A M. B. E. C. S
Madame,
J’ay bien lieu d’estre satisfait du succez de ma Comedie. Vous m’avez asseuré que sa représentation vous a divertie agreablement, et je n’avois rien de plus à souhaiter. Quand le Public se seroit entierement declaré pour elle, son suffrage n’auroit point suffit à mon ambition, et la gloire de vous avoir plû est quelque chose de si considerable pour moy, qu’elle me console aisémentde la severité de la censure. C’est peut-estre dire beaucoup, mais ce n’est point encor dire assez pour la surprise où je me suis veu tant de fois de la force de vostre esprit, et de la delicatesse de vostre discernement.
A vous entendre discourir
D’une vivacité brillante
Sur tout ce qui se peut offrir,
On vous prendroit pour une Tante,
A qui dix ans adjoutez à cinquante
Auroient donné tout le temps de meurir.
Cependant à l’envy sur vostre beau visage
On voit les charmes du bel âge
Semer pompeusement ce qu’ils ont de plus doux.
Tous vos traits sont marquez au coin de la Jeunesse,
Et l’on ne trouve poit de Niepce
Qui ne soit moins Niepce que vous.
C’est à dire, Madame, que trois années de sacrement ne vous ostent point l’avantage sur toutes celles qui y prétendent, et que vous paroissez tellement ne faire qu’entrer à la vie, qu’on a peine à se persuader que vous ayez déjà fait un Heureux. Il est bien rare sans doute que d’aussi tendres années que les vostres soient soûtenuës d’autant de lumieres que vous en avez ; mais il l’estbeaucoup davantage qu’ayant de quoy vous attirer des vœux en foule par tout ce qu’une belle personne a d’engageant, vous sçachiez si bien regler les sentiments de ceux qui vous approchent, que vous ne leur inspiriez pas moins de respect pour vostre vertu, que d’admiration pour vostre beauté.
Ce n’est pas qu’à vous voir de mille attraits pourveuë
Les yeux aussi brillants que doux,
Il soit aisé de s’éloigner de vous
Sans songer que l’on vous a veuë
Il reste par ce souvenir
Assez dequoy se voir punir
Du plaisir où le cœur s’est trop laissé surprendre,
Mais c’est ce qu’on ne vous dit pas,
Et si d’en soûpirer on ne peut se défendre,
Il faut qu’au moins ce soit si bas
Que vous ne le puissiez entendre.
C’est, Madame, cette scrupuleuse severité qui vous a donné plus de lieu de vous réjoüir aux dépens de la Vieille Tante. Dans l’âge le moins propre à s’attirer des douceurs, elle va au devant de ce quevous ne croyez pas qu’on doive souffrir dans le vostre, et comme elle n’est pas la seule de son caractere, il sera difficile que vous ne trouviez à vous divertir de plus d’une Copie d’un si ridicule Original. Souffrez que pour vous aider à les mieux connoistre, je l’oblige à vous aller debiter une seconde fois ses folies jusques chez vous, et que par cette foible marque de ma reconnaissance, je tâche à m’acquiter d’une partie de ce que je vous dois pour l’obligeant Portrait que vous avez daigné faire de moy. Je sçay que vous vous estes assez laissée préoccuper en ma faveur pour en avoir adoucy les traits, et cherché plûtost à les rehausser par de vives couleurs, qu’à y faire trouver une exacte ressemblance : Mais, Madame, il est naturellement si doux d’estre flaté, et surtout par une personne faite comme vous, qu’il ne s’en faut guere que je ne tâche quelquefois à m’y reconnoistre. Du moins je puis vous asseurer avec beaucoup de verité que ce glorieux témoignage de vostre estime est un honneur que je préfere à tout ce que je pour--rois souhaiter d’ailleurs. Aussi ne suis-je plus en estat de me contenter des remerciements particuliers que je vous en ay déja faits. Ma vanité aspire à les rendre publics autant qu’il vous a plû de me le permettre, et si en me faisant supprimer mille éloges qui vous sont deubs, vostre modestie ne m’avoit pas forcé en mesme temps à cacher vostre nom sous des lettres misterieuses, j’aurois eu la joye d’apprendre aujourd’huy plus ouvertement à tout le monde avec combien de respect et de passion je suis et je seray toute ma vie,
MADAME,
Vostre tres-humble, tres obeissant,
Et tres-obligé serviteur,
T. CORNEILLE.
ACTE I.
SCENE PREMIERE.
Si j’en croy ce billet, Oronte est fort sincere,
Il met tout son bonheur à me voir, à me plaire,
Mais ce fut là toûjours le style des Amants.
Madame, il meurt pour vous. Vous sçavez si je ments,
Je suis valet d’honneur, et quoy qu’il pûst écrire,
S’il n’estoit fou d’amour, voudrois-je vous le dire ?
Il pense à vous sans cesse, et s’il avoit cent cœurs…
Quand il peut me parler il me dit des [douceurs*](#douceur),
Mais son [Sexe*](#sexe) par tout doit ce tribut au nostre.
Mon Maistre, croyez-moy, n’est point fait comme un autre,
A moins qu’on ne luy plaise, et plaise tout de bon,
Jamais sur la [fleurete*](#fleurete) il ne regle son ton.
Jamais ? et quelquefois il en [conte*](#conter4) à ma Tante.
C’est là de son amour la preuve convaincante.
Il n’est pas de ces gens si fort [abandonnez*](#abandonner)
Qu’il doive estre réduit aux attraits surannez,
Et si par vostre Tante, aussi vieille que fole
Il se laisse arracher quelque douce parole,
S’y pourroit-il résoudre à moins que de sçavoir
Qu’on n’obtient que par là le plaisir de vous voir ?
Mais que doit-il attendre enfin, que luy diray-je ?
Que j’ay leu son billet.
Le rare privilege !
N’aurons-nous rien de plus ?
Quoy, tu n’es pas content ?
La plus indifferente en feroit bien autant.
Ce n’est que sçavoir lire.
Un jour viendra peut-estre…
Un peut-estre n’est point ce que cherche mon Maistre.
SCENE II.
Et vite.
Qu’est-ce ?
Et tost.
Ma Tante ?
Détalons,
La voila qui descend, elle est à mes talons.
Par le petit degré gagnez le haut.
Lysette,
Obtiens nous…
Son Tailleur sur l’escalier l’arreste,
Sans cela…
Mais au moins, en trois ou quatre mots
Qu’elle déclare…
Adieu.
SCENE III.
C’est bien dit. Ah, les sots
Qui sans rien attraper avec un soin extrême
Sont un an à poursuivre un chetif, je vous aime !
Prétend-elle toûjours ainsi se défier ?
