A MONSEIGNEUR LE DUC DE GUISE et c
Monseigneur,
Voicy la plus genereuse et la plus illustre de toutes les femmes qui se vient jetter aux pieds du plus illustre et du plus genereux de tous les hommes ; Elle sçait que vostre Maison est le Temple de la Vertu, et qu’elle a esté de tout temps l’asile de ceux que la fortune expose aux atteintes du malheur. Cette vérité qu’elle a apprise aux extremités de la Terreur et en des regions où vos Ancestres ont signalé glorieusement et leurs armes et vostre nom, la fait resoudre à venir chercher en France, et dans vostre protection le repos qu’elle n’a pû trouver en son pays. Le sort de la guerre qui fit succomber sa patrie la rendit prisonniere d’un monarque dont elle se fit un esclave ; et maintenant un destin plus favorable la rend volontairement esclave d’un Prince pour qui elle a autant d’inclination et de respect, qu’elle eust pour l’autre d’aversion et de severité. Aussi faut-il advoüer Monseigneur, que quelque grand que fust Soliman, il ne posseda jamais si advantageusement que vous tant d’admirables qualités, qui vous rendent aujourd huy la merveille de nostre siecle, à la honte du passé, et au desespoir de l’advenir. Peut-estre qu’en parlant ainsi de vostre Grandeur, j’offense vostre modestie ; Mais Monseigneur, permettez que je combatte une de vos vertus pour faire esclater toutes les autres, et ne me forcez point d’escouter cette ennemie de ses propres loüanges dans le dessein que j’ay de publier des choses que l’envie mesme ne sçauroit [desadvoüer*](#desavouer) sans injustice, ny la France oublier sans ingratitude. Toutesfois ce serait vouloir comprendre dans une lettre ce qui meriteroit des volumes entiers ; de si hautes merveilles ne se peuvent exprimer par des termes ordinaires. Aussi veux-je qu’en une si noble matiere l’admiration soit toute mon eloquence, et que l’adveû de mon impuissance soit le crayon de vostre Grandeur, C'est assez que l’on sçâche que vos devanciers ont toujours este les plus fermes colonnes de cette Monarchie, et qu’estans vieillis dans les charges les plus considerables de cette Couronne, ils ont laissés un heritier qui acheve aujourd’huy ce qu’ils ont autrefois si genereusement commencé. De quelque costé qu’on jette les yeux dans vostre illustre famille, on n’y void que des marques celebres, et par tout de glorieux tesmoignages de fidélité, de prudence, de generosité, et de valeur. Vous adjouterez, s’il vous plaist, MONSEIGNEUR, à tant de celebres actions le secours que vous demande cette belle Perside, que je vous presente, quelque aimable qu’elle puisse estre, elle n’est pas sans ennemis, et comme autresfois sa beauté causa la perte de sa vie ; peut-estre que desormais on tâchera de luy ravir la gloire qu’elle espere de sa vertu ; mais si vostre Grandeur entreprend sa deffence, elle redoutera peu les traits de l’envie, et ses ennemis seront foibles si vostre bonté se declare en sa faveur. C'est dequoy elle vous conjure avec tout le zele et toute la passion dont elle peut estre capable, et j’espere que vous luy accorderez cette grace, bien qu’elle vous soit demandée, par la personne du monde qui merite le moins, mais qui desire plus passionnément d’estre toute sa vie,
De vostre Grandeur,
Le tres humble tres obeïssant et tres affectionné serviteur,
ACTE QUATRIESME
SCENE PREMIERE
Non, non n’esperez pas me traittant de la sorte
Que sur ma passion vostre [rigueur*](#rigueur) l’emporte,
Je connois la raison qui cause vos [mespris*](#mepris),
Je sçay de quelle ardeur vostre cœur est espris,
Et je n’ignore pas qu’une haute esperance
Ne soit le fondement du refus qui m’offence,
Mais apprenez aussi que je sçai le moyen
D'estouffer vostre espoir, et d’asseurer le mien.
Ouy, ouy beauté superbe, il faut que tout perisse
Où qu’au gré de mes vœux mon dessein reüsisse,
Vous n’estes plus à vous, et vous estes à moy,
Soliman qui peut tout.
Ne peut rien sur ma [foy*](#foi).
Vous estes son esclave.
Ouy mais non pas la tienne.
Vous devez obeïr puisque vous estes sienne,
De deux maistres puissans qui regissent mon sort
Je resiste au plus foible, et je cede au plus fort.
Où reigne Soliman il n’est point d’autre maistre.
Où reigne Soliman n’espere pas de l’estre.
Je vous entends Madame, et je sçay vos desseins
Mais il ayme Perside.
Et ses feux seront vains.
Puis qu’au gré de ses vœux Eraste la possede
Cet obstacle est puissant,
J'en sçay bien le remede.
Va, va mettre en effect tes projets inhumains,
Moy je sçauray bientost me tirer de tes mains.
SCENE SECONDE
Ouy, ouy malgré ce cœur si contraire à ma [flame*](#flamme)
Je vais executer le complot que je trâme,
Et te réduire au point de ne plus esperer
Le grade imperieux ou tu veux aspirer.
Ouy cruelle je sçay qu’Eraste est un obstacle
Qui faict que ce charmant et visible miracle
Pour qui les plus grands cœurs ont tant de passion
Est pour un Empereur sans inclination ;
Mais pour son interest il faut qu’il s’en delivre
Nostre commun repos veut qu’il cesse de vivre,
Et que par ce grand coup nous renversions tous deux
Le seul [empeschement*](#empechement) qui s’oppose à nos vœux.
