PREFACE
Si l’on doit juger d’une Comedie par sa rêüssite, j’ay lieu de croire que celle-cy n’est pas des plus mêchantes. Quarante Representations de suite dans la plus mauvaise saison de l’année, me persuadent aisêment qu’elle n’est pas sans merite ; et à parler de bonne foy, je pense qu’un autre en ma place, auroit peine à ne pas se laisser aller à cette persuasion. Le Public, qui dêcide ordinairement de ces sortes d’Ouvrages, a paru fort content de celuy-cy : mais parmy tant de beau Monde qui l’est venu voir en foule, il s’est rencontrê de ces Critiques à outrance, qui ne luy ont pas estê si favorables. Ils ont, suivant leur chagrin naturel, condamnê plusieurs endroits de cette Comedie ; mais le succés qu’elle a eu, m’a vangê pleinement de la malignité de leur humeur critiquante. J’ai le plaisir de voir malgré eux, que sans cabale & sans aucune [brigue*](#brigue), cette Piece s’est d’elle-mesme attirêe l’estime de tout Paris, et que je n’en suis obligê qu’à l’equitê du public, et au soin de mes Camarades. Ces Messieurs les Critiques ont crû donner une grande atteinte à cette Comedie, en faisant remarquer qu’il y a peu de Sujet ; mais je ne voy pas que ce soit un grand defaut, ny que cette remarque me soit desavantageuse. Je sçais comme eux, qu’on y trouvera une duplicitê d’action ; mais je sçais bien aussi que l’action episodique est moindre que la principale, que cette duplicitê n’est pas sans liaison, et qu’il est aisê de connoistre que c’est par les Personnages episodiques que le dênoüement s’en fait. On dit qu’ils m’ont fait la grace de passer legerement sur la conduite ; mais qu’ils ont blâmê fortement quelques Personnages, qui selon leur censure, pouvoient estre retranchez sans rien alterer du Sujet. J’avouë qu’il y en a quelques-uns que possible j’aurois pû retrancher ; mais j’ose dire qu’ils ont produit un trop bon effet dans la Piece, pour croire que je me repente jamais de les y avoir laissez : outre, qu’à considerer la chose avec un peu de réflexion, on verra que ces Personnages ne sont pas si dêtachez que ces Messieurs ont voulu se l’imaginer. Le Musicien attendu par les Filles de Dorame, inspire la pensée à Toinon de faire Crispin Maistre de Musique, pour se tirer de l’embaras où ils sont ; et cette adresse dont elle se sert en cette rencontre, donne lieu à des incidens fort agreables, qui aident beaucoup au dènoüement. Le Breton qui vient au quatrième Acte pour faire un message à Phelonte de la part de Melante son Maistre, ne rompt point le fil de l’action : il estoit de la prudence de Melante en cette occasion d’envoyer avertir Phelonte de sa venuë, afin de ne pas exposer la personne qu’il aime à la veuë des Gens que le hazard pouvoit faire rencontrer au logis de Phelonte. Pour prevenir cet inconvenient, Melante y envoye son Valet, et n’en ayant point de réponse, il y vient luy-mesme : ainsi on peut conclure que la Scene du Breton n’est pas tout-à-fait inutile, et que son Personnage est en quelque façon attaché à la Piece. A la veritè, Melante y pouvoit venir d’abord ; mais en de pareilles occurrences, un Amant n’abandonne guere sa Maitresse, particulierement lors qu’il a un Valet sur lequel il peut se reposer. Sans m’arrester à répondre à toutes les chicanes des Critiques, je diray en passant que nous avons quantitè d’exemples de ces Personnages que ces Messieurs trouvent ètrangers au Sujet, qui souvent ont fait naistre au Theatre des plaisanteries fort spirituelles. Plaute et Terence n’ont point fait de difficultè de s’en servir ; et l’Illustre Moliere, ayant suivy leurs traces, ne s’en est pas mal trouvè. Ce n’est pas que je veuille dire par là que ces exemples soient toûjours bons à suivre ; au contraire, je tiens que l’[Art*](#art) est un chemin bien plus certain, et que ses preceptes conduisent plus seûrement à la perfection que ne font ces sortes de libertez, quoy qu’elles ayent esté fort heureuses. Il est constant qu’on ne peut
jamais déplaire avec l’Art, et qu’il est dangereux de s’ècarter de ses regles ; mais je croy qu’on est pas tout-à-fait condamnable quand en le faisant on rèüssit, et qu’on trouve le moyen de plaire, qui est le but de ce grand [Art*](#art).
ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE.
Eh, Messieurs, un moment [concertons*](#concerter) entre nous ;
De nostre peu de soin, Monsieur est en courroux :
Nous avons, sans mentir, beaucoup de [nonchalance*](#nonchalance).
Allons. Cela va bien ; mais plus de negligence.
SCENE II
Ah Crispin ! ah Crispin ! Quel destin rigoureux
T’a laissé voir Toinon, pour en estre amoureux ?
Que d’angoisse en aimant ! Ah Ciel, ah Destinée !
Il faut souffrir, Amour, cruel Sort, Hymenée…
Je ne sçay où j’en suis, et ma raison se pert ;
J’ay l’esprit bouché, moy, qui l’eus toûjours ouvert.
Cette vivacité que j’avois d’ordinaire
A sortir promptement d’une mauvaise affaire,
Et qui de tout Paris me faisoit admirer,
M’abandonne ! Amour, ah ! laisse-moy respirer.
Hé ! tout doux ; dans mon cœur ne descens pas si viste.
Quoy ! tu ne peux ailleurs chercher un autre giste ?
Peste des Importuns !
SCENE III
Est-il jour là-dedans ?
Oüy.
Personne aujourd’huy ne mange-t-il ceans ?
Je ne sçay.
Joüerons-nous ?
Hé qui vous en empesche ?
Voüay ! Crispin, du matin, a l’humeur bien revesche ?
Je l’ay comme il me plaist.
Monsieur est-il au Lit ?
Non, il est habillé.
Bon : Que fait-il ?
Il lit.
Nous pouvons donc joüer ?
Le Diable vous emporte ;
Joüez, ne joüez pas, tout cela ne m’importe.
Mais tréve aux questions : Si tu m’en fais jamais…
Hé bien ?
SCENE IV
Quel bruit entens-je ?
Hé ce sont vos Laquais.
Qu’on se taise.
Monsieur, c’est luy qui nous querelle.
Je…
Paix.
Nous sommes prests à cette Ritournelle
Que vous…
J’entens ; Allez, ce sera pour [tantost*](#tantot).
SCENE V
Je suis fâché…
Faquin !
C’est votre honneur.
[Maraut*](#maraud),
Si…
[Maraut*](#maraud) ! Autrefois nous estions Camarades :
D’où vient donc cet orgüeil & ces foles [boutades*](#boutade) ?
Point de comparaison, vois-tu, car…
En effet,
Au nom d’Homme de Chambre on doit un grand respect.
Fat…
C’est vostre honneur.
Sors, avec toute ta Clique.
On est dans ce Logis accablé de Musique :
Je n’y puis en repos resver à mon amour ;
Je n’entens qu’E mi la, qu’F ut fa, tout la jour,
Que B mol, fugue, tierce… Ah, voicy la Parleuse.
SCENE VI
Bon-jour, Crispin. Toûjours dans ton humeur grondeuse ?
Ah que je hay les Gens, qui sur les moindres cas
Commencent de parler, pour ne [déparler*](#deparler) pas.
Que dis-tu ?
Rien.
Sçais-tu si Monsieur me demande ?
S’il n’a point à [traitter*](#traiter) quelque [Gaupe*](#gaupe) friande,
Qui viendra, sans raison, [censurer*](#censurer) chaque Mets,
Et faire icy crier Servantes & Valets ?
Je hay cela tout-franc, Crispin ; & sur mon ame,
J’aime mieux voir icy quatre Hommes, qu’une Femme.
Je sçay que tu diras, Monsieur le veut ainsi ;
Ta raison est fort bonne, & je l’approuve aussy :
Le servant, tu ne dois aspirer qu’à luy plaire.
Et ne le sers-tu pas, toy ?
C’est une autre affaire ;
Ce que je fais pour luy, c’est par affection.
Je ne m’oppose point à la distinction ;
Entre vous le debat.
Laisse-là la sottise,
Aupres de moy tu sçais qu’elle n’est pas de mise ;
Toutes mes actions ont deû t’en informer :
J’aime fort nostre Maistre, & j’ay lieu de l’aimer ;
Il ne me traitte pas sur le pied de Servante.
Mais dy, quelle autre aussy gouverna mieux sa Tante ?