Faute d’experience elle se fait prier,
Elle est novice encor, mais enfin laisse faire ;
Mes soins en si bon train ont déja mis l’affaire,
Qu’en la pressant un peu, si ton maistre est discret,
Je luy répondrois bien d’un rendez-vous secret.
Luy peignant bien sa flame il l’obtiendra sans doute.
Mais on ne luy dit rien que la Tante n’écoute,
Et montrer pour la Niepce un cœur d’amour blessé
Ce seroit le secret d’être bien-tost chassé,
O le fâcheux dragon qu’une Tante éternelle !
Adjouste qui prétend estre encor jeune et belle,
Et qui laissant au coffre un peu plus de trente ans
Veut jusque dans l’hyver ramener le printemps.
A chaque occasion parlant de son peu d’âge
Son radoucissement tire un piteux hommage,
Qui lent à s’avancer…
Pour de si vieux [appas*](#appas)
Dy moy, quelle [douceur*](#douceur) pourroit doubler le pas ?
A soixante et dix ans ! l’agreable mignonne !
Dy soixante.
Et bien soit, la difference est bonne.
Comment diable à cet âge ose-t’on vivre encor ?
Sçais-tu pas qu’une femme en tout temps prend l’essor ?
Je le sçay, mais du moins on n’a point la figure
D’une Ostrogote faite en dépit de Nature,
Et l’on doit s’habiller sans tant de sots atours
A l’usage des Gens que l’on voit tous les jours.
De son deuil mitigé la mode est fort nouvelle.
Elle croit du commun se distinguer par elle,
En estre plus galante, et plus propre à charmer.
Elle a le diable au corps, croire se faire aimer !
Ne voir pas qu’on la raille alors qu’on s’humanise !
Qu’on luy dise un mot tendre, elle est soudain éprise,
Croit tout, prend feu sur tout, et c’est là son destin.
Aussi sans le doux style on n’est point son Cousin.
On n’a chez elle accez qu’en luy contant [fleuretes*](#fleurete),
Qu’en feignant un amour…
Un amour à Lunetes.
Si bien que sans [douceurs*](#douceur) et le tendre soûpir
Ce Dragon surveillant ne se peut assoupir ?
C’en est la seule voye.
Ah, beauté bisayeule !
Si j’osois pour [douceur*](#douceur) te bien paumer la gueule,
Que je prendrois plaisir…
Tu te mets en courroux ?
Mais quand avec la Niepce avoir ce rendez-vous ?
Où l’en presser ?
Leandre est amy de ton Maistre,
On l’aime icy déja plus qu’on ne fait paroistre.
Qu’il amuse la Tante, et l’endorme si bien
Qu’Oronte avec la Niepce ait un libre entretien.
Ouy, mais tu ne dis pas que ce Leandre enrage
D’avoir déja dix fois joüé ce personnage ?
Il est saoul de la Tante, et n’en veut plus taster.
Voyez que c’est bien là dequoy se rebuter.
La pauvre Niepce et moy nous en souffrons bien d’autres
Et peut-estre il n’est point d’ennuis* pareils aux nostres.
Ma foy, c’est charité que de nous secourir.
Mais avant qu’attraper il faut long-temps courir,
Et de l’air dont elle est par la Tante gardée…
La rage d’un mary l’a si fort possedée
Que comme elle en veut un, quoy qu’il puisse coûter,
La Niepce n’est jamais en pouvoir d’écouter.
Depuis neuf ou dix mois qu’est mort nostre bon homme,
La Vieille requinquée en desirs se consomme,
Dans le premier venu croit voir un [Protestant*](#protestant),
S’en fait [conter*](#conter4) par force, et s’offre au mesme instant,
Ainsi point de quartier tant qu’elle ait eu son compte.
Mais dy moy, cet Espoux que promettoit Oronte,
Ce Baron d’Albikrac est long-temps à venir.
Quelque obstacle maudit l’aura pû retenir,
Nous le sçaurons bien tost ; un certain la Montagne
Chez nous, quand j’en sortois, arrivoit de Bretagne.
Il en rapportera ce que tu veux sçavoir.
A vanter ce Baron j’ay bien fait mon devoir.
Sur ce que j’en ay dit nostre Tante charmée
Par lettres aussi-tost de luy s’est informée.
Tant pis, qu’a-t’elle sçeu ? car enfin il n’a rien.
Qu’il estoit de [naissance*](#naissance2) avec fort peu de bien,
Mais enjoüé, folastre, et toûjours prest à rire.
Plus encor mille fois qu’on ne le sçauroit dire.
Mais d’où diable as-tu feint que tu sçavois son nom ?
J’ay dit que j’avois veu ce Monsieur le Baron
Qui plein d’amour pour elle, et pressé d’un voyage,
Devoit à son retour parler de mariage,
Qu’il n’avoit point voulu la voir pour un moment.
On croit ce qu’on souhaite assez facilement.
Ah Baron, qu’à présent tu serois necessaire !
Qu’il vueille d’elle ou non, ce n’est point nostre affaire
Pourveu qu’en temps et lieu l’entretenant d’amour
A celuy de ton Maistre il donne quelque jour.
Mais à propos d’amour, m’aimes-tu ?
Le beau doute !
Tu m’en as asseuré bien des fois, mais écoute,
Il me le faut jurer plus authentiquement.
Philipin se défie* ?
A parler franchement,
Je te trouve gaillarde autant qu’on le peut estre,
Et nostre la Montagne est un dangereux traistre
Qui toûjours goguenard, prend en goguenardant
Ce qu’on dit qu’on n’obtient jamais en demandant,
Comme nouveau venu tu voudras qu’il t’en [conte*](#conter4) ?
Badin.
J’ay de l’honneur, et l’autre a beu sa honte,
Plus effronté qu’un Page en vain on le retient.
Tay-toy, ne vois-tu pas que nostre Tante vient ?
SCENE IV.
Que te dit Philipin ?
Que son Maistre l’envoye
S’informer s’il se peut que bien-tost il vous voye.
Dy-luy que je l’attens.
Retourne, Philipin.
Il en faisoit scrupule à cause du matin,
Leandre est avec luy.
Qu’ils viennent l’un et l’autre.
SCENE V.
Madame, vous voyez quel pouvoir est le vostre,
Tous deux ne sçauroient vivre un seul moment sans vous.
Que n’est-il vray ! mais non, ils ont besoin de nous,
Et venus à Paris pour quelque grande affaire
Je les dois regarder comme amys de mon Frere.
Tu sçais ce que pour eux d’Angleterre il m’écrit,
Qu’en leur faveur je tâche à trouver du [credit*](#credit1),
Et que les obliger c’est l’obliger luy-mesme.
Mais ne croyez-vous pas que l’un des deux vous aime ?
