LES
AMOURS
D’OVIDE.
PASTORALE HEROIQUE.
A MONSEIGNEUR
COLBERT
CONSEILLER DU ROY
En tous ses Conseils, & Intendant
De ses Finances.
Il y a long-temps que j’aurois pris la liberté de vous dedier quelques-uns de mes ouvrages, sans les grandes affaires qui vous occupent continuellement ; cela me faisait apprehender de vous dérober quelques-uns de ces momens precieux que vous employez à executer les ordres du Roy. Mais comme feu S.E a bien voulu quelquefois se delasser l’esprit dans la lecture de mes écrits ; j’ai crû que vous n’auriez pas desagreable que j’eusse l’honneur de vous presenter celuy-cy, & que j’entreprisse quelque jour de faire vostre Eloge. Vous ne pouviez jamais avoir une marque plus infaillible de vostre merite*, que l’estime* que ce grand Ministre a faite de vous, & le choix que S.M en a fait en suite pour l’administration de ses finances, la chose la plus delicate & la plus importante d’un Estat. Les Romains qui estoient de sages Politiques, éprouvoient par ces charges la fidelité & la [suffisance*](#suffisance) de leurs Citoyens ; Il vous est fort glorieux, MONSEIGNEUR, que ce soit dans le temps que vous avez le maniement des finances que la France ait commencé à faire des largesses, & que le Roy ait répandu ses libéralitez sur la fleur* des gens de Lettres de ce Royaume, & les actions [illustres*](#illustre) des plus grands Monarques ne suffisent pas pour les rendre immortels, si quelqu’un ne prend soin d’en conserver la memoire. Mais ces excellents Genies sur qui S.M a fait éclater* ses bienfaits, n’en seront pas ingrats, & feront retentir son Nom de siecle en siecle, & d’un bout du monde jusques à l’autre. Le regne de Louys XIV se rendra plus fameux à la posterité que celuy du II. des Cesars : sous la domination d’un Prince plus parfait qu’Auguste, les Armes & les Sciences fleuriront dans cét Empire avec plus d’éclat* qu’elles n’ont fait autrefois dans Rome. Ovide, cét [illustre*](#illustre) malheureux, après en avoir esté injustement exilé, vient chercher un azile dans cette Cour ; il espere estre mieux receu en France que dans sa propre patrie & se promet* que vous aurez la bonté d’estre son Protecteur : son crime n’est que d’avoir esté trop [galant*](#galant1), & d’avoir enseigné un Art, sans qui la moitié du monde seroit ennemie de l’autre. Ce Chevalier Romain ayant faire l’Art de plaire, qui a esté admiré de toute la terre ; j’ai crû que je pourrois faire une Comedie de luy, qui ne déplairoit pas. Depuis plusieurs années j’ay mis en lumiere divers Escrits en vers & en prose, sans en avoir tiré autre avantage que de les avoir presentez à ce que la France avoit de plus Auguste & de plus Eminent. Bien que nous soyons dans un temps où les Muses sont mieux traitées par les Graces ; de quelques maniere que l’on considere mes ouvrages, je m’estimeray assez heureux, si vous ne me refusez pas l’honneur de vostre protection*, & si vous me permettez de prendre la qualité,
De vostre tres-humble & tres-obeïssant serviteur,
GILBERT.
EXTRAICT DU PRIVILEGE du Roy.
Par Grace* & Privilege du Roy donné à Paris le dix-neufiesme Juillet 1663.signé par le Roy en son conseil MARESCHAL; Il est permis à CLAUDE BARBIN, Marchand Libraire, de faire imprimer, vendre & [débiter*](#debiter) une Comedie intitulée, Les Amours d Ovide par Monsieur Gilbert, & ce durant le temps & espace de sept ans ; & deffences sont faites à tous les autres d’ imprimer, vendre et [debiter*](#debiter) ledit livre sans permission dudit Barbin, à peine de mil livres d’amande, & de tous despens, dommages & interets, comme il est porté plus amplement par lesdites Lettres.
Et ledit Barbin a fait part de son Privilege à Guillaume de Luyne, & Estienne Loyson, pour en jouir le temps porté par iceluy.
Achevé d’imprimé pour la premiere fois le 20 Aoust 1663.
PROLOGUE
DES
GRACES.
Nous sommes de Venus les compagnes fidelles,
Qui venons presider aux festes solemnelles,
Que l’Amour, pour charmer* ses regrets infinis,
Fait celebrer dans Cypre en l’honneur d’Adonis.
De cinq ans en cinq ans, une [pompe*](#pompe) si belle
Par l’ordre de Venus tousjours se renouvelle :
Le premier jour on donne un pris à la beauté ;
Le second à l’[amant*](#amant2) qui l’a mieux mérité ;
Et le troisiéme jour cette Isle [fortunée*](#fortune),
Voit descendre du Ciel le [pompeux*](#pompeux) Hyménée,
Qui joint de nœuds sacrez & de chaisnes d’aymant,
La plus parfaite Nymphe au plus parfaict [Amant*](#amant2).
Afin qu’heureusement on aborde en cette Isle,
Tant que la feste dure, on voit la mer tranquille :
Et les petits Amours de roses couronnez,
Tiennent dessus les flots tous les vents enchaisnez :
Excepté seulement le [gracieux*](#gracieux) Zephiré*,
Qu’Eole laisse en paix regner dans son Empire,
Qui prend soin des Vaisseaux qui voguent vers ce bord,
Et d’un soufle amoureux les conduit dans le port.
Mais parmi tant d’Amans & d’illustres Amantes,
Qui brillent à l’envi de qualitez [charmantes*](#charmant),
Et de toutes les Cours viennent dans cette [Cour*](#cour2),
Afin de [disputer*](#disputer) les Couronnes D’Amour,
Ovide avec Corinne, Hyacinthe & Cephise,
A qui ce Dieu vainqueur a ravi la [franchise*](#franchise),
Sont les plus renommez qui vivent sous ses loix
Et sont les seuls aussi dont nous avons fait choix,
Ce Grec & ce Romain, tous deux d’[illustre*](#illustre) race,
Desguisez en pasteurs* auront beaucoup de [grace*](#grace2),
Et la Mere d’Amour en faveur d’Adonis*,
Veut que sous ces habits on dispute les prix.
Allons donc, donner ordre* à la Ceremonie.
Pour combler les Amans d’une [gloire*](#gloire1) infinie,
De l’[élite*](#elite) des fleurs qui naissent dans ces lieux,
Allons pour couronner leurs fronts victorieux.
ACTEURS.
RECIT.
Venez, Amans, dans ces beaux lieux,
Où par l’ordre de Citherée
Les Graces descendent des Cieux,
Pour venir presider à la Feste sacrée ;
Venez voir Triompher sur les flots applanis
Venus & les Amours en faveur d’Adonis.
ACTE I
SCENE PREMIERE.
Et bien, que dites-vous de cette Isle sacrée,
Des plus beaux feux du jour en tous temps esclairée,
Où regnoit Adonis, où Venus tient la [Cour*](#cour2) ;
Où l’on vient [disputer*](#disputer) des [Climats*](#climat) d’alentour,
La Pomme d’or qu’Amour donne à la plus parfaite ;
Où ce Dieu recompense une flame* discrette ;
Où celle qu’on couronne icy publiquement,
Elle mesme est le prix du plus parfait [amant*](#amant2) ?
La ville des Cesars est-elle plus [galante*](#galant1) ?
Qu’en croit Ovide enfin ?
Cette Isle est plus [charmante*](#charmant) ;
Ses heureux habitans pour la [gloire*](#gloire2) sont nez,
Et de tous les mortels sont les plus fortunez*.
Rome ne voit les Dieux qu’en statuë, en peinture,
Ils sont presens en Cypre, & non pas en [figure*](#figure).
La Celeste Venus, & les Graces encor
Font dans ce doux [climat*](#climat) revoir le siecle d’or.
Le soleil n’y produit que d’agreable choses,
Les champs y sont couverts de Myrrhes & de Roses ;
Des ruiseaux de cristal coulant parmi les fleurs
Conservent leur fraicheur & leurs vives couleurs ;
Il n’est rien de plus doux que l’air qu’on y respire,
Tout y rit, tout y plaist, d’aise l’on y souspire ;
Et des bois d’orangers sont des nuits en plain jour,
Où l’on peut [decider*](#decider2) tous les [doutes*](#doute1) d’Amour.
Nos Nymphes à vos yeux sont-elles agreables ?
Vos Nymphes à mes yeux sont toutes [admirables*](#admirable),
La blancheur de la neige éclate sur leur tein
Et leur levre est d’un feu qui jamais ne s’esteint ;
De leur esprit [charmant*](#charmant) l’[entretien*](#entretien) est si rare,
Que c’est un labyrinthe où la [raison*](#raison1) s’égare ;
On ne peut sans peril voir souvant tant d’[appas*](#appas).
Ovide s’en plaint-il ?
Non, je ne m’en plains pas.
Vous sçavez adoucir la beauté la plus [fiere*](#fier),
Si je me puis vanter de sçavoir l’art de plaire,
Le secret est d’aymer, si l’on veut estre aymé.
Quelque Nymphe en ces lieux vous a-t-elle charmé* ?
La plus belle, Hiacinthe a ravy ma [franchise*](#franchise).
Mais quelle est-elle enfin ?
C’est l’[aymable*](#aimable) Cephise.
Vous aymeriez Cephise ! ah ! je ne le croy pas.
Quoy ! pour se faire aymer, manque-t’elle d’[appas*](#appas) ?
Elle n’en a que trop, elle n’est que trop belle.
Pourquoi [doutez*](#douter)-vous donc, que je brulle* pour elle ?
Mon plus parfait amy seroit-il mon Rival ?
L’Amour & l’amitié ne s’accordent* pas mal ;
Car comme l’amitié naist de la ressemblance,
Celle à qui vous pensez, est celle à qui je pense.
Afin de destourner ce [fatal*](#fatal1) [accident*](#accident2),
[D’abord*](#d-abord) de mon Amour je vous fis [confident*](#confident),
Et vous dis que mon cœur souspiroit pour Cephise.
J’usay vers vous [d’abord*](#d-abord) de la mesme [franchise*](#franchise),
Et vous dis que Corinne avoit sceu m’enflammer*.
Mais je ne l’ayme pas.
Vous la pouvez aymer,
Sans que pour ce sujet Ovide vous [querelle*](#quereller).
Je n’ayme que Cephise, & je luy suis fidelle ;
Mais mon Amour est grand, il est né dés longtemps.
J’ayme autant en un jour, qu’un autre ayme en dix ans.
Pour demeurer amis que devons-nous donc faire ?
Continuer tous deux de tascher* à luy plaire,
Et que le moins heureux la cede à son Rival,
Sans en estre jaloux, ni luy vouloir de mal ;
Puis qu’elle est à nos yeux [esgallement*](#egalement) [aymable*](#aimable),
Prenons donc ce [party*](#parti1) que je croy [raisonnable*](#raisonnable2).
J’y consens volontiers.
Et moy pareillement.
Depuis cinq ans entiers qu’Hyacinthe est [amant*](#amant1),
Parlons en vrais amis sans user de [finesse*](#finesse),
A-t’il quelques [faveurs*](#faveur) de la belle [Maistresse*](#maitresse) ?
Nulle.
Je ne la sers* pour moy que depuis peu,
Et devant ses beaux yeux j’ay fait [briller*](#briller2) mon feu* :
Mais malgré sa [pudeur*](#pudeur) & sa [vertu*](#vertu) [severe*](#severe),
A mon [ardente*](#ardent) Amour elle n’est point contraire,
Et pour me tesmoigner qu’elle m’ayme en effet,
C’est qu’elle a bien voulu recevoir mon portrait.
Je ne puis aisement [croire*](#croire2) cette nouvelle.
Elle porte un miroir dont la glace est fort belle,
Mon portrait est derriere, & vous le pourrez voir
En tirant le ressort fort facile à mouvoir ;
Vous pouvez aisement voir Cephise à toute heure,
Puisque nous habitons cette [aymable*](#aimable) demeure,
Et que ceux qu’on choisit pour [disputer*](#disputer) les prix,
Logent durant la feste aux Jardins d’Adonis.
L’habit que nous portons donne quelque [licence*](#licence).
Des mœurs du premier siecle il fait voir l’innocence ;
Encor qu’il soit [modeste*](#modeste), il est fort [glorieux*](#glorieux2)[,]
L’Amour change en Bergers les Heros & les Dieux.
Mais j’apperçoy Cephise & Corinne avec elle.
Il faut dissimuler nostre [illustre*](#illustre) [querelle*](#quereller) ;
Vous ayant en amy descouvert mon secret,
Vous sçaurez [en user*](#user) en [confident*](#confident) discret.
SCENE II.
Nous venons admirer vostre rare [merite*](#merite),
Et nous avions dessein de vous rendre visite,
Mais vos esprits [charmants*](#charmant), dont les cœurs sont tentez,
Sont des traits* dangereux contre nos libertez.
L’agreable Cephise & l’[aymable*](#aimable) Corinne,
Par leur majesté* douce & leur [grace*](#grace2) divine,
Des deux sexes vaincus triomphans dans ce jour,
L’un pleure de [despit*](#depit), & l’autre meurt d’amour.
Ovide, à qui vos yeux ont causé tant de peine,
[Prise*](#priser) la beauté Grecque & la beauté Romaine,
Et croit que toutes deux on vous doit couronner ;
Les Graces toutesfois n’ont qu’un prix à donner.
La parfaite beauté, dont mon sexe [se pique*](#piquer-de),
De mesme que le prix, icy bas est unique.
Chaque beauté diverse a sa perfection,
Selon le goust divers de chaque nation.
