LES
NOPCES
DE
VAvGIRARD,
OU LES
NAIFVETEZ CHAMPESTRES.
PASTORALLE
Dediée à ceux qui veulent rire.
EPISTRE SERVANT D’ADVERTISSEMENT à ceux qui veulent rire.
MESSIEvRS,
Je ne suis point de ces sçavans personnages dont les siecles ont si [curieusement*](#curieusement) conservé les precieuses reliques pour nous donner lumiere des sciences qui les ont faict estimer vrais Orateurs, & parfaictement bons Poëtes : mon sçavoir est aussi peu cogneu que ma personne,mais mon humeur indifferente ne se soucie de la [probation*](#probation) des doctes, ny du mépris des ignorans : mes escrits en petit nombre, & en peu de volumes n’ont d’authorité que les divers sentimens de ceux qui prennent la peine de les lire. Vous ne verrez point d’Apologiste qui me dise confidemment à l’oreille que j’ay parfaictement bien reüssy, que j’ay grandement [obligé*](#obliger) le public luy donnant des œuvres si plaines de moralitez, & de subtiles pointes, que j’attribuë des richesses aux rithmes capables de me faire passer pour divin, que j’attraperay la gloire où tous les autres veulent atteindre, & qu’en fin il seroit aussi difficile de trouver mon second, comme de rencontrer deux Rois de France en l’Europe. Tous ces discours de vanité, & de flatterie n’auroient autre remerciment de moy, que celuy que l’on peut faire à des gensque l’on recognoist se moquer honnestement d’un amy, je leur donnerois l’epithete d’esprits foibles plustot que celle d’esprits forts, comme n’ayans pas assez de force pour me persuader une mécognoissance de moy-mesme : les deffaux de mes ouvrages ne trouveront ny de loüanges, ny d’excuses dans les plumes d’autruy. Vous n’y trouverez point dans l’Advertissement au Lecteur ce que les Autheurs du temps ont coustume d’y mettre : Qu’ils sçavent faire une piece en quinze jours, qu’ils n’avoient que quinze ans lors qu’ils l’ont faite, que leurs amis les ont forcez à la faire mettre soubs la presse, & soubs l’asseurance qu’on leur a donnee, qu’elle seroit bien receuë ; que c’est un premier essay, & qu’on doit esperer que quelque jour ils feront mieux : les autres diront que leur absence a causé le desordre,& les fautes qui se rencontrent dans leurs livres, qu’ils ont este imprimez à leur insceu sur des copies mal polies qui leur avoient esté dérobées, ou qu’ils avoient données à l’un de leurs amis, mais qu’à la seconde edition ils seront vestus des robbes de la merveille, & qu’on ne les recognoistra plus. Toutes ces raisons si anciennes, & tant de fois repetées pour faire trouver bonne une mauvaise chose, ne peuvent estre appellées autrement que les honnestes excuses de l’ignorance, le manteau de l’incapacité, la couverture de l’imperfection, le voiledes petites imaginations, la sterilité des bonnes parolles, le bandeau des Rimeurs, & la folie des Poëtes; & pour moy, afin qu’ils sçachent mon sentiment je conseillerois volontiers à ces esprits de donner plus de temps à la composition de leurs ouvrages, & de ne les entreprendre si jeunes, veu que leurs poinctes, qui, pour proprement parler, ne sont que metaphores hyperboliques forment des espines si piquantes, que leur honneur s’y escorche le plus souvent : il n’y a pas un pied de vers qui n’en preste deux aux Lecteurs pour marcher sur la teste de leur vanité, il n’y a pas un vers qui n’en fournisse quatre pour ronger ce qu’il y a de mal digeré dans leur travail ; de sorte que comme la chauve-souris à cause de sa difformité n’ose paroistre devant le jour, ces ouvrages devroient demeurer enfermez, ou n’estre mis en lumiere que par le feu; car pour moy je ne sçaurois flatter, je dis librement mes pensées ; on ne sçauroit donner trop de soin à un ouvrage qui paroist
en public. Voicy (Messieurs) une Pastoralle que j’ay faicte, où j’ay fait parler les personnages selon que la [naïfveté*](#naifvete) des champs les a representez à mon imagination : j’ay beaucoup de fois repassé par dessus, j’y ay corrigé quantité de choses, j’ay faict mon possible pour la polir, & empescher qu’il n’y eust point de fautes remarquables, & si je puis vous asseurer qu’elle n’est pas trop bien, que les oreilles delicates n’y trouveront point leur satisfaction, que les chercheurs de poinctes en trouveront plus chez les vitriers que dans mon livre, & que les belles pensées, & les bons mots y sont [clairs semez*](#clairseme), & neantmoins pour m’instruire sur les divers jugemens sans chercher la protection des grands, ainsi que beaucoup font, & qui s’imaginent que le nom de ceux à qui leurs livres sont dediez excusent leurs fautes, & deffendent leurs œuvres de la médisance. Je vous faits present (Messieurs) de cette Pastoralle, recevez la telle qu’elle est, acheptez la, ne l’acheptez pas, lisez la, ne la lisez pas, riez en, n’en riez pas : Il y a long-temps que je faits profession de ne me soucier des loüanges du monde, & que j’ay perdula volonté de paroistre habile homme, puisque j’ay recogneu avoir esté né pour ne l’estre pas. Tout le contentement que j’espere donnant cette Pastoralle au public, est de vous faire voir par le compliment ordinaire que je suis veritablement
MESSIEURS,
Vostre tres-humbe, &
Obeïssant serviteur
L. C. D.
ARGUMENT.
Amarille est jointe par mariage à Floridon qu’elle n’ayme point sous promesse faite de l’advis de ses parens, & pour la contenter que Floridon ne cueillera le fruict de son amour, que six mois apres le jour de leurs nopces, pendant lequel temps Polydas fils d’une des Illustres maisons de Paris déguisé en Berger, & qui cherissoit grandement Amarille, promettoit de l’enlever secrettement, mais estant [mandé*](#mander1) à la nopce avec une jeune Bergere nommée Lidiane, qui estoit venuë avec sa mere demeurer à Vaugirard à cause des guerres qui estoient dans la Province de leur naissance. Polydas devient amoureux de Lidiane, oublie la promesse qu’il avoit faicte à Amarille, & continuë ses amours avec elle, nonobstant les jalousies d’Amarille.
Pendant que Polydas, Lidiane, Pysandre, Cleanide, & Amarille Bergers, & Bergeres passent le temps à mille gentillesses, & tromperies amoureuses : Luciane mere de Lidiane ayant veu au travers d’une vitre Polydas qui baisoit sa fille. Cette action luy donne subject de l’enfermer, Polydas desesperé de ne plus voir sa maistresse, prend resolution de l’enlever, & pour cet [effect*](#effet) luy ayant faict sçavoir par un mot de lettre que Pysandre luy porte (sans sçavoir ce qui estoitdedans) qu’elle se tint [preste*](#preste) pour la nuict suivante de son dessein, il met la nuict le feu dans une grange, pendant que les villageois sont empeschez à l’éteindre, il l’enleve, & la meine au bord de l’eau, où s’estant trouvé un basteau, Lidiane sautant dedans, pendant que Polydas le veut lascher, la corde rompt, le basteau [enmeine*](#emmener) Lidiane, & laisse Polydas à la rive dans des fascheries étranges : elle cependant que l’eau entrainoit tousjours voyant une Isle proche d’elle, s’eslance du basteau sur le sable, mais le pied luy glissant elle tombe en la riviere où à l’instant enveloppée des ondes à la veuë de son Berger, elle eust esté noyée si deux pescheurs qui de grand matin avoient tendus leurs filets, ne l’eussent repeschée.
Polydas qui croit qu’elle est morte se precipite dans la grotte des Demons, Amarille qui se doute qu’elle est trompée, voyant que Polydas estoit precipité, s’y jette pareillement, laissans tous leurs parents dans une confusion épouventable, & en fin Lidiane repeschée, & ramenée par les Pescheurs au lieu où elle pensoit retrouver Polydas, est à l’instant prise par les Deputez de Vaugirard qui faisoient la recherche d’eux, par le soupçon qu’ils avoient que Polydas avoit efté le [boutte-feu*](#boutefeu), elle est ménée devant les Juges qui luy font son procez, & quelques prieres, & supplications que leur puissent faire les habitans du village, elle est par eux condamnée à estre precipitée dans la mesme grotte des Demons, où estoient Polydas, & Amarille ; mais comme on vient pour executer cette sentence, l’[ombre*](#ombre) de Castrape Magicien, qui avoit basty cette grotte, sort tenant Polydas d’une main, & Amarille de l’autre sains & sauves, arreste l’execution de cette condamnation, & faisant le recit de toutes leurs advantures, ordonne des mariages du bon homme Pancrace avec la vieille Luciane, dont les crotesques amours sont naïfuement traictées, redonne Amarille à son Floridon Polydas à sa Lidiane, & Pyfandre à Cleanide, & par ces mariages inesperez calment les differents de tout le village, & leur cause une réjoüissance publique.
A. D. D. L. R. D. L. P.
Beautez de qui les yeux captivent les [franchises*](#franchise2)
De tous les jeunes cœurs qui passent devant eux,
Si les vostres ont l’[heur*](#heur1) que de n’estre amoureux,
Du moins ne soyez plus à vostre porte assises.
Tous ceux que vous blessez la voudroient voir fermée,
Plustost que d’y trouver des objects de rigueur :
Et pour moy lors qu’amour m’y vint blesser le cœur,
Son feu devoit aussi me reduire en fumée.
Aux Lecteurs.
Messieurs vous ne l’entendez pas,
N’en faictes de faux jugemens :
Quand vous serez tous des Midas,
Vous entendrez mes sentimens.
Extraict du Privilege du Roy.
Par grace & Privilege du Roy, il est permis à Jean Guignard, Marchand Libraire, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & debiter un livre intitulé, Les Nopces de Vaugirard : avec deffences à tousLibraires, Imprimeurs, & autres de quelque qualité ou condition qu’ils soient, de faire imprimer, vendre ny distribuer ledit livre, durant le temps & espace de six ans, comme plus amplement est porté par ledict Privilege. Donnè à Paris le vingt-deuxiesme May mil six cens trente-huict, & de nostre regne le vingt-huictiesme.
Errata
Page 13, vers 4 lisez baise pour baiser p. 40. v.7. 1. sans vous veoir p.49.v.13. l. d’Orphee. p.53 v.18 & 19 l. affection au premier, & affliction au second. p.57.v.8. l. qu’un pour qu’en. p.58.v.10. l. faicts pour faictes. p.63.v.9. l. me parleront. p.101.v.15 l. seile pour sicle. p.107.v.10. l. qu’un pour qu’en.
ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE.
En fin le juste Ciel par un sainct Hymenee,
De ma fille ce jour borne la destinee,
Luy donnant un Berger digne d’affection,
Autant riche de biens que de perfection ;
Le plus sage & [dispost*](#dispost) de tout nostre vilage,
Et qu’on void posseder le meilleur heritage :
Outre ses grands troupeaux qui font dire aujourd’huy
Que l’on en void fort peu qui soient pareils à luy :
Il sçait le cours par cœur du grand [Ephemeride*](#ephemeride) :
Sur tous les differends des Bergers il preside,
Avec un jugement si remply de raison,
Qu’il en sçait plus que moy qui ay le poil grison.
Le Juge de ce lieu le plus souvent le [mande*](#mander2),
Pour resoudre avec luy tout ce qu’on luy demande :
Il a de la prudence & du sçavoir beaucoup,
Il a l’invention pour empescher qu’un loup
N’aborde son troupeau, & sçait un artifice
Pour en toutes saisons accoupler la Genice.
Ses brebis, son belier, ses chevres, & son chien,
Il fait dancer un [bransle*](#bransle), une [courante*](#courante), ou bien
Joüant de son pipeau de cent sortes d’[aubades*](#aubade)
Il leur faict dans nos prez faire mille gambades :
Et puis quand il luy plaist, nos fillettes souvent
Feront voir en dançant le derriere & devant,
Par un [charme*](#charme) qu’il fait, & bien d’autres merveilles,
Ma fille à son bon-heur n’aura point de pareilles :
Et s’il n’estoit encor ce jourd’huy marié
Les Nymphes de ce lieu l’auroient d’amour prié :
Tant son corps est aymable en toute modestie,
Ou la Nature agist en chacune partie,
Graces, beautez, vertus, forment son action,
Bref, c’est le cabinet de la discretion,
Que je puis m’asseurer d’avoir ce jour pour Gendre,
Ma fille, sotte un peu n’y vouloit pas entendre,
Et si elle n’eut craint le paternel courroux
Elle ne l’eust jamais accepté pour espoux.
Un pasteur incogneu de nom & de lignee
Avoit si puissamment sa volonté gaignee :
Que si je n’eusse bien ce jeune esprit pressé
L’accord faict entre nous ne seroit point passé :
Mais ma foy maintenant la beccace est bridee
Encor que ce Berger vive dans son Idee,
Et que par un article escrit au [compromis*](#compromis),
Son Amoureux espoux ayt par sa foy promis,
Que de six mois entiers du jour du mariage,
Il ne la pressera d’avoir son pucellage :
Ceste clause pourtant ne m’afflige qu’un peu,
Car je croy que la mesche estant aupres du feu
Pourra bien s’enflammer si l’amour de ses aisles
Peut faire de leurs cœurs sortir des estincelles,
Ha ! Que ne peut l’amour, sa puissance peut tout
Et des plus dedaigneux il sçait venir à bout,
J’espere dans neuf mois ou un peu davantage,
Qu’ils verront d’un enfant accroistre leur mesnage
Certes l’occasion faict naistre le desir,
Et je sçay que ma fille estant à son plaisir
Aupres de sa moitié, ne pourra dans la lice*
Passer une ou deux nuicts sans ce doux exercice
Car il est trop friand pour ne le gouster pas,
Son Berger est remply de si [charmans*](#charme) appas
Qu’il ne l’aura jamais deux seules fois baisee,
Que cet amoureux jeu ne la rende appaisee :
Quand on void de beaux fruicts on en voudroit gouster,
Je n’ay plus desormais dequoy me tourmenter
Voicy le lieu public où Pysandre s’appreste
Pour se faire estimer le vallet de la feste,
La serviette en la main, le bouquet de muguet,
Faict voir qu’il menera le second bransle* gay,
Le premier par sus tous à moy seul je reserve,
Et par discretion l’honneur me le conserve,
De tous ceux qui ont beu un peu trop sans raison,
Il n’en est demeuré que deux à la maison :
Le Berger Petrolin & sa femme Macee,
Mais discourant ainsi de pensee en pensee,
Je retarde beaucoup, sans doubte l’on m’attend
Ce murmure icy pres & ce bruit que j’entend,
M’annonce leur venuë, il faut que je m’advance
Afin que par la main je la mene à la dance,
Je viens de donner ordre au souper preparer
Pendant que ces amans pensent à leur parer.
SCENE DEUXIESME.
RAvy dans un bon-heur qui me suit à la piste,
Qui condamne ma peine & ma fortune assiste,
Qui me promet encor des plaisirs nompareils,
Que j’espere gouster entre les deux soleils
Qui premiers paroistront dessus nostre Hemisphere,
Bref qui me donne en fin les biens qu’amour confere.