J’aurois lieu de le croire, et Leandre du moins
Semble pour me gagner ne manquer point de [soins*](#soin),
Mais enfin je crains tant qu’il ne soit pas honneste
Qu’à me remarier je me montre si preste…
Le veusvage est un don qu’on m’a toûjours appris
Que le Ciel ne depart qu’à ses plus Favorys,
Et si dans ce qu’on sçait par mainte et mainte épreuve
Vous pouviez transporter vostre Office de Veusve,
Au lieu de le garder toûjours en enrageant
Il vous seroit aisé d’en trouver de l’argent.
Malgré des blonds cheveux la mode avantageuse
Un Bandeau sied au front mieux qu’une [Paresseuse*](#paresseuse).
Mais, Madame, chacun sçait ses necessitez.
Il est vray, le Veusvage a ses commoditez,
Mais s’il en est à qui le Mariage couste,
D’autres n’y trouvent pas…
Vous le sçavez sans doute,
Pendant plus de trente ans vous avez eu loisir
D’apprendre ce qu’il a qui touche le desir,
Le Défunt vous aimoit, et chacun sçait bien comme…
Au mal de Jaloux prés je le trouvois bon homme,
Mais il estoit si vieux…
J’entens, pour reconfort
Vous en voulez un jeune.
Eh Lysette, ay-je tort ?
Non pas, et la jeunesse est d’un si grand usage
Qu’ayant à prendre Maistre il le faut du bel âge ;
Mais la difficulté c’est que vostre Barbon
A bien usé le vostre.
Eh mon Dieu, le voit-on ?
Mes ans aux yeux de tous sont-ils si manifestes ?
Avec un peu d’emprunt vous avez de beaux restes,
Et certain charme en vous saute encor tant aux yeux
Qu’il en est à vingt ans qui ne valent pas mieux.
Mais entre vous et moy qui connoy vos affaires,
Vous en avez du moins trente surnumeraires,
C’est quelque chose.
Ainsi tu me tiens hors d’estat
De plus faire divorce avec le Celibat ?
Non, un Mary pour vous est un point necessaire.
Les Gens ont sans cela tant de peine à se taire
Que pour oster tout lieu de médire de nous…
Eh, si l’une s’en plaint l’autre le trouve doux.
Dans la fleur de nos ans où tout aime à nous [rire*](#rire),
C’est [gloire*](#gloire) que de nous on s’attache à médire,
Et j’en sçay qu’on verroit pester au dernier point
Si de leurs Soûpirans on ne médisoit point.
Les Belles [à l’envy*](#envy) tirent de ce murmure
Du costé du [merite*](#merite) un favorable augure,
C’en est aussi la marque, et sans expliquer rien
Si l’on a leurs faveurs on les achepte bien;
Mais dans l’âge où pour nous manque la complaisance,
Malheur à qui ne sait taire la médisance,
Grand opprobre, Madame.
Il est rude en tout temps.
Et beaucoup plus encor quand on a nombre d’ans.
Croyez-moy, sur ce point la médisance est vraye,
Estant jeune, on se vend, estant vieille, l’on paye,
Et je laisse à juger, la belle passion
Qui s’allume ou s’éteint selon la Pension ?
Ah, Lysette.
Excusez, je parle avec franchise.
En est-il…
Non, témoin nostre vieille Marquise
Qui ne pouvant trouver de galand tout entier
Se contente, dit-on, qu’on serve* par quartier.
Pour quatre Pensions il faut bonne finance.
Et puis, je n’ay pas lieu de fuïr la médisance ?
Ouy, sans doute, et de vous on en diroit autant.
Mais en fait d’un mary ne barguignez point tant,
Le vouloir jeune et riche…
Eh, pour le bien, Lysette,
Tu sçais que ce n’est pas…
L’affaire vaut donc faite,
Le Baron d’Albikrac sera vostre vray fait.
S’il a si bonne mine…
Ah, Madame !
En effet,
J’y puis songer.
Sur tout suivez ma tablature,
Gardez toûjours la bourse, et donnez à mesure.
Quand on a comme vous force écus bien comptez,
On peut faire à propos ses liberalitez,
Il est d’heureux moments où l’on trouve son compte.
Si j’osois m’asseurer de Leandre ou d’Oronte,
J’aurois bientost choisy.
Le respect les retient,
Peut-estre ils parleront si nostre Baron vient.
Souvent la jalousie est ce qui nous enflame.
Mais il semble qu’Oronte et ma Niepce…
Madame.
Tout de bon, à l’oreille il aime à luy parler.
Croyez qu’il ne luy dit que des comptes en l’air.
Elle est si jeune encor…
Défions-nous* de l’âge,
Il en est dés douze ans que la [fleurete*](#fleurete) engage,
Et le cœur…
Il est vray, c’est un oiseau si fin
Qu’il faut pour l’attraper venir de bon matin,
Mais quant à vostre niepce, à moins d’en vouloir rire,
On ne peut…
La voicy, voyez ce qui l’attire,
Il faut que je l’éloigne.
Ah, gardez-vous-en bien.
Vous sçavez que Leandre aime vostre entretien,
Et s’il peut avec elle embarasser Oronte,
Je croy qu’auprés de vous il trouvera son compte.
Cela se pourroit bien, mais s’il falloit aussi
Que ma Niepce…
N’ayez pour elle aucun soucy.
SCENE VI.
Vous plaist-il que quelqu’un aille pour ces [Tabletes*](#tablette),
Ma Tante ?
Non, tantost.
Je croy qu’elles sont faites.
N’importe, ce matin vos yeux sont mal ouverts.
Comment ?
Vostre coifure est toute de travers,
Bon Dieu ! cela fait peur.
Je me coife à ma mode,
Ma Tante.
En attendant qu’on vous la raccommode,
Cachez-la tout au moins d’une Coife.
Et pourquoy ?
Ay-je à plaire à quelqu’un ?
C’est qu’il me plaist à moy.
Avec vos cheveux blonds en coquete fieffée,
Vous vous imaginez estre fort bien coifée,
Rien n’est plus ridicule, et Madame a raison,
Mettez.
Mettre une Coife en gardant la maison !
Que de raisonnements ! approchez.
Je deteste.
Voila proprement l’air d’une fille modeste,
Mais Leandre…
SCENE VII.
Voyez si l’on se plaist chez vous,
Madame.
C’est un bien dont chacun est jaloux.
Vous le dites, je sçay ce qu’il faut que j’en croye.
Vous cacher de la sorte ! ah souffrez qu’on vous voye.
Est-ce pour inspirer des desirs plus ardents ?
Laissez, elle se plaint d’un si grand mal aux dents,
Qu’elle souffriroit trop…
Il se passe, ma Tante.
Ostez donc.
L’osteray-je ?
Ostez. L’impertinente !
Vous prenez donc plaisir à montrer vostre nez ?
J’en suis fort aise.