Eraste je sçay bien qu’envers toy je suis traistre
Mais toy-mesme tu l’es au repos de ton maistre,
Car ta fidelité, fatale à ses plaisirs
Par son propre [merite*](#merite) a trahi ses desirs.
Je t’aymois autrefois et maintenant je m’ayme,
Je n’ay plus soin de toy pour songer à moy-mesme
Tu me nuis, je t’hais et mon cœur en ce jour
A conclu ton trepas pour plaire à mon amour,
Je ne puis escouter les loix de la nature
Je songe à me guerir par ta propre blessure,
J'ay dessein de te perdre afin de me sauver
Et de causer ta cheute afin de m’elever,
Enfin pardonne-moy si je te suis barbare
L'amitié nous joignit et l’amour nous separe,
J'advance ton malheur pour advancer mon bien
Et pour cet interest je n’escoute plus rien.
Allons c’est trop parler la chose est resoluë
La foudre est toute preste et sa mort est concluë,
Amour cruel auteur de ce hardy dessein
Favorise un [forfaict*](#forfait) que tu m’as mis au [sein*](#sein).
SCENE TROISIESME
Tyran des cœurs boureau des ames,
Maistre des humains et des dieux,
Redoutable vainqueur des plus ambitieux
Dieu de fers de souspirs, de tourments, et de flames,
Amour que les coups de tes traits
Ont d’abord de puissants [attraits*](#attrait) !
Qu'ils font une agreable et charmante blessure
Mais apres de si doux moments,
Helas ! que ta douceur change bien de nature,
Et quelle est fatale aux Amans !
Puisque je vis sous ton Empire
Et qu’Eraste a ma liberté,
Pourquoy par ton caprice, ou par ta cruauté.
Fay-tu que Soliman pour moy-mesme soupire.
Je ne puis partager mes vœux
Mon amour ne peut-estre à deux,
Eraste est mon espoux, Soliman est mon prince ;
Mais le premier est mon vainqueur
Et si le sort à l’un a donné ma Province,
Amour donne à l’autre mon cœur.
Une chose leur est commune
Parmy leurs inegalités,
Deux aveugles des deux sont les divinités
L'un doit tout à l’amour et l’autre à la [fortune*](#fortune),
L'un est content de mes [ardeurs*](#ardeur),
L'autre est au faiste des [grandeurs*](#grandeur)
Et son ambition ne peut estre assouvie,
Eraste asservy sous mes loix
Se plaist en ses liens et son cœur sans envie,
Les prefere aux sceptres des Roys.
Prince dont l’injuste puissance,
Suppose à nos feux innocens,
Si je suis insensible aux [flames*](#flamme) que tu sens .
Ne prends point ma rigueur pour desobeïssance.
Un Dieu dont tu sens le pouvoir
M'ordonne ce juste devoir,
Je ne puis resister à celui qui te dompte,
S'il rend Eraste triomphant,
Afin de mieux couvrir mes refus et ta [honte*](#honte).
Dy que c’est le choix d’un enfant.
Beau sujet de mes soins, cher objet de ma flamme
Ouy, ouy tu seras seul à posseder mon ame,
Et de quelque façon qu’on attaque mon cœur
Il ne reconnoistra jamais d’autre vainqueur :
Mais ô Dieux je le vois, et son visage blesme,
Témoigne à cet abord une douleur extreme.
Il frémit, il paslit, et par ses changemens
Montre qu’il sent au cœur d’estranges [mouvemens*](#mouvement).
SCENE QUATRIESME
Qu'avez-vous Eraste ? et quel mauvais presage
Tiray-je de vos yeux et de vostre visage.
Vous me demandez helas ! ce que vous jugez bien.
Parlez plus clairement où je ne comprens rien.
He bien je vay parler, voyez mes yeux Madame
Par eux vous apprendrez le tourment de mon ame,
Par eux vous apprendrez que je viens en ce lieu
Pour vous dire peut-estre un eternel adieu.
Un eternel adieu cher Eraste ! ah je tremble.
Un eternel adieu ? non non mourons ensemble
Ou si tu veux enfin que j’escoute le tien,
Eraste en mesme temps reçoit aussi le mien,
Mon ame avec la tienne est si bien attachée
Qu'on ne la verra point par la mort arrachée,
Et tu dois recevoir des preuves de ma [foy*](#foi)
Me voyant tousjours vivre et mourir avec toy.
A tout evenement mon cœur se peut [resoudre*](#resoudre)
Si sur l’un de nous deux le sort lance la foudre,
Le coup qu’il recevra mettra l’autre au tombeau,
Et rien n’est assez fort pour rompre un noeud si beau.
Croy-tu que ta Perside.
Ah ! cesse ma chere ame
Je douterois à tort des ardeurs de ta [flame*](#flamme),
La crainte et les soupçons dont je suis combatu
Attaquent mon repos et non pas ta vertu.
Par mille beaux [effets*](#effet) elle m’est si connuë
Et paroit à mes yeux si charmante et si nuë
Que si dans mes malheurs je doutois de ta foy
Je me rendrois indigne et du jour et de toy,
Mais je crains un amour armé d’une puissance
Contre qui ta vertu n’aura point de deffence,
Qui foule aux pieds l’honneur, les loix et le devoir
Et dans sa volonté limite son pouvoir,
Ouy je crains Soliman, ouy je crains un barbare
Dont le lâche dessein aujourd’huy nous separe,
Je redoute un voleur qui m’enleve mon bien,
J'apprehende celui qui n’apprehende rien
Et qui pour te ravir avec plus de licence,
Par des moyens adroits me ravit ta presence
Pour rendre auprés de toi ses efforts plus puissants.