Puisqu’aujourd’huy je sors des liens du tourment,
Je me puis dire heureux plus que pas un Amant
Amarille est l’objet où butte ma victoire
Amarille est le Ciel où se borne ma gloire,
Amarille est le poinct de ma felicité,
Amarille est le prix de ma fidelité,
Amarille est le bien que mon esprit desire,
Amarille est le centre où ma fortune aspire.
Amarille en un mot, est tout ce que je veux
Et son cœur & le mien n’en feront qu’un des deux
Que de contentement quand une [flame*](#flamme) egalle
Partage ses douceurs sur une amour loyalle,
Je pensois qu’à regret elle eust donné sa foy
Qu’un Berger incogneu qu’elle a veu depuis moy,
Eust dans son jeune cœur allumé quelque [flame*](#flamme),
Mais ce contentement me demeure dans l’ame,
D’avoir veu cét amant perdre en un mesme jour
Le loyer de sa peine avecque son amour,
À sa confusion nos loix sont mutuelles
Et le reffus qu’a faict ce miracle des belles :
Ce tableau racourcy de toutes raretez,
Dont Venus & l’Amour admirent les beautez :
N’estoit que pour masquer son dessein d’une feinte,
Que ce qu’elle en faisoit n’estoit que par contrainte
Afin que l’estranger n’accusast son esprit
D’avoir trop peu d’amour à son desir prescrit,
Cette ruse m’a pleu autant qu’on sçauroit dire
Mais le voicy qui vient, & moy je me retire,
Aussi bien l’on m’attend, sans moy l’on ne peut rien,
Amour guide mes pas vers l’objet de mon bien.
SCENE TROISIESME.
BErger Infortuné Polydas miserable,
Que la rage possede & le malheur accable,
Quel funeste demon glisse en ce lieu ses pas
Pour veoir devant tes yeux ravir d’entre tes bras
Une jeune beauté (que la gloire accompagne)
Et qui t’a fait venir habiter la campagne.
Où est ton sentiment, ta gloire, ta valeur,
Peux tu veoir malhereux cet insigne voleur
Triompher aujourd’huy de ta belle maistresse ?
Si je ne m’attendois à la juste promesse
Qu’à ma fidelité elle a faitte ce jour,
Qu’il n’aura de six mois le fruict de son amour,
Je jure ce soleil qui m’a l’ame ravie,
Qu’avant le jour passé il n’auroit plus de vie,
Mille coups de poignard par un pur assassin
Du traistre Floridon auroient percé le sein,
Pour tirer la raison d’un si fascheux outrage.
Mon courage assez grand peut faire davantage
Si ce n’estoit l’espoir que son affection
Tiendra ferme tousjours sa resolution,
Je rendrois tellement sa nopce malheureuse
Qu’à jamais la memoire en seroit odieuse.
Mais j’espere bien tost l’enlever de ce lieu,
Un vaisseau que j’attends doibt arriver dans peu,
Quand le vent l’aura faict jetter l’ancre au rivage
Je ne tarderay pas un moment davantage :
Prenons donc patience, attendant ce bon heur
Je m’en vais à sa nopce où m’invite l’honneur,
De peur que l’on ne tint suspecte ma personne,
Et que de nostre faict quelque chose on soubçonne,
Le son de ces haut bois dit qu’ils viennent icy
Pour ne les rencontrer je prens ce chemin-cy.
SCENE QVATRIESME.
OR [sus*](#sus) mes bons amis que chacun prenne place,
Que l’on nous donne un [bransle*](#bransle) & que de bonne grace,
On dance gayement, de cœur, d’affection
Je vous veux faire voir ma disposition.
Je ne pouvois choisir l’occasion meilleure,
Me voicy justement arrivé de bonne heure
Pour les voir commencer, admirons donc leur pas,
Je seray fort joyeux qu’ils ne me voient pas,
Dieux ! quelle est la beauté qui marche la seconde,
Il ne se peut rien voir de pareil en ce monde,
Confus en contemplant ses belles actions
Je demeure estonné de ses perfections,
Considerez un peu son port, sa bonne mine,
Vous jugerez qu’elle est quelque grace divine,
[Devallee*](#devaller) icy bas pour le faire admirer,
Certes c’est un soleil que l’on doit adorer,
Diane [oncques*](#oncques) ne fut si belle ny legere,
Je croy que c’est Venus deguisee en Bergere,
Ou sans doubte les deux luy cedans leurs appas,
L’ont faitte des beautez la merveille icy bas :
Voyons plus à loisir sa grace & ses merites,
Indubitablement c’est l’une des Carites.
Sus c’est assez [bransler*](#bransle) Messieurs les violons,
Donnez nous la [gaillarde*](#gaillarde), ou bien les [Pantalons*](#pantalon).
Non, non je ne puis plus demeurer en silence,
Pour salüer la troupe il faut que je m’advance.
Où cét amant transi vient il dresser ses pas,
Il ne faudra que luy pour troubler nos esbas.
Bergers permettez moy la faveur excellente,
Qu’avec ceste beauté je dance une [courante*](#courante).
Vous avez tout pouvoir de commander icy.
De mesme en mon endroit vous le pouvez aussi.
Berger pour mon subjet c’est prendre trop de peine,
Souffrez que Floridon ou Pysandre me meine
C’est le plus grand honneur qui me puisse arriver,
Ma belle, ne daignez de cét [heur*](#heur2) me priver.
Je n’ose le donner à vostre courtoisie
Sans qu’un fascheux effect de quelque jalousie,
Ne glisse dans le cœur de chacune beauté.
Elles ont trop d’esprit & trop d’humilité,
Joint qu’il n’y en a point en ces nombres d’eslites
Qui ne voulut ceder à vos rares merites.
Beau Pasteur je n’ay pas assez de vanité
Pour croire ce discours loin de la verité.
Les jeunes amoureux que de grace & d’adresse
Chacun mene dancer & baiser sa maistresse.
Belle Nymphe excusez mon importunité.
Pour vous servir tousjours j’auray la volonté,
Hola hola Bergers c’est assez pour ceste heure
Autre occupation qui est beaucoup meilleure,
Nous attend au logis allons viste dedans
Faire sur le souper dancer toutes nos dents.
Adorable subjet qui m’a l’ame asservie,
Allons passer heureux ensemble nostre vie,
Ne veux-tu plus dancer dis-le moy librement,
C’est le moindre soucy de mon contentement.
Quel [heur*](#heur2) ont ces Amans, est il pas vray ma Reine,
Nous voudrions bien tous deux estre en la mesme peine.
Mon espoir qui n’attend que le vouloir des Dieux
Me fait imaginer qu’ils font tout pour le mieux.
Deesse à qui l’amour ce grand Dieu doit l’hommage,
Permettez que ma main vous remeine au village,
Pancrace prestez moy s’il vous plaist vostre main,
Car de vostre maison je sçay mal le chemin.
Tres-volontiers [mamie*](#mamour), allons à la pareille,
Quand je vous vois l’amour dans mes os se resveille :
Il me souvient tousjours de ma deffuncte Alix,
Dont le teint estoit peint de roses & de lys.
Mocqueur en mon endroit vous n’avez bonne veuë
Ha quand j’y pense encor ce seul regret me tuë.
Ce regret inutil n’apporte que tourment,
Allez n’y pensez plus, marchons tout doucement.
Luciane il est vray vostre raison est bonne.
Lidiane approchez plus pres de ma personne.
O dieux que la vieillesse est d’une estrange humeur,
Ma mere je vous suis,
Dieux que j’ay de mal’heur.
SCENE CINQVIESME.
DE la confusion maintenant delaissee,
Je viens entretenir à loisir ma pensee,
Pendant que le festin rend nos amis contens,
Je me suis desrobee aux yeux des assistans,
Pour venir librement plaindre la jalousie,
Qui depuis le matin trouble ma fantaisie,
Ce ver sans nul repos me devore le cœur,
Et dedans le plaisir je trouve la douleur,
Parjure Polydas, ingrat, est il possible
Que tu pense aujourd’huy que je sois insensible ?
Que je puisse souffrir sans regret furieux
Qu’à un autre qu’à moy tu faces les doux yeux :
Non perfide, non non, ne crois pas que mon ame
Pour aymer mon espoux puisse esteindre la [flame*](#flamme)
Qui pour ton seul subject s’aluma dans mes os :
J’ay trop d’affection, j’ayme trop ton repos,
Jamais le changement ne blessa mon envie,
Et ne crains point encor ce reproche à ma vie,
Tandis que mon esprit fera sa fonction,
J’auray tousjours pour toy la mesme affection :
Que depuis un long temps je t’ay par tout monstree,
Et presqu’à tous momens sur mes genoux juree :
Mais toy, sot, inconstant, fol, volage, & trompeur,
Ton amour dure moins que le [mail*](#mail) de la fleur,
Qui naissant au matin se perd l’[apresdinee*](#apresdinee),
Et sans doubte qu’Iris nourrit ta destinee :
Mais ne le vois je pas ? Ouy, voicy l’effronté,
Je luy veux tesmoigner un visage attristé,
Afin qu’à l’action froide & sans raillerie
Il cognoisse à l’instant d’où vient ma fascherie.
Si jamais amoureux a souffert des tourmens
Parmy le bal, la dance, & les contentemens,
Je pense avoir senty plus de mal en mon ame,
Que n’en ont enduré ny Paris, ny Pyrame,
J’ay tout seul suporté dedans ma passion,
Des tourmens plus cruels que n’endure Ixion,
Me voyant engagé dans un respect de crainte,
Qu’aucun par un souspir ne cogneust ma contrainte.
Mais en fin desgagé de ce piege tendu,
Je puis plaindre mon mal & sans estre entendu,
Ny veu de cet Argus, mais des yeux de Diane
Moins belle en verité que n’est ma Lidiane,
Je puis chanter tout haut sa gloire & ses appas,
O bons Dieux ! qu’ay je dit, parlons un peu plus bas.
J’apperçois Amarylle, ha ! ciel, si ceste belle
M’a ouy, elle dira que je suis infidelle,
Il faut feindre pourtant pour oster le soubçon,
De m’avoir entendu parler de la façon :
He Dieux, où va si tard une belle espousee ?
Viens-tu mon cœur icy, afin d’estre baisee :
Encor une ou deux fois avant que ton mary
Prenne mesme faveur que moy ton favory.
Tout beau, Berger, tout beau, vostre creance est vaine,
Sachez que ce subjet nullement ne m’ameine.
C’est donc quelque dessein qui est particulier,
Rien moins.
N’as tu point peur que dedans un [hallier*](#hallier)
Quelqu’un se soit caché, qui cruel & prophane
T’enleve,
Je n’ay pas les yeux de Lidiane.
Pour rendre les Bergers amoureux de ma peau.
Ha ! de quelque courroux arrivé de nouveau,
Ton esprit est troublé, [mamour*](#mamour), je te conjure,
De me dire qui peut t’avoir fait une injure,
Car j’atteste l’amour qui nourrit nos desirs,
De l’aller massacrer au milieu des plaisirs.
C’est un jeune pasteur qui avec son Amante,
A la nopce a dancé la premiere [courante*](#courante).
Quoy, ma Nymphe, est-ce moy que tu accuse ainsi ?
Ha ! Je sçay d’où peut naistre à present ton soucy ;
Confesse librement qu’un trait de jalousie
En me voyant dancer a ton ame saisie.
Mon soubçon n’est conçeu qu’avec bonne raison,
Ma belle tu m’accuse icy de trahison,
Si je l’ay faict dancer je t’asseure mon ame,
Que c’estoit pour chasser le soubçon & le blasme
De ceux qui ont ouy parler de nos amours.
Lidiane nommee en vos meilleurs discours,
M’asseure qu’en ma place elle a nom de fidelle.
Je te jure mon tout, que si j’ay parlé d’elle,
C’estoit pour librement deplorer le malheur,
Qui d’estre ton espoux m’a ravit le bon-heur.
N’embroüille ton esprit sur ce nom inutile,
Car dessous celuy-là j’entendois Amarille :
Rasseure mon soucy, ton [emulation*](#emulation)
C’est blesser le sainct nœud de nostre affection
Et si de mon costé telle faute est trop grande,
Ma Royne à deux genoux le pardon j’en demande.
Croiray-je ta parolle un veritable [effect*](#effet) ?
Par moy la verité ce discours vous a faict.
Je te pardonne donc.
Telle faute remise,
La faveur d’un baiser me doibt estre permise,
Prend garde que quelqu’un n’arrive à l’impourveu,
J’aymerois mieux mourir que quelqu’un nous eust veu.
A Dieu je m’en retourne.
Adieu belle deesse.
Pensez de m’enlever suivant vostre promesse
Je vous garde six mois ma pure chasteté.
Ce ne sera si tost que je l’ay souhaité,
Mais excusez aussi, si en vostre presence,
Je caresse quelqu’autre evitant médisance.
Ne crains pas, mon [espoir*](#espoir) cognoissant ton humeur,
Que jamais mon esprit retombe en telle erreur.
Pauvre Amarille, helas, te voila bien trompee,
Tu crois que ma raison soit tousjours occupee
A penser aux appas de tes perfections,
Et c’est le moindre but de mes conceptions.
Lidiane tousjours vivra dans ma pensee,
D’où l’image à jamais ne peut estre effacee,
Ausi bien sans mentir je ne croiray jamais
Que tu puisses empescher ton mary desormais
De gouster les douceurs de l’amoureux martyre,
Tenant entre ses bras le subjet qu’il desire,
Joint que sur ta beauté Lidiane a le pris,
Mais je veux retourner peur d’estre encor surpris.
Afin de remener cette rare merveille,
Amour fais la moy veoir avant que je sommeille :
Favorise l’effet de mon contentement,
Et je te feray veoir que je suis vray amant.
ACTE II.
SCENE PREMIERE.
QUe celuy est heureux qui lors de sa naissance,
Perd aussy tost le jour qu’il en a cognoissance :
Il ne se void subjet aux rigueurs du destin ?
Et n’est point du malheur le renaissant butin,
Les disgraces d’amour à nous autres comunes,
Ne troublent son repos d’aucunes infortunes :
Jamais en son esprit il n’est inquiété
Si ce n’est pour loüer la juste Deité :
Alors qu’il recognoist que ces pieux offices
Ne peuvent de [Jupin*](#jupin) payer les benefices :
Helas pauvres mortels à combien de tourmens,
Sommes nous destinez depuis les deux momens
Que nous sommes conçeu & produits sur la terre,
Toutes sortes d’ennuis* nous vont livrant la guerre :
Jusqu’au dernier soupir qui [sille*](#sillet) nos deux yeux
D’un sommeil eternel qui nous rend glorieux :
O mort combien de fois depuis que je suis nee,
Ay-je desiré veoir trancher ma destinee !
Je n’avois pas encore l’usage de raison,
Lors que je commençay de gouster le poison.
Des douloureux regrets d’une fuite causee,
Par les guerriers exploits du Prince de Luzee :
Et puis de temps en temps les plaintes, les douleurs,
Les disgraces, le mal, bref infinis malheurs,
Compagnes en tous lieux m’ont suivis à la piste.
Mais laissons ce parler, il est un peu trop triste.
