A Monseigneur
colbert. Ministre et secretaire d’
Estat.
Monseigneur,
Quelque impatience que j’eusse de vous donner des marques publiques de ma reconnoissance au nom de toutes les Muses en general, et de la mienne en particulier, quoy que j’en fusse sollicité par la bonne *[fortune](#fortune) de quelqu’une de mes Pieces qui ont precedé celle-cy, j’ay senty mon devoir arresté par une juste defiance et par une crainte respectueuse. Mais enfin ne pouvant plus diferer de satisfaire à ma gratitude, j’ay ramassé toutes mes forces avant que d’entreprendre l’ouvrage que je vous destinois, j’ay pris la Scene la plus magnifique, j’ay choisi un des Heros de l’ancienne Rome, et pour vous le rendre plus agreable, j’ay tâché de le representer avec quelques-uns de ces traits, que nous admirons dans vostre incomparable Heros, Je parle de nostre grand Roy, qui rassemble en luy seul tout ce que l’Histoire a de plus incroyable et de plus merveilleux. Plein d’une si haute idée, et soustenu par la dignité de mon sujet, je vous ay consacré mon travail avant que de le commencer ; J’ay envisagé toute la gloire que je pouvois attendre de vostre approbation ; J’ay invoqué avec plus de ferveur que jamais le Dieu qui nous inspire, et je me suis dit sans cesse, qu’ayant esté choisi pour estre un des sujets des gratifications du Roy, je devois soustenir , ou plûtost justifier un choix si honorable. C’est avec ce grand secours, MONSEIGNEUR, que j’ay travaillé assez heureusement : quoy que la *[fortune](#fortune) et la cabale se meslent aujourd’huy de faire le bon et le mauvais destin des ouvrages du Theatre, celuy que je vous ay consacré n’a pas succombé sous leur injustice. Ce n’est que vous, MONSEIGNEUR, que j’ay lieu d’apprehender, quand je l’expose à vos yeux : je sçay que rien n’échape à la penetration de vostre esprit, et que vous possedez le precieux talent de juger finement de toutes choses : Je sçay que c’est de cette idée generale, que vous avez du beau et du parfait que se répandent sans cesse de nouvelles beautez et de nouvelles lumieres sur tous les Arts et sur toutes les Sciences : C’est de là que vient ce grand amour que vous avez pour elles, ces soins continuels et cette magnifique protection, dont vous honorez l’empire des belles Lettres, au milieu de ces grandes occupations que vous donnez avec une application étonnante et sans exemple à la premiere Monarchie de la terre. Que j’aurois de choses à dire, MONSEIGNEUR, sur un si vaste sujet, et qu’il seroit doux à une ame reconnoissante comme la mienne de s’abandonner à la loüange de son bienfaicteur ! Mais je sçay trop quelle est la delicatesse de vostre modestie, et avec quelle discretion il faut manier toutes les matieres qui regardent vostre gloire. Agréez au moins, MONSEIGNEUR, que je laisse échaper devant vous une louange qui est dans la bouche de tout le monde.
Permettez que j’apprenne à la posterité,
Que vous avez executé
Des choses qu’avant vous on avoit regardées
Comme les vains projets d’un zele mal fondé,
et dont tous ceux qui vous ont precedé,
Eurent à peine les idées.
Je n’entreray point dans le détail et dans la preuve de toutes ces merveilles, le témoignage que le Roy en rend tous les jours par sa propre bouche, vaut mieux que tous nos eloges ; ces glorieuses veritez sont assez confirmées par les solides marques que sa Majesté vous donne continuellement de son estime, et par les nouvelles dignitez dont il recompense vos travaux. Je suis avec un profond respect,
MONSEIGNEUR,
Vostre tres-humble, tres-obeyssant
et tres obligé serviteur,
BOYER.
ACTE V.
SCENE PREMIERE.
Je ne vous connois plus dans ce desordre extréme.
Connois-tu bien Sylla, Marcelle ! est-il le mesme ?
Je ne voy qu’un Tyran sans pitié, sans amour.