Il feint de redouter les armes des Persans,
Mais c’est moy qu’il redoute, et non pas leur victoire
Sous pretexte pourtant de procurer ma gloire,
Ce mortel ennemi m’esloigne seulement,
Comme un facheux obstacle à son [contentement*](#contentement),
Et me fait General d’une puissante armée
Pour m’oster un tresor dont son ame est charmée,
Je sçay qu’il t’aime helas ! et qu’il me veut trahir,
Je sçay que je te pers, mais il faut obeïr.
Estrange et dure loy de mon sort deplorable
Qu'autant aimé qu’Amant je sois si miserable ?
Amour ? cruel amour que t’a fait ma vertu ?
Tyran de mon repos à quoi me reduis-tu ?
Quel caprice est le tien ? quelle est ma destinée ?
Tu veux m’oster Perside ? et tu me l’as donnée.
Ah ! Ravis-moy plustost le bien de la clarté
Que la possession de sa rare beauté.
Non, non mon cher espoux estouffe cette crainte
Dont trop indignement ta belle ame est atteinte,
Ta Perside est à toy, rien ne peut te l’oster
Non pas mesme la mort mais tu vas me quitter,
Tu le dis, je t’entends, ton ame se desole
Et ma mort ne suit pas cette triste parole ?
Quoy tu parts ? tu t’en vas, tu me fais tes adieux ?
Et sa cruelle main ne ferme pas mes yeux ?
Tu t’en vas cher Eraste, et lache je respire,
Quand ton esloignement ordonne que j’expire,
Ah ! qu’à bon droit, Eraste, et qu’avec raison
Tu soupçonnes mon cœur de quelque trahison
Si lorsque tu me dis qu’il faut que tu me laisses
Par mes pleurs seulement je fais voir mes foiblesses,
Ah ! trop [laches*](#lache) effets de mon ressentiment
Que vous exprimez mal l’excés de mon tourment,
Larmes ne coulez plus, ou montrez mieux mes peines
Arrestez-vous mes yeux, mais ouvrez-vous mes veynes
Il n’appartient qu’a vous à pleurer mes malheurs
Et mon sang peut tout seul faire voir mes douleurs.
Espargne ce beau sang seche ces belles larmes
Enfin le temps me presse, il faut prendre les armes,
Ouy, Perside, je pars et je te dis adieu,
Mais vis pour ton Eraste et demeure en ce lieu,
Peut-estre que le fort qui nous est si contraire
Malgré ma [deffiance*](#defiance) aura moins de colere,
Je crains tout d’un tyran de vices revestu
Mais craignant son amour, j’espere en ta vertu,
Parmi mes deplaisirs cet espoir me console,
Ouy ta [foy*](#foi) me rasseure, et ma crainte s’envole,
Je sçay que ton esprit en fut tousjours vainqueur
Adieu dans ce baiser je te laisse mon cœur.
Soit enfin que je parte ou soit que je demeure
Soit que je vive en guerre ou bien soit que j’y meure,
Soit que le Ciel m’assiste ou qu’il soit contre moy
Rien ne peut empescher que je ne sois à toy ;
Je l’ay cent fois juré, je te le jure encore
Soit absent ou present il faut que je t’adore,
Et qu’enfin ton beau nom repeté mille fois
Soit les derniers propos que prononce ma voix.
Adieu chere Perside, et perdant ma presence,
Pour me mieux consoler fay-moi voir ta constance
Adieu donc cher Eraste.
Adieu Madame.
helas !
Te reverray-je encor ?
Non ne l’esperes pas ?
Adieu.
SCENE CINQUIESME
Capricieuse et bizare fortune
Apres un doux effet que tu m’es importurne,
Que d’un trouble soudain mon repos est suivy,
A peine ay-je un bonheur que je le voy ravy,
Je sens en mesme temps ces faveurs, et ta rage
Tu me jettes au port, et tu me faits un naufrage,
Tu fais lors que je meurs semblant de me guerir
Et puis lors que je vis tes [traits*](#trait) me font mourir,
Inconstante Déesse à mes yeux infidelle
Sois-moy plus favorable, ou soy-moy plus cruelle,
Ne me faits plus languir, determine mon sort
Et delibere enfin ou ma vie ou ma mort.
SCENE SIXIESME
Tu hazardes beaucoup Seigneur, et cette adresse
Dont tu crois te servir, est nuisible à la Grece,
Tu connois bien Eraste, et tu n’ignore pas
Qu'il a bien du [credit*](#credit) sur les cœurs des Soldats,
Par cet esloignement tu te promets peut-estre
De posseder Perside et de t’en rendre maistre,
Mais tant que son esprit nourira l’espoir
Ne pretends pas jamais que tu puisses l’avoir,
Un feu comme le sien à trop de violence
Pour ceder aux [ennuis*](#ennuis) d’une legere absence,
Eraste est trop avant dedans son souvenir,
La distance des lieux ne l’en sçauroit bannir
Et tant que ce rival joüira de la vie,
Tousjours un vain espoir trompera ton envie,
Car si tu presses trop cet objet orgueilleux,
Tu fais contre toy-mesme un dessein perilleux,
Soudain elle mettra son Eraste en alarmes,
Qui te venant combattre avec tes propres armes,
Te ravira peut-estre avec cette beauté,
Et l’Empire et le Trosne où je te voy monté,
J'approuve vos raisons, et vostre prevoyance,
Dans vos sages advis je voids mon imprudence,
Je reconnois ma faute, et je veux aujourd’huy
Malgré ses faits passés me deffier de luy.
Mais pour executer un conseil salutaire
Achmat la [diligence*](#diligence) est tousjours necessaire,
Faictes venir Eraste allez,
Prends ce [soucy*](#souci)
Pyrrhus, va, ma presence est necessaire icy,
J'y vay,
Qu'il vienne tost, vole.