S’il falloit de mes maux reciter tout le cours,
Trois jours ne suffiroient pour un si long discours.
L’on dit qu’il n’y a rien qui soit plus agreable
Que de penser à ceux dont le corps est aymable :
Et qui par les attraits de leurs perfections,
Ont fait naistre en un cœur quelques affections :
Aussi, pour [divertir*](#divertir1) mon esprit des pensees,
Qui me font tousjours voir mes fortunes passees,
Je veux l’entretenir sur les [charmans*](#charme) appas,
Et parfaites vertus du Berger Polydas.
Mon Dieu qu’il est aymable & qu’il a bonne grace,
La beauté de l’esprit correspond à la face :
Ce miracle d’amour a des yeux ravissans,
Et dans ses cheveux d’or s’enchaisnent tous mes sens.
S’il est aussi constant comme il est agreable,
Certes en verité son corps est adorable :
Et je croiray plustost que ce soit quelque Dieu
En Berger deguisé, qu’un pasteur de ce lieu.
Toutes ses actions & sa docte eloquence,
Font veoir que d’un Pasteur il n’a point pris naissance :
Son port plus relevé que cette nation,
Monstre qu’il tire lieu de nostre extraction :
C’est peut estre un Seigneur, que quelque subject porte
A delaisser la Cour déguisé de la sorte :
N’importe tel qu’il soit, il promet de m’aymer ;
Aussi son bel objet a sceu mon cœur [charmer*](#charme)
De telle passion, qu’une Amour reciproque
Ne veut que mon desir jamais ne la revoque :
Je seray tres-heureuse & luy sera contant,
Nos cœurs changez en un, sera tousjours constant.
Personne ne sçauroit empescher vostre envie,
Mais n’aperçois-je pas ce Soleil de ma vie,
Ce Phenix des Amans qui s’achemine icy ?
Sans mentir tu dis vray ma Nimphe, le voicy
Tout prest de t’obeyr si tu le crois propice,
A te rendre aujourd’huy quelque courtois [office*](#office).
De si bonne façon vous sçavez [obliger*](#obliger),
Qu’impossible seroit de s’en pouvoir venger :
L’exces d’humilité joinct à la courtoisie,
Font que pour [obliger*](#obliger) vostre ame fut choisie,
Mais si le Ciel un jour à ma [suasion*](#suasion),
Faict que pour vous servir naisse l’occasion :
Je vous tesmoigneray par mon obeissance,
Que je n’ay rien si cher que vostre bienveillance.
C’est à moy bel objet à souhaiter tel [heur*](#heur2),
Vostre amitié m’est plus que tout’autre faveur,
L’honneur que je reçois d’estre en si bonne estime,
Aupres d’une beauté que la prudence anime :
Fait nager mon esprit en des contentemens,
Qu’on ne peut exprimer que par ravissemens.
Berger excusez moy j’ay si peu de merite,
Que le moindre pasteur me voyant prend la fuitte.
Je ne m’estonne pas de sa fuitte, mon œil
C’est qu’il craint de brusler aux rayons du Soleil,
Mais moy comme celuy qui volle avec prudence,
J’ose m’en approcher sans craindre leur puissance
Leur pouvoir que l’on void moindre qu’une vapeur,
Ne doit les aprochant donner aucune peur :
Leur pouvoir est si grand que fermant leur paupiere,
La nuict au mesme instant nous oste la lumiere.
O Dieux ! Où vostre esprit [s’alembique*](#alembique) les sens.
C’est à vous que l’on doit les vœux & les encens,
Pasteur telle loüange est beaucoup inutile.
Je n’eusse pas quitté l’amitié d’Amarille :
Si vous yeux [absolus*](#absolus) dessus mes volontez,
Ne m’eussent commandè d’adorer vos beautez.
Je me tiendray berger infiniment contente
D’estre de vous vertus la tres-humble servante.
Ce tiltre m’appartient plus legitimement,
Et pour en veoir l’effet, commandez seulement.
Puisque vous me donnez ce pouvoir sur vostre ame,
Je commande à vos yeux de ne veoir nulle dame,
Qui plus belle que moy les puissent captiver,
Ne craignez pas cela, il ne s’en peut trouver :
Les Dieux qui vous on faite au modelle des graces,
Veulent que vos beautez tiennent icy leur places.
Amarille pourtant est bien aupres de vous,
Je confesse en effect qu’avant qu’elle eust Espous,
Je l’aymois grandement, mais estant engagee
A l’[aspect*](#aspect) de vos yeux, mon amour s’est changee.
Toutesfois d’un seul poinct je vous veux advertir,
C’est que si quelquefois venant se [divertir*](#divertir2),
Je tesmoignois encor quelqu’amitié pour elle,
Ce ne sera que feinte.
Ha c’est estre infidelle.
Mais c’est pour prevenir la jalouse fureur,
Qui se pourroit glisser dans vostre belle humeur.
Si telle feinte aussi se trouve veritable,
Ha que plustot le Ciel d’un foudre épouventable.
Mette mon corps en poudre ayant manqué de foy,
Envers vostre beauté que j’ayme plus que moy.
Où en sont les tesmoins ?
Ces baisers plains de [flame*](#flamme),
Qui pour vostre subjet met en cendre mon ame.
Gardez que quelque Argus voye la privauté
Dont vous venez d’user envers ma chasteté,
Allons sous ces ormeaux nous asseoir un quart d’heure,
Pysandre ne sçauroit faire longue demeure.
Ny Cleanide aussi car ses agneaux aux champs
Vous la verrez icy venir passer le temps.
SCENE DEVXIESME.
ALlez petit trouppeau savourer les herbettes,
Pendant que je diray mes belles amourettes :
Aux Echos qui souvent entendant mon tourment,
Me promettent tousjours quelque soulagement.
Ce qui faict que souvent leur antre je visite,
L’amour à tout moment sans tresve m’y invite.
Echo, viste
Attend fille de l’air je ne veux ton repos,
D’un discours importun interrompre si tost.
tost
Je n’ay pas le loisir rien encor ne se gaste,
Mon esprit sur l’amour ne court en si grand haste.
haste
Ne m’importune plus, car je n’en feray rien,
Mon ame maintenant veut un autre entretien.
tien
Quoy que veux-tu donner importune criarde
Je fuiray si ta voix le silence ne garde :
garde
Le recit des malheurs dont un Amant [jouy*](#jouyr),
Rend il en quelque effect ton esprit rejouy ?
ouy
Inhumaine ! Adieu donc, ne crains pas à cétte heure
Qu’en ce lieu desormais plus long temps je demeure
meure.
Cette fascheuse Echo de l’un à l’autre bout,
Pour me desesperer me veut suivre par tout.
par tout
Si n’en feras-tu rien car en changeant de place,
Je n’escouteray plus de ta voix la menace.
menace.
Je te conjure Echo par l’amoureux lien.
De ne plus empescher le repos de mon bien.
bien.
Dieux, que ce beau Narcisse avoit sur toy d’empire,
Si Junon t’eust permis luy conter ton martyre :
Et que ce beau visage eust chery ta beauté,
Un beau cristal mouvant ne te l’eust pas ostée :
Certes tu meritois l’amour de ce Cephide,
Comme j’ay merité l’amour de Cleanide :
Par tant de longs [travaux*](#travaux) soufferts si constamment,
J’ay crainte que ma Nymphe aussi pareillement
Regardant sa beauté dans une eau Cristaline,
Rende amoureux ses yeux de sa face divine,
Pour mespriser apres les feux de mon Amour,
Je me suis cette nuict advisé d’un bon tour,
Pour baiser quelque fois cette petite bouche,
Qui ravit tous les cœur avant que l’on y touche
Qui paroist mille fois plus rouge que Corail,
Ceinte d’un marbre blanc plus luysant que l’[esmail*](#mail),
O dieux que de plaisir ce dessein me prepare,
Voicy ce bel objet où nature s’esgare,
Dans l’admiration de ses [charmans*](#charme) apas,
Voyons si mon dessein ne reussira pas.
Belles fleurs que Zephir incessamment caresse
J’ay peur que l’on m’accuse aujourd’huy de paresse :
D’avoir mis si long-temps à venir visiter,
Vostre [esmail*](#mail) bigarrè qui sçait l’œil contenter :
Et vous arbres sacrez, bois, rochers & fontaines,
Qui de mon chaste amour tous seuls sçavez les peines,
Ne les publiez pas de peur que mon berger
De mon affection se vueille advantager :
Et vous air gracieux gardez que ma parolle,
Par le vent emportee à ses oreilles volle :
Je n’ay sçeu plus matin delaisser le logis,
J’ay laissé mon [mastin*](#mastin) pour garder mes brebis,
Cependant que je viens pour faire une guirlande,
Que mon berger aura pourveu qu’il la demande.
A l’aide, helas ! je meurs, ô secours ô secours !
Pysandre qu’avez vous ?
Je vais finir mes jours.
He Dieux dittes le moy.
Sachez rare merveille,
Qu’en passant dans ce pré une mauvaise abeille
M’a planté l’ayguillon sur la lévre, ha je meurs
Les violents efforts de ces aspres douleurs,
Me ravissent l’esprit, adieu chaste Bergere,
Prend courage Pasteur, la peine est fort legere.
Si ce n’est que cela, mon berger, ce n’est rien,
Dans un quart d’heure au plus tu te porteras bien,
[Preste*](#preste) que je la succe, ô la fortune estrange !
Sens-tu allegement ?
Pas encore mon ange,
He bien es-tu guery ?
Non encore un petit,
Ce remede excellent me met en [appetit*](#appetit).
[Finet*](#finet) seroit ce point quelque [tour de souplesse*](#tour-souplesse) ?
Non je jure tes yeux ma fidelle maistresse.
J’en doubte fort pourtant.
Ha que plustot la mort
Sur ce corps innocent face un dernier effort.
Si est-ce que si plus un tel mal te possede,
Tu pourras bien ailleurs aller chercher remede.
Pourquoy, si dans ta main tu tiens ma guerison,
Me lairras tu mourir contre toute raison ?
J’y [adviseray*](#adviser1) lors,
Tu serois inhumaine.
Ne parle plus Berger, car voicy dans la plaine
La chaste Lidiane & le beau Polydas.
Allons au devant d’eux marchans au petit pas.
Pan, Diane & l’Amour vous comblent de [liesse*](#liesse)
Que Bacchus & Ceres vous comblent de richesse.
Le Ciel face sur vous toutes faveurs pleuvoir,
Que la docte Pallas vous donne son sçavoir.
Où allez vous ainsi discrette Cleanide,
Avec ce beau Pasteur vostre fidelle guide ?
Ravis de vostre veuë où loge le bon-heur,
Pysandre et moy venons en rechercher l’honneur.
C’est nous qui recevons cette faveur extreme,
Et croirons vous servant jouïr d’un bien supreme.
Courtois dans la parolle autant que dans l’effet
Oblige nos desirs d’avoir pareil souhait.
Vous sçavez tout le monde obliger* au possible,
Et pour ne s’en venger faudroit estre insensible.
Je refere ce poinct à vostre humilité.
C’est pour faire admirer vostre civilité.
Tous ces beaux complimens empeschent nostre envie :
Quel dessein faittes vous lumiere de ma vie ?
De passer gayement ce qui reste du jour.
A quoy
Dançons,
He bien.
Il fait bien chaud [mamour*](#mamour).
Joüons à quelque jeu remply de [modestie*](#modestie),
Amarille qui vient sera de la partie.
Bon jour [gaillard*](#gaillard) troupeau, encor que je sois
Contrainte d’obeir aux maritales lois.
Pourtant vostre entretien si profitable à suivre,
Fait sans voir un [jour*](#jour) que je ne sçaurois vivre.
C’est trop nous obliger*,
Pysandre invente un jeu.
J’en sçay plus de deux cens, mais nous sommes trop peu.
J’ay dans ma pannetiere une chose opportune,
C’est un petit livret de la bonne fortune.
Si vous voulez sçavoir qui vous arrivera,
Piquez & je suis seur qu’elle vous le dira.
Vrayment nous le voulons,
Prenez donc cette aiguille :
Pour veoir ce que dira cette inconstante fille,
Ce fut endimion qui fit ce beau traitté,
Et tout ce qu’il predit ce trouve verité.
Assisons nous icy mais que ceremonie
Soit tout premierement d’avecque nous bannie.
A quoy sert tout cela,
C’est parler franchement,
Amarille tirez s’il vous plaist vistement.
Belle vous n’este assez fine
Pour veoir des yeux de vostre esprit,
Celuy dont l’amour vous surprit,
Baiser bien souvent sa voisine.
Dieux quel contentement, le bon trait que voilà.
Sus Lidiane à vous,
Je ne croy point cela,
Pour estre un petit trophardie,
Sur le point de souffrir la mort,
Une ombre pour dernier effort,
Guerira vostre maladie.
Ce parler est obscur,
Je n’y adjouste foy :
Vous ne le devez pas,
Pysandre c’est à moy.
Ne faites point tant la farouche,
Confessez que vous aymez mieux
Les baisers de vostre amoureux,
Que tous ceux de quelqu’autre bouche
Cleanide est il vray ?
Non, ne le croyez pas,
Je n’en veux point douter.
C’est à vous Polydas.
L’amour qui captive vostre ame,
Vous fera jetter dans un trou,
D’ou sortant ainsi qu’un hibou,
Irez jouër au [trou Madame*](#trou-madame).
Ha voila le meilleur,
Pysandre c’est à vous.
Quiconque ayt fait cela sans doubte il estoit fous.
Si vostre amour ne diminue
Je juge pourtant aujourd’huy,
Que vous aymerez bien l’apuy
Sur vostre Nymphe toute nuë.
Certes ce petit livre est excellemment bon,
Berger changeons de jeu car voicy Floridon,
Defaisons nous de luy sans luy faire paroistre
Je prend ce soing tout seul,
Pasteurs n’en sçaurois-je estre ?
Tres-volontiers Berger,
A quel jeu jouez vous ?
A la [cligne-mussette*](#clignemusette),
Et qui l’est de vous tous,
Nous allions commencer quand sortant ce [bocage*](#bocage),
Je vous ay veu venir costoyant le village.
Je vais [moüiller le doigt*](#mouiller-doigt) & quiconque l’aura
Pour ne point disputer sans refus clignera :
Prenez donc s’il vous plaist,
Est-ce toy Amarille,
[Nenny*](#nenny) vrayment,
Ny moy
Qu’à prendre on soit habille,
Or [sus*](#sus) c’est Polydas allons viste cacher,
Je n’arresteray pas à vous aller chercher,
Est-ce faict,
Ouy.
Ma foy si Floridon j’atrappe,
Croyez qu’il sera fort si des mains il m’eschappe
Viste sœurs sauvons nous,
Il vous est fort aysé :
Mais où est Floridon,
Dans un arbre creusé,
A douze pas d’icy vous le prendrez sans doute,
Or [sus*](#sus) vous voila pris clignez & sans veoir goutte
Ainsi comme j’ay faict.
Berger c’est la raison,
[Sus*](#sus) que chacun chez soy s’en aille en sa maison.
Allons veoir nos trouppeaux, des oiseaux le [ramage*](#ramage),
Dit qu’il nous faut bien tost retourner au village,
Et devant qu’il soit nuict dedans quelqu’autre lieu,
Nous pourrons bien encor jouër à quelque jeu.