L’ordre qu’il m’a donné dans ce funeste jour,
Qui pouvoit rebuter toute autre obeïssance,
A-t’il trouvé chez moy la moindre resistance ?
Il m’offre Marius, n’ay-je pas obey ?
Il m’oste à cét *[Amant](#amant), je l’ay presque trahy :
Mais quand il veut trahir Marius et Pompée,
Alors que sa vengeance incertaine ou trompée,
Demande une victime, et par des soins pressans
M’ordonne de choisir entre deux innocens,
Veux-tu que je reçoive un ordre si barbare ?
La nature en fremit ; tout mon devoir s’égare :
Le sang ne parle plus pour un pere cruel,
Et brave son pouvoir quand l’ordre est criminel.
Mais entendez-vous bien l’ordre de vostre pere ?
Sa conduite par tout n’est que ruse et mystere.
Ainsi, quand vous voyez qu’un traitement égal
Confond dans sa fureur Pompée et son Rival,
Ne vous arrestez pas, Madame, à l’apparence :
Il pretend que Pompée emporte la balance ;
Car, enfin vous sçavez, que Sylla dans son cœur
L’a toujours honoré de toute sa faveur.
Ainsi, s’il vous propose un choix qui vous *[étonne](#estonner),
Expliquez comme il faut les terreurs qu’il vous donne.
Sur l’ordre de ce choix je vous diray bien plus,
Quand il se sert de vous pour trahir Marius,
Tout injuste qu’il est, trop jaloux de sa gloire,
Il veut par vos refus garantir sa memoire,
Combatre une pitié, qui le veut secourir,
Et trouver un pretexte à le faire perir.
Marius est à plaindre et je le plains moy-mesme,
Mais haï de Sylla, dans son malheur extréme...
Et c’est dans cet estat que je veux retenir
De ce que je luy dois le tendre souvenir ;
Et c’est dans cet estat que je l’offre à moy-mesme ;
Quand j’estois comme luy dans un peril extréme ;
Quand un peuple en fureur massacroit mes *[parens](#parents)
Et les traisnoit dans Rome égorgez ou mourans,
Quand mon Palais détruit, le desespoir dans l’ame,
Pàle, errante, au milieu du sang et de la flâme,
Je rencontray son pere, et tout tremblant d’effroy,
Marius se mit seul entre son pere et moy.
Marcelle à cet objet que veux-tu que je fasse ?
Mais rappellons encore ma derniere disgrace.
Prisonniere de guerre au milieu de sa cour,
Et sous les douces loix d’un prisonnier d’amour,
Voy comme il m’a traitée, avec quelle tendresse,
D’une ingrate captive il a fait sa *[Maistresse](#maistresse).
Le ferons-nous perir, luy l’honneur de nos jours,
Les delices de Rome et ses tendres amours,
L’exemple des *Amans, en qui l’amour assemble
Plus de *[feux](#feu) que n’en ont tous les *Amans ensemble ?
Mais le sauverez-vous ? Quel sera son appuy ?
Malgré tous, contre tous je veux estre pour luy.
Et s’il ne tient qu’au choix, que demande mon pere...
Vous allez donc livrer Pompée à sa colere.
Viens-tu pas sur ce point de calmer mes frayeurs ?
Sylla cherit Pompée et le comble d’honneurs.
Mais sur ce que j’en voy j’en juge mal peut-estre :
Souvent Sylla n’est rien de ce qu’il veut parestre ;
Son esprit défiant, son inconstante humeur
Le font doux et cruel , arrogant et flateur,
Font qu’il ose et craint tout, et que sa violence
Agit ou se retient selon sa défiance.
Ainsi quand sur ce choix je cherche mon devoir,
Je ne trouve pour moy que honte et desespoir,
Ainsi lorsque ce choix me rend trop incertaine,
Que Sylla m’en dispense, et qu’au gré de sa haine...
Luy rendre le pouvoir qu’il vous donne sur eux,
C’est en épargner un pour les perdre tous deux.