SCENE SEPTIESME
Eraste, Perside,
Qu'à vostre occasion je suis lâche et timide
Que dedans mes desirs je suis peu resolu,
Tu te devrois Seigneur rendre plus absolu
Cet excés de bonté qui nuict à ta Hautesse
Produict des [insolens*](#insolent) alors quelle s’abaisse,
Voy comme aupres de toy Perside est sans respect,
Et qu’Eraste.
Achevez....
Te doit estre suspect.
Ah ! ne l’offensez pas je connois trop son zele,
Et tu sçauras trop tard qu’il ne t’est pas fidele.
Ces drapeaux que je vois parlent icy pour luy.
Et ces autres Seigneur la causent aujourd’huy.
Ceux-la sont seulement les temoings de ma gloire.
Ils le sont des regrets qu’il a de ta victoire,
Il est vray que d’abord cet objet l’a surpris,
Et tousjours ces objets irritent ces esprits,
Perside d’autre part excitant sa [furie*](#furie)
Le porte incessamment à vanger sa Patrie :
Il couve ce dessein, et propice à ses vœux
Desjà l’occasion luy montroit ses cheveux,
Si ta Hautesse icy par nos soings advertie
Revocquant son pouvoir n’en rompoit la partie,
Le [perfide*](#perfide) l’[ingrat*](#ingrat) ! Il faut le prevenir.
Ce n’est pas assez.
Quoy doncq ?
Crains l’advenir
L’affront qu’il recevra va piquer son [courage*](#courage)
Et bien qu’un feint respect te deguise sa rage,
Il pourra tost ou tard par de lasches complots
Vanger ses passions et troubler ton repos,
En cette occasion qu’est-il besoing de faire ?
Que me conseillez-vous ?
De perdre un [temeraire*](#temeraire),
Qui conspire dans l’ame à te priver du jour
Qui s’oppose à ta gloire et nuit à ton amour.
He bien, puisque l’estat aujourd’huy m’y convie
Puisque sa mort importe au repos de ma vie,
Perdons-le, c’en est fait, mon esprit s’y [resoud*](#resoudre).
Pour toy les yeux fermés, j’oze et j’entreprens tout.
Si j’ay receu par vous cet advis salutaire
Vous recevrez de moy son prix et son salaire,
Mais laissez cet [ingrat*](#ingrat), et qu’il vive en repos
Je l’empecheray bien, ah ! qu’il vient à propos,
Je vay par un reproche et juste et [legitime*](#legitime)
Imprimer dans son cœur le remords de son crime,
SCENE HUICTIESME
Ton cœur est grand, Eraste, il le faut advoüer,
Ta [generosité*](#generosite) ne se peut trop loüer,
Et Rhodes que le sort et mon bras m’ont donnée
Apres ses hauts exploits est bien infortunée,
D'estre aujourd’huy contrainte de relever de moy
Ayant pour citoyens des hommes comme toy,
Certes dans son malheur elle est beaucoup à plaindre
Mais ce ressentiment pourra bientost s’esteindre,
Puis qu’enfin ta valeur [sensible*](#sensible) à ses regrets
Va contre Soliman prendre ses interests,
Et par une importante et celebre victoire
La remettre en ses droits et restablir sa gloire,
Certes de ce projet le pretexte est fort beau
Mais son [funeste*](#funeste) [effect*](#effet) me semble un peu nouveau,
Eraste, il est certain que j’ay vaincu ta Patrie
Ce fâcheux souvenir excite ta [furie*](#furie),
Mais en te souvenant de ses heureux malheurs
Tu devois [quant et*](#quant-et) quant songer à mes faveurs,
Et par un prompt remords renoncer à l’envie,
De m’oster ma conqueste et peut-estre la vie.
Ce discours te surprend avec quelque raison
Tu me croyois si bien cacher ta trahison,
Que la trame en estant adroitement couverte
Je ne la devois voir qu’en apprenant ma perte,
Mais le démon qui veille au salut des estats
M’a decouvert ton piège, et les noirs attentats,
Eventé ton dessein, et dissipé les charmes
Qui faisoient contre moy tourner mes propres armes,
Ayant preveu le mal je sçaurai l’eviter.
Et si tu veux mon sang je te puis contenter,
Ouy, ouy que ta Hautesse acheve son envie
Eraste t’est suspect il doit perdre la vie.
Mais en l’abandonnant à de sanglants [effets*](#effet)
Ne lui reproche pas de si lâches [forfaits*](#forfait).
Si tu faits le dessein de perdre un miserable
Au moins accuse-le d’un crime veritable,
Et pour le condanner avec plus d’équité
Fay paroistre sa faute en sa temerité*.
Alors ta [cruauté*](#cruaute) se rendra [legitime*](#legitime)
En l’accusant d’aimer tu nommeras son crime,
Et tu le blameras avec juste raison
Si cherir son espouse est une trahison.
Peut-estre j’ay failly d’aymer une Déesse
Dont les chastes [attraits*](#attrait) plaisoient à ta Hautesse,
Mais qui s’[empescheroit*](#empechement) du crime que j’ay faict
Si mon juge luy-mesme à causé son [effect*](#effet),
Bien, sois en Soliman le posseseur paisible
Ton rang et mes malheurs te rendent tout loysible,
Ravis-moy, ravis-moy cette illustre beauté
Qu'au prix de tant de sang j’ay si bien achepté,
Mais donne-moy la mort et dans mon infortune
Previens par ce beau coup nostre [honte*](#honte) commune,
C'est l’unique moyen d’asseurer ton amour,
Ne differe donc pas à me priver du jour,
Aussi bien ce serrail le theatre tragique
Des noires actions d’une [ardeur*](#ardeur) impudique,
Est tout accoustumé de souffrir sans horreur
Ces prodiges nouveaux de rage et de [fureur*](#fureur),
Déjà l’assassinat y passe en habitude
Et dans cette honteuse et ville servitude.