Est-ce faict ? est-ce faict ? ô la plaisante histoire,
Laissons pour mieux courir ma houlette d’yvoire.
voire.
Assez proche de moy l’on c’est esvanouy
Je n’iray pas trop loin est-ce fait ditte ouy,
ouy
Allons donc les chercher, [l’occasion est chauve*](#occasion-chauve),
J’ay peur qu’en les cherchant l’un & l’autre se sauve.
sauve.
Ma foy l’un sera pris au chemin que voicy
C’est estre trop long temps estes vous loin d’icy.
Icy
Ha je ne joueray plus apres cette recherche
Il y a trop de temps que par tout je vous cherche ?
cherche
He où, je n’ay point d’yeux qui puissent veoir un lieu,
Où je n’aye cherché, Adieu Bergers Adieu ?
adieu
Leur voix de qui le son me frappe dans l’oreille
Me fait quasi doubter si je dors ou je veille.
veille
Se sauve qui voudra je luy donne pouvoir,
Et tout presentement vous donne le bon-soir.
bon-soir
Que sert tant de discours telle feinte me lasse
Monstrez vous donc Bergers & prenez de l’espace.
passe
Telle subtilitez ne m’estonnent beaucoup,
Et j’en faits moins d’estat que du chant d’un coucou.
coucou
Pasteurs vous avez tort, n’injuriez personne,
Je me sçay [resentir*](#resentir) quant subjet on m’en donne,
donne
Certes quelqu’un de vous en sera mal contant
Ma houlette & mon bras me le vont promettant
& tant
Je croy que cét Echo qui respond quand j’apelle
Pour en estre esclaircy je veux parler à elle.
elle
Ha que je suis fasché d’avoir tant [arresté*](#arrester)
Ils riront maintenant de ma [simplicité*](#simplicite).
SCENE TROISIESME.
UN parfaict amoureux jamais ne se repose
Son esprit captivé ne pense à autre chose,
Qu’à chercher chasque jour milles inventions,
Pour plaire au beau subject de ses affections :
Aussi depuis qu’amour loge dans ma cervelle
Je cherche à tout moment quelque chose nouvelle
Pour plaire à la beauté qui m’a d’amour espris
Je la trouve cent fois plus belle que Cypris.
Et ne l’ayant ce jour veuë à la promenade,
Je luy viens à ce soir donner la serenade,
Maintenant que la nuict a le dessus du jour,
Je veux viste accorder ma fluste à mon tambour,
Ha la douce harmonie ha je rendray Orphée,
D’Amphion & de Pan la memoire estouffee.
Sus voila le Palais où mon beau Soleil dort
Allons le reveiller d’un musical accord :
Il me semble desja que je le voids paroistre,
Il ne faict jamais nuict où son bel œil peut estre.
Bonsoir, bonsoir Pancrace, ha vrayment c’est trop tard,
Un Amant comme moy ne craint point le [hazard*](#hazard).
Certes vostre musique est parfaittement bonne,
Il faut qu’encore un air sur ma fluste j’entonne,
He bien qu’en dittes vous,
Que vous me ravissez
Qu’on ne vous peut donner de loüanges assez
Toubeau belle toubeau mais ayez agreable,
Que souvent desormais je face le semblable.
J’aurois trop de regret de vous causer ce mal,
Au contraire ce bien n’en peut avoir d’esgal,
Et pourveu qu’en effect ce passe-temps vous plaise,
Ce seul contentement rendra mon cœur trop aise :
Si vous ne l’obligez d’un [heur*](#heur3) particulier,
J’ay un petit anneau de corne de belier :
Que je vous veux donner recevez le de grace.
O bien-heureux amant, ô fortune Pancrace,
Ha c’est trop m’obliger* d’une telle faveur,
Tenez moy seulement pour vostre serviteur :
Et croyez que jamais nul ne fut plus fidelle.
Prenez-le s’il vous plaist au bout d’une ficelle
Ce fut un beau pasteur qui m’en fit un present,
Que j’aymois autrefois comme vous à present
Adieu mon serviteur le sommeil me tourmente
Croyez que Luciane est vostre humble servante.
Bonsoir ma Royne adieu ô celeste faveur,
Allons plus à loisir admirer ta valleur.
ACTE III.
SCENE PREMIERE.
L’Inimitié d’un Roy, d’un Prince, d’un monarque,
Ne peut de son courroux donner aucune marque :
Que par un coup mortel qui passe en un moment,
Mais celle de l’amour dure eternellement.
On souffre tous les jours mille mors inhumaines
Et si cét indiscret se mocque de nos peines,
Depuis que de ce Dieu le mal contagieux,
Voyant une beauté penetra mes deux yeux :
Je crois avoir souffert des [gesnes*](#gesne) plus cruelles,
Que n’en souffrent là bas les ames criminelles :
Sa malice sans cesse en a de tous nouveaux
Et jamais on ne void la fin de ses [travaux*](#travaux) :
Hier j’estois content aujourd’huy ma Bergere
Est captive au logis pour chose fort legere !
Ha Ciel pouvez vous veoir m’estre fait un tel tort,
Sans en punir l’autheur d’une cruelle mort :
Non non vous n’avez plus de feux ni de justice
Le triomphe est basty de la gloire du vice :
Le coulpable à present reçois par vanité,
Ce qu’un pauvre innocent de juste a merité.
A quoy servent amy tant de plaintes frivolles
Sinon qu’a troubler l’air d’inutilles parolles :
Je te conjure au nom de nostre affliction,
De me faire recit de ton affection.
Ha c’est renouveller une sanglante playe
Dont l’horreur de penser [tenseulement*](#tenseulement) m’effraye
Celuy qui veut d’un mal tirer allegement,
Il faut qu’auparavant il dise son tourment.
Je crains qu’en recitant mon malheur trop sensible,
A me pouvoir guerir se trouve l’impossible.
Le mal est incurrable à qui le veut cacher,
Mais on a guerison quand on la veut chercher.
La mort de tous mes maux est seulle medecine,
Nous causons bien souvent nostre propre ruine.
Une grande douleur n’est facille à porter,
L’artifice souvent peut le cours arrester.
Ma langue ne peut pas dire ce que j’endure,
Le respect quelquefois nous faict souffrir injure
Aux maux desesperez tous remedes sont vains
C’est effet de prudence aux esprits des humains,
D’accorder plus de chose à raison qu’à cholere,
Quel plaisir auras-tu d’entendre ma misere.
De prendre avecque toy part de la pitié.
La force qui contraint fait perdre l’amitié.
Quand tu m’auras conté le mal qui te possede.
Je pourray bien peut estre y trouver du remede.
Sans perdre pour cela nostre [societè*](#societe),
Dont je reçois l’honneur sans l’avoir merité.
Apreste donc des pleurs pour ouïr ma fortune,
Phebus hier au soir faisant place à la lune,
Retiroit sa clarté du sejour des humains,
Les faisant de chez eux reprendre les chemins.
Et desja par nos champs une pasleur nocturne
Avoit fait desloger les oyseaux de saturne,
Dont le funeste chant ne s’entend que la nuict
Alors que le silence est esloigné du bruict :
Les petits passereaux de leur tendre gorgette,
De ma nimphe & de moy entonnoient la retraitte,
Apres t’avoir quitté, ramassans nos troupeaux
Nous les reconduisons jusque dans nos hameaux.
Puis en me separant de ma belle maistresse,
Je pris d’elle un baiser, & fuyant de vitesse :
Contant je ne pensois que personne n’eust veu
Mais sa mere, ô bons Dieux qui m’avoit aperceu
Au travers d’une vistre acourt & vient à elle :
Et de quelques soufflets outragea cette belle :
Et non contente encor luy dit qu’elle fera,
Que de six mois entiers elle ne sortira :
Juge donc si j’ay pas vray subjet de me plaindre
Je n’en eusse rien sceu sans le berger Philindre :
Qui son proche voisin m’a recité ce faict,
Donc je puis acuser la Lune du forfaict :
Car si elle eust permis sa lumiere eclypsee,
Comme au temps qu’un berger vivoit dans sa pensee.
Cette vieille Alecton n’eust veu la privauté
De laquelle j’eusé envers cette beauté :
O astres inhumains pensant à ce dommage,
Je creve de dépit à peu que je n’enrage :
Vois donc cher compagnon si je n’ay pas suject,
De quoy me tourmenter en perdant cét object.
Vous en avez raison mais non pas de la sorte,
Qu’il faille qu’un regret dans l’exceds vous emporte :
Vous sçavez qu’une mere à le courage bas,
Et qu’envers un enfant son fiel ne dure pas :
Peut estre des demain avecque ses compagnes,
La verrez vous mener ses aigneaux aux campagnes.
Cependant vous sçavez que je suis son cousin,
Si je vous puis servir comme amy ou voisin :
Commendez seulement : car je veux faire au reste,
Que vous estant pillade on m’estime un Oreste
Ce m’est trop de faveur vous estes trop courtois,
Ne faut importuner son amy tant de fois.
Librement voulez vous luy [mander*](#mander3) quelque chose,
Ce petit mot d’escrit en tes mains je depose
Je te conjure amy de luy [faire tenir*](#faire-tenir)
Et t’oblige au surplus de viste revenir.
Je n’y manqueray pas car nostre parentelle
Me donne à tous momens un libre accez chez elle,
Dans une heure au plus tart je seray de retour
Rendez vous en ce temps aupres du carrefour.
L’amour pour y aller me donnera des aisles,
Amy fais qu’aujourd’huy j’en sache des nouvelles.
SCENE DEUXIESME.
L’Esprit inquieté de milles [pensemens*](#pensement),
Dont la jalouse ardeur blesse mes sentimens :
Sans resolution je demeure confuse,
Et dans ma passion une crainte m’abuse :
Faisant veoir par les yeux de mes sens agitez,
Combien mon Polydas use de privautez :
Par tant de doux regards jettez sur Lidiane,
Mille petits souris [truchemens*](#truchement) de l’[organe*](#organe),
Semblent dire pour elle à mon affection,
Que ce vollage amant mocque ma passion :
He dieux seroit-il vray que leur ame traistresse,
Se jouant de mon sort, se rit de ma [simplesse*](#simplesse) :
Ha je ne le croy pas les sermens qu’il m’a fait,
Indubitablement seront mis en effet,
Ou bien le ciel rendroit le crime tollerable,
Où va cét importun qui me rend miserable.
Languiray-je tousjours dans l’attente d’un bien
Que ma fidelité doit avoir rendu mien :
Quel soucy continu te ronge la cervelle,
De vous veoir en ce lieu où je ne vous appelle.
Quoy ton contentement va-t-il jusqu’à ce point,
Mon plaisir est parfait quand je ne vous void poinct.
Que je suis malheureux sous la loy d’Himenee.
N’esperez rien de moy mon amour est donnee :
Les six mois accomplis ton cœur s’adoucira,
Plus vous le pressez & plus il durcira :
Si ce n’est d’amitié vous y serez forcee,
La force & l’amitié n’ont rien sur ma pensee :
As-tu quelque subjet de me traitter ainsi,
As-tu quelque raison de me cherir aussi :
En quoy t’ay-je [mesfait*](#mesfait) que ta haine je porte,
En quoy t’ay je obligé pour m’aymer de la sorte.
Ta beauté m’a forcé de luy rendre mes vœux,
C’est pourquoy je te haÿs reprends les si tu veux.
Mon cœur est captivé d’une chaisne trop dure :
Si tu veux à l’instant j’en feray la rupture.
C’est recognoistre mal les services rendus,
Si tu meurs aujourd’huy je t’en rend deus fois plus :
Seroit donc de regret de servir une ingratte,
Je meure, j’ay regret qu’un sot espoir te flatte :
Ah mon amour n’a rien de commun que le nom,
Adjouste que d’un fol il t’aquiert le renom.
Appelle-tu folie une amitié parfaite,
Ouy, quand l’un des amans a la teste mal faite.
Telle imperfection vient donc de ton costé,
Je croy qu’en ton endroit ce point est limité.
C’est parce que mon cœur avec le tien se lie,
Aimer sans estre aymé tesmoigne une folie.
Par la mesme raison nous sommes foux tous deux,
Si j’ayme Polydas il m’aime encore mieux.
Comme quoy penses-tu qu’il cherisse ta [flame*](#flamme) ?
Autant que la vertu que respire son ame,
Que j’y verray bien tost un subit changement,
Ta voix ne me rendra jalouse nullement :
Bien changeons de discours car celuy-là t’afflige
De t’en aller d’icy que ton amour m’oblige.
Absent, ta volonté ne songe plus à moy,
Ces arbres, ces rochers, ne parleront pour toy,
Muets tu ne craindras qu’ils troublent ton silence
Tu devines vrayment aussi bien que je pense.
Dits donc que les oyseaux te diront mes amours
Dit plutost qu’ils riront [oyants*](#oyants) tes sots discours.
Qu’un baiser enflamé me contente Amarille,
Si tu debvois brusler je t’en donnerois mille.
En fin mon amitié dessus toy n’aura rien,
Que la haine d’avoir troublé mon entretien.
Ny faveur ny baiser ny parolle agreable,
Ces fruits estans trop doux je me rendrois blasmable.
J’aymerois donc autant n’estre point marié,
Tu le peux si tu veux je ne t’en ay prié.
Nostre Hymen a rendu nos cœurs inseparables
Je sçay bien que le mien fuit de loin tes semblables.
Telle haine tousjours ne sçauroit pas durer,
Autant que l’on verra le soleil esclairer :
Ce bel astre ce soir vaincra donc ta malice,
Jamais comme j’entends tu n’y verras d’éclipse.
Le temps dissipera cette fascheuse humeur,
Je croy que de la mort depend tout ton bonheur.
Il faut que mon destin la patience attrappe,
Lors que tu la tiendras garde bien qu’elle eschappe.
Je n’auray donc si tost le fruict de mon amour,
Alors que nous verrons le soleil sans le jour :
Vrayment je m’en plaindray tantost à vostre pere,
Tant plus on m’importune & plus je suis severe.
Va va retire toy spectre, phantosme hideux,
Ta presence me donne encor plus d’[effroy*](#effroi) qu’eux.
Si Polydas tesmoigne envers moy sa constance
Et qu’il me tire un jour de dessous ta puissance
Je feray dans peu veoir à tes yeux clairement,
Qu’il ne faut marier les filles forcement.
Peres mal advisez sur moy prenez exemple,
Que chacun des mortels mon desastre contemple :
Voyez où m’a reduit le paternel pouvoir,
Une plus miserable on ne peut jamais veoir.
Le soucy, la douleur, la jalouse manie,
Ont troublé tout à coup de mes sens l’armonie :
Helas que deviendray-je apres tant de [travaux*](#travaux),
Peut estre que le Ciel adoucira mes maux.
Lors qu’il contemplera avec quelle constance,
Suportant mes [ennuis*](#ennuy) je luy fais resistance :
Je veux tous les malheurs rendre à la fin lassez,
D’avoir dessus mon chef tant de tourmens versez :
Celuy qui patient souffre de l’injustice,
Force son ennemy à luy estre propice.
SCENE TROISIESME.