Il faut donc se charger de la moitié du crime,
Et choisir promptement son gendre et sa victime.
Mais qui fera ce choix Marcelle ? est-ce l’amour ?
L’amour perdra celuy qui m’a sauvé le jour,
Cét aveugle transport sans que rien le retienne
A la foy des traitez arrachera la mienne ;
Je seray lâche, injuste, ingrate et sans honneur,
J’ayderay par mon choix à luy percer le cœur.
Ce n’est point sur ce choix l’amour qu’il en faut croire.
Marius vient Marcelle, au secours de ma gloire.
SCENE II.
Je sçay ce que Sylla vient de vous ordonner ;
Madame, et mon abord semble vous *[étonner](#estonner).
Je sçay trop bien aimer pour vouloir vous contraindre ;
Choisissez hardiment, vous n’avez rien à craindre :
Vous aymez, je le sçay, par vostre propre adveu,
Vous ne pourrez jamais brusler d’un plus beau *[feu](#feu).
Abandonnez aux Dieux un *[Amant](#amant) miserable,
Que les crimes d’un pere ont rendu trop coupable.
Et sans plus balancer vostre amour et le mien,
Croyez en vostre cœur ; tout le reste n’est rien.
Je vous ay dit l’*[Amant](#amant) pour qui mon cœur soûpire,
Je vous l’ay dit, Seigneur et ne puis m’en dédire ;
Et si la trahison avoit moins de fureur,
J’obeïrois peut-estre aux ordres de mon cœur ;
Mais puisqu’il faut enfin que je vous le confesse,
Quand d’un Arrest mortel on me fait la Maistresse,
Sur tout ce que j’en crains me sera-t’il permis
De m’entendre moy-mesme avec vos ennemis ?
Peut-estre que Sylla, je tremble à vous l’apprendre,
A juré vostre mort, si vous n’estes son gendre.
Poussez encore plus loin cette tendre frayeur,
Son gendre ou non, il faut contenter sa fureur.
Il le faut, mais malgré sa noire perfidie
Au moins je ne suis pas trahy de Cecilie,
Et je puis me flater pour le prix de ma foy,
Qu’elle doute un moment entre Pompée et moy,
Mais il est temps enfin de vous faire justice :
Craignez, que comme vous vostre *[Amant](#amant) se trahisse,
Je l’ay veu ce grand cœur rendre un cruel combat.
Pompée est *[genereux](#genereux), et je suis un ingrat :
Je ne pourray jamais par un effort semblable
Ce qu’un Rival heureux fait pour un miserable ;
Madame, ma vertu n’ira jamais si loin,
Je ne puis, comme luy la trouver au besoin.
Et bien loin d’imiter l’effort qu’il se veut faire,
Je garde obstinement un espoir temeraire,
Je ne puis renoncer à ces divins *[appas](#apas),
Que j’ay veu presque miens et presque entre mes bras :
Non, rien ne peut m’oster l’espoir de Cecilie,
Et c’est le seul lien qui m’attache à la vie.
Mais que pretendez-vous avec ce foible espoir ?
Des mortels et des Dieux implorer le pouvoir,
Et pour forcer enfin toute sorte d’obstacles,
Au tout-puissant amour demander des miracles.
Que s’il faut à ce Dieu joindre d’autres secours,
Souffrez...
Daignez, Seigneur, prendre soin de vos jours.
Echapez promptement aux fureurs de mon pere,
Ce choix qu’il me demande, et que je crains de faire,
Quel qu’il puisse estre enfin, ou pour ou contre vous,
Ne fera que *[haster](#haster) l’effet de son *[courrous](#courroux).
Je sçay trop que ce choix, où Sylla me renvoye,
N’est pour ma seureté qu’une infidelle voye.
Pour derniere faveur souffrez moy seulement
Tout ce que peut tenter un malheureux *[Amant](#amant).