Parmy tes courtizans, et tes lâches flateurs
Et le meurtre et l’inceste ont des approbateurs.
Cet [insolent*](#insolent) propos montre à qui je me fie
Mais ce n’est pas ainsi que l’on se justifie,
Ce procédé ne sert qu’à vous rendre suspect
Et vous devriez au moins avoir plus de respect.
Seigneur mes actions sont toutes innocentes
Et j’en pourois donner des preuves evidentes
Mais ce seroit envain, tu connoistras un jour,
Quel estoit ton Eraste, et quel est ton amour.
Et vous dans le Chasteau du bord de la mer noire
Vous apprendrez bientost à respecter ma gloire,
Emmenez-le Pyrrhus.
Je n’y recule pas
Et mesme si tu veux nous irons au trépas.
SCENE NEUFIESME
Non je n’en doute plus il est, il est [perfide*](#perfide),
Il sçait la passion que j’ai pour sa Perside,
L'[ingrat*](#ingrat) en est jaloux, mes feux m’ont haïr
Et son ressentiment le porte à me trahir,
Qu'il meure, va Haly, meine mes Janissaires
Et puis donne aux müets les ordres necessaires.
Va...non reviens, attends, advis, haine, couroux,
Perside, Eraste, amour, où me reduissez-vous.
Où me reduisez-vous imperieuse flame ?
Si mon Eraste meurt que deviendra mon ame ?
Les coups qui l’atteindront ne m’atteignent-ils pas ?
Sa mort n’est-elle pas l’arrest de mon trepas
Et quoy que je propose en ce couroux extréme
Le puis-je perdre enfin sans me perdre moy-mesme ?
Non, non quoy qu’il en soit ses malheurs sont les miens
Les plus beaux de mes jours sont attachez aux siens,
Je souhaitte ma mort en desirant la sienne,
Son trespas est le mien et sa vie est la mienne ?
Qu'il vive doncq qu’il vive.
Ah ! Seigneur.
Laissez-moy,
Eraste est innocent, ces drapeaux que je voy ;
Me parlent hautement en faveur de son zele.
Mais Perside Seigneur....
Non il est infidele.
Pers donc sans differer celuy qui nous ayma
Celuy qui nous servist, celui qui nous charma,
Va Haly, s’en est fait, mon amour veut qu’il meure
Se peut-il presenter d’occasion meilleure
Non Haly, haste-toy rien ne le peut sauver.
Suivez tout de ce pas je m’en vais le trouver,
ACTE CINQUIESME
SCENE PREMIERE
Pyrrhus, si vous voulez m’acquerir et me plaire
Il faut perdre un ingrat, et servir ma colere,
Il faut punir Achmat dont l’esprit orgueilleux
Apres m’avoir vaincuë a rejetté mes vœux
Montrez donc par ce coup qu’il vous faut entreprendre
Que m’ayant sçeu gaigner vous me sçavez deffendre,
Et pour vous y porter avec plus de couroux
Songez que je vous ayme et que je suis à vous.
Madame, ce discours est-il bien veritable ?
Puis-je attendre de vous cet honneur incroyable ?
Et me comblerez-vous par de si grands bienfaits
Si mon bras aujourd’huy s’accorde à vos souhaits ?
Ouy Pyrrhus, mais il faut [contenter*](#contentement) mon envie.
C'est assez Alcomire, il va perdre la vie.
J'apporterai son cœur à vos sacrés genoux
Vous le verrez sanglant et tout percé de coups,
Et pour mieux satisfaire au deuil qui vous anime
Je veux en le frappant lui reprocher son crime,
Adieu, quand il auroit tout le secours des Cieux
Vous le reverrez mort et moi victorieux.
Demeure encore un peu, mais que dis-je timide ?
L'[ingrat*](#ingrat) m’a mesprisée, il a trahy Perside,
Alcomire, Herminie, Eraste et l’empereur,
Qu'il meure doncq l’[ingrat*](#ingrat), qu’il sente ta [fureur*](#fureur),
Ce n’est point lacheté que de trahir un traitre.
Si c’est pour vous servir je fay gloire de l’estre.
Va c’en est faict, adieu vange-moy promptement.
En moy vous trouverez un plus fidele Amant.
SCENE SECONDE
Enfin le coup est faict et selon mon envie
Eraste vient de perdre et l’amour et la vie,
De [funestes*](#funeste) cordeaux ont rompu ses liens
Et ses feux estouffez font revivre les miens.
Perside avec le temps pourra sécher ses larmes,
Et Soliman piqué des [attraits*](#attrait) de ses charmes
Se voyant sans obstacle, ainsi que son rival,
Rendra son [heur*](#heur) parfaict, et le mien sans esgal.
Mais je voids Herminie advançons.
SCENE TROISIESME
Belle [ingratte*](#ingrat)
Il faut enfin quitter cet espoir qui vous flatte,
Vous aymez Soliman, mais il n’est pas pour vous
Et Perside à ses yeux a des [attraits*](#attrait) plus doux,
Il n’a plus de rival, ce jeune temer aire
N'est plus doresnavant en estat de lui plaire,
Ce brazier est esteint, Eraste est au tombeau.
Qu’[inferes*](#inferer)-tu de là ? que j’ayme son boureau ?
Non, mon cruel Achmat, je sçay ta [perfidie*](#perfide)
Et voyla déloyal comme j’y remedie.