Ainsi les esprits sont tournez,
Plus on défend…
Madame, on poursuit mon affaire,
Vostre [credit*](#credit2) bientost me sera necessaire,
J’ose en esperer tout.
Il me sera bien doux
D’avoir occasion de m’employer pour vous,
Mon frere m’en écrit d’une assez bonne sorte
Pour n’y rien negliger, et d’ailleurs, mais n’importe,
L’effet vous montrera si je sers mes amis.
Ce titre est glorieux, vous me l’avez promis.
Vous y pretendez donc ?
Beaucoup plus que personne.
Si je ne suis pas belle, au moins suis-je assez bonne,
Et c’est toûjours dequoy réparer ce defaut.
Defaut, Madame ?
On sçait un peu ce que l’on vaut,
Et sans ce grand éclat d’une beauté brillante
Quelquefois une femme a l’heur d’estre touchante,
Il est mille agréements…
C’est ce qu’on voit en vous,
Et l’assemblage en est si charmant et si doux
Que j’admire souvent en vous voyant paroistre…
Vous avez assez l’air de vous y bien connoistre.
Par ce que je vous dis du moins vous l’éprouvez.
Angelique.
Ma Tante.
Enfin donc vous trouvez
Ma [garniture*](#garniture) belle ?
Ouy belle, et des plus belles.
J’écoute, il ne luy dit que pures bagatelles,
Et vous laisse par là Leandre à gouverner.
Quel âge croyez-vous qu’on me puisse donner ?
Vous n’estes qu’une Fille, et sans vostre veusvage
Je vous croirois trop jeune encor pour le ménage.
Vingt et un an au plus.
Où les va-t’il chercher ?
Non, j’en puis avoir Trente, et n’en veut point cacher.
Quoy, trente, et dans cet âge un brillant de jeunesse…
J’ay pourtant eu souvent grand sujet de tristesse,
Du vivant du bon homme, ah grands Dieux quels ennuis* !
C’estoient de tristes jours.
Et de plus tristes nuits.
Qu’un Vieillard ait eu l’heur d’obtenir… J’en soûpire.
Que j’ay versé de pleurs !
Au moins dans ce martyre
Grace à sa prompte mort peu de temps s’écoula ?
Quinze ans s’y sont passez.
Et quinze par de-là.
Quel supplice ! et vos yeux aprés quinze ans de larmes
Ont trouvé le secret de conserver leurs charmes ?
Que de jaloux debats vont causer vos attraits !
L’hymen n’a pas grand lieu de toucher mes souhaits,
Et quitte des ennuis* dont j’ay trop fait l’épreuve,
J’aime assez le repos qui suit l’état de Veusve.
Je vis tranquille, heureuse.
Et vous faites fort bien,
C’est en cela…
Pourtant je n’ay juré de rien,
Et selon…
D’ordinaire où sont vos promenades ?
Où l’on veut.
A Saint Clou les charmantes cascades !
Vous allez fort souvent en ces aimables lieux ?
Pas trop.
Dites le vray, Vincennes vous plaist mieux.
On ne se divertit dans toutes ces Parties
Que selon qu’elles sont bien ou mal assorties,
Le goust dépend des lieux beaucoup moins que des gens,
Quand ils sont bien choisis…
C’est comme je l’entens.
Si bien que vous croiriez qu’une haine si forte
Contre le mariage en aveugle m’emporte,
Que seure qu’on m’aimast j’eusse assez de rigueur
Pour voir un vray [merite*](#merite) et défendre mon cœur ?
Qu’il en faudroit, Madame, et qu’il est difficile
Que vous ne rendiez pas ce [merite*](#merite) inutile !
En est-il qui ne céde, en voyant éclater…
Mon Dieu, ne perdez point le temps à me flater,
Je n’aime point l’encens.
Puisque c’est vous déplaire
Je le quitte, Madame, et change de matiere.
Croyez-vous qu’à la Cour Ariste ait du [credit*](#credit1) ?
Vous n’expliquez pas bien ce que je vous ay dit.
Si j’ay quelque [merite*](#merite), il n’est pas raisonnable
De prétendre qu’[à peine*](#peine1) il s’en trouve un semblable,
Et quelqu’un que je sçay vaut tout ce que je vaux.
Bon cela.
Ce quelqu’un n’a donc point de defauts ?
Vous le connoissez bien.
Moy, Madame ?
Vous mesme.
SCENE VIII.
Madame.
Que veut-on ?
La Marquise d’Amblesme…
Et bien, qu’est-ce ?
Elle vient.
Qu’a-t’elle à me [conter*](#conter2) ?
C’est peut-estre un galant qu’elle veut emprunter.
Qu’on la reçoive ailleurs. L’incommode personne !
Ah !
Si tu m’y retiens, va, je te le pardonne.
Peste soit de la vieille !
Allez l’entretenir,
Je vous suy.
Demeurez, je m’en vay revenir.
Quelle est cette Marquise ?
Une Sempiternelle,
Qui passe soixante ans, et fait encor la belle.
Elle aime la [fleurete*](#fleurete), et la moindre [douceur*](#douceur)
Luy fait ouvrir l’oreille, et chatoüille le cœur.
C’est un Original.
L’impertinence extrême
De faire son portrait et se railler soy-mesme !
Elle vous fournit bien dequoy vous divertir ?
Et qui ne riroit pas de l’entendre mentir
Que pour elle en secret plus d’un Chevalier brûle,
Que Monsieur le Marquis s’en meurt.
La ridicule !
Je l’aurois avec nous mise de l’entretien,
Mais vous n’en auriez pas esté quites pour rien,
Et nous n’eussions point veu la fin de la visite.
Adieu, pour un moment souffrez que je vous quitte,
Je sçauray m’en défaire, et perdray peu de temps.
SCENE IX.
Faites icy le sot, pour moy si je l’attens…
Amy, songez de grace…
Il n’est amy qui tienne,
Pour couvrir vostre jeu cherchez qui l’entretienne,
J’ay paré de mon mieux les plus dangereux coups,
Mais tirer à la rame est un mestier plus doux.
Au moindre jour offert d’union conjugale,
Elle en fait seul à seul un fort joly régale.
J’en ay tremblé deux fois, et j’ay crû que tout net
J’allois pour l’épouser estre pris au colet.
C’est l’unique moyen de l’[ébloüir*](#eblouir2).
N’importe.
M’abandonneriez-vous [au besoin*](#besoin) de la sorte ?
Il y va de ma vie, et si vous faites cas…
Vivez, mais s’il vous plaist que je ne meure pas.
Encor un teste à teste, et le moins qui m’arrive
C’est de perdre l’esprit.
La défaite est naisve.
Mais nostre Niepce enfin ?
Qu’elle est aimable ! Ah Dieux !
Son entretien est-il aussi doux que ses yeux ?