Le Danube & le Pô vantent dessus leurs rives,
Avec les cheveux blonds les couleurs les plus vives,
Mais avec un teint brun, l’[air*](#air) & la majesté*,
Remportent chez les Grecs le prix de la beauté.
Celuy qu’avec justice on donne dans cét Isle,
A qui veut l’obtenir est assez difficile :
Il faut pour meriter un prix si [glorieux*](#glorieux3),
Les charmes de l’esprit & la douceur des yeux ;
La pomme qu’on reçoit par les mains de Thalie,
Est pour la plus [aymable*](#aimable) & la plus accomplie*.
Mais il en faudrait deux pour ces rares beautés,
Qui brillent à l’envy d’[aymables*](#aimable) qualitez ;
Pour rendre la justice, & plaire à tout le monde,
Il faudrait couronner & la brune, & la blonde.
S’il n’est qu’une beauté, qu’une Venus aux Cieux,
Ovide sur la Terre en peut-il trouver deux ?
Je les rencontre en vous par un bonheur extreme,
Mon sentiment [s’accorde*](#s-accorder2) avec le vostre mesme ;
Si l’une & l’autre aspire au prix qu’on donne icy,
Vous croiez toutes deux le meriter aussi.
Cent Nymphes avec nous à cét honneur [pretendent*](#pretendre),
Et de tous les costez à cét Isle se rendent ;
Mais les Graces de qui nous recevons la loy,
Ont fait choix seulement de Corinne & de moy,
Je puis de leurs [faveurs*](#faveur) m’esbloüir la premiere ;
Si cét heureux [Climat*](#climat) dont je tiens la lumiere,
N’[avoit accoustumé*](#avoir-accoustume) de remporter le prix,
Jamais ce doux espoir n’eut flatté* mes esprits,
Sans l’amour du païs, qui dans mon cœur domine,
J’aurais voulu ceder cét honneur à Corinne,
Voyant en ma Rivale esclatter tant d’[appas*](#appas) ;
Quoy qu’il puisse arriver, je n’en rougiray pas,
Soit que je sois vaincuë, ou que je la surmonte*,
J’auray beaucoup de [gloire*](#gloire2), ou j’auray peu de [honte*](#honte).
A vos rares beautez on doit tout [accorder*](#accorder3) ;
Quoy que jusques icy rien ne m’ait veu ceder,
Je n’aurois pas voulu vous [disputer*](#disputer) la pomme,
Pour mon seul [interest*](#interet1), sans [interest*](#interet1) de Rome.
Mais ma [gloire*](#gloire2) estant jointe à celle des Romains,
Qui se font admirer entre tous les humains,
Je dois pour leur honneur faire voir à la terre,
Qu’ils triomphent en paix, ainsi que dans la guerre.
L’amour de mon païs m’embraze comme vous,
Et me [flatte*](#flatter2) l’esprit d’un espoir aussi doux ;
Bien que de mille attraits* esclatte ma rivale,
Qu’au jugement des Grecs, elle soit sans esgalle,
Et que de toutes parts on vienne l’admirer,
Je crains moins toutesfois que je n’ose esperer ;
Soit que je sois vaincuë, ou que je la surmonte*,
J’auray beaucoup de [gloire*](#gloire2), ou j’auray peu de [honte*](#honte).
Les desirs de la [gloire*](#gloire2) esgaux entre vous deux,
Sont pour vostre amitié des escueils dangereux,
Nostre amitié n’est pas comme l’amour d’Ovide
Sujet au changement, elle est pure & solide.
Ouy, nous servons d’exemple aux plus parfaits amans,
Nous avons toute deux les mesmes sentiments,
Nous n’avons l’une & l’autre & qu’un cœur, & qu’une ame.
Vous osez comparer vos [froideurs*](#froid) à ma flamme,
Vostre amitié de glace à mon [ardante*](#ardent) amour ?
Si je m’expliquois mieux, je ferois mal ma [Cour*](#cour1).
Achevez, achevez, dites tout sans rien craindre.
Croiez-vous que leurs cœurs soient capables de [feindre*](#feindre) ?
Ouy leur sexe jamais ne s’ayme à bien parler,
Il y a trop d’[interests*](#interet1) sans cesse à [demesler*](#demeler) ;
Sa beauté, ses amans, & l’amour de la [gloire*](#gloire2),
Le desir d’emporter en tous lieux la victoire,
Et sa grande [fierté*](#fier) qui ne veut rien ceder,
Avec l’amitié ne peut [s’accorder*](#s-accorder2).
Pour m’expliquer encor avec plus de [franchise*](#franchise),
Corinne asseurément ne plaist point à Cephise,
Ny Cephise à Corinne, & son cœur en secret
Hait ce qu’elle a d’[aymable*](#aimable), & le voit à regret.
Plus leur [merite*](#merite) est grand, plus leur charme est visible,
Et plus leur jalousie est grande, est invincible.
Mais je sçay un secret [admirable*](#admirable) pour vous,
D’aymer parfaitement.
Quel est-il ?
Aymez nous,
Aymez, aymez Ovide, & l’[aymable*](#aimable) Hyacinthe,
Car pour vostre amitié ce n’est rien qu’une [feinte*](#feindre),
L’on la verra finir avant la fin du jour,
Quand les Graces seront au Tribunal d’Amour,
Et que l’on vous verra [briller*](#briller1) en leur presence,
Vous n’aurez plus alors aucune [complaisance*](#complaisance) ;
Mais pour joüir d’un bien plus durable & plus doux,
Ne dissimulez plus, l’une & l’autre aymez nous.
Il y faudra penser.
Et vous belle Corinne
J’y veux penser aussi.
Ne [faites point la fine*](#faire-fin),
Mais pensez tout de bon, sans [croire*](#croire1) les [flatteurs*](#flatter3),
Que la beauté n’est rien sans les adorateurs ;
Les Dames ont raison d’apprehender leur perte,
L’Amante sans Amans n’a qu’une [Cour*](#cour2) deserte :
Et les yeux les plus beaux, sans le flambeau d’Amour
Sont aussi mal-heureux que des peuples sans jour.
Où voulez-vous aller ?
Au bord de la fontaine.
Je vais vous y conduire, agreable inhumaine.
SCENE III.
Ovide ne sçauroit la quitter un moment,
Il tesmoigne par là, comme il l’ayme ardemment.
Il ne l’ayme pas seule, & quelqu’autre l’[engage*](#engager2).
Je connois son [humeur*](#humeur), il est un peu volage ;
Bien qu’il ayme à changer, Corinne a des [appas*](#appas)
Qui peuvent l’arrester.
Elle n’en manque pas.
Pour elle il a laissé la Princesse Julie,
Et pour la suivre en Cypre il quitte l’Italie.
Il ne vient en ces lieux que pour voir les beautez,
Que cette feste attire icy de tous costez.
Je sais qu’il est galand*, qu’à chacune il en conte ;
Depuis un mois au plus qu’il est dans Amathonte,
Pour diverses beautez on l’a veu souspirer,
Et son cœur à plus d’une ose se declarer ;
[Lors que*](#lorsque) de quelque [appas*](#appas) une Nymphe est pourveuë,
Dés qu’il la voit, il l’aime.
Ovide vous a veuë.
Il me vient visiter, sans qu’il me soit suspect,
Je sçais à qui m’approche inspirer le respect.
Si vos grandes vertus font que l’on vous admire,
Vostre [merite*](#merite) aussi fait que chacun souspire.
Vos [appas*](#appas) sont si doux, vos regards si charmans,
Qu’ils donnent de l’[esclat*](#eclat) aux moindres ornemens,
De ce miroir sur vous la glace paraist belle.
La bordure en est riche, & la façon nouvelle,
Et le Preteur m’en fit present hier au soir.
Le peut-on voir de pres ?
Oüy, vous le pouvez-voir.
Un present si galand ne vous [doit*](#devoir) pas desplaire.
Il falut l’accepter par l’ordre de mon pere,
Et sans son ordre [expres*](#expres) je l’aurois refusé,
Il eut peû s’offenser, & je n’ay pas osé.
Dieux, qu’est-ce que je voy ! ma surprise est extréme !
Que regardez-vous tant ?
Regardez-le vous mesme ?
C’est le portrait d’Ovide.
Ah ! n’en rougissez pas ;
Et si l’original a pour vous des [appas*](#appas),
Contentez vos desirs, gardez-en la peinture :
Il faut bien me resoudre à [souffrir*](#souffrir) cette [injure*](#injure1) ;
Puisque vous le voulez.
N’en soiez point jaloux.
Je suis plus estonnée & surprise que vous ;
J’ignorois qu’un portrait…
N’en soiez point [confuse*](#confus1),
Et vers un mal-heureux ne cherchez point d’excuse.
Faut-il qu’un Estranger arrivé sur ces bords,
Qui n’a point ressenty mes amoureux [transports*](#transport).
Rende par son bonheur mes esperances vaines,
Me ravisse en un jour le fruit de tant de peines,
Et m’oste pour jamais l’[objet*](#objet1) de mes desirs,
Sans qu’il lui couste helas ! ni larme, ni souspirs ?
Avant que mon Rival acheve mes [disgraces*](#disgrace),
Nous paraistrons tous deux au Tribunal des Graces ;
Et si leur juste Arrest ne me vient secourir,
J’auray du cœur assez pour vaincre, ou pour mourir.
SCENE IV.
Il s’en va sans m’oüir, & me laisse [confuse*](#confus1),
Et malgré ma [vertu*](#vertu) mon silence m’accuse.
Aminte ; cours apres, vas t’en le rappeller,
Dis luy mes [desplaisirs*](#deplaisir), que je luy veux parler.
Mais ce seroit en vain ; que luy puis je respondre ?
Sa presence ne peut servir qu’à me confondre.
Vas t’en plutost chercher Ovide promptement,
Qu’il me vienne trouver sans tarder un moment
Il se promene au parc ; vas, cours en [diligence*](#diligence).
SCENE V.
De ce perfide [Amant*](#amant1) je veux prendre vengeance,
Luy seul asseurément m’a fait ce lasche trait ;
Par addresse au miroir il a joint son portrait,
Et veut persuader avec cette imposture,
Que l’original plaist dont on a la peinture.
Ah ! si je le convainc* de ce crime, ô Dieux !
Je le veux pour jamais eloigner de mes yeux ;
Ovide sentira jusqu’où va ma colere. 265
Mais puis-je le bannir sans irriter mon pere ?
Il prend son [interest*](#interet1), parce qu’il est Romain,
Et voudroit m’obliger à luy donner la main.
Bien qu’aux plus grands de Cypre il doive sa naissance,
D’un simple Chevalier il cherche l’alliance
Afin d’avoir l’appuy de Rome & du Preteur.
Un crime est-il si grand, dont l’amour est autheur ?
Mais puis-je le [souffrir*](#souffrir) après un tel outrage ?
Ovide est un trompeur, un perfide, un volage.
D’une fausse [faveur*](#faveur) s’il s’est desja vanté,
Que ne diroit-il point, s’il estoit mieux traité ?
Je veux pour m’en vanger, & montrer mon addresse,
A qui m’oste un [Amant*](#amant1), oster une [Maistresse*](#maitresse).
Mais je le voy paroistre, il faut l’[entretenir*](#entretenir),
Et cacher le dessein que j’ay de le punir.
SCENE VI.
De vostre procedé je suis fort en colere.
Si je n’ay jamais eu dessein que de vous plaire,
Je ne puis deviner d’où naist vostre courroux.
Ce pourtrait-là vient-il du Preteur, ou de vous ?
Ce pourtrait vient de moy, n’en soyez pas surprise ;
M’estant donné moy-mesme à la belle Cephise,
Je pouvois bien encor luy donner mon pourtrait.
Pouviez-vous m’offenser par un plus lasche trait ?
Par cette invention, par ce beau stratageme,
Vous voulez faire [croire*](#croire2) à chacun qu’on vous ayme.
Si l’on vouloit m’aymer, je serois fort discret,
Et je n’en parlerois non plus que mon pourtrait.
Vous n’en avez pas fait [confident*](#confident) Hyacinthe.
C’est donc-là le sujet qui cause vostre plainte ;
Vous ne craignez donc pas, à parler franchement,
La perte de l’honneur, mais celle d’un [Amant*](#amant1);
Vous estes de l’[humeur*](#humeur) dont sont toutes les belles,
Qui faisant tous les jours des conquestes nouvelles,
N’ayment pas à rien perdre, & veulent chaque jour
Augmenter leur Empire, & voir grossir leur [Cour*](#cour2).
Pour nuire à mon rival, si mon pourtrait le chasse
Cephise n’y pert rien, car je remplis la place ;
Sans faire trop le [vain*](#vain1) je pourrois me vanter,
D’en estre moins indigne & la mieux meriter :
Vous n’emportez sur luy qu’une obscure victoire ;
Je puis plus noblement servir à vostre [gloire*](#gloire2).
Et mon [ardent*](#ardent) amour connu de toutes pars,
Qui m’a rendu fameux à la [Cour*](#cour2) des Cesars,
Pour vous adorer seule & vivre dans vos chaines,
Veut mespriser pour vous les plus belles Romaines,
Ces [superbes*](#superbe) beautez qui troublent le repos
Des plus sages mortels & des plus grands heros ;
Pour faire plus d’honneur à Cephise, à la Grece,
Je quitteray pour vous une Auguste Princesse,
De qui tout l’Univers doit recevoir la loy,
Et vous triompherez & de Rome & de moy.
Vous mesprisez pour moy ces [illustres*](#illustre) Amantes,
Vous me les immolez [lors qu'*](#lorsque)elles sont absentes,
Ces [superbes*](#superbe) beautez ; mais à vostre retour
Vous me sacrifirez [tout de mesme*](#tout-de-meme) à mon tour.
Qu’à [croire*](#croire2) mon Amour vous estes difficile !