O destins ! ah je meurs ! ce coup m’oste le jour.
Ce sont la des faveurs dignes de ton amour.
Pour les criminels, et les ames traitresses
Je ne destine pas de plus douces caresses.
SCENE QUATRIESME
Dieux qu’est-ce que je voids ?
Pyrrus où fuyez-vous ?
Advancez, et voyez l’[effect*](#effet) de mon couroux,
J'ai fait cet homicide, et je veux qu’on le sçache
Veu qu’en l’executant je n’ai rien fait de lâche*,
J'ay perdu l’ennemi de tous les gens de bien.
Je le sçais, mais ô Dieux ! Quel malheur est le mien ?
De quoy vous plaignez-vous ? du sort de cet infame
Non : mais en le perdant vous me perdez Madame
Comment ? avez-vous peur pour estre icy venu ?
Au contraire, je crains pour estre [prevenu*](#prevenir),
Pour estre [prevenu*](#prevenir) ? je ne sçaurois comprendre
Ce que par ce discours vous voulez faire entendre.
Apprenez que poussé d’un semblable dessein
Je venois lui plonger ce poignard dans le sein,
Et que par ce beau coup je gaignois Alcomire
Dont ce [perfide*](#perfide) Amant [desdaignois*](#dedaigner) le martyre.
He bien ! puis que ma main a vangé ses mespris
Contente de l’honneur, je vous cede le prix,
J'ay travaillé pour vous, et pour ma recompence
Enlevez seulement ce corps de ma presence,
Allez.
Par un endroit qui regarde la mer,
Assez proche d’icy je le vais abismer,
De peur que pour ce coup nous ne soyons en peine.
SCENE CINQUIESME
Depeschez donc Pyrrhus que quelqu’un ne survienne
Ce n’est pas tout mon cœur il faut vaincre ou mourir,
Qu'amour m’eleve au Trosne ou me fasse perir,
Allons trouver Perside, animons sa constance,
Et contre Soliman armons sa resistance,
Mais quel est ce guerrier? quel est ce jeune Mars,
Qui lance dans ces lieux de si tristes regards.
SCENE SIXIESME
Cher Eraste !
Arrestez . Où courez-vous Madame,
Est-ce Perside ô Dieux ?
Eraste ma chere ame.
C'est elle.
Cher Eraste, où fuis-tu de mes yeux ?
Pour la derniere fois je te vis en ces lieux,
Ne t’y verrai-je plus ? qu’est-ce qui t’en separe ?
Helas ! d’un seul moment ne me sois pas avare,
Viens voir en cet habit et dessous cet [armet*](#armet),
En quelle extremité ta Perside se met.
Et comme la [fureur*](#fureur) peinte sur son visage
Aussi bien que ses mains seconde son [courage*](#courage),
Quoy tu ne parois point ma vie, et ta rigueur
Me refuse tes yeux, ton oreille, et ton cœur ?
Et je n’obtiendray point dans le mal qui me touche
Un seul de tes regards, et deux mots de ta bouche ?
Ah ! si le souvenir d’une faincte amitié
Te peut encor toucher d’un rayon de pitié,
Ne me refuse point cette derniere [grace*](#grace),
Ou si comme ton corps ton Esprit est de glace,
Et si cette insensible et mortelle froideur
Qui s’en est emparé est passé jusqu’au cœur,
Souffre que je t’enflame et que mon feu t’anime
Par les ardens baisers d’une amour [legitime*](#legitime),
Et que ce vain esprit qui ne me sert de rien
Abandonne mon corps et passe dans le tien.
Ah ! cesse ma douleur des discours si frivoles
L’air avec mon espoir emporte mes paroles.
Il est mort, il est mort.
Arrestez ces clameurs
Madame .
Appaisez-vous.
Ah ! je pasme* ! ah je meurs !
Perside … ouvre les yeux.
Ah ! sa douleur l’emporte
Rendez-la juste Ciel moins [sensible*](#sensible) et moins forte,
Et ne permettez pas que son cœur abatu
Perde dans ce malheur sa premiere vertu,
Courage, elle revient.
Odieuse lumiere,
Pourquoy viens-tu couvrir ma [débile*](#debile) paupiere ?
Pourquoy fay-tu pour moi ce [pitoyable*](#pitoyable) effort ?
Que ne me laisses-tu dans les bras de la mort,
O trop foibles [effects*](#effet) de l’[ennuy*](#ennuis) qui me presse !
O trop lâches [transports*](#transport), et trop lente foiblesse ;
Cruel soulagement et malheureux retour
Du chemin de la mort à la clarté du jour,
Puis qu’il ne m’est rendu que pour voir mes supplices
Que pour voir au tombeau mes plus cheres delices,
Et joindre à la rigueur de ce cruel tourment
Le [sensible*](#sensible) regret d’en estre l’instrument.
Detestables [attraits*](#attrait), beauté lâche complice
Des [fureurs*](#fureur) d’un Tiran et de son injustice,
Perissez perissez, innocents ennemis,
Et reparez le mal que vous avez commis.
Ah ! qu’en vous je recherche une foible allegeance
Le sang de mon espoux veut une autre vengeance.
Armons nous armons nous, d’une juste [fureur*](#fureur)
Et portons le poignard au sein d’un l’Empereur.
Ouy cruel tu verras une constante femme
Porter dans ton palais et le fer et la [flame*](#flamme).
Souslever contre toy les Enfers et les Cieux
Et tout ce que la terre à de plus furieux,
Conspirer contre toi mille coups [temeraires*](#temeraire)
Te chercher sans frayeur entre tes Janissaires
Achever dans leurs bras son genereux dessein
Et porter sa vengeance et la mort dans ton sein .