Qu’il est remply d’[appas*](#appas) ! j’en suis charmé, Lysette.
Vous a-t’elle promis audience secrete ?
Ouy, si la Tante ailleurs se laissant engager
T’asseure les moyens de me la ménager,
Tout dépend de tes soins*.
Ou plûtost de Leandre,
Qu’il prenne un rendez-vous…
Bon soir.
Vous en défendre,
Amy, quand il y va de tout l’heur de mes jours ?
Faut-il combatre icy des Lyons et des Ours,
Forcer quelque Chasteau, m’opposer seul à trente ?
A cela je suis prest, mais ma foy, pour la Tante…
Ah si vostre Breton estoit prest d’arriver !
L’argent comptant le charme, il viendra nous trouver,
Et craignant qu’on ne songe à presser les affaires,
Il m’envoye un Pouvoir passé devant Notaires,
Mais de plus de dix jours il ne sçauroit partir.
Et Leandre pour rien ne voudra consentir…
Non, mais à mon defaut employez la Montagne,
Qu’il fasse quelques jours le Baron de Bretagne,
On ne le connoit point.
A-t’il un peu d’esprit ?
Que trop ; quoy qu’il boufonne, il sçait bien ce qu’il dit,
Le voicy qu’à propos Philipin nous amene.
SCENE X.
As-tu veu le Marquis ?
J’ay bien eu de la peine.
Viendra-t’il ?
Ouy, Monsieur, où vous lui marquez.
Bon
Mais ici cependant il nous manque un Baron.
Peux-tu le devenir ?
Moy, Baron ? et de reste.
Tu connois Albikrac ?
C’est un gaillard, la peste !
Il faut passer pour luy.
Je suis vostre homme, allez,
Vous me verrez Baron, et des plus signalez.
Donc sans plus balancer, dés cette apresdinée
Qu’il s’en vienne nous faire un début d’hymenée,
La Tante l’attendra dans son appartement,
Et nous nous servirons de cet heureux moment.
Mais pour voir en secret ton aimable Maistresse ?
Vous avez belle peur que je manque d’adresse.
Que Philipin au guet ait soin de se montrer,
Je viendray l’avertir quand vous pourrez entrer.
Adieu donc, nous allons en Baron de Campagne
Travestir décemment Monsieur de la Montagne,
Si la Tante se plaint de ne nous trouver plus,
Dy que…
Vous me donnez des avis superflus,
Suffit que du Baron j’auray receu message,
Au moins faites-luy bien jouër son personnage.
Va, je sçay mon mestier, n’en sois point en [soucy*](#soucy).
As-tu plus de quinze ans ?
Environ, Dieu mercy.
Sors viste, s’il falloit qu’on te vist avec elle,
Tu perdrois tout.
Adieu, tendre et jeune pucelle,
Jusqu’au revoir.
Lysette, Ah !
Quel diantre de ton !
Tu gemis ?
Que je crains la Montagne Baron.
ACTE II.
SCENE PREMIERE.
Philipin m’attendoit par l’ordre de son Maistre,
Icy dans un moment vous l’allez voir paroistre,
L’avis luy sera doux.
Lysette, en vérité
Ce que tu me fais faire est bien précipité ;
Permettre qu’en secret un Galand m’entretienne.
Voulez-vous que je coure empescher qu’il ne vienne ?
Non, mais n’est-ce point trop…
Voilà bien des façons !
Eh, mon Dieu, hardiment prenez de mes leçons,
Vous m’en remercierez quelque jour.
Mais Lysette,
J’accorde une faveur peut-estre en [indiscrete*](#indiscret),
Et si de moy par elle Oronte veut juger…
Quoy, la Tante aura droit de nous faire enrager,
Et vous craindrez…
Je crains d’affoiblir son estime.
Un entretien secret n’est pas un si grand crime,
Et d’un joug trop pressant pour fuir les durs apprests
Il n’y faut pas toûjours regarder de si prés.
Pour moy, de tous les maux où l’on s’impatiente,
Je n’en croy point d’affreux comme le mal de Tante,
Il suffoque, et jamais un moment de repos.
Toutes n’agissent pas du mesme air*.
En deux mots
La vostre est une [Turque*](#turc), une [Arabe*](#arabe), et le Diable
N’en fourniroit qu’[à peine*](#peine1) encor une semblable,
Elle ne peut souffrir que vous leviez les yeux,
Il faut qu’on soit pour elle, obligeant, gracieux,
Qu’on louë à tous moments les beautez qu’elle achepte.
Mais si nous soupçonnant d’une intrigue secrete
Elle nous découvroit, tout seroit lors perdu.
Elle attend ce Baron si long-temps attendu,
De miroir en miroir se façonnant la bouche,
Elle oste, et puis remet dix fois la mesme mouche,
Dans ce soin d’agréements songera-t’elle à vous ?
Ainsi, c’est tout de bon qu’il luy vient un Espoux.
Est-il assez bien fait pour luy plaire ?
Peut-estre [30]
En ay-je un peu plus dit qu’on n’en verra paroistre,
Mais sur la bonne mine il faut nous récrier.
Dans la demangeaison de se remarier
Elle nous en croira.
Mais l’affaire estant faite,
Comme alors elle aura tout ce qu’elle souhaite,
Ce rendez-vous secret à quoy bon l’accorder ?
Oronte ouvertement pourra me demander.
Ouy, mais d’où pouvez-vous tirer un seur indice
Que pour ses durs [appas*](#appas) le Baron s’attendrisse ?
Qu’il vueille d’elle aprés qu’il en aura goûté ?
Servons-nous de ce temps pour plus de seureté,
Par quelques entretiens éprouvez-vous l’un l’autre,
Voyez si son humeur se rapporte à la vostre,
Si toûjours elle aura pour vous mesmes [appas*](#appas),
Là, l’aimez-vous un peu ?
Je ne m’y connois pas,
Mais tantost prest d’entrer, le voyant dans la ruë
De ma Chambre icy bas je suis viste accouruë,
Et j’eusse eu grand dépit qu’on m’eust voulu chasser.
Continuez, cecy n’est point mal commencer.
D’ailleurs, quand on le nomme ou qu’il nous rend visite,
Certain je ne sçay quoy fait que mon cœur palpite,
J’aime à le regarder, et soûpirant tout bas
J’ay des troubles d’esprit que je ne comprens pas.
Si-tost qu’il est party, je [resve*](#resver1). Quand on aime,
Est-ce là comme on est, Lysette ?
Tout de mesme.
L’Amour en peu de temps vous en a bien appris,
Mais Oronte…
Il vient. Dieux !
Reprenez vos esprits.
Que luy pourray-je dire, et…
S’il faut ne rien taire,
Vous faites l’innocente, et vous ne l’estes guere.
SCENE II.
Madame.
