oui ; ne me surfaites pas.
Fi donc !
Mille écus !
Encore!
Mais, Monsieur l’Abbé, vous n’y pensez pas : savez-vous que cela fait...
Trois mille quatre cents livres, ni plus, ni moins.
Songez donc que le revenu est modique.
Le revenu est honnête ; mais tous les avantages qui en résultent....
Je sais que la place n’est pas mauvaise.
Pas mauvaise !
Chanoine au Mans !
Oui, tout cela mérite attention.
Un bénéfice simple qui n’engage à rien ; une bague au doigt que tu revendras quand tu voudras.
Je sais bien cela : mais, Monsieur l’Abbé, il faut un peu lâcher la main.
Je ne le peux pas, vrai.
Vous devriez me le passer à cent louis.
Cent louis !
Mes confrères me feraient un beau train !
Il me semble que ce serait un canonicat bien payé.
Bien payé !
Trouve-m’en une douzaine à ce prix-là ; je les prendrai, moi.
Tenez, je ne vais pas par quatre chemins : voulez-vous.... les mille écus ?
Oui, avec les quatre cents livres.
Oh !
Non.
Mais tu marchandes là....
Sais-tu combien le Cardinal les vend, l’un dans l’autre ?...
Quatre mille francs pour lui, et six cents francs pour son secrétaire.
Oh !
Oui, monsieur, c’est un prix fait....
Le Cardinal n’en délivre pas un à moins.
Le Cardinal est un peu Juif ; mais....
Oh !
Mais, mais...
Adresse-toi à son Éminence, tu verras.
Trois mille quatre cents livres !
Pas davantage.
C’est bien de l’argent !
C’est à prendre ou à laisser ; je n’en suis pas en peine, il ne me restera pas.
Allons, je ne marchande plus.
Ce soir, vous aurez les trois mille quatre cents livres.
Ce soir !...
En ce cas-là, je t’invite....
Monsieur le Chanoine, je vous invite à souper.
Monsieur, vous me faites honneur.
À condition que tu viendras dans ton nouvel habit.
Je veux voir comment tu le porteras.
C’est bien aisé.
Pas tant, pas tant...
Cela demande un peu d’étude, et quelques précautions.
Ah !
Ah !...
De l’épigramme, Monsieur Girault !
C’est égal.
Allons, Scarron, mon ami, voilà qui va bien.
Prendre femme et se débarrasser du petit collet... ma foi, voilà une bonne journée.
Je ne vois pas ce monsieur.
Qu’est-ce que c’est ?
Monsieur, c’est moi qui cherche quelqu’un.
Qui cherchez-vous ?
Monsieur Scarron.
C’est moi.
Oh !
Monsieur, je me trompe ; c’est un monsieur Scarron qui se marie, et sûrement monsieur ne se marie pas.
Pourquoi donc ça, Mademoiselle ?
Dame !...
C’est que...
Faut que ce soit Monsieur vot’ frère.
Je n’ai point de frère.
Li a donc un autre Scarron ?
Il n’y en a qu’un ; c’est moi, et je me marie.
En ce cas-là.
Ah !
Les coquins....
Oh !
Oui, monsieur, j’vois ben qu’i se sont moqués d’ moi, et que me v’là sans place.
Vous pourriez en trouver une plus sûre.
Comment vous nomme-t-on, ma petite ?
Babet, monsieur.
Babet !
Il est joli ce nom-là ; mais vous paraissez bien délicate pour vous mettre au service.
Monsieur, c’est que j’ai un amoureux qui est plus riche que moi, et que je veux gagner de quoi être aussi riche que lui.
Qu’est-ce qu’il a donc, ce Crésus-là ?
C’est vrai: cependant il n’y a pas de règles sans exceptions...
Mais, ma chère Babet, vos intentions sont trop honnêtes pour que je ne vous rende pas service.
Vous cherchez une place, je me charge de vous en trouver une.
Ah !
Monsieur.
Quel bruit est-ce là ?...
Ma mie, revenez dans une heure, et vous serez satisfaite.
Encore !
Maugin, qu’est-ce que j’entends-là ?
Monsieur, ce sont les tambours de la ville, qui viennent, de la part de Monsieur Boisrobert, vous féliciter sur votre mariage.
Fort bien... Allons, messieurs les rieurs, ne vous lassez point.
Oui, monsieur.
Monsieur de Villarceaux.
Mon rival !...
Ceci n’est pas aussi gai.
Monsieur de Villarceaux vient-il mêler ses félicitations à celles des tambours de la ville ?
Je viens, Monsieur, savoir s’il est vrai que vous ayez sur Mademoiselle d’Aubigné des vues sérieuses.
Vous savez bien, Monsieur, que le sérieux n’est pas mon genre.
Trêve de plaisanteries; l’aimez vous ? Oui ou non.
Oui ou non : vous l’avez dit.
Monsieur Scarron...
Ah !
Ça, mais s’il s’agit d’un duel, vous me prêterez vos porteurs.
Daignez répondre...
Ma foi, mon ami, vous arrivez fort à propos.