QUe l’indiscretion fait naistre de tourment,
A ceux dont les enfans vivent trop librement :
J’approuvois fort les loix des antiques familles
Dont l’extreme rigueur ne permettoit aux filles
De veoir, ny d’escouter, mesme de s’enquerir,
Des points de quoy l’honneur peut du blasme encourir :
A l’aage de vingt ans nulle, d’esprit parfaitte,
N’eust sceut dire comment elle avoit esté faitte.
L’amour ne les troubloit en leur contentement
Ne sachant que c’estoit d’amante ny d’amant,
Mais helas maintenant on fait gloire du vice,
Une fille à douze ans sçait autant de malice
Que celle qui jamais n’a fait d’autre mestier,
Que de suivre d’amour le penible sentier :
Le plus ardent desir qui possede leur ame,
Est de leur veoir changer le nom de fille, en femme :
Il n’y a plus d’enfance à ce que je puis veoir,
O que ma Lidiane a trompé mon espoir.
Pancrace mon amy il faut que je vous die,
Que si autre eust veu cette action hardie :
Me le venant conter je ne l’eusse pas creu,
Mais c’est un fait certain que mes deux yeux ont veu.
Un berger la baisa aupres de nostre porte,
Dont alors de regret j’estois à demy morte
Je ne trouve point là dequoy vous tourmenter,
C’est un jeune appetit qui se veut contenter :
On est impatient d’avoir ce qu’on desire,
Vous estes un railleur, vraiment vous voulez rire,
C’est bien me consoler sur ce fait important,
Vous en avez bien fait autrefois tout autant.
Quand j’estois en l’ardeur de ma verte jeunesse
Je fusse mort cent fois pour baiser ma maistresse.
Ne dittes pas cela, car ma mere en tous lieux,
Conduisant mon troupeau ne me perdoit des yeux,
Et jamais un berger si ce n’est par surprise,
N’emportast de ma bouche un baiser de franchise.
Si sçay-je bien pourtant que Philin bon garçon,
Vous baisa quatre fois à l’ombre d’un buisson.
Ha ha malicieux, vous sçavez des nouvelles
Autant que la Gazette :
O la Royne des belles,
Quand je vois de vos yeux les ravissans attraits
Je vois de ma moitié vivre en vous les portraits
A d’autre à d’autre, amy,
Faschez vous, soyez aise,
Si faut-il toutesfois que ma bouche vous baise.
Mais voyez un petit vrayment vous estes fous
Du moins vostre mary n’en sera point jaloux.
Ha ne me faittes point revivre sa memoire
Vous me ferez pleurer.
Si vous me voulez croire,
Pour achever contans le reste de nos jours,
Nous ferons un Hymen de nos vieilles amours
Dieux de quoy parlez vous.
Que j’ay beaucoup de force,
Et qu’encore au fusil se trouve de l’amorce.
Quand le pot est couvert c’est signe, ce dit-on,
Que le feu en est loing & la chair se morfond.
Ma [callote*](#callote) vous fait parler de telle sorte,
Mais chacun jeune foux par bienseance en porte :
Vous vous riez tousjours,
Mignonne croyez moy,
Sur toutes les beautez je vous ayme, ma foy :
Ne vous pensez mocquer, autrefois j’estois belle
A qui le dittes vous j’estois vostre fidelle :
Si nos proches parens eussent esté amis
Ne nous estions nous pas mariage promis ?
Helas je m’en souviens, une telle hardiesse
M’a bien depuis ce temps causé de la tristesse,
Encore que l’action ne touchast à l’honneur,
Mais celle de ma fille est à son deshonneur,
Se laissant [suborner*](#suborner) d’une jeune cervelle,
De lignage incogneu.
Dittes comme il s’appelle :
J’ay un ardent desir de courir de ce pas
L’assommer tout d’un coup,
Le voicy
Parlons bas.
Vous estes trop hardy,
Quoy ? c’est ce jeune drolle,
Qui nos filles cajolle & tout chacun controlle :
Je le veux envoyer là bas faire l’amour.
Tout beau ce n’est pas luy,
C’est Pysandre, [m'amour*](#mamour),
Avant qu’il soit icy regaignons le village
Une collation de fruicts & de [laitage*](#laitage) :
Nous attend au logis, hastons nous d’y aller.
Je reçois trop d’honneur,
Il n’en faut point parler
SCENE QUATRIESME.
L’Amitié d’un amy oblige à l’impossible,
Il faudroit estre ingrat, [mais*](#mais) plutost insensible,
Pour ne le pas servir apres que par effet,
Il vous a tesmoingné son [courage*](#courage) parfaict.
Pour servir Polydas mon amy plus inthime,
J’offrirois à la mort mon ame pour victime,
Je n’ay rien de plus cher que sa felicité,
Aussi de ses amours fidelle deputé,
Je vais faire tomber ce mot à Lidiane,
J’ay crainte de trouver au logis Luciane :
[Hazard*](#hazard), j’ay [prou*](#prou) d’esprit pour sçavoir deguiser,
Et discourant de loin sa prunelle abuser :
Je veux tout doucement du pied frapper la porte
Je n’oserois quasi, toutefois, il n’importe :
Puisque de ce dessein nul ne se doute pas,
Holla ho.
On y va, parlez qui est là bas ?
Pysandre,
Excusez-moy, car de peur que je sorte
Ma mere a emporté la clef de nostre porte.
Bons Dieux qui l’a contrainte à si grande rigueur
Le fantastique apas d’un mensonge trompeur :
Elle dit avoir veu au travers la fenestre,
Un berger me baiser, jugez s’il ce peut estre :
Ha c’est pour ce subject trop de severité,
Le ciel puisse punir telle inhumanité :
Cousin le cœur me fend,
N’y pense plus cousine,
Le berger Polydas :
Gardez que la voisine :
N’entende vos discours,
Réçois donc cet escript,
Pour veoir en quel estat j’ay laissé son esprit :
Ne t’aflige point tant de semblables choleres,
A bien conjecturer ne peuvent durer guieres.
He bien a-t-il raison ? a-t-il le cœur Loyal ?
Je ne merite pas qu’il souffre tant de mal,
Cher cousin dites luy que ce qui plus m’afflige
C’est qu’avec trop d’ardeur son honneur il oblige
Que d’un si grand dessein je crains l’evenement
Et qu’il ne reussisse à son contentement,
Pourtant asseurez le sans craindre la tempeste
Que pour luy obeyr je seray tousjours preste.
Adieu je me retire afin qu’en devisans
Nous ne soyons ouis de quelques medisans :
Jugez si je vous puis servir en quelque chose,
Pysandre entre vos mains mon honneur je depose :
Que le Ciel puisse un jour faire naistre un subjet,
De vous pouvoir servir en quelque bon projet :
Dieux qu’il me tardera que la nuict soit venuë
Il me semble desja que mon mal diminuë :
Puisque mon cher amant me doit tirer d’icy,
Je m’en vais m’aprester, & mon bagage aussy.
SCENE CINQUIESME.
PAncrace en verité vous estes un prodigue
Le subject ne vaut pas la peine & la fatigue :
Que vous prenez pour luy, car je jure ma foy :
Qu’un si riche festin meritoit mieux que moy.
Ha ne vous mocquez point j’ay assez de courage,
Pour à vostre subject faire encor d’avantage.
Vrayment vous ne sçauriez,
Excusez seulement,
Si je ne vous ay faict un meilleur traittement.
Mais quoy le bon accueil passe la bonne chere,
Cette collation estoit un peu legere :
[Mamie*](#mamour) priez Dieu donc, pour les mal traitez
Car vous ne l’estes pas comme vous meritez.
Mon-dieu pardonnez moy, c’est trop d’honneur Pancrace,
Tenez moy, s’il vous plaist en vostre bonne grace.
Adieu jusqu’au revoir,
Je vous veux remener
Mais qui sont ces bergers que je vois cheminer
Là bas dedans ce pré proche de ces [logettes*](#logette).
Attendez, s’il vous plaist que j’aye mes lunettes
C’est ce jeune galland qui sçait si bien baiser.
Pysandre est avec luy, escoutons les causer,
Je veux tout devant vous faire une reprimande
A ce jeune incensé, que tout le monde entende.
En fin mon cher amy ma Nimphe t’a promis
O dieux que j’ay bien faict quand je me suis remis,
Dessus ta vigillance à nulle autre commune,
Je tiendray desormais de toy seul ma fortune :
Et si en recompence il faut pour ton subjet,
Faire quelque dessein sur un divin object.
Tien seur que Polydas vouë tout son service,
Pour te remercier par quelque bon office.
Je n’ay pas merité une telle faveur
Joint que de vous servir c’est mon plus grand honneur.
Fidelle confident de mes amours secrettes,
Venez-ça venez-ça beau baiseur de fillettes.
Est-ce à moy que l’on parle ?
Ouy.
Vous vous méprenez,
Pancrace & Luciane à d’autres cheminez,
Je ne me trompe point j’ay encor bonne veuë,
Ce fut vous qui baisa ma fille dans la ruë.
Il est vray sur ma foy,
Ha vous m’importunez,
Passez vostre chemin,
Vous m’avez sur le nez,
S’il vous arrive plus de baiser Lidiane.
Je ne vous crains non plus que je faits Luciane.
Vous estes un bel homme.
Ha, ne m’offences pas,
Que tout presentement tu n’ayes le trépas.
Trente pareils à vous ne me feroient de crainte,
Ho le hardy soldat pour combatre une [pinte*](#pinte).
Je te voudrois bien veoir une espee à la main,
Sans doute on te prendroit pour [guesteur*](#guesteur) de chemin.
Telle comparaison à vous seul se refere.
Incongneu de maison, de nom, de pere, & mere,
Pour qui te peut-on prendre avec tes beaux habits,
Car tu n’as pas vaillant seulement deux brebis.
Pour tel que je puis estre,
Il a raison je jure,
Champignon d’une nuict il vint à l’advanture :
J’ay plus dans ce pais que vous n’aurez jamais,
Telle rodomontade est l’espoir d’un niais :
O le grand [amballeur*](#amballeur) !
Dieu n’y prenez pas garde,
C’est un jeune éventé,
Où est ma [hallebarde*](#hallebarde) ?
Je mettrois tout d’un coup sa teste par morceaux.
Ce seroit un beau coup pour assommer des veaux,
Qui te ressembleroient,
Regardez ce vieil singe,
Il fait tant le vaillant & plus foible qu’un linge
Ne se peut soustenir,
Tu te trompe bien fort,
J’ay assez de vigueur pour te donner la mort.
O le grand champion, dieux comme il s’esvertuë
Mon amour tenez moy de peur que je le tuë :
Je suis trop en cholere, il y aura malheur.
Hé dieux n’en faites rien gardez vostre valeur,
Pour quelque occasion qui soit un peu meilleure,
Le bon homme mourroit avant demy quart d’heure.
[Nargue*](#nargue), j’en ay bien veu deux mille comme toy,
Qui n’ont jamais fait peur à six pareils à moy.
Vous n’aviez pas peut estre ensemble de querelle
O Dieux où est le temps que j’estois sentinelle
Dedans nostre clocher pour descouvrir de loing ?
Pour prouver sa valeur voila un bon tesmoing.
Pysandre qu’en dis-tu,
Certes je meurs de rire,
Pancrace allons nous-en, à quoy sert de tant dire ?
Cela fait voirement eschauffer le cerveau.
A Dieu jeune badin, adieu [goguelureau*](#goguelureau),
Crois que tu dois la vie aux yeux de Luciane,
Je vous prie marchons, j’ay laissé Lidiane
Toute seule au logis,
Adieu vieil escargot,
Compagnon de Silene, [engence*](#engence) de Magot.
Apprends à devenir une autrefois plus sage.
Pysandre [il s’en va tard*](#va-tard), retournons au village.
Nous nous verrons demain dedans ce mesme lieu
Je n’y failliray pas, & cependant adieu,
SCENE SIXIESME.
QUe sont-ils devenus ? certes ils n’avoient garde,
De m’attendre au retour, j’eusse donné [nazarde*](#nazarde),
A ce fol indiscret, qui presume estre tel
Que pour le pouvoir vaincre il faut un immortel,
Luy faisant veoir à l’œil qu’il n’est que la vieillesse,
Pour dans l’occasion monstrer de la proüesse.
O qu’il eust esté mis viste sur le carreau,
Il n’eut non plus duré qu’un petit [lapreau*](#lapreau) :
Devant le fin renard, j’en avois bonne envie,
Luciane en effet luy a sauvé la vie.
Car pour luy obeyr je n’ay voulu tuër,
Si j’eusse en verité voulu m’esvertuer :
D’un seul coup de baston, j’eusse envoyé son ame
Promener chez Pluton comme une race infame.
Or [sus*](#sus) le jour s’en va, moy je m’en vais aussi,
[Jupin*](#jupin), l’Amour, & Pan, prennent de moy soucy.
ACTE IV.
SCENE PREMIERE.
DEesse de la nuict aux amans favorable
Qui bornez leurs desirs d’une gloire durable :
Et pour les asseurer dans leur contentement,
Faittes cacher du ciel le plus bel ornement.
Si jamais amoureux eust besoin de vostre ayde
C’est moy qui dans vos bras va chercher son remede :
C’est moy dont le dessein ne peut estre caché,
Si du sommeil glissant chacun n’est attaché :
Morphee, c’est à toy que je fais ma priere,
Puis que tu as pouvoir de clore la paupiere :
Des humains d’icy bas, faicts, morne deité,
Que mon desir parfaict se trouve executé :
Sans estre descouvert d’aucune creature,
Favorise l’amour & la mere nature :
En me faisant plaisir tu les obligeras*,
C’est un de leurs subjets qui te tend les deux bras.
Un Prince cognoissant son serviteur fidelle,
Menacé d’un malheur, espouse sa querelle :
Pour rompre s’il se peut le piege à luy tendu.
Moy qui du Dieu d’amour suis esclave rendu,
Si je reçois faveur de ta bonne assistance,
Ce Dieu t’en donnera la juste recompence :
Puisque de ses subjets portant tiltre d’amant,
Jamais nul comme moy n’aymast si constamment.
Puissantes deitez qui sçavez ma detresse,
Courtois permettez moy d’enlever ma maistresse,
Vous sçavez le dessein que j’ay fait depuis peu
De mettre cette nuict dans son logis le feu :
Afin que cependant qu’on le voudra esteindre,
Je la puisse enlever sans la poursuite craindre :
Me voicy prest, bons Dieux de le mettre en [effect*](#effet),
Ce flambeau que je tiens le va rendre parfaict :
Sus voila le logis puissances tutelaires,
Embrassez s’il vous plaist l’estat de mes affaires
Or [sus*](#sus) le feu s’allume & peut long-temps durer,
Je me veux un petit à l’escart retirer :
Et lors que je verray au plus fort de l’orage
Chacun courir à l’eau pour sauver le village,
Prenant l’occasion ferme au poil inconstant,
J’iray ma Lidiane enlever à l’instant.
SCENE DEUXSIEME.
VIste viste debout, une espaisse fumee
Me dit qu’une maison icy proche allumee :
Pourroit mettre le feu dedans nostre logis,
O bons Dieux ! c’est [ceans*](#ceans), à l’aide mes amis.