Cette Dame mal saine, au Lit depuis deux ans,
M’oblige, quoy qu’on die, à demeurer ceans ;
D’ailleurs, la Dame morte, il en vient quelque chose.
Je n’y demande rien ; qu’on se taise, ou qu’on cause…
Pour un Garçon d’esprit, c’est répondre fort mal.
Et qu’ay-je affaire aussy…
Que tu deviens brutal !
Je deviens… Laisse-moy.
Brutaliser encore !
Sçais-tu que depuis peu ton bon sens s’évapore ?
Qu’il s’évapore, ou non, que t’importe cela ?
Va-t’en étudier ton Ré mi fa sol la,
Ou bien voir si la Tante…
Hom… Ta [mélancolie*](#melancolie)
A des [égaremens*](#egaremens) qui vont à la folie ;
Prens garde à toy, Crispin.
Oh parle tout ton soû :
Si je te dis plus rien, qu’on me rompe le coû.
Hom…
Hom…
SCENE 7
Bon-jour, Fanchon.
Hier, Monsieur vostre Frere
Vint avec son Pédant icy.
Qu’y vint-il faire ?
Hé, pour tâcher, Monsieur, à refaire sa paix.
Fanchon, en sa faveur, ne me parles jamais ;
C’est un petit [Mignon*](#mignon) par trop incorrigible,
Et ma [facilité*](#facilite) luy deviendroit nuisible :
Qu’il demeure au College avec son Précepteur,
Et me laisse en repos ; autrement…
Eh Monsieur,
Songez…
C’est un Esprit qu’il est bon de réduire,
Et sur ce qu’il me doit je veux un peu l’instruire,
Il n’en sera que mieux : Mais viença, dy, Fanchon,
Sçais-tu ce Menüet ?
Oüy, Monsieur.
Tout-de-bon ?
Oüy.
Mais bien ?
Je le croy. Vous plaist-il de l’entendre ?
Ah tu l’offres trop bien, pour vouloir m’en défendre.
Çà, voyons.
Seulement donnez-moy vostre ton ;
Puis…
Le voila.
Fort-bien.
Vous raillez ?
Point.
Sy.
Non :
Allons, chante.
On passe en douceur la vie,
Quand on aime le bon Vin :
Mais quand on chérit Silvie,
On a souvent du chagrin.
On passe en douceur la vie,
Quand on aime le bon Vin.
Fort-bien.
Un Beuveur, en Homme habile,
Conserve sa libertê ;
Car l’Amant le plus tranquille
Est toûjours inquietê.
Un Beuveur, en Homme habile,
Conserve sa liberté.
Tu deviendras sçavante,
Si… Qu’est-ce ?
SCENE 8
C’est, Monsieur, Madame vostre Tante,
Qui demande Fanchon.
Je n’ose t’[arrester*](#arrester).
Estes-vous content ?
Fort.
Vous voulez me flater.
Point du tout ; J’ay, croy-moy, grand plaisir à t’entendre.
C’est beaucoup pour moy.
Va, ne te fais point attendre.
La Ronce, fay venir la Fluste, & Jolycœur.
Faut-il qu’il ait sa Basse ?
Oüy : Reviens.
Bien, Monsieur.
SCENE 9
Allons, cette Chaconne en Ce sol ut.
Qu’on range
Ce Clavessin : sortez.
Amour, quel sort étrange !
SCENE 10
Là, prendras-tu le soin d’ajuster mon Chapeau ?
Le voila.
Pourquoy donc m’apporter mon Manteau ?
Vous me le demandez.
Moy, je te le demande ?
Oüy.
Peut-on soûtenir [imposture*](#imposture) plus grande ?
Quoy ! Tu continuëras à me faire enrager ?
Aujourd’huy, d’avec moy, songe à [déménager*](#demenager) ;
Autrement, mille coups feront ta récompense.
Eh Monsieur !
Quoy, Monsieur ?
Un peu de patience.
Un peu de patience ! Eh Monsieur le Coquin,
Depuis un mois & plus, qu’il faut, soir & matin,
Qu’à tes [égaremens*](#egaremens) ma bonté fasse grace,
Qu’un autre à me servir à tous coups prend ta place,
Que tu pers le bon sens sans espoir de retour,
Que je vois ta folie augmenter chaque jour,
Que d’instant en instant la raison t’abandonne,
Que tu fais à rebours tout ce que je t’ordonne,
Un peu de patience ? Ah c’en est trop souffrir,
Que l’on sorte au plutost, & sans plus discourir ;
Sinon…
Monsieur, de grace…
Hé bien, que veux-tu dire ?