Vous en faut-il donner des preuves dans cette Isle ?
Voulez-vous que pour vous j’abandonne Phriné,
Breseïs, Celimene, Amarante, & Daphné ?
Ces Nymphes apres vous sont dans Cypre vantées.
Vostre esprit inconstant les a desja quittées.
Que dois-je faire donc ? commandez librement.
Il faut abandonner Corinne seulement.
Entre tant de beautez pourquoi choisir Corinne ?
Parce qu’en vostre cœur je croy qu’elle domine.
C’est vostre [illustre*](#illustre) amie.
Et vostre amante aussi.
Apres avoir fait voir mes respects jusqu’icy,
Je ne puis me resoudre à luy faire un outrage.
Et moy je ne veux point d’un cœur qui se partage
De cet ordre cruel je suis un peu surpris.
On ne peut toutesfois m’aspaiser qu’à ce prix.
Un billet luy dira ce que je n’ose dire.
Au sortir de ces lieux vous le pourrez escrire.
Je le feray tenir apres fort seurement.
J’en prendray bien le soin, n’en [doutez*](#douter) nullement.
Non, non, je veux le voir, & l’envoyer moi-mesme.
C’est trop [se deffier*](#se-defier) d’un [Amant*](#amant1) qui vous ayme.
Je le veux.
Je rendray vos desirs satisfaits.
Vous me l’envoyrez donc.
Ouy, je vous le promets.
Mais puis-je m’assurer sur de telles promesses,
Vous seule l’emportez sur toutes mes [Maistresses*](#maitresse)
Et mon esprit touché d’un charme si puissant.
Si c’estoit trop peu d’une en immoleroit cent.
ACTE II.
SCENE PREMIERE.
Tu dis qu’on a rendu le billet à Corinne,
N’a-t-on point observé qu’elle eut l’[humeur*](#humeur) [chagrine*](#chagrin1) ?
On n’a rien remarqué dans tout son [entretien*](#entretien).
Corinne a de l’esprit, & dissimule bien ;
Pour ne luy plus laisser aucun sujet de plainte,
As-tu desabusé le constant Hyacinthe ?
Du trait qu’on m’a joüé, sçait-il la verité ?
Daphnis m’est venu voir, à qui j’ay tout conté,
C’est le meilleur amy qu’il ait dans toute l’Isle.
C’est assez.
Mais ce soin me paroist inutile
De le desabuser, si vous ne l’aymez pas,
Si ce fidel [Amant*](#amant1) est pour vous sans [appas*](#appas).
J’ay destourné l’effet de son dessein [funeste*](#funeste),
Quand on a de l’esprit, l’on devine le reste.
Il a fort constamment adoré vos beautez ;
Mais Ovide fait voir cent rares qualitez,
Il a l’[air*](#air) fort galand, & l’esprit [admirable*](#admirable).
S’il estoit moins changeant, il seroit plus [aymable*](#aimable).
Duquel des deux Rivaux recevez-vous les vœux ?
Je ne t’en diray rien, devine si tu peux ;
Je ne ressemble point à ces faibles Amantes,
Qui dans leurs passions* veulent des confidantes* ;
Et si jamais d’aymer je prenois quelque soin,
Je ne voudrois avoir que mon cœur pour tesmoin.
Avec ce noble orgueil vous estes fort à plaindre,
S’il faut aux yeux de tous sans cesse vous contraindre.
Et mal traiter souvent un [Amant*](#amant1) qui vous plaist.
Finissons ce discours, car Corinne paraist,
Et vient confidemment me dire une nouvelle,
Dont je suis l’origine, & que je sçais mieux qu’elle.
SCENE II.
Qu’avez-vous fait d’Ovide ? où l’avez-vous laissé ?
A vous suivre partout il [fait fort l’empressé*](#faire-empresse).
Depuis qu’il m’a conduite au bord de la fontaine,
Je ne l’ay point reveu, ny n’en suis point en peine.
Quand il ne vous suit pas, c’est un fort grand [hazard*](#hasard).
Je viens de recevoir un billet de sa part.
Où sans [doute*](#doute1) il vous peint son ardeur amoureuse.
Je veux vous le montrer.
Je suis peu curieuse
De sçavoir vos secrets.
Je n’en ay point pour vous,
Vous aurez du plaisir à voir ce billet doux.
Puis que vous le voulez, je m’en vais donc le lire
C’est ce que par vostre ordre Ovide vient d’escrire.
PREMIER BILLET.
à Corinne.
Corinne, si vostre [merite*](#merite)
Est dans Rome admiré de tous,
La Nymphe pour qui je vous quitte,
Brille dans ces lieux plus que vous ;
Sans m’accuser d’estre infidelle,
Pour aymer ce que Cypre a de plus [glorieux*](#glorieux2),
Accusez seulement la nature & les Dieux,
Qui vous firent naistre moins belle.
Ovide.
Le procedé d’Ovide & bien vous surprend-il ?
Il est fort peu galand, & beaucoup [incivil*](#incivil).
Il me donne congé d’assez [mauvaise grace*](#mauvaise-grace).
Ah ! je m’en vengerais estant en vostre place,
Et quoy qu’il me pût dire apres de pareils traits
Avecque moy jamais il ne feroit la paix :
On a de [mauvais*](#mauvais1) yeux alors qu’on vous mesprise.
De ce second billet vous serez plus surprise,
Que luy mesme m’avoit escrit auparavant.
S’il est du mesme stile, il escrit trop souvant.
Vous verrez.
SECOND BILLET
A Corinne.
Quand je vous escriray que je manque de [foy*](#foi),
De ce billet forcé ne soyez point surprise,
Imputez ce crime à Cephise,
Et n’en blasmez l’Amour, ny moy ;
Plaignez un mal-heureux dans cette conjoncture,
Et de vostre Rivale accusez la rigueur ;
Je luy prestay ma main pour vous faire une [injure*](#injure1),
Mais pour vous en vanger je vous donne mon cœur.
Ovide.
Il nous [joüe*](#jouer-de), & la [galanterie*](#galanterie),
A ne rien desguiser, [passe*](#passer) la raillerie ;
Il faut pour le punir, nous vanger toutes deux,
Si Corinne y consent.
De bon cœur je le veux ;
Mais pour bien reüssir comment faudra-t’il faire ?
Il faut dissimuler nostre juste colere,
Et luy dire en raillant, pour tromper ce trompeur,
Que nous voulons sçavoir qui des deux a son cœur ;
Et que prisans beaucoup un [merite*](#merite) si rare,
Pour l’une de nous deux il faut qu’il se declare.
S’il [s’explique*](#expliquer-femme) pour vous ?
S’il [s’explique*](#expliquer-femme) pour moy,
Vous pourrez l’accuser de vous manquer de [foy*](#foi),
S’il [s’explique*](#expliquer-femme) pour vous, je pourray [tout de mesme*](#tout-de-meme)
Le blasmer justement d’une inconstance extreme ;
Ainsi [lors qu’*](#lorsque)il [pretend*](#pretendre) nous joüer aujourd’huy,
Toutes deux de concert nous nous joüerons de luy.
Il vient tout à propos, l’occasion est belle.
De peur qu’il n’imagine une ruse nouvelle,
Ne perdons point de temps, & le [poussons à bout*](#pousser-bout),
Raillons cet inconstant qui se raille de tout.
SCENE III.
Il n’est pas à propos que je les voye ensemble,
Il faut me retirer.
Il s’en va ce me semble ;
De peur qu’il ne s’echappe, il faut le rappeler ;
Ovide, revenez, où vouliez-vous aller ?
Et quoy ? nous fuyez-vous.
Vous sçavez le contraire,
Et que mon plus grand soin est celuy de vous plaire ;
J’ay creû que vous vouliez vous parler en secret,
Et je me retirois.
Vous estes trop discret.
Je puis une autre fois vous rendre ma visite.
Non, il faut demeurer, vous n’en estes pas quitte.
Ah ! tout est découvert.
Il change de couleur.
Il a quelque soupçon, & prevoit son mal-heur.
Nous voulons vous parler de chose d’importance.
Ne retenez donc point mon esprit en balance.
Ces billets obligeans, dites, sont-ils de vous ?
Que leur diray-je, ô Dieux !
Parlez, respondez nous ?
C’est par [galanterie*](#galanterie)…
Elle est un peu trop forte ;
Vostre inconstante [humeur*](#humeur) [en use*](#user) de la sorte,
Mais vos billets nous font un trop [sensible*](#sensible1) [affront*](#affronter).
Que l’une ait le premier, & l’autre le second ;
Vous les lirez tous deux sans en avoir de [honte*](#honte),
L’une & l’autre loüée y trouvera son conte,
Car chacune y verra preferer sa beauté.
Et chacune y verra vostre infidelité.
Ovide en nous joüant a montré trop d’audace ;
Mais pour luy son [merite*](#merite) a demandé sa [grace*](#grace1),
Et nous luy pardonnons pour la premiere fois,
Pourveû que sur le champ son amour fasse un choix.
De deux [objets*](#objet2) charmans le choix est difficile ;
Celuy que je ferois pourroit estre inutile,
Ne pouvant deviner laquelle de vous deux
Veut m’estre favorable & [recevoir mes vœux*](#recevoir-voeux) ;
Mais faites choix de moy plustost ou l’une ou l’autre,
Puis que ma volonté se regle par la vostre ;
Sans faire le cruel, je donneray mon cœur
A celle qui pour moy quittera sa rigueur ;
Elle ne risque rien, fort seure d’estre aymée.
Vous contez donc pour rien, l’honneur, la renommée ?
Pour un esprit galand c’est mal faire la [Cour*](#cour1),
Que de nous obliger à vous parler d’amour ;
Mon sexe en doit [donner*](#donner), & le vostre en doit prendre,
Rendez-nous le respect que vous nous devez rendre,
Quittez cette [humeur*](#humeur) [vaine*](#vain1), & ne[pretendez*](#pretendre) pas.
Que mon sexe orgueilleux fasse les premiers pas.
J’en ay déjà fait deux d’une importance extrême,
Alors qu’à toutes deux j’ay declaré que j’ayme,
Sans avoir dans vos cœurs excité la pitié.
En vouloir aymer deux, c’est trop de la moytié.
Je vous l’ay dê-ja dit, ce chois n’est pas facile.
Pour vous en exempter, la ruse est inutile.
Et quoy ? Corinne aussi parle donc contre moy ?
Ovide à toutes deux ayant manqué de [foy*](#foi),
Nous voulons aujourd’huy malgré son inconstance,
Sçavoir a qui son cœur donne la preferance.
Vous tenez toutes deux mes esprits suspendus,
Aux [merites*](#merite) pareils mesmes respects sont deus,
Rien n’esgalle icy-bas mes divines [Maistresse*](#maitresse) ;
Et celuy qui fut Juge entre les trois Deesses,
Avec tout son esprit n’eust pas peû [decider*](#decider1)
Entre vos deux beautez laquelle doit ceder ;
Si je vous parle donc sans aucun artifice,
Ne me contraignez pas à faire une injustice,
Dont l’une de vous deux se pourroit repentir.
Nous sommes dans un [doute*](#doute2), & voulons en sortir.
Au lieu de persister dans cette injuste envie,
Partagez toutes deux les heures de ma vie,
Comme vous partagez mes desirs & mon cœur ;
Je veux bien avoüer que j’ay plus d’un vainqueur,
Mon ardeur sans pareille à vos beautez ressemble,
Et j’ayme plus moy seul, que deux constans ensemble ;
Je sçay m’accommoder à divers sentimens,
Et deux Amours parfaits valent bien deux Amans.
Puis que nous condamnons vostre [humeur*](#humeur) inconstante,
Il ne faut qu’un Amour, & qu’une seule Amante.
Aymer celle où vos yeux rencontrent plus d’[appas*](#appas).
Qui sera celle ô Dieux ! que je n’aymeray pas ?
Helas !
Par cet helas ! il va monstrer sa flamme.
Il s’en va descouvrir les secrets de son ame.
Il me fait les yeux doux.
Il me serre la main.
Il faut vous expliquer, vous l’evitez en vain.
Je ne puis dire rien, ayant trop à vous dire,
Et je m’explique assez, alors que je souspire.
A laquelle de nous addressez-vous vos vœux ?
Pour qui sont ces souspirs, dites ?
Pour toutes deux.
Sans nous [entretenir*](#entretenir) d’une flame importune,
Pour n’en pas perdre deux, il en faut choisir une.
Ainsi l’une de vous m’oblige à la trahir.
Et bien, nous le voulons.
Il faut vous obeïr,
Puis qu’à me conserver vous prenez quelque peine,
Si vos rares beautez n’ont point pour moy de haine,
Pour vous mieux meriter, & pour se rendre heureux,
Ovide doit agir en [Amant*](#amant1) [genereux*](#genereux) ;
Mais si ma [passion*](#passion) suivoit icy la vostre,
Si je preferois l’une en presence de l’autre,
Et si j’osois luy faire un [affront*](#affronter) esclattant,
Je serois [incivil*](#incivil) pour paraistre constant :
Pour ne rien faire donc contre la bienseance,
Et d’un pas dangereux sortir avec prudence,
Sans blesser mon honneur, ny vous faire rougir,
Voyez comme l’Amour me conseille d’agir :
Celle à qui je rendray la premiere visite,
Sera celle où mon cœur trouvant plus de [merite*](#merite),
Jusqu’au dernier souspir fait dessein d’adorer,
Adieu, pour ce beau choix je vais me preparer
Si nous habitons tous cette belle demeure,
Nous nous rencontrerons aisément à toute heure.
J’iray voir tout expres dans son appartement,
Celle que j’aymeray le plus parfaitement.
Que son addresse est grande !
Elle n’a point d’esgalle.
Il sort adroitement d’un amoureux dédalle.