O feu, ô feu,
Où est-ce ?
Où est-ce ?
Patience,
Que d’aporter de l’eau l’on face [diligence*](#diligence) :
La grange & le [fourny*](#fourny) de Luciane en feu
Veut que par charité vous l’assistiez un peu.
[Ouy da*](#ouy-da), tres-volontiers sus Passeurs sans rien craindre,
Courrons querir de l’eau pour promptement l’esteindre.
Helas ! que ferons nous, amy, tout est perdu,
Ne vous tourmentez point le feu n’est respandu
Encore tout par-tout, bon voicy l’eau venuë,
Sus enfans suivez moy, que chacun s’esvertue.
SCENE TROISIESME.
EN fin graces aux Dieux ma juste intention,
Va je croy reussir à sa perfection :
Une crainte pourtant talonne ma conqueste,
Non non il faut entrer, car Lidiane est preste :
Allons chaste Cipris mon [soulas*](#soulas) mon soucy,
Un basteau nous attend à quatre pas d’icy.
[Las*](#las) fidelle pasteur hastons nostre voyage,
Mon ange, ne crains point j’apperçois le rivage :
Regarde devant toy tu verras le basteau,
Ma Royne entre dedans & tiens bien ce flambeau,
Je m’en vais le lascher, & l’aurore venue,
Nous serons esloignez,
Dieux ! la corde est rompue :
Polydas au secours, viste prestez la main
L’eau rapide à son fil adresse mon chemin :
Hastez vous, ô grands Dieux Jupiter & Neptune,
Conduisez à bon port l’estat de ma fortune :
Adieu cher Polydas si l’eau me fait perir,
Sachez que vostre amour seule me fait mourir
Souvenez vous tousjours de nostre unique [flame*](#flamme),
Et que mon souvenir touche souvent vostre ame.
Attend chere moitié je vais courir apres,
Ha ciel pas un basteau ne se monstre icy pres,
Cette rive parest en estre despourvue,
Ou bien l’obscurité les cachent à ma veue :
Non je n’en trouve point, encore par malheur,
Diane peint le ciel d’une noire couleur,
Des nuages espais eclypsent ses lumieres,
Les yeux du firmament ont fermé leurs paupieres :
Mon flambeau jusqu’icy ne peut plus esclairer
Bref tout semble en effet contre moy conspirer :
Justes Dieux que feray je à ce coup d’infortune
Ces astres inhumains, ceste inconstante lune :
Pour ne veoir ma douleur ont voilé leurs clartez,
O cieux que puis-je faire en ces extremitez :
Sinon suivre de l’œil ma colombelle aymable,
Et veoir si quelque Dieu luy sera favorable :
Non, sourds vous avez tous sur la face un bandeau,
Ha destins qu’ay-je veu elle est cheute dans l’eau
Son flambeau s’est esteint aussi tost que sa vie,
Venez rages des eaux qui me l’avez ravie,
M’engloutir avecq elle ô Dieux ! ô Dieux ! cruels,
Rendrez vous mes ennuis* & mes maux eternels :
Ouy puisque l’inclemance accompagne vos ames
Et qu’un jaloux amour vous brusle de ses [flames*](#flamme) :
Neptune, est-ce point toy qui m’a joué ce tour,
Voyant ce cher objet plus beau que n’est le jour.
Se mirer dans tes eaux sans doute son merite,
T’a fait mettre en oubly Thesis & Emphitrite :
Indubitablement ses attraits ravissans,
Ont surpris tes esprits & [charmé*](#charme) tous tes sens :
Mais quoy ? puis-je endurer un affront si sensible,
Il le faut malgré moy puis qu’il est impossible
De se pouvoir venger d’un Dieu ny d’un demon :
Peut estre n’est-ce toy, mais quelque pallemon
Ou autre deité surprise de ses [charmes*](#charme),
[Jupin*](#jupin) assistez moy de vos divines armes :
Autrement je diray ce qui semble en effet,
Que vous participez au tort que l’on m’a fait :
Helas où sont des Dieux la clemence & l’estime
On les void aujourd’hui favoriser un crime,
Commis en mon éndroit, ô ciel quel [creve cœur*](#crevecoeur)
O rage, ô desespoir, ô malheur, ô fureur,
Demons larves horreurs, Errines, Eumenides,
Gorgonne, Atropos, monstres Acherontides,
Venez mettre mon corps en cent mille morceaux
Les dieux qui [souffrent*](#souffrir) tout autheurs de mes [travaux*](#travaux),
Vous en donnent pouvoir, leur cœur inexorable
Refuse son secours au pauvre miserable :
O iniques destins, ô sort malencontreux,
Infortuné berger, deplorable amoureux :
Polydas Polydas sus il faut que la Parque
Te face maintenant passer la triste barque :
Choisis de quelle mort tu veux donques mourir
L’eau, le fer, ou le feu, peuvent tes maux guerir :
L’eau, si je m’y jettois Neptune auroit la gloire,
D’avoir par dessus moy emporté la victoire :
Le fer est trop sanglant, mon homicide main
Me feroit à jamais estimer inhumain.
De mourir par le feu je ne m’y puis resoudre,
[Jupin*](#jupin) se venteroit que ce seroit son foudre :
Qui auroit consommé mon cœur & mes poulmons,
Choisissons donc plustost la grotte des Démons :
Le jour qui peu à peu recommence à parestre,
L’a faict proche de moy à mes yeux recognaistre.
Je veux sans differer me jetter au milieu,
Adieu pauvre pays, Adieu malheureux lieu :
Souviens toy quelque fois de l’amour mutuelle
De ma Nimphe & de moy, ha mon mal renouvelle,
Je veux avant mourir graver sur mon tombeau,
Quelques funebres vers avecque ce cousteau :
C’est assez, sus Demons de cette grotte sombre
Recevez moy là bas & faitte que mon ombre
Ne reçoive aucun mal sans l’avoir merité,
Pesez mon innocence & ma fidelité.
Sur tout permettez moy qu’en la plaine Elizee
Je voye la beauté qui m’a la mort causee.
SCENE QUATRIESME.
ACcablee d’[ennuys*](#ennuy), de maux, d’afflictions,
De douleurs, de malheurs, le but de passions,
A qui me dois-je plaindre en ces peines extremes,
M’adresseray-je à vous divinitez supremes ?
Ou aux hommes mortels l’ouvrage de vos mains
Non car vostre pouvoir s’estend sur les humains :
Ils ne peuvent sans vous agir en nulle sorte,
C’est, c’est donc contre vous que ma plainte se porte,
Puisque vous permettez qu’on violle les loix,
De douceur & d’amour envers moy cette fois
J’avois tousjours vescu d’une telle maniere,
Que je n’esperois pas sentir vostre cholere :
[Las*](#las) qu’ay-je faict (bon dieux) pour veoir contre raison,
Enlever mon enfant & brusler ma maison :
Par un traistre pasteur un mechant, un perfide,
Un brusleur de maisons un volleur homicide
Que ne le tiens-icy ha je jure ma foy,
Qu’il trouveroit sa mort quoy qu’il n’y eust que moy.
Mes ongles & mes dent quoy qu’attains de vieillesse,
Sont encor assez forts pour punir sa jeunesse :
O malheureux enfans, ô indiscretion,
Que tu nous faits souvent souffrir d’affliction,
O ma fille faut-il qu’une amour effrenee,
Face qu’à ce berger tu sois abandonnee,
O folle, ô [indiscrette*](#indiscrette), helas tu ne sçais pas
La ruse, la finesse, & les [pipeurs*](#pipeur) appas,
Des hommes inconstans qui vivent sur la terre
Ta lettre que tantost j’ay trouvé sur ma chaire,
Me [transporte*](#transporter) les sens quand tu me dits qu’un jour,
Je te verray au rang des Dames de la cour :
O que ton sot espoir te causera de peine,
Simple, crois-tu cela ? une chimere vaine,
Avecque les sermens d’un jeune courtisant,
Pour une mesme chose on les tient à present,
Sans mentir j’ay regret que ton jugement louche,
N’ayt peu veoir les abbus de sa trompeuse bouche
Va va meschante fille où te conduit le sort,
Le ciel puisse bien tost me livrer à la mort :
De peur qu’un mauvais bruit blessant ta renommee,
Ne rende à tout jamais ma race diffamee,
O Dieux je n’en puis plus mes larmes & souspirs,
Estouffent mes propos dedans mes desplaisirs.
Retournons au hameau reste de l’incendie,
Pour veoir si à sauver le reste on remedie,
O qu’une fille sotte est un fascheux fardeau,
Plustot qu’en souhaiter j’eslirois le tombeau
Je m’en vais envoyer ma servante Pernelle,
Pour veoir si quelque part elle en aura novelle.
SCENE CINQVIESME.
PLeure Amarille helas ton malheur sans pareil,
Que les larmes jamais ne seichent dans ton œil,
Souspire incessamment ton douloureux desastre
L’amante, sans repos l’injure de ton astre :
Crie, gemis, plains toy, remplis l’air tout de pleurs,
Pour esmouvoir le ciel à plaindre tes douleurs
Et faire que ton mal le rende favorable,
Pour en punir l’autheur d’un foudre inevitable :
Bon Dieux cela est juste & selon l’equité,
Vous sçavez ma constance & l’infidelité :
Du Berger Polydas & de sa Lidiane,
Où estes vous Didon, vous crétoise Arianne ?
Venez veoir le Pasteur qui cause mon [ennuy*](#ennuy)
Comme le plus méschant qui respire aujourd’huy :
Ce n’est point un Aenee encor moins un Thesee,
Il est pire cent fois & d’humeur moins posee :
C’est un traistre parjure, un lasche, un imposteur,
Un Amant infidelle un signalè trompeur.
Bref je puis dire icy comme je conjecture,
Que c’est le plus meschant qu’ayt formé la nature :
Nature je me trompe, ha il ne se peut pas,
Tesiphonne plustot l’a enfanté là bas :
Nul mortel n’eust jamais une si mauvaise ame,
O Dieux, ô Dieux, faut-il qu’en vain je vous reclame :
Ne verray-je point l’air se troubler de vos feux
Pour consommer les os de ces deux amoureux :
Non vous ne voulez pas, non vous avez envie
De veoir le desespoir triompher de ma vie :
Je n’auray pas ce bien que de les veoir punir,
Je serois trop contente à ce doux souvenir :
Il faut auparavant que l’inhumaine Parque,
Me face [devaller*](#devaller) dans l’infernalle barque
Je le veux, je le veux, aussi bien desormais,
Tout mon contentement seroit mort à jamais :
Je ne refuse pas de franchir la [carriere*](#carriere),
Immortels prononcez ma sentence derniere :
Que sert de retarder le decret de ma mort,
Est-ce pour m’afliger de plus fort en plus fort ?
Ou pour vous accuser d’inclemence & de haine,
Meritai-je le mal d’une si longue peine :
Non, je ne le croy pas, vous estes des cruels
Vous ne meritez pas l’amitié des mortels.
Je veux presentement malgré vostre puissance,
En me donnant la mort apaiser ma souffrance :
La grotte des Démons que je vois devant moy
Va servir maintenant à guerir mon esmoy* :
Mais quels vers sont gravez sur cette pierre dure,
Aprochez vous mes yeux, voyons quelle advanture
Se pourroit estre icy : car jamais on n’aprit
Qu’il y eust en ce lieu quelque chose d’escrit.
Passant sache que mon flambeau,
A dans les eaux esteint sa vie,
Et Polydas malgré l’envie,
A icy choisi son tombeau.
O bons Dieux est-il vray ce que je viens de lire ?
Polydas est-il mort d’un si cruel martyre ?
Helas ! pauvre Berger je regrette ton mal,
O Dieux ! qui t’a causé cét accident fatal ?
Je n’en puis que juger, sinon que ta maistresse
Est morte dans les eaux, & que toy de detresse
Tu t’es venu jetter dans ce goulfre fumant,
Du moins ces vers icy le disent clairement :
Mais n’est-ce point aussi qu’il a fait ceste ruse,
De peur d’estre suivy, ou bien que je m’abuse :
Non, sans doute il est mort dans ce lieu malheureux,
Allons donc le trouver pour vivre plus heureux !
Dieux, esprits, ou demons, qui habitez ce sicle,
Prenez l’ame & le corps de la pauvre Amarille :
Et si vous la voulez doublement obliger*,
Faites tant qu’elle soit aupres de son Berger.
SCENE SIXIESME.
EN verité mon cœur il faut que je confesse
Qu’un extreme regret fort vivement me presse :
Je ne puis concevoir aucun contentement,
Quand de nos deux amis je vois l’esloignement
O certes Polydas nostre amitié juree,
A de vostre costé eu trop peu de duree :
Il falloit m’advertir de ce mauvais dessein,
Ainsi qu’en pareil cas je t’eusse ouvert mon sein :
Mais ma Nymphe dys moy si jamais Lidiane
Ne te l’a descouvert,
Non, je jure Diane :
Elle estoit trop [finette*](#finet), & dans sa passion
Elle a tousjours monstré telle discretion :
Qu’on ne se fut douté de leur amour secrette :
Mais sans mentir Pasteur, sa perte je regrette
Car c’estoit ma compagne, & je croy qu’en ces lieux,
Tous objets desormais me seront [ennuyeux*](#ennuy).
Il est vray que leur fuite aporte un grand dommage,
Nous perdons nos hameaux & tout nostre village :
Outre leur entretien que je prisois beaucoup.
O cieux que de frayeur m’a surprise d’un coup
Quand pensant sommeiller j’ay ouy dedans la rue
Quelqu’un crier au feu d’une voix esperdue :
Nous n’avons je vous jure eu rien plus que le temps,
De pouvoir transporter nos meubles dans les champs
Et moy de mesme aussi mais desja l’on s’apreste
Pour faire reparer ce grand coup de tempeste,
Au plustart dans huit jours sera fait bastiment,
Capable de servir à nostre logement.
Il ne nous est resté qu’un petit toit à bestes,
Ou nous ne pouvons pas tenir droites, nos testes
Venez vous-en chez moy vous n’aurez pis ny mieux,
Dedans un mesme lict nous coucherons tous deux
Et si vous me ferez un honneur incroyable
Vous estes sans mentir pasteur trop charitable.
Je vous en remercie,
[Advisez*](#adviser2) seulement,
Car je vous traitteray assez modestement :
Vous aurez chaque jour un petit ordinaire,
Que vostre cœur demande & que le mien espere.
Rien moins, sçachez berger que le fruit & le laict
Sur tous les autres mets contentent mon souhait.
Bien je vous donneray du fruict de mon service
Qui vous donnant du laict vous peut rendre nourrice.
Ha c’est estre indiscret jusques au dernier point,
Ma belle pour cela ne te courrouces point.
Berger devenez sage & sans ceremonie,
Ou je me banniray de vostre compagnie.
Je l’ay tousjours esté, en doubtes-tu mon cœur ?
Vous estes insolent aussi bien que mocqueur :
Flattez moy maintenant.
Cela c’est [infaillible*](#infaillible).
Beauté qui peut [charmer*](#charme) une chose insensible :
Et la faire mouvoir de mesme que le vent,
Pardonne moy ce crime où je tombe souvent.