En liberté je vous laisse [jaser*](#jaser),
Nostre Tante est à craindre, et je cours l’amuser.
Enfin mon heureux sort aprés tant de contraintes,
De mes tristes langueurs soulage les atteintes,
Et sans estre [gesné*](#gener) par des regards jaloux
Je puis vous dire icy ce que je sens pour vous.
Mais que sert que ma bouche à l’expliquer s’employe ?
Pour vous marquer ma flame il suffit de ma joye,
Et quand l’occasion rend le temps pretieux
Il faut dans ce moment laisser parler les yeux.
C’est là que sans reserve en voyant ce qu’on aime
Tout le secret du cœur se produit de luy mesme,
Et qui prend part au feu qui le fait éclater
N’a besoin que de voir, et non pas d’écouter.
J’ay trop peu de clartez pour pouvoir bien comprendre
Ce que de vos secrets je dois vouloir apprendre,
Mais je sçay qu’un motif que je croy genereux
M’oblige à souhaiter que vous soyez heureux,
Qu’à vous combler de [gloire*](#gloire) [à l’envy*](#envy) tout conspire.
Ce souhait est beaucoup, mais si j’ose le dire
Dans ce que vos [appas*](#appas) ont pour moy d’engageant,
S’il n’est que genereux, il n’est point obligeant.
A moins qu’il soit l’effet d’une estime empressée,
D’un tendre mouvement où vous soyez forcée,
D’une inquiete ardeur…
Ah, que vous me [gênez*](#gener) !
J’ay bien peur de sçavoir ce que vous m’apprenez,
Ne l’examinons point, et quoy qu’il en puisse estre…
Craignez-vous de m’aimer ?
Je le fais mal paroistre,
Mais au moins je devrois malgré vos vœux soûmis
Craindre de vous aimer plus qu’il ne m’est permis.
Helas ! le pouvez-vous quand ma flame est extréme,
Et que l’Amour n’a point d’autre prix que luy mesme ?
Non, quoy que vous fassiez, pour vaincre le [soucy*](#soucy)…
N’est-ce point déja trop que vous souffrir icy ?
J’en rougis, et s’il faut que ma Tante soupçonne…
A ce scrupule en vain vostre esprit s’[abandonne*](#abandonner),
Lysette y met bon ordre, et seconde mon feu,
Il s’agit seulement d’obtenir vostre aveu,
Me l’accorderez-vous ?
Ce qu’icy je hazarde
Ne vous répond que trop de ce qui me regarde,
Mais songez que les loix d’un rigoureux devoir
Me forcent d’une Tante à craindre le pouvoir,
Que mon Pere en mourant me mit sous sa conduite,
Que par quelque interest elle m’aime à sa suite,
Et qu’avant que pour moi vous puissiez rien oser,
Il faut qu’elle ait trouvé qui la vueille épouser.
Il s’offre, m’a t’on dit, un Baron d’importance,
Si l’affaire se fait…
Vivons en esperance,
Quelque obstacle qui tienne un esprit alarmé,
Pour vaincre tout, Madame, il suffit d’estre aimé.
J’aurois peut-estre deu m’en tenir à l’estime,
Mais puisque vous brûlez d’un feu si legitime,
Que depuis si long-temps que vous le contraignez
L’amour est tel en vous que vous me le peignez,
Je ne me defens plus.
SCENE III.
La peinture est jolie,
Le rouge vous sied bien, vous estes embellie,
L’appetit au besoin vous viendroit en parlant,
Vrayement, j’en suis d’avis, il vous faut un Galant.
Moy, ma Tante ?
Voyez la petite effrontée.
Je ne vous ay donc pas tout à l’heure écoutée,
Quand sur ce bel amour qui le faisoit agir…
Madame.
Allez, Monsieur, vous devriez rougir,
Et du moins ce n’est pas à d’honnestes familles
Qu’on se doit adresser pour corrompre des filles.
L’hymen estant le but qui m’a fait la prier
D’entendre…
Il n’est icy personne à marier,
Parler d’amour chez moi ! vous estes fort mignonne.
Ne croyez pas…
[Comptez](#conter3), je vous la garde bonne,
Et si…
Venez encor emprunter mon secours,
J’ay bien affaire, moy, de vos sotes amours.
Quoy, que veut-elle dire ?
Et bien, il me faut taire,
Cela ne serviroit qu’à vous mettre en colere
Mais si jamais il vient me demander appuy…
Comment ? est-ce qu’il veut que vous parliez pour luy ?
Qu’allez-vous dire ?
Tout, et devant tout le monde ;
Voyez, il faut pour vous, Monsieur, que l’on me gronde.
Je vous l’avois bien dit renvoyant vos amours
Que ma Tante vouloit rester veusve toûjours.
Elle en a fait bon vœu.
C’est mon dessein sans doute,
Et qui parle d’amour Dieu sçait si je l’écoute,
Je n’en veux point.
Madame, il n’y faut plus penser ;
Et puisque je connoy que c’est vous offencer…
Laissez, par le recit que je veux qu’elle fasse
J’auray lieu de juger s’il faut lui faire grace.
Ce doit estre sa peine aprés ce qu’elle a fait.
Vous haïssez la cause, épargnez-vous l’effet.
Oyez donc.
L’embarras où vous nous allez mettre.
Mais quand vous aurez sçeu ce qu’il m’a fait promettre,
Contre moy tout d’un coup je crains bien de vous voir…
Ah, ne l’apprenez point.
Non, je veux tout sçavoir.
Pourquoy seule avec luy ?
C’est qu’il m’a rencontrée,
Et qu’il entroit icy comme j’y suis entrée.
Il venoit…
Sans donner de plus forte raison
Dites que je venois pour voler la maison,
Je l’avoüeray plûtost que…
Qu’est-ce qu’il vous [conte*](#conter2) ?
Qu’à vous expliquer tout il va mourir de honte,
Mais en vain il prétend que j’ose rien cacher.
Je suis pris.
Enfin donc il venoit vous chercher,
Et m’ayant apperceuë, il m’a fait la peinture
De je ne sçay quels maux que pour vous il endure ;
Que depuis qu’il vous voit il languit nuit et jour,
Et que si je n’avois pitié de son amour…
A ce nom j’ai crié furieuse, en colere,
Ainsi que vous m’avez appris qu’il falloit faire.
Il m’a toûjours pressée, et moy j’ay toûjours dit
Que sans doute il falloit qu’il eust perdu l’esprit,
Que vous oser parler pour luy, ny pour personne,
C’estoit… Il vous dira si pour vous je raisonne.
Il m’a dit que sçachant vostre temperament
Il ne vous falloit pas presser ouvertement,
Mais qu’au moins on pouvoit de loin vous faire entendre
Que vous estiez encore dans un âge assez tendre,
Qu’aussi fraîches que vous peu se feroient prier
Pour choisir un brave homme, et se remarier,
Et que selon l’humeur où je vous verrois estre,
Je [servirois*](#servir) sa flame, et la ferois connoistre.