Quoy qu’il me fust permis dans mon malheur extréme,
De n’en prendre aujourd’huy l’ordre que de moy-mesme,
Je dépens de l’amour, et de vostre pouvoir,
Vous pouvez d’un seul mot éteindre mon espoir ;
Mais pour me l’arracher, il faut m’arracher l’ame,
Je ne vis que d’espoir au milieu de ma *[flâme](#flame),
Luy seul soûtient mes jours, luy seul est tout mon bien ,
Et je meurs à vos pieds, si je n’espere rien.
Ordonnez à ce cœur que mon respect vous livre,
Ou de vivre pour vous ou de cesser de vivre.
Vous ne répondez rien.
Qu’esperez-vous, Seigneur ?
Quels efforts, quels secours, vaincront vostre malheur ?
Je ne le puis nier, la perfidie est noire ;
Il s’agit de vanger et l’amour et sa gloire.
Mais attendez du choix qu’on vient de m’ordonner...
Au peril de ce choix dois-je m’abandonner ?
Sylla qui m’a vanté cette douce esperance,
Voudroit sous un *[appas](#apas) endormir ma prudence :
Mais s’il a pu manquer à la foy d’un traité,
Puis-je prendre avec luy quelqu’autre seureté ?
S’il le faut toutefois...
Non, non, craignez sa haine ;
Je voy de tous costez vostre perte certaine,
Et daignez seulement pour vous faire raison
Employer la vertu contre la trahison.
Quelques soins que je donne au secours de ma *[flâme](#flame),
Jamais rien de honteux n’entrera dans mon ame,
Et je serois indigne et de vous et du jour
Si la gloire n’estoit du party de l’amour :
Il n’est point de fureur que mon devoir n’arreste :
Si vous me soupçonnez, je vous livre ma teste,
Et je ne vous instruis des perils où je cours,
Que pour mettre en vos mains ma *[fortune](#fortune) et mes jours.
J’ay dans tous vos desseins conceu trop d’innocence,
Pour abuser jamais de cette confiance,
Et loin de vous trahir, il me sera bien doux
De partager mes soins entre mon pere et vous.
Ah ! que cette bonté digne de Cecilie
Me paye avec excés tous les maux de ma vie !
Quelque soit le succés que mon amour attend,
Je mourray satisfait, ou je vivray content.
Adieu, Madame.
Adieu.
SCENE III.
Que son sort est à plaindre !
Ah ! que sa vengeance est beaucoup plus à craindre.
Durant vostre entretien Maxime m’a fait voir
Sans vouloir s’expliquer, son secret desespoir :
Je le vois en estat d’aller tout entreprendre.
Pour son bien, pour le nostre, il faut sans plus attendre,
Il faut choisir Marcelle, allons en sa faveur...
SCENE IV.
Mais j’aperçoy Pompée, où courez-vous, Seigneur ?
Je cours prés de Sylla luy vanter ma victoire ;
Je cours sacrifier mon amour à ma gloire :
Mais faut-il vous trouver encore sur mes pas ?
Ah ! ne m’opposez plus ces dangereux *[appas](#apas).
Madame, c’en est fait ; il faut que je réponde,
Malgré tout mon amour aux vœux de tout le monde,
Et vous devez souffrir qu’un cœur trop combatu
Se rende tout entier à sa seule vertu.
Je doy mesme rougir qu’une trop juste crainte
M’impose les devoirs d’une vertu contrainte ;
Déja dans sa douleur Marius me fait voir
Le secret appareil d’un sanglant desespoir,
Et Sylla qui le voit outré de sa disgrace
Par des ordres cachez en previent la menace,
Et songe à rejetter sur moy-mesme et sur vous,
Tout ce que va produire un injuste *[courrous](#courroux).
C’est à nous de sauver de ce peril extréme,
Sylla, la paix, l’estat, Marius et vous-mesme.
Puisque Sylla pour nous va rompre le traité
Et nous veut imputer son infidelité,
Reprenons l’innocence, et l’honneur qu’il nous vole,
Et forçons un ingrat de tenir sa parole.
Je vous aime, Madame, et j’adore en vos yeux
Le plus visible éclat de la gloire des Dieux,
Il n’est rien qu’à vos yeux mon cœur ne sacrifie.