Il vous est pardonné adieu,
Adieu mauvaise,
Avant que de partir il faut que tu me baises.
Non, non vous avez tort, pasteur laissez cela.
O ciel je suis ravy, quel bon morceau voila.
S’il vous arrive plus de me mettre en cholere,
Berger je le diray sans mentir à ma mere.
Tu n’as garde à ce coup, adieu mon beau soleil,
Unique parmy nous comme au Ciel sans pareil.
SCENE SEPTIESME.
MIserable berger qui vois ton esperance
Mourir avec le fruict de ta perseverance :
Miserable berger qui vois l’inique sort,
Balancer ton destin dans les mains de la mort
Miserable berger mille fois miserable,
A qui le ciel refuse un effet secourable,
Et qui n’a plus d’espoir que celuy du trespas,
Pipé dans le desir d’un amoureux appas,
Regarde de quel fil on devide ta trame,
Depossedé de biens, d’honneur, & de ta femme :
Où pourras tu trouver desormais du bonheur,
Qui puisse dans la joye emporter ta douleur :
Le ciel n’en peut avoir, luy, la mer, & la terre,
Contre toy conjurez te declarent la guerre :
L’enfer n’a plus de rage à verser dessus moy,
De toutes ses horreurs je n’auray plus d’efroy :
Qu’il tonne, qu’il éclaire, & qu’en deluge abonde,
Qu’il brusle l’univers, qu’il abisme le monde :
Bref qu’il reduise tout en son ancien Chaots,
Je supporteray tout & d’un ferme propos,
Puis qu’en effet chacun employant sa rancune,
Ne me sçauroit punir que d’une mort commune.
Je ne m’estonneray de toutes ses fureurs,
O perfide Amarille ! ô credules Erreurs !
Vous m’avez fait penser que les yeux de ma face,
Pourroient aveq le temps faire fondre sa glace :
Vrayment elle eut raison quand elle dit un jour.
Que la mort finiroit le cours de mon amour :
Je vois bien maintenant son dire veritable,
La mort qui suit mes pas d’un [dart*](#dart) inevitable,
Dispute avecq nature à qui triomphera
Sur ma vie, & je croy que la mort gaignera :
J’y suis tout resolu, car aussi bien de vivre,
Et veoir tant de malheurs à tous momens me suivre,
Je souffrirois des maux pires que le trespas,
Adieu donc Amarille & ton cher Polydas,
Instrumens malheureux des impudiques [flames*](#flamme),
Execrables amans, adulteres infames :
Vivez, vivez, contans à ma [confusion*](#confusion),
Pour mourir maintenant je prend l’occasion :
Je la prend, non feray cela m’est trop sensible,
Il faut qu’às vous trouver je face mon possible :
Afin de me vanger comme vous meritez,
Dieux où est maintenant l’excez de vos bontez :
Où repose ce feu qui reduit tout en poudre,
Sera-ce l’innocent qu’on punira d’un foudre :
Ha seroit tesmoigner trop de severité,
Astres, cieux, terre & mer, voyez l’extremité :
O me reduit le sort des loix de mariage,
Vous en estes tesmoins bois, prez, roc, & boccage :
Admirez l’inclemence & le courroux des Dieux :
O inicques arrests o sort injurieux
Malheurs, tourmens, ennuis*, douleurs, soucis, rancunes,
N’abandonez jamais le cours de mes fortunes.
Le decret immortel l’a ainsi ordonné,
Je ne verray jamais mon tourment terminé :
Et si faut desormais qu’encor moins je l’espere,
Helas ! où allez vous, pauvre infortuné pere.
Mon gendre si jamais homme fut affligé,
Des rigoureux ennuis* que l’enfer a forgé.
Je crois avoir souffert sans avoir fait offence,
Tout ceux qu’onc inuentast cette noire puissance.
Depuis que l’on m’a dit ce qui t’est arrivé,
Que tu estois (helas !) de ta moitié privé,
O Dieux ! qu’un tel depart m’a ja cousté des larmes,
Qu’il m’a livré ce jour de cruelles alarmes :
O ma fille où es-tu ! [Las*](#las) faut-il que l’amour
T’ait fait donc esprouver un si funeste jour :
O traistre Polydas, ce malheureux profane
L’a sans doute emmenee avec sa Lidiane :
Dieux, que ne sçay-je où sont ces indiscrets Amans,
Je ne craindrois la mort ny tous les elemens :
Pour les aller trouver & sçay que mon espee
Du sang de ce berger seroit bien tost trempee.
Vous n’estes pas tout seul qui pleurez ce malheur,
J’ay bien autant que vous pris part à la douleur.
Il me touche de prés, car mon ame constante,
Eust gousté dans un mois le fruit de son attente.
Il est vray Floridon, helas c’est ce qui plus
Rend mon cœur atristé & mes sens tous confus :
Il n’y a nul mortel dedans nostre village,
Qui ne pleure avec nous ce desastreux dommage
Le ciel mesme aujourd’huy en a jetté des pleurs,
Les fleurs en ont perdu leurs plus vives couleurs,
D’aujourd’huy les oyseaux n’ont chanté leurs ramages,
Pan, l’Amour, & Zephir ont quitté nos bocages.
Les Echos amoureux en sont devenus sourds
Les eaux ont retenu dans la source leur cours.
Les arbres ont jetté leur plus belle verdure,
Les troupeaux ce jourd’huy n’ont voulu de [pasture*](#pasture) :
La terre de douleur en a crevé son flanc,
Les fontaines & puits n’ont produit que du sang.
Nos mastins n’ont mangé depuis l’heure je jure,
En fin tout participe au tourment que j’endure.
O cruel souvenir qui me donne la mort !
Helas meritons nous de ressentir ce tort ?
Quel mal avons nous fait digne de penitence ?
Mon gendre il faut du ciel tout prendre en patience.
Les Dieux qui ont borné le destin des humains
Ont encore pour nous le bon-heur dans les mains.
S’il plaist à leurs bontez le verser sur nos testes,
Nous viendrons à bon port malgré toutes tempestes.
Face le juste ciel & le grand Dieu d’Amour,
Que je voye bien-tost ma femme de retour :
Pleine d’amour pour moy avec ce chaste gage,
Qui depuis un long temps me retient en servage.
Je les en prie aussi de pure affection,
Dieux, mettez bien tost fin à nostre affliction.
Retournons au hameau & voyons l’assemblee,
Qui de tant de malheurs est grandement troublee :
Je croy qu’on est apres pour faire reparer
Le mal que Polydas est venu preparer.
A tout le voisinage ! O bons dieux, que les filles
Sont cause de tourmens pour estre trop fragiles.
Que ne leur a-t-on fait un esprit moins malin,
Puisque c’est le secours du sexe masculin ?
ACTE V
SCENE PREMIERE.
AMis de qui je tiens le repos & la vie,
Que la fureur des eaux m’avoit presque ravie :
Que je suis obligee* à vostre bon secours,
Je m’en resouviendray le reste de mes jours :
Et si je ne fais pas d’esgalle recompense,
Sachez mes bons amis que je ne m’en dispense,
Ce bien receu de vous ne s’oublira jamais,
J’espere avec le temps vous rendre satisfaits.
Non pas si justement que merite la chose
Mais selon la raison que mon esprit propose.
Bergere grand mercy je n’eusse pas pensé
Devoir estre de vous si bien recompensé.
Ma foy ny moy non-plus; car de toute l’annee
Nous n’avons tant gaigné comme cette journee.
Nous voudrions tous les jours prendre de tels poissons,
Et si ne nous faudroit lignes ny hameçon.
Faites vostre proffit,
Que tout vous soit prospere.
A dieu donc chers amis.
Adieu.
Parle compere,
Allons vendre à Paris ce riche diamant,
Puis nous partagerons l’argent ensemblement :
Afin d’en acquerir quelque bon heritage.
Nous boirons en passant dans ce petit village.
Agreable sejour, arbres, cypres, jasmin,
Pour trouver Polydas monstrez moy le chemin :
Voicy le mesme lieu où l’ingratte fortune,
Nous separa tous deux de façon non commune.
Helas où peut il estre, ô soleil radieux !
Pour le veoir maintenant preste moy tes beaux yeux :
Et toy puissant amour qui nous cognoist fidelles,
Pour l’atteindre bien tost preste moy tes deux aisles.
Et pour ta recompense un autel je promets,
Où le musque & l’encens fumeront à jamais :
Je ne puis te promettre à present davantage,
Bons Dieux, que j’ay desir de revoir son visage :
Tant je crains qu’un malheur ne luy soit survenu,
Par ce maudit chemin du bon-heur incognu :
[Las*](#las) s’il n’a point trouvé de basteau pour me suivre,
Que quelqu’un ayt voulu nostre fuite poursuivre.
Et qu’on l’ait rencontré cheminant en ce lieu :
Si l’on doute qu’il soit la cause de ce feu,
On l’emprisonnera, o soleil de Justice,
Destournez de son chef le mal qui suit son vice :
O dieux que l’imprudence aporte de malheur !
Que j’ay depuis ce jour supporté de douleur !
Il faut qu’incessamment je pleure & je souspire,
Je ne verray jamais la fin de mon martyre :
Car mon destin le veut, & le ciel endurcy
Prend plaisir quand il void me tourmenter ainsi.
Fidelles deputez de tout le voisinage,
Pour rechercher celuy qui de nostre village
A la perte causé par un embrasement,
Commis pour enlever ma femme nuictament :
Nous voicy delivrez tantost de nostre queste,
Sans que nostre labeur soit orné de conqueste :
Il ne nous reste plus qu’à veoir icy autour,
Si ce traistre berger cependant qu’il fait jour :
Ne se retire point dedans quelque bocage,
A l’escart du chemin le long de ce rivage :
Voyons, voyons par tout, je pense voir là bas
Celle qu’a tant aymé le berger Polydas,
Il n’est pas esloigné qu’on se saisisse d’elle,
Et qu’on la traitte icy comme une criminelle.
Quelle trouppe de gens se descouvre à mes yeux
Pour ne les rencontrer je fuiray devant eux.
Suivez suivez enfans cette Biche legere.
Amis que voulez vous d’une pauvre bergere ?
Que tout presentement vous nous faciés sçavoir
Où est ce Polydas,
Il n’est en mon pouvoir :
Car ne l’ayant pas veu depuis une journee,
Je ne vous puis respondre,
Il vous a emmenee,
Et Amarille aussi,
Rien moins, croyez pasteur
Que jamais Polydas ne fut d’un crime autheur.
Vous estes trop rusee & pleine de malice,
Sus, allons la livrer és mains de la Justice.
SCENE DEUXIESME.
NOus qui tenons des Dieux la balance à la main,
Pour juger icy bas le differend humain :
Alors que l’equité plus forte que le vice,
Fait veoir devant nos yeux où reigne la Justice :
Adjugeant le bon droict à ceux qu’il appartient,
Cause qu’en l’univers tout chacun se maintient :
Mais encor qu’aygrement on punisse le crime,
Si est-ce toutesfois qu’on n’en fait pas d’estime
Le mortel ne craint point le tourment preparé
Quand à faire du mal il s’est deliberé :
Nous en voyons l’exemple arriver à toute heure,
Et mesme en Polydas.
Tout chacun veut qu’il meure
Si tost qu’il sera pris,
J’en suis d’avis aussi :
Mais encore faut-il examiner cecy,
Vous sçavez que l’amour a de si puissans [charmes*](#charme),
Que pour luy resister on ne trouve point d’armes :
(Que tant de grands, heros de nostre antiquité,
Ont commis tels delits sous sa divinité :
Sans pouvoir de ses mains retirer leur franchise)
Qu’il semble que le ciel ayt ceste loy permise :
Puisque les Dieux autheurs de tels ravissemens
Ont fait ce qu’aujourd’huy font ces jeunes Amans.
Or il semble en ce cas que l’amour est coulpable
Polydas innocent & l’action blasmable :
Mais digne de la mort je ne le juge point,
Monsieur pardonnez moy, considerant un poinct
Grandement decisif, je veux vous faire dire
Qu’il merite la mort, que le peuple desire :
Premierement ce faict regarde tout chacun,
S’il n’estoit chastié, il se rendroit commun :
En second lieu le ciel nostre debvoir oblige,
A retrancher le pied d’une mauvaise tige :
Outre que la raison veut que tout malfaicteur,
Reçoive le tourment dont son crime est autheur.
Or il n’a pas commis seulement pour un crime
Mais il en a fait trois, dont le moindre j’estime
Estre assez suffisant pour le faire mourir :
Sans qu’il ose à nos loix sa grace requerir :
S’il avoit seulement enlevé sa maistresse,
On ne l’estimeroit qu’un tour de gentillesse :
Mais il est accusé de rapt violement,
D’adultere impudique, & d’avoir nuictanment
Mis indiscretement le feu dans le village,
Dont s’en est ensuivy l’injurieux dommage :
Decquoy chacun se plaint : c’est pourquoy sans mentir,
Sa condamnation ne se peut [divertir*](#divertir3).
L’on doit punir celuy qui au mal persevere
Et non du premier coup quand la coulpe est legere.
Celuy que l’on [commet*](#commettre) pour punir le mesfait*,
S’il se laisse emporter, est complice du faict :
Il ne se peut commettre une faute plus grande,
Et sa vie en effet n’en peut payer l’amande.
Un juge trop severe a renom d’un tyran.
Favoriser le mal est un crime [appariant*](#apparier) :
Le Juge doit porter la moitié de la peine,
Il faut avoir pitié de la nature humaine.
Le ciel commande expres de punir les meschants,
Il nous commande aussi d’estre doux en tout temps.
Celuy doit estre heureux qui rendra la justice,
Je croy qu’en pardonnant on fait un bon office.
Ouy bien si vous estiez tout seul interessé,
Le peuple ne peut rien où ma voix a passé.
Il en peut appeller devant la juste essence,
Il ne faut point juger contre sa conscience.
J’en demeure d’accord le droit le veut aussi,
Selon mon sentiment je jugerois ainsi.
Certes, seroit tres-mal balancer cette affaire,
Vous changerez d’advis la preuve estant plus claire :
Je chageray d’advis s’il aparoist un peu,
Que ce soit Polydas qui ayt mis le feu,
Voicy nos deputez de retour de leur queste,
Entendons les parler Floridon s’y apreste.
Grands Juges deleguez par les dieux icy bas,
Pour reprimer le vice & calmer les debats :
Sachez qu’apres avoir couru cette contree,
Sans avoir de nos pas la cause rencontree :
Nous reprenions desja le chemin de ce lieu,
Lors que nos yeux guidez par quelque puissant Dieu,
Nous ont fait descouvrir au bord de la riviere
Assez proche de nous cette jeune bergere :
Fille de Luciane & la cause en effect,
Du pernicieux tour que Polydas a faict :
Elle sçait où il est, mais elle est si rusee,
Qu’elle croit rendre encor la justice abusee.
Bergere aproche toy, parle icy librement,
Ne me recelle rien pour crainte du [tourment*](#tourment) :
Si tu es innocente autant que veritable :
Nostre ame à la pitié se rendra favorable :
Mon pouvoir maintenant tel que celuy des Dieux,
Te peut donner la vie ou te l’oster comme eux :
Advise donc icy que ton [affetterie*](#affetterie),
Ne dise devant nous aucune [manterie*](#menterie) :
Dits nous presentement où est ce Polydas,
Qui nous a tant causé de plaintes & debas.