Alors, je l’avoüeray, c’est en quoy j’ay manqué.
Sensible à l’air touchant dont il s’est expliqué
J’ay promis, sans penser pourtant faire un grand crime,
Que puisque son amour estoit si legitime,
Qu’il m’en peignoit le feu si plein d’ardeur…
Rentrez.
SCENE IV.
Ma presence vous choque, et je vay…
Demeurez.
Madame, le regret d’avoir pû vous déplaire…
J’aurois quelque sujet d’estre assez en colere.
Vous l’avez. Je l’avouë, aussi je vous promets
Que de moy sur ce point vous n’en aurez jamais,
Je sçay trop pour l’amour jusqu’où va vostre hayne.
Pour le moins jusqu’icy je l’ay vaincu sans peine.
Tout le monde en convient, et c’est estre indiscret
D’avoir à vostre Niepce expliqué mon secret,
Mais que ne fait-on point quand un mal est extréme ?
Et pourquoy ne vous pas adresser à moy-mesme ?
A vous-mesme, Madame ? helas ! et de quel air* ?
Non, je mourrois plûtost que de vous en parler,
Mais si vous faites grace à l’ardeur de mon zele,
Souffrez que quelquefois j’en soûpire avec elle,
C’est tout ce que je veux pour prix d’un si beau feu.
Il me paroist trop beau pour obtenir si peu.
Pour prix de vostre amour, si sa flame est constante,
Il vaut mieux que j’en sois la seule confidente,
A ma Niepce sur tout n’en témoignez plus rien,
Dans un si jeune esprit un secret n’est pas bien.
Quoy, pour me soulager vous pourriez vous contraindre
A souffrir ce qu’ailleurs on vous voit le plus craindre ?
Vous que l’amour offence, et dont l’aversion
Vient de paroistre encore pour cette passion,
Vous qui loin d’excuser l’innocente peinture
Dont…
Il faut quelquefois garder quelque mesure,
Et devant une Fille il est bon de blâmer
Ce qui leur peut apprendre à se laisser aimer.
Ce sont tendres esprits qui sans leçon ny maistre
Ne sçavent que trop-tost d’où ce panchant peut naistre,
Et pour rendre l’amour à leur goust moins charmant
On leur en fait un Monstre, et l’on pense autrement.
Ce n’est pas qu’il ne soit des [douceurs*](#douceur) au veusvage
Qui valent quelquefois celles du mariage.
Vivre comme on l’entend, ne répondre qu’à soy…
Ah, n’apprehendez point de les perdre pour moy.
Vous me donnez l’exemple, et je dois sans m’en plaindre
Quand vous vous contraignez, apprendre à me contraindre,
Sur moy-mesme à mon tour prendre assez de pouvoir…
Je ne dis pas cela pour me faire valoir,
Au contraire, je veux…
SCENE V.
Voicy, qu’on vous apporte
De ces petits Tableaux.
Bon.
L’homme est à la porte,
Le feray-je entrer ?
Non, qu’il revienne. Est-ce fait ?
L’étourdie, est-il temps…
C’est pour un cabinet ?
Voyons-les.
Il en a des plus jolis du monde.
Quelle stupide ! encor ? l’espoir où je me fonde
C’est que me connoissant…
S’il les vouloit laisser ?
Il peut les vendre ailleurs.
Il s’en faudra passer,
Qu’il les vende, ce soin vous rend [officieuse*](#officieux) ?
Si…
Le [friand*](friand)[ragoust*](#ragoust) qu’une vieille amoureuse !
SCENE VI.
Sans trop de vanité je pourrois me flater
Qu’il n’a tenu qu’à moy jusqu’icy d’écouter,
Cent fois, le défunt mort, on m’a persecutée,
Officiers, gens de Cour, mais rien ne m’a tentée.
J’ay mesme depuis peu receu de tous costez
Pour un certain Baron mille importunitez.
On m’en veut malgré moy donner la connoissance.
Quel est-il ?
Un Breton de fort haute [naissance*](#naissance1),
Albikrac. C’est un nom assez connu de tous.
Il vous donne à [resver*](#resver2), en estes-vous jaloux ?
Pour m’oublier ainsi je sçay trop me connoistre.
Du moins vous n’aurez pas long-temps sujet de l’estre ;
Une visite ou deux puisque je l’ay promis,
Aprés, ne craignez rien, nous vivrons bons amis.
Vous priver de sa veuë, et que rien m’autorise…
SCENE VII.
Ah, ma Tante, voicy ce beau point de Venise.
A-t’on jamais…
Vos yeux en vont être [ébloüis*](#eblouir1).
Ah, Madame !
On l’aura peut-estre à vingt Loüis.
Voyez ce long branchage, et ces Fleurs qui se jettent.
On surfait de moitié quand les hommes acheptent.
On m’en fit un quarante encor hier au matin
Qui n’est pas…
Le Tissu n’en peut être plus fin.
Il est assez passable, allez, qu’on me le garde,
Nous le verrons tantost.
Dieux !
Plus je le regarde,
Plus je l’aime. Voyez de l’un à l’autre bout,
L’ouvrage saute aux yeux, il est égal par tout.
Ne finirez-vous point ? que veut encor Lysette ?
SCENE VIII.
Le Baron d’Albikrac…
Enfin ma tâche est faite,
Respirons.
Ah, Madame, il n’est rien plus galant.
Ces Messieurs les Barons font valoir le talent,
Ce sont gens du bel [air*](#air).
Vous avez de l’[ombrage*](#ombrage).
Madame.
Il ne faut pas m’en dire davantage,
J’y pourvoiray. Qu’il entre, il faut le recevoir.
Demeurez. Vous, Lysette, ayez soin du mouchoir.
Nous laisser seul à seul surprendre en confidence
Seroit sans aucun fruit choquer la bienseance.
Madame.
Sans cela j’aurois sceu prendre soin
De n’avoir pas ma Niepce avec nous pour témoin.
Du moins tenez vous seur, quand je le pourray faire,
Que vous n’aurez jamais ce chagrin.
Pour vous plaire
Je l’essuyeray sans peine, et consens que par là…
SCENE IX.
Qui des deux est la Tante ? à l’âge, la voila.
Pardonnez, je sçay bien que ce vilain mot d’âge
Aux Belles comme vous tient toûjours lieu d’outrage,
Mais il ne vous en fait aucun, et tout de bon
Vous chercher à deux fois auprès d’une Poupon,
Auprés de cette Niepce [à peine*](#peine2) encor au monde
C’est une [gloire*](#gloire) en vous qui n’a point de feconde.
On m’en avoit bien dit, et j’en trouve encor plus.