Ah ! foible quel [transport*](#transport) t’aveugle de la sorte
Pour en venir à bout tu n’es pas assez forte,
Avecque cet habit pour un si grand dessein
Il te falloit encor et le cœur et la main,
Ah ! Madame, est-ce vous ? pardonnez Herminie
Cette mesconnoissance à ma rage infinie,
Pardonnez mes transports à ma juste douleur
Vous sçaviez mon amour, vous sçavez mon malheur
Et vous sçaurez enfin qu’une juste vengeance
Marme contre les traits d’une injuste puissance,
Depuis l’assassinat qu’un barbare a commis,
J'ai creu pour mon espoux que tout m’estoit permis,
Que l’espée à ma main estoit mesme decente,
Pour vanger les malheurs d’une [flamme*](#flamme) innocente.
Et qu’il falloit enfin sur le point de perir
Affronter un tiran le perdre et puis mourir.
C'est où mon desespoir aujourd’huy me convie
C'est où tend ma [fureur*](#fureur).
Ah! quittez cette envie,
Songez plus d’une fois à ce coup important,
Et ne vous perdez pas en le precipitant :
Où voulez-vous courir ? et que pensez-vous faire ?
Un effort ridicule autant que [temeraire*](#temeraire),
Qui loing de contenter vos genereux esprits
Vous fera repentir de l’avoir entrepris
Arrestez arrestez, vous cherchez vostre [honte*](#honte),
Et ce n’est pas ainsi que Soliman se dompte
Si vous voulez venger vostre illustre moitié
Il suffit d’employer les traits de la pitié,
Et par vostre [vertu*](#vertu) d’imprimer dans son ame,
Mille cuisans remords de sa brutale [flamme*](#flamme),
Dont l’aveugle [fureur*](#fureur) l’a sans doute porté,
A donner un arrest si plein de [cruauté*](#cruaute).
Quand les pertes helas nous sont indifferentes
Il nous est bien aisé de faire les prudentes,
Mais lors que nostre cœur sent de si rudes [traits*](#trait)
Il ne s’appaise point par de simples regrets,
L'excés de ma douleur veut un autre dictame
Il faut il faut du sang au couroux qui m’enflame,
Et si pour le verser mon bras n’est assez fort
C'est de toy juste Ciel que j’attens cet effort,
Arme, arme en ma faveur cette immortelle foudre
Qui reduit les palais et les villes en poudre,
Ces flames, ces esclairs et ce bras tout puissant
Si propice et si prompt à vanger l’innocent.
Et toy qui dans le Ciel ayant pris ta vollée
Laisses dans ces bas lieux Perside desolée,
Songe à ce que je fus, songe à ce que je suis,
Ne m’abandonne pas à l’excés des [ennuis*](#ennuis),
Puis qu’à mes tristes yeux ta presence est [ravie*](#ravi)
Je ne veux point trainer une mourante vie,
Apres toy cher espoux je vay perdre le jour
Et par ma mort enfin te montrer mon amour,
Ah l’illustre [courage*](#courage) ! ah l’Espouse fidelle
Allons suivons ses pas et mourons avec elle,
Aussy bien Soliman, et le coup que j’ay fait
Semblent-ils m’ordonner ce [legitime*](#legitime) [effect*](#effet).
SCENE SEPTIESME
Devançay-moy Haly, voyez si la cruelle
Se pourra bien [resoudre*](#resoudre) à me souffrir chez elle.
Dites-luy que je veux seulement luy parler
Et qu’enfin je n’y vay que pour la consoler :
Je sçay bien que d’abord cette belle inhumaine
Fera voir dans ses yeux sa colere et sa haine,
Mais peut-estre qu’enfin ces fortes passions
Se pouront adoucir par nos soumissions,
Frapez.
SCENE HUICTIESME
Que voulez-vous ?
Je demande Perside.
Qui ?
C'est le grand Seigneur.
Ah c’est mon homicide
Je ne le connois point et mon Seigneur est mort,
Allez retirez-vous.
Pyrrhus frappez plus fort,
Et si l’on ne vous ouvre, en cette resistance,
Faites agir la force avec la violence.
Brisez tout, rompez tout.
Arrestez insolens
Ou je sçauray punir ces efforts violens.
O ciel ? où sommes-nous ? quoy Seigneur un esclave
Devant nous, à tes yeux te mesprise et te brave ?
Et cet objet superbe ou tendent tes souhaits
Refuse impunement l’honneur que tu luy faits ?
Ah ! permets-moy Seigneur de punir cet outrage.
Que veux-tu ? c’est Perside ;
J’enrage,
Quoy manquer de respect pour toy son Empereur,
Je creve de depit.
Calme cette [fureur*](#fureur),
Il te sied mal Pyrrhus à faire le [bravache*](#bravache)
Ayant le cœur si bas, le [courage*](#courage) si lâche,
Et l’ame si contraire aux belles actions
Qu'on peut voir sans trembler tes resolutions.
Il est vrai qu’un sujet doit imiter son maistre
Soliman est cruel et lâche ; tu veux l’estre :
L'inhumain vient de mettre un Eraste au tombeau
Un autre reste encor, tu seras son boureau,
Mais desjà tu paslis à l’aspect de mes armes,
Cet [armet*](#armet) t’espouvente et te met en alarmes
Et ton maistre rougit d’avoir si lachement,
Assassiné celuy dont il fut l’ornement.
C'est trop, c’est trop souffrir depeschez Janissaires
Perdez cet [insolent*](#insolent), percez ces [temeraires*](#temeraire),
Faites pleuvoir sur eux une grelle de [traits*](#trait)
Si Perside paroit, respectez ses [attraits*](#attrait),
Mais que cet arrogant sente toutes vos fleches
Faites dessus son corps mille mortelles breches,
Chatiez son orgueil.