Arbitres souverains des affaires du monde,
Sur qui chacun mortel son esperance fonde :
Pour tirer la raison de l’infidelité,
Je vous veux declarer toute la verité.
Ainsi que je ferois si le maistre au tonnerre,
Estoit au lieu de vous maintenant sur la terre.
Mais permettez aussi que la douce pitié,
Trouve chez vous pour moy quelque trait d’amitié.
Nous te l’avons promis parle avec hardiesse
Le berger Polydas de qui j’estois maistresse,
M’a long temps fait l’amour sans que comme j’ay sçeu,
Aucun de mes parens l’ayt [oncques*](#oncques) aperceu.
Mais un jour ramenant nostre trouppeau de paistre,
Arrive que ma mere estant à la fenestre,
Vid ce jeune pasteur qui feignant de causer,
Par surprise emporta de ma bouche un baiser,
Ce qui la contraignit à me tenir captive,
Malheur, cause à present que tout ce mal arrive.
Car ce pauvre berger ayant sçeu ma prison,
L’amour qui dominoit ses sens & sa raison :
Luy ouvre le moyen propre à son entreprise,
Resolvant par le feu de mettre en [franchise*](#franchise1) :
Et de fait par un mot il me le fit sçavoir,
Mais d’y remedier n’estoit en mon pouvoir :
Car ne pouvant sortir pour calmer cette orage,
Je dispose mes pas à suivre ce vollage :
Et l’heure estant venuë & le feu allumé,
Pendant que tout chacun de la peur allarmé :
Pour l’esteindre couroit aux rives de la Seine,
Par un autre costé cét indiscret m’emmeine :
Nous cheminons tous deux jusques au bord de l’eau,
Ou s’estant rencontré un seul petit basteau :
J’y saute habilement, luy demeure à la rive,
Afin de le lascher, mais un malheur arrive :
Le plus grand qu’un esprit se puisse imaginer,
La corde se rompit & l’eau vient entrainer :
Dans son fil le basteau où seule je demeure,
Appellant du secours, je soupire, je pleure :
Mais en vain tout cela car nostre affection,
Trouva par ce moyen sa separation :
Je n’ay depuis ce jour veu le berger que j’ayme :
Apres je me trouvay dans un danger extreme :
Car voyant pres de moy une isle dont l’abord,
Me sembloit fort facile à sauter sur le bord :
Je me lance à l’instant sur le sable où je glisse,
Et tombant dedans l’eau je souffre un tel supplice,
Qu’il m’alloit de la mort faire franchir le pas,
Si deux pauvres pescheurs estans un peu plus bas
Avecque leurs filets ne m’eussent repeschee,
Et apres que chez eux je fus un peu seichee :
Je les priè tous deux de m’amener icy,
Pensant y retrouver l’objet de mon soucy.
Mais je n’ay eu plustost mis le pied sur l’arene
Que surprise à l’instant devant vous on m’ameine
Voyez donc maintenant si je puis avoir tort,
Et si vous me jugez coulpable de la mort,
Car tout ce que j’ay dit est aussi veritable
Que le soleil nous voit sur la terre habitable :
Et si j’ay parlé faux d’un seul poinct seulement,
Que [Jupin*](#jupin) de ses feux me brusle en un moment.
Vous en avez trop dict pour paroistre innocente
Vostre ennuieux* discours rend la preuve evidente :
Monsieur qu’en dittes vous, selon mon jugement :
Il la faut condamner à mourir :
Nullement,
Sachons encore d’elle un moyen tres-utile,
Où avez vous laissé la bergere Amarille.
Je croy qu’elle est chez elle & Floridon present,
Vous peut mieux que moy dire où elle est à present.
Quoy n’estoit elle pas de la mesme entreprise ?
Je ne le pense pas
Messieurs elle deguise
Il faut que promptement on la face mourir,
C’est le moindre tourment qu’elle puisse encourir.
Je le veux, mes amis, je cognois son offence,
Aprochez vous de moy pour ouyr sa sentence.
Voyez que la jeunesse a peu de jugement,
L’amour dans le peril l’a jetté librement,
Bergers levez le nez à quoy prenez vous garde,
Je ne sçaurois escrire alors qu’on me regarde.
Nous Juges deleguez par saincte eslection,
Pour les cas contenus en l’information.
Par jugement dernier condamnons Lidiane,
Comme attainte du crime odieux & profane :
A mourir dans le feu de la grotte aux démons,
Le berger Floridon avec ses compagnons,
Seuls executeront la presente sentence,
Où nostre authorité imposera silence :
Lors que la nuict viendra dessus nostre horison,
Ordonnons cependant qu’elle tiendra prison.
Ou juste ciel faut-il que je meure innocente,
Emmenez la bergers,
Gardez qu’elle s’absente.
SCENE TROISIESME.
Bons Dieux qu’il court icy un effroyable bruit,
Lidiane mourra auparavant la nuict.
Sa sentence de mort vient d’estre prononcee.
Helas qui vous l’a dit,
C’est la vieille Macee.
O cieux que dites vous helas je n’en puis plus
Pysandre soutenez mes membres abattus :
Ce sensible regret touche si fort mon ame,
Qu’elle va s’envoler vers la celeste [flame*](#flamme).
Ma Nymphe prend courage il ne faut pas mon cœur,
Se laisser emporter si fort à la douleur :
Reprends un peu tes sens & tiens pour veritable
Que sans doubte le ciel luy sera favorable.
Ha laissez moy mourir,
Le ciel ne le veut pas.
Mais encor que dit-on du berger Polydas.
On ne sçait où il est,
Comme a elle esté prise.
Dessus le bord de l’eau où elle estoit assise.
Pauvre bergere helas que je plains tes malheurs,
Pasteur voicy sa mere, escoutons ses douleurs ;
Bergers une faveur, dites si les nouvelles,
Que l’on dit de ma fille asseurement sont telles.
Nous le venons d’aprendre & croy que nul de nous,
N’en sçait pas à present d’avantage que vous.
Il faut donc passer outre, ô ciel inexorable !
Nous yrons avec vous si l’avez agreable.
Tres volontiers cousin vous m’obligerez* fort,
Pancrace est icy pres qui m’atend demy mort,
Nous irons chez le Juge avec luy tous ensemble,
Dieux je ne puis aller tant, tout le corps me tremble.
Prestez moy vostre main pour marcher fermement,
Pan face reussir le tout heureusement.
SCENE DERNIERE.
VOicy le lieu Bergere où il faut que ta vie,
Pour punir ton forfait soit des flames ravie.
Advise si tu veux avant que de mourir,
Sur ce faict important quelque cas descouvrir.
Nous te pouvons encor sauver du sacrifice,
Nous livrant Polydas pour en faire Justice :
Vois, regarde, consulte, advise sur ce cas,
Je te donne du temps autant que tu voudras.
[Las*](#las) comment voulez vous grand Juge venerable,
Que je mette en vos mains un pauvre miserable :
Qui comme vous voyez gravé sur ce perron.
A desja traversé le fleuve d’Acheron.
Ce seroit m’obliger à plus que l’impossible,
Sus [sus*](#sus) je veux mourir sa mort m’est trop sensible :
Qu’on ne differe plus le moment de ma mort,
Amis depeschez vous je veux franchir ce port.
Vivre sans Polydas le jour est sans lumiere,
Qu’on me pardonne ou non voicy l’heure derniere :
Que le soleil verra tous mes [travaux*](#travaux) finir,
Car l’ame de mon corps s’en va se des-unir :
Il me semble desja que je te vois belle ombre,
Suivie dans ces lieux par des ames sans nombre,
Qui t’admirent voyant ton esprit nompareil,
Croyant que devers eux soit allé le soleil :
Je t’y veux suivre aussi, ame plus qu’adorable
Qui toute seule rend cette grotte admirable :
Bel ange je te suis, tu m’apelle, attend moy,
Mon ame va partir pour courir apres toy.
Pasteurs soustenez la l’exceds du mal l’emporte
Hastons nous car j’ay peur qu’elle soit desja morte.
Non fera, non fera,
O bon dieux ! s’en est faict,
Sa vie a expié son enorme forfaict.
Quoy là on fait mourir sans ouyr sa deffence :
Non, l’estat où elle est vient d’une deffaillance.
Ma fille ouvre les yeux parle un mot seulement
[Las*](#las) ! pourquoy venez vous rengreger mon tourment ?
Ma mere pardonnez à ma [flame*](#flamme) indiscrette,
Et me laissez souffrir la mort que je souhaite.
Helas ! Pourquoy faut-il que tu meures aujourd’huy ?
Si cela dure encor je pleureray d’[ennuy*](#ennuy).
L’amour va perdre en elle un de ses puissans [charmes*](#charme),
Mes yeux ne peuvent plus en retenir leurs larmes.
La pitié me transit & voudrois en ma foy,
Que l’on la pût sauver, il ne tiendroit à moy.
Jeunes filles pleurez vostre pauvre compagne,
Que la larme tousjours vostre visage bagne,
Et vous braves pasteurs à mon malheur presens,
Voyez si mes ennuis* ne sont pas bien cuisans.
Avez vous assez dit, sus depeschez vous femme,
Si jamais la pitié trouva place en vostre ame,
Grand arbitre des Dieux, qu’en jugeant vous servez,
Retractez vostre arrest puisque vous le pouvez.
Ou s’il ne se peut pas, permettez moy de grace
Pour sauver mon enfant que je meure en sa place :
Ou bien si vous jugez le mal trop odieux,
Pour me faire plaisir condannez nous tous deux.
C’est par trop discourir jettez dans la fournaise,
[Las*](#las) permettez encor qu’un seul coup je la baise;
Adieu ma chere fille, ha je ne puis parler.
Ma mere, adieu, le ciel vous veuille consoler,
Sage & juste Minos octroyez la priere,
Que vous fait à genoux cette dolente mere :
La trouppe que voicy vous en prie par moy,
Non, non, n’en parlez plus, berger depéche toy.
Demeurez malheureux cessez vostre vengeance,
Aprochez ceste grotte & me prestez silence :
Je sors des noirs [palus*](#palus) de l’abysme infernal,
Pour venir empescher vostre dessein brutal :
Je suis l’[Ombre*](#ombre) sans corps du renommé Castrape,
Fils d’un Dieu, né d’un Roy, & [nepveu*](#nepveu) d’un satrape :
Dont le pouvoir cogneu sur la terre en tous lieux,
La fait craindre autrefois des hommes & des Dieux :
Quand pour executer quelque rare entreprise,
Il falloit par mon art captiver la franchise :
De la terre, & la mer, du Ciel, & des enfers,
Mettre les Dieux captifs, & les Demons aux fers.
L’eau montoit dans le Ciel, le Ciel estoit sur terre,
Les Elemens trembloient, j’enfermois le tonnerre.
Bref, tout ce qu’impossible estoit au temps passé,
Estoit aussi tost fait que je l’avois pensé :
Mais parce qu’en ce lieu j’ay apris ma science,
Que j’y fis mon tombeau, que j’y pris ma naissance :
J’en ay tousjours eu soin & ne desirant pas
Qu’aucun malheur jamais vint troubler vos esbas,
Je bastis cette grotte où jusques à cette heure,
Mon [Ombre*](#ombre) a presque fait jour & nuict sa demeure :
Ayant preveu le mal qui devoit opprimer
Ces fidelles amans pour par trop leur aymer :
Polydas ayant veu tomber dans la riviere,
Sans espoir de secours son aymable bergere,
Se vint precipiter dans cét antre fumeux,
Puis Amarille apres d’un esprit genereux,
Voyant que ce berger oubliant sa promesse,
Ne l’avoit enlevee ainsi que sa maistresse :
S’y vint jetter aussi, mais moy les yeux au soin,
Jugeant que de mon art ils avoient grand besoin,
J’ay [curieusement*](#curieusement) conservé leur personne,
Mais entendez par moy ce que [Jupin*](#jupin) ordonne :
Pour nourrir entre vous l’amitié desormais,
Et dedans vos maisons faire reigner la paix :
Le Ciel veut que Pancrace espouse Luciane,
Que Polydas aussi ayt sa Lidiane.
Pysandre, Cleanide & qu’aussi Floridon
Prenne son Amarille & luy fasse pardon :
Allez tous vivre heureux, gardez que l’imprudence,
Ne vous fasse oublier cette saincte ordonnance :
Chacun retrouvera son logis rebasty,
Mes esprits diligens sont ce matin sorty :
Avec commandement qu’avant la nuict prochaine
Vostre perte se trouve une chimere vaine :
Souvenez vous tousjours du grand bien que vous fait,
L’[ombre*](#ombre) du grand Castrape admirable en effet,
Allez jouyr chacun des douceurs amoureuses,
Je retourne au sejour des ames bienheureuses.
Puisque des immortels telle est la volonté,
Je veux que mon Arrest ne soit executé :
Bergers viste, mettez Lidiane en franchise*,
Je vois bien que le Ciel ses Amours favorise :
Dieux ! quel contentement, ô l’agreable arrest !
Luciane aprochez, baisez moy je suis prest.
Helas ! qui eust pensé qu’apres tant d’infortune
Il nous deust arriver une telle fortune ?
Ma fille vous avez vostre contentement,
Baisez moy, puis allez embrasser vostre amant :
Et que chacun berger face ainsi de la sienne,
Pour moy je suis contant des baisers de la mienne :
Veillé-je ou si je dors adorable beauté,
Croyrai-je en vous baisant que ce soit verité ?
Ha mon cher Polydas que d’estranges merveilles
Je ne sçay si mes yeux demantent mes oreilles.
Que de bon-heur nous suit certes faut advouër
Que le ciel nous cherit & qu’il le faut loüer.
Chere ame en verité les Dieux sont adorables,
Aux maux desesperez se rendans secourables.
O ma douce Amarille, ô ma chere moitié !
Vivons tous deux contans en parfaite amitié.
Vange toy Floridon de mon ingratitude,
Je veux vivre à jamais dessous ta servitude.
Amis je suis fasché qu’il faille qu’un adieu
Me face incontinent abandonner ce lieu :
Mais n’estant nay berger, Paris qui me souhaite,
M’obligera bien tost d’y faire ma retraitte :
Et toy fidelle amy que le ciel m’a donné,
Pour rendre maintenant mon malheur terminé,
Reçois ce souvenir de nostre bien-veillance,
Si tu ne veux venir au lieu de ma naissance,
Où j’espere emmener cette rare beauté,
Pour la faire honnorer comme elle a merité,
Mais je veux qu’en ce lieu nostre Hymen s’acomplisse,
Enfans vivez joyeux que tout vous soit propice.
Le Ciel puisse benir nos amours triomphans,
Afin que dans neuf mois nous ayons quatre enfans :
Le suppliant (monsieur) pour vostre recompence
Qu’il vous puisse donner les cornes d’abondance.
Allons, retirons-nous auparavant la nuict,
Et chacun pense à soy pour l’amoureux [desduict*](#desduict),
Afin que le plaisir dans le lict nous assemble,
Et qu’à [coigne festu*](#coignefestu) pas un de nous ressemble.
FIN.