Nous sçaurons malgré luy, [lors qu’*](#lorsque)’il fera le choix,
De laquelle des deux il veut prendre des loix.
SCENE IV.
Ovide ayme Cephise, & l’ingrat la respecte.
Sa maniere d’agir me [doit*](#devoir) estre suspecte,
De concert avec moy de Rome il est party,
Des [raisons*](#raison2) l’obligeoient à prendre mon [party*](#parti2).
Un serment mutuel l’un à l’autre nous lie,
Nous avons fait des loix en partant d’Italie,
Sur les sacrés Autels en presence des Dieux,
Qu’il devoit observer jusques dedans ces lieux.
Plus de ces belles lois vous faites un mystere,
Plus je brusle d’oüir ce que vous voulez taire.
Vous avoit-il promis d’estre un jour vostre Espoux ?
Non, & ce sont des loix secretes entre nous.
Si c’est d’estre constant, il en [tient peu de conte*](#faire-conte),
Tel qu’il estoit dans Rome, il est dans Amathonte.
Je le cheris pourtant, tout volage qu’il est ;
Qui l’escoute, l’admire, & des qu’il parle, il plaist.
D’ordinaire l’amour naist de la ressemblance.
Voudrais-tu, comme luy, m’accuser d’inconstance ?
De l’[air*](#air) dont bien souvant on vous en voit user*,
On a grande [raison*](#raison2) de vous en accuser ;
Un [amant*](#amant1) vous suffit dans Rome, ou dans cette Isle ?
L’Amour n’en voudroit, qu’un, mais la [gloire*](#gloire3) en veut mille ;
Une ame ambitieuse en a tousjour trop peu,
Pour orner son Triomphe.
Ah Dieux ! l’estrange aveu !
Quand vous parlez ainsi, j’ay bien peine à vous [croire*](#croire2).
Tu ne sçais pas encor ce que c’est que la [gloire*](#gloire3) :
D’un double honneur mon sexe a l’esprit combattu,
L’un naist de la beauté, l’autre de la [vertu*](#vertu) ;
La [vertu*](#vertu) s’est acquise une [estime*](#estime2) assez forte,
Mais tousjour la beauté dans le monde l’emporte ;
L’une en fort petit nombre a ses admirateurs,
Mais l’autre fait la foulle & les Adorateurs.
Mais cette foulle aussi perd nostre renommée.
La [honte*](#honte) vient d’aymer, & l’honneur d’estre aymée,
L’on conte nos attraits en contant nos Amans,
Leur perte ou leur mesprit fait nos secrets tourmens* ;
C’est la [raison*](#raison2) qui fait que je souffre avec peine 585
Qu’Ovide qui m’aimoit ose rompre la chaisne.
Mais pour le [rengager*](#engager2), il faut le traiter mal.
Quel [Amant*](#amant1) pourriez-vous luy donner pour Rival,
Qui peust avec sujet luy [donner*](#donner) de la crainte ?
Je veux pour son Rival luy donner Hyacinthe.
Vous ne sçauriez jamais faire un plus digne choix,
Mais si Cephise aussi le range sous ses loix,
Ce dessein [hazardeux*](#hasard) vous doit rendre [timide*](#timide).
Je ne luy tens des retz que pour reprendre Ovide,
Et ne [hazarde*](#hasarder) rien. Mais il vient à propos ;
Voy si j’entens bien l’art d’enchaisner le Heros.
SCENE V.
Je viens vous annoncer une heureuse nouvelle.
Rien de [facheux*](#facheux) ne sort d’une bouche si belle ;
Mais mon Astre à me nuire est si fort obstiné,
Que je n’ose esperer de me voir [fortuné*](#fortune).
Hyacinthe en la fleur de ses jeunes années,
Par ses hautes vertus vaincra les destinées.
Si mon sort se pouvoit changer par la valeur,
Mon amour est si grand qu’il vaincroit mon mal-heur ;
Mais le cruel destin m’oste toute esperance.
Hyacinthe est cent fois plus heureux qu’il ne pense ;
Une jeune beauté, l’ornement de ces lieux,
Qui parmi ces Captifs conte des Demy-Dieux.
Connoissant vos vertus n’a point pour vous de hayne.
L’excés de mes [ennuis*](#ennui), la grandeur de ma peine,
M’ostent avecque l’espoir la curiosité.
Si vous sçaviez le nom de l’[illustre*](#illustre) beauté,
Qui m’oblige à vous faire un [glorieux*](#glorieux3) message,
Vous changeriez bientost d’[humeur*](#humeur) & de langage.
Puis que de son [estime*](#estime1) elle fait un secret,
Vouloir sçavoir son nom c’est paraistre [indiscret*](#indiscret).
Sa [pudeur*](#pudeur) cache un feu que sa [raison*](#raison1) fait naistre,
J’en avois dit assez pour la faire connaistre,
[Lors que*](#lorsque) j’ay dit qu’elle est l’ornement de ces lieux ;
Mais je m’en vais encore vous la depeindre mieux.
C’est celle qui [pretend*](#pretendre) de remporter la pomme
Sur toutes les beautez de la Grece & de Rome ;
Qui connoist vos vertus, mais qui jusqu’à ce jour
N’a point encore voulu vous montrer son amour,
Et s’est tousjour fait voir aussi [fiere*](#fier) que belle.
Je reconnois Cephise, à ces marques, c’est elle,
Seule elle peut causer ma joye & mon ennuy,
Qu’avez-vous de sa part à me dire aujourd’huy ?
Ah ! de [grace*](#grace1) achevez, pour finir mon martire.
A Dieu, je me raillois, & n’ay rien à vous dire.
SCENE VI.
Je ne puis rien connaistre à cet obscur discours,
Elle dit qu’elle vient pour me donner secours.
Et tourne, en me quittant, ma peine en raillerie,
De son dessein Amour, instruis moy je te prie ?
Cette [fiere*](#fier) beauté m’a descouvert ses feux,
Ovide est son [Amant*](#amant1), en voudroit-elle deux,
Que puis-je imaginer, non Corinne m’abuse,
De ce stille trompeur je reconnois la ruse,
Elle agit de concert avecque mon Rival,
Et veut que son amour me devienne [fatal*](#fatal2) :
Elle feint de m’aymer, & de parler pour elle,
Pour faire soubçonner que je suis infidelle :
Afin qu’apres Cephise avec quelque équité
Me puisse reprocher cette infidelité.
Mais sans qu’Ovide ait part au mal qu’on me veut faire,
L’intrigue du portrait me [doit*](#devoir) assez deplaire,
Pour luy faire sentir les traits de mon courroux.
Et pour m’abandonner à des [transports*](#transport) jaloux.
Sans [pousser*](#pousser) un Rival ny marcher sur ses traces,
Attendons un arrest de la bouche des Graces,
Qui [brilleront*](#briller1) demain sous ces ombrages vers.
Pour me faire Justice aux yeux de l’Univers.
Apres si ce perfide excite encore ma haine,
Malgré l’orgueil du Tybre & la grandeur Romaine,
Je luy feray santir dans mon ressentiment,
Que rien n’est à couvert des fureurs d’un [Amant*](#amant1).
ACTE III.
SCENE PREMIERE.
Dieux, j’aperçois Corinne ! esvitons sa presence ;
Puisque c’est par rencontre*, elle est sans consequence.
Alliez vous me chercher dans mon appartement ?
Puis que vous en sortez, ce seroit vainement,
Corinne, escoutez moy, sans faire la cruelle ;
Où voulez vous aller ?
Où la [gloire*](#gloire3) m’appelle,
Je vais chercher le prix que vous me refusez,
Ingrat[.]
Je ne sçay pas dequoy vous m’accusez.
Que m’aviez vous promis au rivage du Tybre,
D’adorer vos beautez, sans cesser d’estre libre.
N’avons-nous pas tous deux fait de secrettes loix,
Qui ne nous laissent plus la liberté du choix ?
Pour les mieux observer apres les avoir faites,
Je les porte avec moy toûjours sur des tablettes,
Et n’en ay violé pas une asseurement.
Pour estre convaincu lisez-les seulement.
Puis que vous l’ordonnez, je vais vous satisfaire,
Et vous n’aurez aprez nul reproche à me faire,
ARTICLES SECRETS
Accordez entre Ovide & Corinne, en
partant de Rome pour aller en l’Isle de
Cypre.
I. ARTICLE.
Avant que de partir de cette Auguste [Cour*](#cour2),
Nous jurons sur l’Autel d’Amour,
De garder l’un pour l’autre une [foy*](#foi) mutuelle,
Et d’avoir de nous plaire un desir violent,
Tant qu’Ovide sera galand*,
Et que Corinne sera belle.
II. ARTICLE.
Nous voulons pour joüir du plus parfait bonheur,
Que chacun suive son [humeur*](#humeur),
Sans Jalousie & sans [murmure*](#murmure),
Que l’on ne parle point du [facheux*](#facheux) nom d’espoux,
Et que tousjours l’Hymen soit banni d’avec nous,
Comme un oiseau [funeste*](#funeste) & de [mauvais*](#mauvais2) augure.
Pour esloigner tous les [soucis*](#souci),
Qui troublent les Amans transis,
Nous voulons un amour qui soit exempt d’[allarmes*](#alarme),
Qui n’ait ny prisons ny liens,
Et ne mesle en ses [entretiens*](#entretien)
Jamais de regrets ny de larmes.
Sans nous piquer* d’estre constants,
Nous voulons tous deux en tous temps
Offrir & [recevoir des vœux*](#recevoir-voeux) & des caresses ;
Et que tousjour en liberté,
Chacun puisse de son costé,
Faire divers Amans & diverses [Maistresses*](#maitresse).
Pour laisser un champ libre à nos jeunes Amours,
Et dans la fleur de nos beaux jours
Voir couronner nos fronts de plus d’une victoire,
Sans que des liens de l’un, l’autre soit envieux,
Ovide peut chercher les plaisirs en tous lieux,
Et Corinne par tout la [gloire*](#gloire2).
De violer ces lois puis-je estre convaincu ?
Non, mais vous le ferez, quand vous aurez tout leû.
Tournez donc le feüillet, pour voir la principale,
Qui parle en ma faveur & contre ma Rivale ;
Cet article important sert à mes [interests*](#interet2).
Je l’avois oublié.
Vous l’oubliez exprés.
VI. & dernier ARTICLE.
Alors que nous serons dans l’Isle de Venus,
Où mille charmes* inconnus
Ont une secrette puissance ;
De quelque [aymable*](#aimable) [objet*](#objet2), qu’Ovide soit tanté,
Pour l’[interest*](#interet1) de la beauté,
Corrine sur toute autre aura la preference.
Et bien n’avez-vous pas violé cette loy ?
Non, & Corinne a tort de se plaindre de moy.
Ne me deviez-vous pas preferer à Cephise ?
N’est-il pas temps encore ?
Parlons avec [franchise*](#franchise),
Vous l’aymez fort.
Nos loix ne me defendent pas
De porter en tous lieux mes desirs & mes pas :
Je cherche le plaisir & vous cherchez la [gloire*](#gloire2).
Je dois sur ma Rivale emporter la victoire ;
Dites donc la [raison*](#raison2) qui vous fait differer
De me tenir parole & de me preferer,
Vous me l’avez promis, & cét écrit vous lie.
Attendez que le prix soit donné par Thalie,
Et si son jugement dans des lieux si charmans
Ne [s’accorde*](#s-accorder2) pas bien avec vos sentimens,
Si Thalie aujourd’huy vous fait une injustice,
Quand Cephise avec vous paroistra dans la lice,
Je jure par vos yeux dont les traits sont si doux,
Que mon cœur aussi-tost [s’expliquera*](#expliquer-femme) pour vous,
Et se declarera devant toute la Grece.
De ce discours [subtil*](#subtil) je reconnois l’[adresse*](#adresse2),
Vous voulez que le Ciel couronne nos [appas*](#appas).
Avant vous declarer, pour ne me tromper pas.
Mais si j’obtiens le prix avec cet [avantage*](#avantage),
Je verray si je dois recevoir vostre hommage.
Un Dieu sçaura pour moy flechir vostre rigueur,
Vous allez remporter & la pomme & mon cœur,
Avec juste [raison*](#raison4) vous y pouvez [pretendre*](#pretendre).
SCENE II.
Dans la place des jeux les Graces se vont rendre,
Et vostre Char est prest.
La place n’est pas loing ;
Je fais des vœux pour vous, l’Amour m’en est tesmoin.
Je vais voir quel succez aura mon [entreprise*](#entreprise1) ;
Adieu, fidel [Amant*](#amant1) de la belle Cephise.
SCENE III.
Je fais des vœux pour elle, afin qu’elle ait le prix,
Sa Rivale pourtant regne sur mes esprits ;
Et bien qu’aux yeux de tous Corinne soit plus belle,
Cephise a pour me plaire une [grace*](#grace2) nouvelle ;
Et ce qu’elle a d’[aymable*](#aimable) avec la nouveauté,
Est un charme assez grand pour en estre tenté :
Corinne est plus coquette & plus ambitieuse,
Mais Cephise est plus prude & bien plus amoureuse.
Celle qui dans son sein estouffe ses soupirs,
Accroist par ses refus l’ardeur de ses desirs ;
Moins on parle d’amour, plus on le sent dans l’ame ;
La plus chaste en son cœur a des sources de flamme,
Que l’on void desborder apres comme torens,
Quand les desirs vainqueurs deviennent ses tyrans.
C’est ce qui rend Cephise à mes yeux plus [charmante*](#charmant).
D’autre costé Corinne a l’[humeur*](#humeur) plus [galante*](#galant1),
Elle a milles attraits pour r’allumer mes feux,
Je les veux si je puis, conserver toutes deux,
Et s’il faut faire un choix, je veux suivre les traces
De celle qu’aujourd’huy vont couronner les Graces.