Mais voyant à quel prix on m’offre Cecilie,
Mon cœur tout indigné renonce à ses *[appas](#apas) ;
L’amour n’est plus amour, où la gloire n’est pas ;
Ce Dieu n’est que fureur, foiblesse, extravagance,
Quand son emportement nous couste l’innocence
Et tous les vrais Romains refusent des Autels
A ce lâche Tyran du reste des mortels ;
Allons, ne laissons pas refroidir ce beau zele ;
Mon devoir prés de vous, doute, tremble, chancele.
Le mal presse, il est temps, Madame.
Allons, Seigneur.
Excusez, si j’y cours avecque moins d’ardeur :
Mon cœur, quoy que Romain est fait tout comme un autre,
Et ma vertu n’est pas si forte que la vostre.
Ah ! si vostre vertu doute de son pouvoir,
Puis-je bien m’asseurer de faire mon devoir ?
Avec toute l’ardeur de la vertu Romaine,
Je resisteray mal au torrent qui m’entraîne,
Et si vostre devoir ne soustient pas le mien,
Quelqu’en soit le succés ne me reprochez rien.
Dieux, qui voyez ma peine en faveur de ma gloire
De mes derniers efforts gardez bien la memoire.
Hé quoy presumez-vous, si je doute un moment,
Que je réponde mal à ce beau sentiment,
Je feray mon devoir, avec cét avantage
Que j’ay plus de besoin de force et de courage,
Que je crains tout pour vous dans ce funeste jour,
Et que je dois combatre un pere et mon amour ;
Mais un pere cruel, puisqu’il vous faut tout dire,
Qui vous voyant douter sur le choix qu’il desire,
Veut qu’entre deux *[Amants](#amant) arbitre de leur sort,
Je partage aujourd’huy mon hymen et la mort.
O ! Dieux quelle fureur, ne craignez rien, ma vie
Peut encor défier toute sa tyrannie,
Il vient.
SCENE V.
Peut-on sçavoir qui sera vostre Epoux ?
Mais j’entens vostre choix, Pompée est avec vous.
En effet sur ce choix c’est luy que j’en doy croire,
J’ay choisi Marius Seigneur, et j’en fais gloire.
Dieux !
Et j’ay dû répondre en cette occasion,
Plus à vostre devoir qu’à vostre intention.
Vous avez concerté ce beau choix l’un et l’autre,
Et vous avez reglé mon devoir sur le vostre :
Ce Heros tout brûlant, tout avide d’honneur,
A poussé jusqu’au bout cette noble fureur.
Seigneur, j’aime la gloire, et la trouve trop belle
Pour rien faire jamais qui soit indigne d’elle.
Quoy que pour Cecilie, et l’amour et l’honneur
D’une *[flâme](#flame) immortelle ait embrasé mon cœur,
Quand la seule vertu doit estre consultée,
L’amour perd tous ses droits, sa voix n’est point contée.
Je sçay bien qu’immoler sa gloire à ses beaux yeux,
Seroit peut-estre un crime illustre et glorieux ;
Je sçay ce qu’est Sylla, quels honneurs doit pretendre,
Quiconque aura l’honneur de devenir son gendre ;
Je sçay quelles fureurs suivront un tel refus ;
Je sçay que toute Rome, et mesme Marius
S’étonnera de voir une vertu si rare ;
Mais quel que sort affreux, que mon cœur se prepare,
Le destin de Pompée est trop grand et trop beau,
Pour refuser au monde un exemple nouveau.
L’univers apprendra que pour l’honneur de Rome,
Sous le regne du crime il est encore un home,
Qui fait voir à Sylla malgré tout son *[courrous](#courroux),
Que le bien de la gloire est le plus grand de tous.
Et ces beaux sentimens ont sur vous tant de force,
Qu’ils font entre vous deux un eternel divorce.
Ainsi cette vertu ne sert qu’à vous trahir.
Ainsi tout nostre amour n’a pû nous ébloüir.
Ainsi tous deux épris d’une ardeur legitime
Nous nous aidons l’un l’autre à triompher du crime,
Et pousser jusqu’au bout un effort genereux.