Vous voyez un rival qui vient me faire querelle, et sans vous, je ne sais pas jusqu’où cela pouvait aller.
Eh !
Monsieur, montrez-vous plus raisonnable que lui.
Il ne s’agit point de querelle ; je viens seulement savoir où monsieur en est avec Mademoiselle d’Aubigné.
Belle question ! Mais tout le monde le sait, et les tambours ont dû vous en instruire.
Comment !
Il serait possible...
Venez, Mademoiselle, il est question de vous.
Je vous croyais seul.
Mademoiselle, voilà monsieur de Villarceaux qui prétend qu’un visage comme le mien et une figure comme la vôtre, ne pourront jamais dormir sur le même oreiller.
Il est vrai que j’ai lieu d’être étonné...
Eh !
De quel droit, monsieur, viendrez-vous blâmer ou approuver le choix que je pourrais faire ?
Voilà qui est positif.
Pardon, mademoiselle ; mais je crois que sans trop d’amour-propre, un autre pouvait se flatter d’obtenir la préférence.
Ai-je jamais autorisé la moindre prétention sur ma main, ou sur mon cœur ?
Vous ne vous attendiez pas à cette réponse ?
C’est que mademoiselle met à cacher son esprit tout le soin que les autres femmes mettent à montrer le leur.
Chez Scarron l’allégresse, etc.
Il n’y a personne ici de trop.
Scarron est le plus grand admirateur de Mademoiselle d’Aubigné ; Ménage est notre ami à tous, et je puis parler librement.
J’arrive de Saint-Maur, où madame de Neuillant m’a donné par écrit son consentement à ce que Mademoiselle dispose de sa main, bien sûre que son choix ne peut qu’être digne du nom qu’elle porte.
D’après cela, celui qui aspire à ce bonheur, doit s’expliquer sans contrainte.
J’espère, monsieur, que vous êtes content de moi ?
Enchanté, Mademoiselle ; mais je prie Monsieur Scarron de vouloir bien se charger du remerciement.
Plaît-il ?
Oui, ma chère Ninon, c’est à moi de vous témoigner toute ma reconnaissance.
Comment !
Tous les merveilleux de la cour et de la ville doivent aujourd’hui baisser pavillon devant mon mérite.
Que veut-il dire ?
Que ni le rang ni la fortune n’ont pu me commander ce que la raison et l’amitié me font faire pour Scarron.
Mais songez qu’un amant jeune et riche...
Je n’aurais jamais pu deviner un pareil mariage.
Mademoiselle d’Aubigné, avec une pareille âme, vous êtes faite pour les plus hautes destinées.
Ménage a raison.
Mon ami, vous n’avez rien de mieux à faire que de prendre la chose gaîment.
Ce matin, je vous ai donné, je pense, un assez bel exemple.
J’arrive avec mon argent et le Notaire apostolique.
Ah !
Ah !
Fort bien.
Mesdames, je vous présente monsieur l’Abbé.
Eh !
C’est ce coquin de Girault !
Girault !
Chanoine de ma façon.
Je te remercie de m’en avoir débarrassé.
Trop heureux si je pouvais un jour mériter la confiance de ces dames !
Monsieur le Chanoine, si jamais je donne la mienne à quelqu’un de votre état, vous aurez la préférence.
Monsieur le Notaire apostolique, vous faites des contrats de mariage ?
Je fais de tout, monsieur.
Vous allez faire le nôtre.
À l’instant...
La future est...
Mademoiselle d’Aubigné.
Que reconnaissez-vous à l’accordée ?
Ce que je lui reconnais ?
Quel douaire lui assurez-vous ?
L’immortalité.
Le nom des femmes des rois meurt avec elles, celui de la femme de Scarron vivra éternellement.
Monsieur, cette jeune fille à qui vous avez dit de revenir...
Tout-à-l’heure, ma petite...
Ces messieurs signent-ils ?
Tout le monde signe...
Et toi aussi, Maugin.
Moi, monsieur !
Oui, mon ami : mon mariage ne te fait pas peur ?
Tu serviras bien ma femme, n’est-ce pas ?
Oui, monsieur, s’il plaît à Dieu.
J’espère que j’en suis dispensé.
Vous avez de l’esprit...
Signez ce contrat-là.
Mais...
Signez, vous dis-je.
À nous deux.
Voici votre affaire : la somme est en or.
Tant mieux.
À vous, ma petite.
Madame Scarron, voici mademoiselle Babet que messieurs Voiture et Sarrazin m’ont adressée pour être la gouvernante de nos enfants.
Ma bonne amie, comme je pourrais vous faire attendre un peu trop longtemps, je vous établis la gouvernante des vôtres.
Des miens !
Ah !
Monsieur, comment reconnaître...
Vous me restez, Monsieur... vous voyez que ce n’est pas ma faute.
Après ce qui s’est passé, puis-je encore me flatter...
Sa parole vaut mieux: d’ailleurs, Monsieur de la Châtre ne me le conseillerait pas.
Maugin, fais-nous servir.
Dans l’instant, Monsieur.
Allons, mes amis.