Mais mon Rival paroist, escoutons ce jaloux,
Sans avoir contre luy ny haine, ny courroux.
SCENE IV.
Je vous rends l’amitié que vous m’aviez jurée.
La vostre [à ce discours*](#a-ce-discours) est de courte durée ;
Mais [lors qu’*](#lorsque)on fait dessein de rompre avec[que] moy,
Il est juste du moins qu’on me dise pourquoy.
De ce que l’on a fait, on garde la memoire,
L’intrigue du portrait n’est pas à vostre [gloire*](#gloire2),
Daphnis m’en a donné tout l’[esclaircissement*](#eclaircissement).
Et vous le croiez donc ?
N’en [doutez*](#douter) nullement.
Si je perds un amy pour avoir trop d’[adresse*](#adresse1),
J’iray m’en consoler aupres de ma [Maistresse*](#maitresse),
Sans que cet [accident*](#accident1) me cause aucun soucy*.
Et j’iray comme vous me consoler aussi.
Puis-je encore vous parler avec quelque [franchise*](#franchise) ?
Vous perdez vostre temps de penser à Cephise,
Je plains vostre malheur de m’avoir pour rival.
Mais vous mesme craignez que je vous sois [fatal*](#fatal2).
Si mes Escrits dans Rome enseignent l’art de plaire,
Me [disputer*](#disputer) un cœur, c’est estre [temeraire*](#temeraire).
Je sçay que l’art d’aymer fait bruit de toutes parts,
Et qu’il vous rend fameux à la [Cour*](#cour2) des Cezars ;
Mais l’on doit avoüer, à moins que d’estre injuste,
Que la [Cour*](#cour2) de Venus vaut bien celle d’Auguste.
L’air qu’on respire en Cypre, est si pur, si [charmant*](#charmant),
Qu’on n’y peut estre un jour sans devenir [Amant*](#amant1),
Et selon vostre aveû, cette Isle a l’[avantage*](#avantage) :
Des Dieux au bord du Tybre on ne voit que l’image,
Au lieu que nous voyons dans cet heureux [sejour*](#sejour)
Converser parmi nous les Graces & l’Amour.
Enfin ce doux [Climat*](#climat) ne voit point naistre d’homme,
Qui ne fit des leçons au plus galand de Rome ;
Les dances & le chant, la coiffure & le fard,
Au lieu de la [vertu*](#vertu) sont presque tout vostre Art.
C’est estre peu galand, sçavoir peu l’art de plaire,
Que d’apprendre à ce sexe à se monstrer [severe*](#severe) ;
Qui luy veut enseigner la [vertu*](#vertu) qui nous nuit,
Aux mysteres d’amour est assez mal instruit :
Il faut devant ce Dieu que les sages se taisent,
Il n’est point Philosophe, & les erreurs luy plaisent,
Il inspire toujours d’agreables desirs,
Et bannit la [raison*](#raison1) qui banit les plaisirs :
De mesme que l’Amour, chacun sçait que les belles
Craignent cette [raison*](#raison1) qui n’est jamais pour elles ;
Et pour en triompher par leurs attraits puissants,
Elles sçavent user de l’[adresse*](#adresse1) des sens,
Elles mettent leurs soins & toute leur estude
A causer des [soucis*](#souci) & de l’inquietude,
Leurs souris [affectez*](#affecter), leurs regards seducteurs,
Sont pour nous [engager*](#engager1) d’[aymables*](#aimable) imposteurs,
Leur accueil, leurs dedains, leurs amoureuses plaintes,
Leurs reproches secrets & leurs coleres feintes*,
Et ce je ne sçay quoy qu’on ne peut exprimer,
De ce sexe galand composent l’art d’aymer.
Ces maximes d’Amour & ces jolis preceptes.
Ne sont que pour Ovide, & que pour les Coquettes.
Et vous faites grand tort à ce sexe [charmant*](#charmant),
De luy vouloir ravir son plus rare ornement,
Vous le faites combatre avec de foibles armes ;
Sans l’[eclat*](#eclat) des vertus la beauté perd ses charmes,
Et qui veut retenir tous les cœurs en prison,
Doit [accorder*](#accorder1) les sens avec[que] la [raison*](#raison1).
[Lors que*](#lorsque) vous banissez l’amour du cœur des belles,
Que vous leur enseignez à paraistre cruelles,
C’est faire à leurs Amans negliger leurs [appas*](#appas),
Puis qu’on les ayme en vain, quand elles n’ayment pas.
Par l’[esclat*](#eclat) dangereux de vos [raisons*](#raison2) [subtiles*](#subtil),
Les charmes de leurs yeux deviennent inutiles ;
Rendre une Amante ingrate, est la vouloir trahir,
Ce n’est pas l’art d’aymer, mais c’est l’art de hayr.
Les [faveurs*](#faveur) bien souvent ne font qu’un infidelle,
Mais la [vertu*](#vertu) retient ceux qu’un bel œil appelle ;
Et ce sexe sçavant à troubler le repos,
En fuyant seulement sçait vaincre les Heros.
Avez-vous enseigné ce bel art à Cephise ?
Elle n’a pas besoin que personne l’instruise.
Vous vous mettez vous mesme au rang des demy-Dieux,
Quand vous osez servir* cet [objet*](#objet2) [glorieux*](#glorieux2).
Je puis bien aspirer à cet honneur insigne,
Quand je vois un Rival qui n’en est pas plus digne.
Un Chevalier Romain n’est pas à refuser.
Et le sang des Heros n’est pas à mespriser ;
Et si vous vous vantez d’estre aymé des Princesses,
Ceux de ma race sont favoris des Deesses.
Les Amours d’Adonis me sont assez connus ;
Mais il ne s’agit pas des Amans de Venus,
Il s’agit seulement de la belle Cephise,
Et vous faites pour elle une [vaine*](#vain2) [entreprise*](#entreprise1) !
Pour sçavoir qui de nous la merite le mieux,
Voyons ce que demain ordonneront les Dieux.
Jusques là le respect nous oblige à nous taire,
Apres au mescontent on pourra [satisfaire*](#satisfaire).
Je vous satisferay* [lors que*](#lorsque) j’auray le prix,
Nos [maistresses*](#maitresse) en vain irritent nos esprits.
Si nostre sort dépend du destin de ces belles,
Il faut auparavant en sçavoir des nouvelles.
S’il m’eust esté permis d’assister à ces jeux,
On n’eust point veû languir mes desirs curieux,
Et l’on n’eust pas donné le prix en mon absence.
Moy j’estois fort tanté, malgré cette defence,
D’aller ouïr l’Arrest qu’on devoit prononcer.
SCENE V.
Mais Maxime paroist, qui vient nous l’annoncer ;
Corinne pourroit bien avoir eu l’[avantage*](#avantage).
A Cephise vaincue, irez-vous rendre hommage [?]
Il est d’un vrai Romain & d’un cœur [genereux*](#genereux),
D’estre pour les vaincus & pour les mal-heureux*.
Et bien Maxime, & bien, qui remporte la pomme ?
Est-ce Cypre & Cephise, ou bien Corinne & Rome ?
Parle ?
L’arrest n’est pas encore prononcé,
Mais je vais vous conter tout ce qui s’est passé,
Car je viens d’assister à la ceremonie,
Où de gens curieux une foule infinie,
Dans la place des jeux se rend de tous costez,
Pour y voir [disputer*](#disputer) le prix à ces beautez.
Jamais Rome, jamais dans ses plus grandes festes,
[Lors qu’*](#lorsque)elle a triomphé pour d’[illustres*](#illustre) conquestes
N’a fait voir à la fois tant de peuples divers.
Il semble que l’on ait assemblé l’univers,
Afin de [decider*](#decider1) dans cette douce guerre,
A qui demeurera l’Empire de la Terre.
Un si grand bruit s’espand dans cet heureux [sejour*](#sejour),
Que l’on oit retentir les echos d’alentour :
Mais dés qu’on apperçoit & Cephise & Corinne,
Ces deux charmans [objets*](#objet2) dont la [grace*](#grace2) est divine,
Qui comme deux Soleils descendent de leurs Chars,
Le silence succede au bruit de toutes parts.
Ce grand peuple ravy de ces rares marveilles,
N’est plus qu’un Corps plein d’yeux, sans voix & sans oreilles,
Que dans ces lieux à peine on entend respirer,
Et qui ne fait plus rien que voir & qu’admirer.
Sur un haut Tribunal les Graces eslevées,
D’un souris negligeant les ayant saluées,
Pour mieux considerer leur visage & ses traits,
Elles font approcher ces Nymphes de plus prés.
[Lors*](#lors) d’un secret [dépit*](#depit) leur grande ame saisie,
Ne peut voir tant d’[appas*](#appas) sans quelque jalousie ;
Et la vive couleur qui paroist sur leur tein,
Descouvre ce [dépit*](#depit) qu’elles cachent en vain.
Pour ses deux sœurs Thalie ayant pris la parolle
D’un [air*](#air) [civil*](#civil) pourtant leur parle & les [cajolle*](#cajoler) :
Mais pour diminuer un peu de leur orgueil,
Apres leur avoir fait un favorable accueil,
Elle dit hautement à ces belles Rivales ;
Que bien que leurs attraits les rendent sans egales,
Que leur charme puissant dont leurs yeux sont surpris,
Ne suffit pas encore pour remporter le prix,
Ni pour voir de sa main leur Teste couronnée,
Si de quelqu’autre don leur beauté n’est ornée.
Elle ordonne aussi-tost que pour le meriter,
L’une & l’autre ait le soin de leur [faire eclater*](#faire-eclater),
Et pour rendre leur [gloire*](#gloire2) ou leur [honte*](#honte) publique,
Thalie enfin choisit la Dance & la Musique.
Ces Arts en ce beau sexe ont beaucoup d’[agréments*](#agrement).
Et Thalie en fait choix avec grand jugement.
Par son ordre Cephise [en mesme temps*](#en-meme-temps) s’avance,
Sur un riche Tapis preparé pour la dance,
Aux yeux des spectateurs cette [Illustre*](#illustre) beauté
Paraist à sa demarche une Divinité.
Le jeune Iphidamas que dans Cypre on admire,
De sa sçavante main touche à sa douce Lire,
Et respand dans les airs un son melodieux,
Dont l’agreable bruit monte jusques aux Cieux.
La Nimphe qui fait voir une [grace*](#grace2) infinie,
Pour [accorder*](#accorder1) ses pas avec cette harmonie,
D’un mouvement leger du Tapis fait le tour,
Et trace de son pied mille chiffres d’amour,
Tout le monde loüant sa merveilleuse [adresse*](#adresse1),
D’une victoire seure elle [flatte*](#flatter1) la Grece,
Qui pense voir bien-tost couronner ses desseins,
Mais un reste d’espoir flate encore les Romains.
Chacun avec [raison*](#raison1) pour son pais incline.
Les Graces cependant font avancer Corinne,
Qui dispute le prix à Cephise à son tour,
Et le [disputeroit*](#disputer) à la mere d’Amour.
Le noble orgueil qu’au front cette Romaine estalle,
Fait voir qu’elle craint peu sa [superbe*](#superbe) Rivalle.
Pour faire triompher ses [glorieux*](#glorieux2) [appas*](#appas),
Cette beauté sçavante en l’art d’Iphidamas,
Chante d’un ton plaintif sur sa Lire dorée
Les Amours d’Adonis bruslant pour Cithérée.
Par sa voix [ravissante*](#ravissant) & ses divins accords,
Elle exprime si bien sa [gloire*](#gloire3) & ses [transports*](#transport),
Que tous les assistans charmez par les oreilles,
Sentent dans leurs esprits des passions* pareilles,
Elle fait plaindre l’air avec tant de douceur,
Qu’on croit oüir encore cet amoureux Chasseur,
Qui bravant le destin meurt pour une Immortelle,
Et Corinne en Venus rend la douleur si belle,
Qu’elle excite en chacun les mesmes [déplaisirs*](#deplaisir),
Et fait de tous les cœurs un concert de soupirs.
Ainsi Corinne, ainsi charme au son de sa Lire.
C’est un [enchantement*](#enchanter) que j’ay peine à descrire,
Et si de l’assemblée eut dependu le choix,
Sa voix melodieuse eût eû toutes les voix.
Que pense à ce recit le constant Hyacinthe ?
Pour la belle Cephise a-t’il pas quelque crainte ?
Car Corinne fera couronner ses [appas*](#appas).
Il faut attendre encore, pour ne se tromper pas.
Nous eussions, comme toi, veu la ceremonie,
Si nostre [passion*](#passion) n’en eût esté bannie ;
Mais nous n’ignorons pas que dans ces jeux sacrez,
On ne souffre jamais les Amans declarez,
De crainte que l’amour qu’ils ont pour leur [Maistresse*](#maitresse),
Ne perdit le respect que l’on doit aux Deesses,
Et ne [s’accordât*](#s-accorder1) pas avec leur jugement.
Les Intendants des jeus agissent prudemment.
Mais Daphnis vient icy, qui paroist hors d’haleine.
SCENE VI.
Hyacinthe, je viens pour vous tirer de peine,
La divine Cephise a remporté le prix.
Ah ! que j’en ay de joye !
Ah ! que j’en suis surpris !
Cephise a triomphé de Corinne & de Rome !
Ouy, la belle Cephise a remporté la pomme,
Et tous les spectateurs en sont d’aize ravis.
Ces esprits inconstans ont donc changé d’avis.
Ils ont changé d’avis aussi-tost qu’ils l’ont veüe
Dans un Char Triomphant de mil attraits pourveüe,
La pomme d’Or en main, le front orné de fleurs,
Et le teint éclatant* des plus vives couleurs
Qu’une sage [pudeur*](#pudeur) apres cette victoire,
Faisoit naistre à propos pour croistre encor sa [gloire*](#gloire2).