Ainsi deux cœurs unis noblement amoureux,
Font de cette union d’estime et de tendresse
Un commerce d’honneur et non pas de foiblesse.
Cet amour va plus loin, et s’il agit pour nous,
C’est pour mieux faire aller ses soins jusques à vous.
Il veut servir mon pere au peril de sa haine,
Rendre cette grande ame à la vertu Romaine ;
Il le veut arracher à ces noms odieux,
D’implacable ennemy, de Tyran furieux ;
Il le veut delivrer du destin des parjures,
Dérober sa conduite aux craintes, aux murmures :
Cet amour genereux veut enfin malgré vous
Payer à Marius ce qu’il a fait pour nous,
Epargner à Sylla l’ingrate barbarie
D’attenter sur celuy qui nous sauve la vie,
Et garentir la paix, Rome et vostre pouvoir
Des fureurs d’un *[Amant](#amant) qu’on met au desespoir.
Si par ce digne amour vostre haine est trompée,
Voilà ce que vous vaut Cecilie et Pompée,
Rendez graces au Ciel, qui vous preste aujourd’huy
Une fille comme elle, un amy comme luy.
J’admire ce beau zele , et ne puis m’en defendre,
Je voy par vos conseils quel *[party](#parti) je doy prendre
Il faut vous contenter. Qu’on l’aille donc chercher,
Ce precieux Rival, cet ennemy si cher.
SCENE VI.
Seigneur....
Qu’est-ce Pison ?
Marius dans la place
Suivy d’un gros d’amis et de la populace,
Marche vers le Palais avec ses revoltez,
Et vient vous demander l’effet de nos traitez,
Le Camp est adverty, mais la Ville fermée,
Vous prive en ce moment du secours de l’armée.
C’est comme Marius s’aquite envers tous deux.
Grace à son desespoir, j’ay tout ce que je veux,
Puisqu’il m’ose attaquer, il n’est plus temps de feindre :
Vains scrupules d’estat cessez de me contraindre,
Déguisement honteux d’un *[courrous](#courroux) violent
Laisse agir ma fureur ton secours est trop lent.
Viens Pison, il est temps de me faire connoistre.
Tremblez mes ennemis, tout Sylla va parestre.
Vous pouvez demeurer, et vous aider tous deux
A plaindre dignement un *[Amant](#amant) malheureux.
SCENE VII.
Que me commandez-vous dans cette conjoncture ?
Des perils si pressans font trembler la nature :
Mais contre la vertu, qu’on trahit lâchement,
Le sang, quoyqu’allarmé s’explique foiblement.
Je vay donc s’il se peut secourir l’un et l’autre.
Allez, et reglez seul mon devoir et le vostre.
SCENE VIII.
Quel est vostre dessein ? malgré son desespoir
Le sort de Marius est en vostre pouvoir.
Empeschez pour son bien un effort temeraire ;
Servez à mesme temps vous, Rome et vostre pere ;
Un seul mot, un regard le peuvent desarmer.
Je sçay jusqu’à quel point Marius sçait aimer.
Mais je n’abuse point de cét amour extréme.
Perisse tout plustost, perisse Rome mesme,
Perisse Cecilie, et toute ma *[maison](#maison),
Si je les dois sauver par une trahison,
Quand tu vois Marius prest à se satisfaire.
Veux-tu...
Mais voulez-vous exposer vostre pere !
Vous voyez quels perils...
Pourquoy m’allarmes-tu ?
Pourquoy d’un nom si cher *[étonner](#estonner) ma vertu ?
Faut-il avec un pere estre d’intelligence,
Alors qu’il faut trahir l’honneur et l’innocence ?
Pour un pere sans foy, le sang est sans pouvoir
Et le soin de ma gloire est mon premier devoir.
SCENE IX.
Qu’est-ce ?
Helas ! pour comble de misere,
Marius va tomber aux mains de vostre pere.
Comment !