Il en tient, il est mort
O favorable trait ? ô bien heureux effort
Cher Eraste à ce coup je vay cesser de vivre
Mon cœur te va trouver, mon ame te va suivre,
Et par une action digne de ta pitié
Rejoindre sa plus chere et plus belle moitié.
SCENE NEUFIESME
Arrestez-vous Soldats Perside va paroistre
Mais ou ses deplaisirs me la font mesconnoistre.
Ou ce ne sont pas là les [attraits*](#attrait) glorieux,
De l’objet inhumain qui plait tant à mes yeux
Ce n’est pas là Perside, elle a bien plus d’audace.
Tu pouvois dire aussi quelle avoit plus de [grace*](#grace)
Mais Seigneur ce bel Astre autrefois sans pareil,
Dont le brillant eclat faisoit [honte*](#honte) au Soleil
Est prest de s’eclipser et de ravir au monde,
Les rais d’une clarté qui n’eut point de seconde.
Que dit-elle ! ô malheur.
Ce que tu pourras voir.
Allons allons lui rendre un [funeste*](#funeste) devoir
Ah ! divine Perside adorable lumiere,
Déité que j’adore escoute ma priere,
Et me permets au moins pour la derniere fois
De voir ton beau visage et d’entendre ta voix.
Ta Hautesse à present peut entrer sans obstacle
Et te rendre temoing d’un [funeste*](#funeste) spectacle,
Ta [fureur*](#fureur) en est cause et tu peux en ce jour
Voir les justes [effects*](#effet) qu’a produit son amour.
SCENE DERNIERE
Approche Soliman, vien cruel viens Perside
Boire le sang d’Eraste et celuy de Perside,
Le sang de mon espoux ne te suffisoit pas
Soule-toy maintenant de ce sanglant repas,
Voy Tygre couronné voy l’effet de ta rage
Voy de tes cruautés le deplorable ouvrage,
Telles sont tes amours, telles sont tes faveurs
Tels sont pour toy mes feux, et telles mes ferveurs.
C’en est fait, je me meurs, ma force est affoiblie
Et de mon triste corps mon ame se delie,
Reçoy-la cher Eraste au partir de ces lieux
Et prens....
Attens un peu, Perside, ouvre les yeux.
Differes d’un moment ce trespas [pitoyable*](#pitoyable)
Et vois par ses remords expirer un coupable,
Voy quelle est sa douleur, quel est son repentir
Quels sont les rudes traits qu’ils luy font ressentir,
Et si de ce tourment tu n’es pas satisfaite,
Voy luy souffrir pour toi le trepas qu’il souhaitte,
Mais tu n’escoute pas ni ma voix ny mon deuil,
Et ta haine te suit jusques dans le cercueil
N'importe, il te faut suivre et reparer mon crime,
Non je ne te veux pas derober ta victime ;
J'ay respandu ton sang celui de ton espoux,
Il faut qu’ici le mien se respande pour vous
Conseillers inhumains, [laches*](#lache) monstres d’envie,
Vous qui fustes tousjours les bourreaux de ma vie,
Ne laissez plus languir ce miserable corps,
Faites faites sur lui de plus justes efforts
Ravissez-luy le jour, advancez son supplice,
Et vos mains luy rendront un agreable office
Mais je l’attens en vain de vostre lâcheté
Ma douleur vous previent en cette extremité,
Ah ! son excés me tuë, et je sens que j’expire,
Sujet infortuné de mon premier martyre
Vertueuse Herminie obiet rare et charmant,
Que je devois traitter plus favorablement,
Si quelque sentiment te reste dedans l’ame
Des premieres ardeurs que t’inspira ma [flame*](#flamme),
Ne me refuse pas un rayon de pitié
Et souffre que je meure avec ton amitié
De cet unique espoir mon Esprit se console,
Mais ma force me laisse, et mon ame s’envole.
Il n’est qu’esvanoüi portez-le promptement
Dessus le premier lit de son appartement,
Le plus commodement et vos soins et vostre aide
Donneront à ses sens un utile remede,
Amour qui voids ici ce beau corps abatu
Ne croy pas qu’à tes traits il serve de trophée,
Icy malgré la mort et ta flamme estouffée,
Triomphent seulement l’honneur et la vertu,
Ou s’il te reste encor quelque foible puissance
Elle naistra de ma constance.
Qui fera revivre tes feux
Favorise mon esperance.
Mais si tu responds à mes vœux
Accorde à ma perseverance.
Apres tant de malheurs un succés plus heureux.
Extraict du privilege du Roy.
Par grace & privilege du Roy, donné à Paris le 16 avril 1644. Signé par le Roy, en ʃon Conseil,DV PILLE Il eʃt permis à TOVSSAINT QVINET Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & diʃtribuer vne piece de Theatre intitulée, Perʃide ou la Suitte de l’Hibrahim Baʃʃa, Tragicomedie, durant le temps & eʃpace de cinq ans, à compter du iour qu’il sera achevé d’imprimer. Et defenʃes ʃôt faites à tous Imprimeurs, Libraires & autres de contrefaire ladite piece, n’y en vendre ou expoʃer en vente, à peine de trois mil liures d’amende, de tous ʃes deʃpens, dommages et interets, ainʃi qu’il eʃt plus amplement porté par leʃdites Lettres, qui ʃont en vertu du preʃent Extraict, tenuës pour bien & deuëment ʃignifiée, à ce qu’aucun n’en pretende cauʃe d’ignorance.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 24 mai 1644
Les exemplaires ont esté fournis