Mais que disoit Corinne apres un tel [affront*](#affronter) !
N’a-t’on point veu monter la rougeur sur son front ?
Cette [fiere*](#fier) beauté n’en avoit nulle [honte*](#honte),
Et de ce jugement elle [fait peu de conte*](#faire-conte) ;
Dit que de ses [appas*](#appas) les charmes sont connus,
Et ne veut recevoir pour juge que Venus.
Cephise cependant en Triomphe est menée,
Sa [superbe*](#superbe) beauté dans Cypre est couronnée,
Et l’on fait retentir son beau nom jusqu’aux Cieux.
Puis que Cephise emporte un prix si [glorieux*](#glorieux3),
Allons donc rendre hommage à sa beauté divine.
Non non, allez plus-tost pour consoler Corinne,
Il est d’un vrai Romain & d’un cœur [genereux*](#genereux),
D’estre pour les vaincus & pour les mal-heureux.
Il est d’un vrai Romain, d’une ame genereuse,
D’aymer la plus parfaite & la plus glorieuse :
Et tout homme galand malgré vos feux constans,
Veut ce que veut l’amour & s’accomode au temps.
ACTE IV.
SCENE PREMIERE.
Je ne viens pas vous voir ainsi qu’une Rivale,
Dont la nouvelle [gloire*](#gloire2) à la mienne est [fatale*](#fatal2) ;
Car j’ay veu de mes yeux l’honneur qu’on vous a fait,
Sans vous porter envie, & sans aucun regret ;
Sans temoigner aussi du [chagrin*](#chagrin2) ny de [honte*](#honte),
Je vous vois triompher dans les murs d’Amathonte.
Si vous sçavez si bien l’art de dissimuler,
Vous m’espargnez le soin de vous en consoler.
Je venois dans ces lieux vous consoler vous-mesme,
Vous donner un [advis*](#advis) d’une importance extresme.
Les gens conseillent mal qui sont [interessez*](#interesse).
Ah ! vous n’en estes pas encore où vous pensez.
[Lors que*](#lorsque) pour [decider*](#decider2) nostre [illustre*](#illustre) [querelle*](#quereller),
Thalie eût ordonné que l’on s’approchât d’elle,
Et que ce vif [esclat*](#eclat) que nous tenons des Cieux,
De tous les spectateurs eut attiré les yeux,
Dites, n’avez-vous pas observé que les Graces,
Comme l’ont remarqué ceux qui suivoient nos traces,
N’ont peû nous regarder sans [despit*](#depit), sans douleur ?
Oüy, j’ay veu que leur tein a changé de couleur.
L’on sçait que leur [dépit*](#depit) n’estoit que trop visible,
Et que nous leur causions un [déplaisirs*](#deplaisir) [sensible*](#sensible1).
Quand les Graces auroient un sentiment jaloux,
Leur [dépit*](#depit) pourroit-il descendre jusqu’à nous ?
Leur indignation, leur colere divine,
Ne va pas jusqu’à vous & s’arrete à Corinne ;
On ne fait pas du bien à qui l’on veut du mal,
C’est à moy seulement que l’Arrest est [fatal*](#fatal2) ;
Et leur jaloux [despit*](#depit) vous ayant negligée,
Contre moy seulement leur beauté s’est vangée ;
M’ostant la pomme d’or qu’on me devoit donner,
Elles vous dedaignoient vous faisant couronner ;
Ainsi quand vous pensiez me ravir la victoire,
Vous en aviez la [honte*](#honte), & moy seule la [gloire*](#gloire2).
Vous estes satisfaite, & je la suis aussi ;
Mais rendez sur un point mon esprit esclaircy.
Puis que vous [pretendez*](#pretendre) estre victorieuse,
De quoy vous plaignez-vous, si vous estes heureuse ?
Si vos charmans attraits dans Cypre sont connus,
Pourquoy donc implorer la [faveur*](#faveur) de Venus ?
Pour [convaincre*](#convaincre) d’erreur ceux qui m’ont condamnée,
Pour me faire juger à Rome où je suis née,
Où Venus a son Temple, ainsi que dans ces lieux,
Où brille un Empereur plus juste que vos Dieux.
Les Graces chez les Grecs avec excés vantées,
Sont du grand Jupiter des filles adoptées,
Qui furent autrefois mortelles comme moy,
De ces injustes sœurs je ne prends pas la loy :
Pour juger qui des deux estoit la plus [aymable*](#aimable),
L’autre sexe eut paru beaucoup plus équitable ;
Au lieu d’une Rivalle il faloit un [Amant*](#amant1),
Et l’Amour en auroit jugé tout autrement.
Je voudrois que le Dieu que cette Isle revere,
Empruntast pour nous voir les beaux yeux de sa mere,
Ou que pour nous juger il ostat son bandeau,
Je n’[appellerois*](#appeler) point d’un Jugement si beau.
Les Graces vont encor pour causer quelque plainte,
Juger les differens d’Ovide & d’Hyacinthe,
Pour l’[interest*](#interet1) d’Amour l’un & l’autre Rival,
Vont [disputer*](#disputer) le prix devant leur Tribunal.
J’iray faire rougir encor ces Immortelles.
Qui perdent devant moy la qualité de belles,
Pour venger mon [injure*](#injure1), & braver leur pouvoir,
Corinne seulement n’a qu’à se faire voir.
SCENE II.
Quelle presomption ! qu’elle a l’[humeur*](#humeur) [hautaine*](#hautain) !
Pour tout dire en un mot, Madame, elle est Romaine.
J’aperçois un Romain qui vient encor icy.
Il a l’esprit plus doux, & n’agit pas ainsi.
SCENE III.
Je viens vous temoigner que j’aime vostre [gloire*](#gloire2),
Je viens vous rendre hommage apres vostre Victoire,
Je viens pour admirer vos rares qualitez,
Qui se font couronner par des Divinitez.
Je ne suis pas surpris, que la sage Talie
Vous ait fait triompher de la fleur d’Italie,
Elle ne pouvoit pas vous refuser le prix.
Corinne dit pourtant que l’on s’est fort mépris,
Et veut estre jugée en presence d’Auguste.
La [honte*](#honte) & le [dépit*](#depit) la font paroistre injuste ;
Ovide l’abandonne à son [transport*](#transport) jaloux ;
Et tout Romain qu’il est, se declare pour vous.
Mais à Corinne ainsi vous estes infidelle.
Qu’elle se pleigne aux Dieux qui vous firent plus belle.
Peut-elle me blasmer de la vouloir quitter,
Sans blasmer ses [appas*](#appas) qui n’ont peû m’arrester ?
Mais pour se consoler, elle a quelque compagne
A Rome, dans la Gaule, en Affrique, en Espagne.
Comme je suis touché des rares qualitez,
Je fais par tout ma [cour*](#cour1) aux plus grandes beautez,
Et je veux quelque jour vous en donner la liste.
Nous y verrons les noms d’Olimpe, de Caliste,
D’Albine, d’Emilie.
Et cent autres encore,
Dans l’Almanach d’Amour je marque en Lettres d’or
Les noms de mes vainqueurs au jour de leur conqueste,
Et de ces jours heureux je fais des jours de feste.
Le beau nom de Corinne est le premier de tous,
Quoy que vous me disiez.
Elle n’est qu’apres vous,
Et [lors que*](#lorsque) je vous rends la premiere visite,
Je m’explique en faveur d’un si rare [merite*](#merite).
Vous me la deviez rendre en mon appartement.
Pour vous y rencontrer, j’en viens presentement ;
Mais sans trop m’arrester à cette circonstance,
Je vous puis en ce lieu donner la preference.
Mais vous vous contraignez en me traictant ainsi.
Je ne me contrains point, ny ce que j’ayme aussi,
Je vis en liberté.
C’est estre fort commode.
Les Amoureux transis ne sont plus à la mode,
On se rit des constans parmy les beaux esprits,
Et tout [Amant*](#amant1) qui pleure est digne de mespris.
N’est-ce pas faire [injure*](#injure1) aux charmes d’une belle,
De paroistre [chagrin*](#chagrin1) [lors qu’*](#lorsque)on est auprés d’elle ?
Il faut sans se montrer ny triste ny jaloux,
Estre tel que je suis, quand je suis avec vous.
C’est dire son [humeur*](#humeur) avec grande [franchise*](#franchise).
J’ay beaucoup de respect pour l’[aymable*](#aimable) Cephise,
Et j’abandonne tout pour servir sa beauté,
Qui fait seule ma [gloire*](#gloire2) & ma felicité.
Hyacinthe paraist, ce Rival haissable
M’oste l’occasion qui m’estoit favorable ;
N’en témoignons pourtant ny [chagrin*](#chagrin2) ny soucy*.
SCENE IV.
Hyacinthe, à propos vous arrivez icy,
Vostre rare [merite*](#merite) a fait nostre [querelle*](#quereller) ;
Mais pour nous [accorder*](#accorder2), montrez vous moins cruelle,
Vous pouvez d’un seul mot vider nos differens.
Puis que vous les causez, ils doivent estre grands
J’ignore quels ils sont.
Cela pourroit-il estre ?
Et peut-on ignorer des feux qu’on a fait naistre ?
Puis que vous vous trouvez entre vos deux Amans,
Vous devez declarer quels sont vos sentimens,
Mais vous en rougissez ? Amour, je te rends [grace*](#grace1),
D’avoir mis aujourd’huy cette Nymphe en ma place ;
Elle est dans l’embarras où tantost on m’a veu,
De choisir l’un des deux vostre tour est venu ;
Mais vous en sortirez avecque moins de peine,
Car nous avons pour vous plus d’amour que de haine ;
Et de quelque costé que penchent vos esprits,
Vous n’apprehendez point ny [froideur*](#froid) ny mépris.
Nos [humeurs*](#humeur) à tous deux sont assez differentes,
Je ne veux point d’Amans, vous vouliez deux Amantes.
Si deux sont trop pour vous, ne faites choix que d’un,
Prenez le plus galand & le moins importun.
Vous [figurez*](#figurer) l’amour d’une [humeur*](#humeur) si legere,
Qu’elle croit que vos feux ne sont qu’une chimere.
Et vous representez ce Dieu si peu [charmant*](#charmant),
Que vous faites hayr & l’amour & l’[amant*](#amant1).
Voyez qui de nous deux avec plus juste titre
Merite vostre [estime*](#estime1), & soyez nostre arbitre,
Prononcez nostre Arrest, daignez nous obliger.
Je n’ay ny volonté ny droit de vous juger ;
Celles qui font ma [gloire*](#gloire2), & qui m’ont couronnée,
Vont faire de vous deux aussi la destinée ;
Sur ce haut Tribunal les Graces vont monter,
Pour donner la Couronne à qui doit l’emporter.
Mais desja dans ces lieux ces Deitez paraissent,
Sous leurs pas [glorieux*](#glorieux2) je voy des fleurs qui naissent.
Pour meriter le prix que [pretendent*](#pretendre) vos feux,
Allez leur adresser vos respects & vos vœux ;
Pour faire rendre hommage à ces trois Immortelles,
Les intendans des jeux font place devant elles,
Corinne aussi les suit, & vous la pouvez voir.
Vostre exemple aujourd’huy m’enseigne mon devoir.
SCENE V.
De tant d’Amans divers dont cette Isle est remplie,
Que de tous les costez de Grece & d’Italie,
L’on voit venir en foule en cet heureux [sejour*](#sejour),
Afin de [disputer*](#disputer) les Couronnes d’Amour,
Tous à ces deux Rivaux ont cedé cette [gloire*](#gloire2) ;
Et puis que l’un & l’autre aspire à la victoire,
Apprenons de quels traits leurs deux cœurs sont blessez.
Pour faire honneur à Rome, Ovide, commencez.
Pour d’un Myrrhe amoureux voir couronner ma teste,
Assiste moy, Venus, dans cette belle feste ;
Mesle dans mes discours ces [entretiens*](#entretien) charmans,
Que tes divins regards inspirent aux Amans :
Et vous qui presidez dans Cypre & dans Cythere,
Graces, filles du Ciel, sans qui rien ne peut plaire,
Declarez vous pour moy dans ce celebre jour,
Et me favorisez pour la [gloire*](#gloire2) d’Amour ;
Pour l’[interest*](#interet1) d’un Dieu prenez celuy d’un homme,
Qui l’a fait triompher dans la [superbes*](#superbe) Rome,
Et veut qu’il regne encor, en tous lieux, en tout temps,
Malgré ces [froids*](#froid) esprits qu’on appelle constans.
Il faut dans les desirs imiter la nature,
Qui ne peint pas les champs d’une mesme peinture,
Et par ses changements & ses diversitez,
Fait [briller*](#briller2) à nos yeux differentes beautez.
Chaque Dame a ses dons & remplit bien sa place,
L’une a la majesté, l’autre a la bonne [grace*](#grace2),
L’une a tous les traits beaux, l’autre un teint delicat,
L’une a de l’[agrément*](#agrement), l’autre beaucoup d’éclat,
Enfin le Ciel a fait, pour charmer tout le Monde
La belle, l’agreable, & la brune, & la blonde ;
Mais jusques à present nul n’a peu [decider*](#decider1),
Entre tant de beautez laquelle doit ceder.
Quand on n’est pas aveugle, & qu’on est [raisonnable*](#raisonnable1),
On doit aymer par tout tout ce qu’on voit d’[aymable*](#aimable) :
Et qui n’est pas [sensible*](#sensible2) où brillent les [appas*](#appas),
S’en croit lui-mesme indigne, ou ne les connoit pas.
L’Amour est un Tribut que l’on doit au [merite*](#merite).