Le *[fier](#fier) Sylla se presente aux mutins,
Comme s’il estoit seul maistre de leurs destins :
Son intrepidité desarme leur audace,
Et toute leur ardeur se convertit en glace,
Tant ils craignent ce front, devant qui tant de fois
L’univers tout entier a veu trembler ses Rois :
Marius reste seul sans secours, sans defence,
Allons sans plus tarder, allons par ma presence...
SCENE X.
Ah ! Seigneur, Marius...
Vous voyez ma douleur.
Abandonné des siens, mais malgré son malheur,
Plus honteux que troublé de les voir sans courage.
La trahison, dit-il, acheve son ouvrage,
Sylla. Puis de son fer s’estant percé le flanc,
Tu n’auras pas l’honneur de répandre mon sang ;
Ma main en t’immolant ta plus chere victime,
Pour punir ta fureur luy dérobe ce crime.
Et soüille tout mon sang apres cet attentat
Des titres odieux de perfide et d’ingrat.
Mais ce n’est pas assez : j’ay bien plus à vous dire.
D’horreur et de pitié mon cœur tremble et soûpire.
Marius, m’adressant sa voix et ses soûpirs,
Mon trépas, cher Rival, vange tes déplaisirs ;
Adieu, joüis en paix du bon-heur de ta *[flâme](#flame).
Attendri par ces mots jusques aux *[feux](#feu) de l’ame,
Je change tout d’un coup ma tendresse en horreur,
Voyant le *[fier](#fier) Sylla d’un œil plein de fureur
Jouyr de ce spectacle, et charmé de son crime
D’un avide regard devorer sa victime.
Apres avoir soulé toute sa cruauté,
Inquiet, et malgré toute sa dureté,
Plein du trouble qui suit les ames criminelles,
Il veut se dérober à ses peines cruelles,
Et tasche vainement à force de forfaits
D’étouffer des remors, qui ne mourront jamais,
A toute son armée il a livré Preneste :
En vain je veux combatre un dessein si funeste,
Plus mon zele importun excite ses remors,
Plus pour les surmonter il demande de morts :
Il va jusques sur Rome étendre la tempeste,
Ce ne sont que fureurs qu’il roule dans sa teste ;
Et son esprit n’est plein que de punitions,
De fers, de sang, d’exils et de proscriptions.
Son cœur persecuté du tourment qu’il endure,
Deteste sa grandeur, maudit la Dictature,
Il veut l’abandonner, et privé de son rang,
Se livrer à quiconque aura soif de son sang.
Cependant pour combler ses remors et ses crimes
Il cherche à s’immoler mille et mille victimes.
Et si vous n’avez soin de calmer son *[courrous](#courroux),
Je crains tout pour luy-mesme, et pour Rome et pour nous.
SCENE DERNIÈRE.
Sylla n’attend que vous, et sa cruelle rage
Brûle d’aller dans Rome achever son ouvrage,
Rien de ce noir projet ne le peut divertir :
Les ordres sont donnez, Madame il faut partir.
Allons, allons nous mettre entre Rome et mon pere,
Et mourir à ses pieds ou fléchir sa colere.
extrait du privilege du roy.
Par Grace et Privilege du Roy, donné à Paris le 24. jour de Mars 1669. Signé, DALANCE, il est permis à G QUINET, de faire imprimer, vendre et debiter un Livre intitulé le Jeune Marius, Tragedie, durant le temps et espace de sept années, entieres et accomplies, à compter du jour qu’il sera achevé d’imprimer pour la premiere fois, en vertu du present Privilege. Et defenses sont faites à tous autres, de quelque qualité et condition qu’ils soient, d’imprimer ou faire imprimer ladite Piece, sur peine de confiscation des Exemplaires, et de tous dépens, dommages et interests, ainsi qu’il est plus amplement porté par ledit Privilege.
Registré sur le livre de la Communauté des Marchands Libraires et Imprimeurs de cette ville de Paris, le 26.Mars 1669. suivant l’Arrest du Parlement du 8.Avril 1653.
A. SOUBRON, Syndic.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 28.Mars 1669.