Que diray-je, ma Tante ?
A d’autres cet [abus*](#abus),
Ma Tante !
Je la suis.
Et celle-cy, la Niepce ?
Elle s’est déclarée.
Ouy, pour me faire [piece*](#piece),
Comme Provincial vous voulez me sonder,
Mais ce n’est pas à moy qu’on en [baille*](#bailler) à garder.
On ne vous trompe point.
Quoy, vous seriez la Tante ?
Moy-mesme.
Je ne sçay si le Diable me tente,
Mais je sçay qu’il me fait vouloir que cela fust.
Ah, quel plaisir alors de s’aimer but à but,
Car ne pouvant causer qu’un mal de cœur extréme
Tel qu’on l’auroit pour vous, vous l’auriez tout de mesme,
Mal de cœur en amour est un drôle de mal.
Mais qui de notre Tante est donc l’Original ?
Sans railler est-ce vous ?
Je ne suis point surprise
De vous voir affecter exprés cette méprise,
Vous estes obligeant, et me voulez flater.
Non, ma foy ; j’enrageois d’avoir lieu de douter,
Et déja je songeois à trouver quelque adresse
Pour planter là la Tante, et donner sur la Niepce.
Ma Niepce est-elle si…
Chacun vaut son prix,
Mais enfin.
Est-il fou de s’estre ainsi mépris ?
Le beau jeune Seigneur ! qu’il est bien fait !
Ma mere
A pris aussi, dit-on, grand plaisir à me faire,
Et je m’en suis senty, car certain air* gaillard
Que j’ay d’elle hérité me rend tout égrillard.
Je vous divertiray, belle Tante. Ah, ma Niepce,
Il faut ceder, la Tante est la mesme jeunesse,
Certains traits enfantins, doux, mignons, delicats…
Ne me loüez point tant.
Je ne vous loüerois pas
Vous que je voy briller comme fleur Printaniere ?
Dieu me sauve, il n’est point… montrez-vous par derriere,
Vous estes encor mieux, et si propre à charmer
Qu’il ne faut point vous voir afin de vous aimer,
Le port beau, l’air poupin. J’en tiens et sans remede.
Quelle taille !
Il en est qui l’ont un peu plus laide.
Comment Diable ! et de plus de cinquante carats.
Qu’il a d’esprit, Madame !
Ah, l’on n’en doute pas.
Vous estes tout resveur.
J’eusse eu peine à m’en taire
Si vous ne l’eussiez dit. [Resve*](#resver1)-t’il d’ordinaire ?
C’est un mal de chagrin dont je crains les accez.
Il est à pardonner quand on a des procez.
Monsieur en a ? tant pis. Monsieur est de Province ?
Auvergnac.
On pretend vostre Noblesse mince,
Et vous venez icy la rehabiliter ?
Je crains peu que l’on songe à m’en inquieter.
J’en connoy soy disans issus de haute race
Nobles comme le Roy qu’on remet dans la crasse.
Parmy de vieux papiers abandonnez aux Rats
Ils ont beau la pluspart dénicher des Contracts,
Leur Gentilhommerie estant toute en paroles
Ne se trouve de poids qu’à celuy des pistoles ;
A nous autres Barons qu’on voit hors du commun
On n’a pas dit un mot, moins à moy qu’à pas un.
Aussi par tout le bruit de ma Noblesse craque,
Mon Pere estoit Kerling, et ma Mere Albikraque,
Deux Familles, pensez, d’éclat et de renom.
Qu’on s’informe, on verra si quelqu’un dira, non.
Vous n’avez pas sujet…
Je vous trouve inquiete,
Est-ce que vous craignez de me sembler mal faite ?
Ma foy, quand tout exprés pour me rostir d’amour
L’Ouvrier qui vous fit vous auroit faite au tour,
Qu’il auroit compassé pour me rendre tout vostre
Chaque connexité d’un membre avecque l’autre,
Vous ne me plairiez pas davantage, et déja
J’enrage d’estre au point dont mon Pere enragea ;
Car on tient que deux jours aprés son mariage
Il s’en mordit les doigts.
Lysette, il n’est pas sage.
C’est un homme enjoüé. Qu’il est divertissant !
Rien ne nous presse encor.
Je suis un peu pressant.
Mais à voir tant d’[appas*](#appas) qui feroit moins la presse !
Et puis, quand on va droit sans entendre finesse,
Et que l’un a peu prés est de l’autre le [fait*](#fait),
On dit que le plûtost vaut le mieux.
En effet.
On y doit un peu plus songer que vous ne faites.
Gay comme je le suis, vous, dans l’âge où vous estes,
Selon que je me sens fortement dans vos laqs,
Nous aurons quantité de petits Albikracs,
Ma Tante.
Pour le moins épargnez une fille,
Vous la faites rougir.
Elle en est plus gentille.
Quant à moy, j’aime à voir ce vermillon subit
Dont en baissant les yeux la Friponne soûrit.
Il faut les faire à tout, mais, mon aimable Tante,
Voyons vostre Maison, sa propreté m’enchante,
Et si j’en puis juger par cet appartement…
Vous n’y trouverez pas ce que…
Sans compliment,
Agréez que je sois vostre Escuyer.
Madame
A dans son Cabinet ce qui peut ravir l’ame,
Il vous faut tout au moins deux heures pour le voir.
Quelque autre jour.
Ah, non.
Je suis au desespoir,
Ne vous chagrinez point, mon Cher, je vous en prie,
Si je donne la main…
Par cette galerie.
Suivez-nous.
En suivant éloignons-nous un peu.
Profitez du moment, on vous donne beau jeu.
Extrait du privilege du Roy.
Par grace et Privilege du Roy donné à S. Germain en Laye le 21 de Février 1668. Signé DE MALON, il est permis au sieur T. CORNEILLE de faire imprimer, vendre et debiter par tel Imprimeur et Libraire qu’il voudra choisir, une pièce de Theatre de sa composition, intitulée Le Baron d’Albikrac, pendant le temps et espace de cinq ans entiers et accomplis, à compter du jour que ladite Piece de Theatre sera achevée d’imprimer ; et défences sont faites à tous autres de quelque qualité et condition qu’ils soient de faire imprimer ladite Piece sur peine de trois mille livres d’amende, et de tous dépens, dommages et interests, ainsi qu’il est plus amplement porté par lesdites lettres.
Registré sur le Livre de la Communauté le cinquième de Mars 1668.
Signé THIERRY Adjoint.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 8 Février 1669. à Roüen, par L. MAURRY, aux dépens de l’Autheur, lequel a traité de la presente impression et du Privilege avec CLAUDE BARBIN, et GABRIEL QUINET Marchands Libraires à Paris, pour en joüir suivant l’accord fait entr’eux.
Les exemplaires ont esté fournis.