Tousjours [civillement*](#civil) l’inconstant s’en acquitte,
Et pour n’attirer pas la colere d’un Dieu,
Il est prest à payer à toute heure, en tout lieu.
Mais jamais le constant n’agit que par caprice,
Aux belles tous les jours il fait quelque injustice,
A plus d’une il fait voir un cœur indifferent,
Vers un sexe si [fier*](#fier) c’est un crime bien grand.
Pour de ces deux Amans mieux voir les differences,
Il faut peser leurs mœurs dans de justes balances :
L’inconstant a l’esprit doux, [civil*](#civil), [complaisant*](#complaisant),
Le constant est resveur, [chagrain*](#chagrin1) & mesprisant,
Je croy que ces remords & ces peines cruelles,
Viennent de n’avoir pas aymé toutes les belles.
Sourire est mal respondre en faveur des constans.
Et bien, j’y respondray quand il en sera temps.
Mon esprit esclairé de ces belles lumieres,
S’en va vous en donner de nouvelles matieres.
Chacun connaist assez que ce sexe [charmant*](#charmant),
Tire de sa beauté son plus grand ornement,
Un [amant*](#amant1) qui ne veut aymer qu’une [maistresse*](#maitresse),
Quand la beauté s’enfuit avecque la jeunesse,
Que ses regards esteints inspirent la [froideur*](#froid),
Doit-il estre constant pour aymer la laideur ?
Il rend par ces [raisons*](#raison2) le constant ridicule.
Qui cherit les defaux, se trompe, ou dissimule.
Un esprit inconstant agit plus prudemment,
Et pour fuir la laideur, il court au changement.
Dans ce riche Univers où tout se renouvelle,
Quand la nature change, il faut changer comme elle,
En d’agreables lieux, ramener ses desirs,
Et chercher la beauté par tout & les plaisirs.
C’est estre plus changeant, mais non pas plus [aymable*](#aimable).
C’est imiter les Dieux, c’est estre leur semblable.
Les actions des Dieux parlent en ma faveur,
Ou les Dieux immortels sont sujets à l’erreur.
Vous sages Deitez, mes trois [aymables*](#aimable) Juges,
Chez qui les vrais amans ont d’assurez refuges,
Pour vostre propre [gloire*](#gloire2) & pour vostre [interest*](#interet1),
Donnez en ma faveur un équitable Arrest,
Au plus parfait [Amant*](#amant1) donnez la preference,
Condamnez mon Rival dont l’amour vous offense ;
Une seule ne peut [recevoir tous ses vœux*](#recevoir-voeux),
Puis que vous estes trois, qu’il n’en offense deux ;
Et puis que toutes trois je vous crois adorables,
Pour moy donc toutes trois monstrez vous favorables.
Vous dont le cœur constant brusle d’un autre Amour,
Hyacinthe, parlez, car c’est à vostre tour.
De mon Rival [subtil*](#subtil) j’admire l’Eloquence,
Et me condamnerois à garder le silence,
N’ayant pas comme Ovide apris cet art [charmant*](#charmant),
Qui pour seduire un cœur trompe le jugement.
Mais quand je vois icy pour mes juges les Graces,
Qui des Vertus leurs sœurs suivent par tout les traces,
Que ne sçauroit corrompre un langage flateur,
Je ne redoute plus ce fameux Orateur.
Pour commancer par vous, Déesses adorables,
Ovide pour vous rendre à ses vœux favorables,
Dit qu’il veut partager l’[estime*](#estime1) entre vous trois,
De peur d’en blaisser deux par un unique choix.
Bien loin d’avoir pour vous d’obligeantes pensées,
Les Nymphes de ces lieux en seroient offensées ;
Partager ses desirs ce n’est pas faire honneur,
Car la moindre beauté croit meriter un cœur.
Il n’est rien de mieux dit.
La responce est jolie
Je passe à ces [raisons*](#raison2), belle & sage Thalie.
Le Genie amoureux qui bastit l’Univers,
L’orna, dit-il, expres de cent charmes divers,
Et fit pour enchaisner les cœurs de tout le monde,
La belle, l’agreable, & la brune & la blonde.
Mais il fit pour reigler tant de diversitez,
Tout autant de desirs, qu’il a fait de beautez.
Qui peut plaire à plusieurs & n’en veut aymer qu’une,
Est un grand ennemy de sa bonne fortune.
Les plaisirs sont legers, estant si limitez ;
Mais on en reçoit mille, ayant mille beautez.
D’un esprit divisé les desirs s’afoiblissent,
Ils ne sont jamais grands, s’ils ne se réunissent ;
Qui prend divers [partis*](#parti2) ne reüssit pas bien,
Et qui veut aymer tout, à la fin n’ayme rien.
L’inconstant est au bout de ses ruses [galantes*](#galant2),
[Lors qu’*](#lorsque)il est rencontré par deux de ses Amantes ;
Recevant de leur part des ordres differens,
Il ne peut obeyr à deux [en mesme temps*](#en-meme-temps) :
Si d’en servir* plus d’une il est si difficile,
Comment pretendez-vous qu’on en puisse aymer mille ?
On peut fort aisement les aymer tour à tour,
Les aymer par [quartier*](#quartier), comme on [sert*](#servir-femme) à la [Cour*](#cour2).
Ce sera pis encor, car celle que l’on quitte,
Se plaindra que l’on fait [injure*](#injure1) à son [merite*](#merite),
Et celle qu’il choisit, doit s’attendre qu’un jour
Un esprit si leger luy joüra mesme tour.
Sur la fidelité l’amante se repose ;
Aymer, estre fidelle, est une mesme chose.
Les desirs inconstans, & qui changent toujours,
Ce sont des feux [folets*](#follet), & non pas des amours.
Un trompeur qui s’[engage*](#engager2) à diverses [maistresses*](#maitresse) ;
Pour les mieux abuser par de feintes* promesses,
Et trouver une excuse à l’infidelité,
Dit qu’il fuit la laideur, & cherche la beauté ;
Mais la beauté du corps d’un volage adorée,
N’est pas à dire vray, de si courte durée ;
Quoy que l’on la compare aux roses du Printemps,
Qu’elle ne dure assez pour voir des feux constans :
L’espace est assez long du regne d’une belle,
Pour obliger un cœur à demeurer fidelle ;
Et l’esprit n’a t il pas des charmes eclatans*,
Qui ne sont point sujets à l’[injure*](#injure2) du temps ?
Fort bien, mais dites moy, les Amans de cette Isle,
Auroient-ils soupiré pour la vieille Sybille ?
Elle avoit l’esprit beau.
C’est railler galamment.
Ovide ne sçait pas ce que c’est qu’estre [Amant*](#amant2).
[Lors que*](#lorsque) d’un mesme trait deux ames sont blessées,
Qu’elles n’ont toutes deux que les mémes pensées,
Elles ont des plaisirs qu’on ne peut exprimer,
Et qu’on sent seulement [lors qu’*](#lorsque)on sçait bien aymer ;
Leurs [soucis*](#souci) amoureux, qu’il appelle humeur noire,
Ne sont pas des remords, mais des desirs de [gloire*](#gloire2) ;
Les grandes passions* ravissent le repos,
Et de mesme que Mars, l’Amour a ses Heros.
La plus [illustre*](#illustre) vie est de soins toujours pleine,
Au feste du bonheur nul n’arrive sans peine ;
Mais ce Dieu favorable au plus fidelle [Amant*](#amant1),
Paye un siecle d’[ennuis*](#ennui) par un heureux moment.
De vos Amans transis avez-vous des exemples,
De ceux à qui la [gloire*](#gloire2) a fait bastir des Temples ?
Il en est d’assez beaux & d’assez éclatans,
Pour [convaincre*](#convaincre) d’erreur les esprits inconstans.
Le Dieu qui fait aymer, & qui sçait comme on ayme,
Qui des parfaits Amans est l’exemple luy mesme,
L’Amour d’un seul [objet*](#objet2) a veu son cœur touché,
Et n’ayma jamais rien que la belle Psiché.
Si j’ay pour moy l’Amour, la [Vertu*](#vertu), la Nature
En faveur des Constans je puis donc bien conclure,
Que n’ayans tous qu’un cœur & qu’une volonté,
Nous ne devons aymer qu’une seule beauté.
Cephise desormais expliquez vous sans fainte.
Pour lequel estes-vous, d’Ovide, ou d’Hyacinthe ?
L’un & l’autre a fait voir un amour sans pareil.
Les Graces sur ce point tiennent desja conseil.
On va vous condamner, tremblez donc Hyacinthe.
Mais vous mesme écoutez avec respect & crainte.
Nous voudrions pouvoir tous deux vous couronner,
Mais nous n’avons qu’un prix seulement à donner ;
Vos differends d’ailleurs sont de telle importance,
Qu’ils tiennent justement nos esprits en balance,
Car vos deux passions*, vos divers sentimens,
De l’empire d’amour sont les seuls fondemens :
Et puisqu’enfin Venus sur ce point [s’interesse*](#interesser),
Afin de consulter cette grande Deesse,
Nous allons toutes trois remonter dans les Cieux,
Attendez cependant ses ordres dans ces lieux.
RECIT.
Sous ces ombrages vers, troupe [illustre*](#illustre) & fidelle,
Attendez nous en paix ;
Venus, cette [aymable*](#aimable) immortelle,
A nostre heureux retour unira pour jamais,
Le plus parfait [Amant*](#amant2) avecque la plus belle.
Allons sacrifier à ces belles Deesses,
Qui doivent mettre fin à toutes nos tristesses.
J’attendray leur retour sans craindre & soupirer ;
Quand on aime par tout, on doit tout esperer.
ACTE V.
SCENE PREMIERE.
STANCES.
L’Amour & la [Vertu*](#vertu) sont deux grandes puissances,
Qu’on revere dans l’Univers ;
A leurs adorateurs divers,
Chacun offre des recompenses :
L’une & l’autre a pouvoir d’allumer nos desirs,
Et voudroit sur nos cœurs remporter la victoire ;
L’Amour nous promet les plaisirs,
Et la [Vertu*](#vertu) promet la [gloire*](#gloire2).
Mon sexe d’une [humeur*](#humeur) [severe*](#severe),
Trouve en la [Vertu*](#vertu) des [appas*](#appas) ;
L’autre d’Amour suivant les pas,
Met tout son bonheur à nous plaire ;
Pour nous vaincre il fait ses efforts,
Nostre [fierté*](#fier) paraist visible ;
On sauve toujours le dehors ;
Mais souvent au-dedans on n’est pas insensible.
La [Vertu*](#vertu) par fois elle-mesme,
Nous trahit en faveur d’Amour ;
[Lors qu’*](#lorsque)un Heros nous fait la [cour*](#cour1),
Nous courons un danger extréme,
Il flechit nos cœurs [glorieux*](#glorieux1),
Et l’ame la plus genereuse
Croit, pour aymer les vertueux
N’en estre pas moins vertueuse.
C’est l’estat où je suis reduite,
Depuis cinq ans que dans ces lieux,
Un Grec égal aux demi-Dieux,
Fait marcher l’Amour à sa suite ;
En vain contre ce Dieu vainqueur,
Ma [pudeur*](#pudeur) differe à se rendre,
[Lors qu’*](#lorsque)il est entré dans un cœur,
Il est trop tard de s’en deffendre.
Depuis le jour [fatal*](#fatal1) que j’ayme,
Mon orgueil accroist mon [tourment*](#tourment) ;
Je ne combats plus mon [Amant*](#amant2),
Mais je combats contre moy-mesme,
J’esprouve en mon sort rigoureux,
Que la sagesse qu’on admire,
Fait quelque fois des [malheureux*](#malheureux),
Puis que c’est un grand mal que d’aymer sans le dire.
Pour finir ma dure contrainte
Sans ternir mon nom [glorieux*](#glorieux2),
En ma faveur, ô justes Dieux !
Venez couronner Hyacinte,
Afin que mon cœur combatu,
Puisse [accorder*](#accorder1) par sa victoire,
L’Amour avecque la [Vertu*](#vertu),
Et les plaisirs avec la [gloire*](#gloire3).
Mais Aminte paraist, pour finir mes tourmens*,
Elle vient m’annoncer le sort de deux Amans.
SCENE II.
Dy les Graces du Ciel sont-elles revenuës ?
Oüy leur [superbe*](#superbe) Char a traversé les nuës,
Elles sont de retour, l’on a donné le prix :
Mais helas !
Ne tiens point en suspens mes esprits,
Dis qui l’a remporté, d’Hyacinte, ou d’Ovide.
Je crains de vous fascher.
C’est estre trop [timide*](#timide) :
Si tu ne connois pas le secret de mon cœur,
Pourquoy redoutes-tu de nommer le vainqueur ?
Je crains fort que Venus n’ait esté favorable,
A celuy qui pour vous n’est pas le plus [aymable*](#aimable).
Ovide seroit-il cét [Amant*](#amant1) [fortuné*](#fortune) ?
Non, vous voyez celuy que l’on a couronné.
SCENE III.
Je viens pour vous offrir cette [Illustre*](#illustre) couronne,
Que l’Amour a conquise, & que le Ciel me donne,
Sur mon fameux Rival je viens de l’emporter,
Sans par un [vain*](#vain1) orgueil [croire*](#croire2) vous meriter :
Pour la mettre à vos pieds je l’oste de ma teste,
Et bien que du vainqueur vous soyez la conqueste,
De ce bon-heur trop grand je n’abuseray pas,
Je veux rendre l’honneur qu’on doit à vos apas,
Pour monstrer mon amour par un respect extrême,
Cephise peut encor disposer d’elle mesme :
Je me croy son Captif, & non son Souverain,
Et ne puis la contraindre à me donner la main,
Quoy-que Venus l’ordonne, & le Ciel l’authorise,
Car je ne veux devoir Cephise qu’à Cephise.
Ce procedé me plaist dont vous usez vers moy,
Et d’un si doux vainqueur je veux prendre la loy.
Apres tant de respects je dois enfin me rendre,
Contre vous ma [raison*](#raison1) ne peut plus se defendre :
Et mon [superbe*](#superbe) esprit par l’amour combatu,
Ne sçauroit resister contre tant de [vertu*](#vertu):
Pour n’estre pas ingrate aux yeux de tout le monde,
Il faut que mon [estime*](#estime1) à la vostre responde,
Si j’ose l’avouer sans blesser la [pudeur*](#pudeur),
Je n’eus jamais pour vous ny mespris ny [froideur*](#froid),
L’Amour seul excepté, tout vous estoit contraire,
Mon sexe, la [pudeur*](#pudeur), un Rival & mon pere :
Mais pour me declarer aujourd’huy contre tous,
J’attendois que le Ciel se declarast pour vous ;
Et puis qu’à vos desirs il s’est monstré propice,
Cephise avec le Ciel vous veut rendre justice ;
Avec ma main encor je vous donne mon cœur,
Et ne veux plus cacher sa [gloire*](#gloire2) à mon vainqueur.
Quoy ? la belle Cephise à ma peine est [sensible*](#sensible2),
Et me donne son cœur ! ô Dieux, est-il possible !
Hyacinthe n’a rien qu’il n’ait sçeu meriter,
Et ma reconnoissance enfin doit éclater.
Je suis tout [transporté*](#transport) d’oüir cette nouvelle ;
C’est un plaisir d’aymer une amante si belle ;
Mais de s’en voir aymé, c’est un si grand honneur,
Que rien dans l’Univers n’egale ce bonheur.
Vous [superbes*](#superbe) Cezars, qui triomphez en guerre,
Que la fortune aveugle a faits Dieux sur la terre,
Qui de vostre grandeur rendez les Roys jaloux,
Venez voir un [Amant*](#amant2) plus satisfait que vous,
Et qui sans commander à tout cét hemisphere,
Est heureux & n’a plus aucun souhait à faire.
Ce grand [transport*](#transport) me plaist dont il est agité,
Puis qu’il fait voir son zele & sa fidelité.
Je voudrois que le Dieu qui lance le tonnere,
Nous voulut oublier dans un coin de la terre ;
Et que dans un desert jusqu’à mon dernier jour,
Je ne visse plus rien que Cephise & l’Amour.
Mais Daphnis vient icy troubler nostre alaigresse,
Il fait voir sur son front une sombre tristesse,
Et l’on voit dans ses yeux éclater la douleur.
SCENE IV.
Je viens vous annoncer un [sensible*](#sensible1) malheur,
Et vous aurez besoin de tout vostre courage ;
Vostre amour dans le port est proche du naufrage.
Puis que le Ciel prend soin de nous favoriser,
Quelqu’un à son Arrest ose-t’il s’opposer ?
Ovide.
Et bien, Ovide…
O dieux ! que j’ay de crainte !
Acheve donc.
Jaloux du bonheur d’Hyacinthe[,]
Pour braver la Déesse au milieu de la [Cour*](#cour2),
Veut mespriser les loix de la mere d’Amour ;
Et ce [subtil*](#subtil) Romain dit que cette Immortelle,
Peut juger seulement des charmes d’une belle :
Mais que ce droit divin n’appartient qu’à son fils,
De juger des Amans, & de donner le prix ;
Il imite Corinne, & veut à son exemple,
Estre jugé dans Rome où l’Amour a son Temple.
Son pere ambitieux approuvant ses desseins,
Veut en despit du Ciel s’allier aux Romains,
Et luy mesme dans peu la veut conduire à Rome.
Cephise donc en vain a remporté la pomme,
Et les Graces en vain aussi m’ont couronnée,
Puis que de mon Rival l’orgueil trop obstiné
Jusque dans Cypre mesme a bravé la Deesse,
Et voudroit me ravir ma divine [Maistresse*](#maitresse) :
On la conduit à Rome, helas ! que m’as-tu dit ?
Quoy ? par cette nouvelle estes-vous [interdit*](#interdire) ?
O dieux ! qu’en un moment la fortune est changeante !
Tout sembloit dans ces lieux respondre à mon attente,
Par un Arrest du Ciel mes desirs satisfaits,
Eslevoient mon bonheur au dessus des souhaits ;
Les Graces & Venus, tout m’estoit favorable,
J’aymois, j’estois aymé d’une Amante adorable,
Qui me vouloit donner & sa main & son cœur,
Et l’Amour d’un Rival m’avoit rendu vainqueur :
J’estois égal aux Dieux, [lors qu’*](#lorsque)un coup de tempeste
Du haut du Capitole a menacé ma teste :
Et l’aveugle destin par ce coup rigoureux,
Du plus heureux [Amant*](#amant2) fait le plus [malheureux*](#malheureux).
Mais malgré l’Empereur, malgré l’Aigle Romaine,
Ovide sentira les effets de ma haine :
Entre les bras des siens je luy veut faire voir,
Ce que peut un [Amant*](#amant2) qu’arme le desespoir.
Arreste les [transports*](#transport) d’une aveugle colere,
Et calme tes fureurs, si Cephise t’est chere ;
Ne m’abandonne pas aux cruels [desplaisirs*](#deplaisir),
De voir ta derniere heure & tes derniers soupirs.
Mais n’as-tu pas assez de bonheur & de [gloire*](#gloire2),
Quand ton cœur sur le mien remporte la victoire,
Sans vouloir malgré moy chercher un autre prix,
Aux despens d’un Rival pour qui j’ay du mespris ?
Je redoute Alcidon à mon amour contraire.
Quand le Ciel est pour nous pourquoy craindre mon pere ?
Mais l’orgueil des Cezars peut m’imposer la loy.
Craindre Rome & Cezar, c’est [douter*](#douter) de ma [foy*](#foi),
Car la [vertu*](#vertu) partout est triomphante & libre,
La mienne va [briller*](#briller1) au rivage du Tybre :
Et je me rejoüis malgré tout ton effroy,
Que cette occasion se soit offerte à moy.
Qu’Auguste redouté sur la terre & sur l’onde,
Par l’ordre des destins, soit le Maistre du monde,
Que trente legions l’en rendent le vainqueur,
Ce Tyran qui peut tout, ne peut rien sur mon cœur :
Si sa grandeur s’oppose à mon ardeur fidelle,
Ma constance est plus grande, & triomphera d’elle[,]
Plus il est redouté, plus il a de pouvoir,
Et plus j’auray de [gloire*](#gloire2) à faire mon devoir.
Puis que je veux agir en genereuse Amante,
Bannis de ton esprit tout ce qui t’espouvante,
Et crois avec[que] moy pour braver les [hazards*](#hasard),
Que l’Amour est un Dieu qui commande aux Cesars.
Puis que vostre [vertu*](#vertu), vostre beauté divine
Fait voir des sentimens dignes d’une Heroïne,
Je suis prest de vous suivre, & traineray mes fers
Des rivages de Cypre aux bouts de l’Univers,
Sans craindre que jamais les Tyrans ny l’envie
Puisse troubler le cours de nostre [illustre*](#illustre) vie.
Mais Ovide paraist, dans mon [transport*](#transport) jaloux
J’ay peine à moderer l’ardeur de mon couroux.
Mais il le faut dompter, encor qu’il soit extréme,
Et qui veut vaincre autruy, se doit vaincre soy mesme,
Je m’en vais luy parler.
SCENE V.
Venez-vous dans ces lieux,
Afin de nous braver encor apres nos Dieux ?
De quoy vous plaignez-vous ? d’où naissent vos tristesses ?
N’avez-vous pas trahy dans un jour deux [Maistresses*](#maitresse),
Et ce parfait amy ?
L’Amour rend tout permis,
Et quiconque est [Amant*](#amant1) ne connaist plus d’amis :
Je suis pour [accorder*](#accorder1) la [raison*](#raison1) & mes flammes,
Fort [fier*](#fier) à mes Rivaux, & fort [civil*](#civil) aux Dames,
Corinne qui le sçait, ne se plaint pas de moy.
Quoy ? vous pardonnez donc à cet [amant*](#amant1) sans [foy*](#foi) ?
Vostre pere vouloit par le nœud d’Himenée
Et d’Ovide & de vous unir la destinée :
Mais luy qui craint sur tout de si [facheux*](#facheux) liens,
Neglige vos attraits pour rendre hommages aux miens.
Il faut s’en consoler, & j’ay l’ame assez belle,
Pour le loüer encor [lors qu’*](#lorsque)il m’est infidelle,
Je prends vos [interests*](#interet2) dans cette occasion.
Vous en avez pourtant de la [confusion*](#confus2),
Et vous en rougissez.
Elle en est peu surprise.
J’ay beaucoup de respect pour l’[aymable*](#aimable) Cephise,
Je [prise*](#priser) infiniment cette rare beauté,
Mais j’ayme cherement aussi ma liberté.
Quoy Cephise n’a plus nul charme qui vous touche ?
Dés qu’on parle d’Hymen, mon amour s’effarouche :
Ce Dieu vous peut tous deux enchaisner dès demain,
Pour moy de ce peril je retire la main.
Moy j’y fais consister le bonheur de ma vie.
Je verray ce bonheur sans vous porter envie.
Et pour n’estre jamais ny [facheux*](#facheux) ny jaloux,
[Chagrin*](#chagrin1), ny pire encor, je fuis le nom d’espoux.
Mais l’Hymen des Amans assure* la conqueste.
Il ne vient dans ces lieux que pour troubler la feste,
C’est le plus importun de tous les Immortels,
Et si l’on me croyoit, il n’auroit point d’Autels ;
Les Amans & l’Hymen [s’accordent*](#s-accorder1) mal ensemble,
Il divise les cœurs que l’on croit qu’il assemble,
Il ne plaist tout au plus que trois jours seulement,
Et veut que son pouvoir dure éternellement.
Si vous le mesprisez & lui faites la guerre,
Pourquoy remuez-vous & le Ciel & la terre,
Pour empescher encor que nous soyons unis ?
C’est vous seul qui troublez la feste d’Adonis,
[Lors que*](#lorsque) vous [pretendez*](#pretendre) que l’on nous juge à Rome.
[Lors que*](#lorsque) j’agis ainsi, j’agis en [galant*](#galant3) homme,
Et je ne puis [souffrir*](#souffrir) qu’on veüille injustement
Me [disputer*](#disputer) le nom du plus parfait [Amant*](#amant1),
Je veux sur Hyacinte emporter la victoire,
Triompher d’un Rival qui veut ternir ma [gloire*](#gloire1).
Ainsi qu’Ovide, aussi je pretens remporter
Le prix que dans cette Isle on me vouloit oster.
Les prix estoient donnez justement ce me semble,
Mais je voy que tous deux vous [cabalez*](#cabale) ensemble.
En despit de Venus & de l’ordre des Cieux,
Vous voulez contenter vos cœurs ambitieux,
Mais je jure l’Amour & les Dieux de la Grece,
De servir* contre tous mon [illustre*](#illustre) [Maistresse*](#maitresse).
Et moy je jure aussi par les Dieux des Romains,
Plus forts que ceux des Grecs, & Maistres des humains,
Sans que dans mes sermens la fureur me domine,
De prendre contre tous l’[interest*](#interet1) de Corinne.
Ne sçauroit-on enfin vous [accorder*](#accorder2) tous deux ?
Mais d’où vient que le Ciel est tout remply de feux ?
Je voy de longs esclairs qui percent le nuage,
Ces signes que je croy sont de [mauvais*](#mauvais2) presages.
Peut-estre que l’Hymen va descendre des Cieux.
Mais j’entends dans les airs un son harmonieux.
Escoutons.
RECIT.
Bannissez toutes vos haines,
Amour, le plus beau des Dieux,
Pour mettre fin à vos peines,
Va faire un Ciel de ces lieux,
Et couronner de fleurs sur ces rives [charmantes*](#charmant),
Et les Amans, & les Amantes.
C’est l’Amour dans le Char de sa mere.
Que son visage est beau !
Qu’il a d’attraits pour plaire !
SCENE VI.
& derniere.
Je viens mettre la paix dans cet heureux [sejour*](#sejour),
Et mon empire est doux, puis que je suis l’Amour.
Vous fidelles Amans, Hyacinthe & Cephise.
A qui mes traits puissans ont ravi la [franchise*](#franchise),
Pour augmenter vos biens j’ay fait croistre vos maux,
Mais je vais desormais couronner vos [travaux*](#travail),
Pour voir de vos beaux jours la course [fortunée*](#fortune),
Je fais venir du Ciel le [pompeux*](#pompeux) Hymenée :
Joüissez donc en paix de la felicité,
Dans des liens plus doux que n’est la liberté.
Je vais changer l’Arrest prononcé par les Graces,
Et veux que dans mon Temple & dans toutes les places,
Le peuple d’Amathonte entende publier
Celuy-cy que l’Amour lui deffend d’oublier.
Je veux que desormais on puisse dans le monde,
Aymer [esgallement*](#egalement) & la brune & la blonde,
Sans que pas un [Amant*](#amant1) ait droit de [decider*](#decider1),
Entre ces deux beautez laquelle doit ceder ;
Ovide retournez au rivage du Tybre,
Soyez tousjours [Amant*](#amant1), & soyez tousjours libre,
Que Corinne vous suive, & vous imite aussi,
Vivez dans mon Empire exempts de tout soucy* :
Bien que dans l’Univers vous serviez à ma [gloire*](#gloire2),
Cedez aux plus constans le prix de la Victoire,
Et pour sortir d’erreur, aprenez aujourd’huy,
Qu’Hymen n’est point [facheux*](#facheux) quand je suis avec luy.
FIN.