C’est que je sens un mal… qui tous les jours empire.
Si vous sçaviez… Ah, ah.
Si je prens un Baston,
Je pourray t’obliger à prendre un autre ton :
Crains de pousser à bout ma patience extréme.
Qu’as-tu donc ? Parle, ou bien…
Eh Monsieur, c’est que j’aime :
L’Amour, depuis un mois, me fait devenir fou,
Nuit & jour je soûpire, & dors moins qu’un Hibou ;
Enfin j’en sens, Monsieur, une peine cruelle.
L’Amour, me dites-vous, vous trouble la cervelle ?
Oüy, Monsieur, cet amour a sur moy tout pouvoir,
Et c’est luy qui me fait oublier mon devoir.
Ah ! Puisque cet Amour est si peu raisonnable,
Je veux, pour le punir, te frotter comme un Diable,
A grands coups redoublez le chasser de chez toy.
Hé Monsieur, de ce mal faut-il se prendre à moy ?
A qui donc, traistre, à qui veux-tu que je m’en prenne,
Dis ?
A ce chien d’Amour, qui sans cesse m’entraîne,
Vers l’[Objet*](#objet) dont mon cœur est embrasé…
[Maraut*](#maraud),
Aimer, toy ?
Mon bon sens, Monsieur, a fait le saut.
Et pourquoy donc d’aimer as-tu l’[extravagance*](#extravagance) ?
Eh l’on aime souvent lors que moins on y pense ;
L’Amour, ce petit Dieu, se glisse dans le cœur,
Et sans nous consulter, il s’en rend le vainqueur.
Quand par un doux regard un bel œil nous enflame,
Nous sentons tout-à-coup je ne sçay quoy dans l’ame ;
Sans dessein toutefois on se laisse enflâmer,
On aime en ce moment, sans que l’on veüille aimer ;
Cet amour qui toûjours vient nous surprendre en traistre…
Dans le cœur qu’il [surprend*](#surprendre), se fait chérir en Maistre ;
La raison, de l’aider, se fait comme une Loy,
Ce cœur avec plaisir succombe malgré soy,
Et cette passion d’une ame grande… & haute…
Enfin vous voyez bien que ce n’est pas ma faute.
Où diable a-t-il donc pris tout ce langage-là ?
Les Amans parlent-ils autrement que cela ?
Il a pris ces grands mots dans quelque Comédie.
Il est vray, j’en ay leu plus de cent en ma vie ;
Mais l’Amour, de luy-méme est un grand Précepteur,
Il sçait faire parler un Fat en Orateur ;
Le plus grossier par luy manque peu d’éloquence.
Et par luy le plus sage est plein d’[extravagance*](#extravagance) ;
Par luy je voy cent Fous que j’ay peine à souffrir ;
Sans plus me [raisonner*](#raisonner3), qu’on pense à s’en guerir,
Ou les coups de Baston t’iront rendre visite.
Eh Monsieur, d’un tel [soin*](#soin) de grand cœur je les quitte,
Leur visite est mal propre aux Gens qui sont [Amans*](#amant),
Morbleu, si de l’Amour vous sentiez les [tourmens*](#tourmens),
Pour l’Objet inconnu de vos [galanteries*](#galanteries),
A qui vous en contez les soirs aux Tuileries,
Vous verriez…
Que verrois-je ?
Eh vous verriez, Monsieur,
Quel Lutin est l’Amour, quand il est dans un cœur.
Je me ris des effets de sa Lutinerie.
Tout-franc, ne tournez point la chose en raillerie :
Apres que contre luy l’on a bien regimbé,
Souvent on est contraint de venir à jubé ;
Et si je m’y connoy, cette Dame masquée,
Qui sur vos doux propos ne s’est point expliquée,
Peut enfin…
De mon cœur je viens toûjours à bout.
Mais il ne faut qu’un jour, Monsieur, pour payer tout.
Je crains peu…
Cependant vous la [courrez*](#courir) : Peut-estre
Vous y verray-je pris, car l’Amour est bien traistre ;
La Dame a de l’esprit, & pourra vous toucher.
Mais toûjours sous un masque elle aime à se cacher ;
Par là je la crois laide.
Et si, comme il peut estre,
Quand sans masque à vos yeux elle voudra parestre,
Vous luy trouviez autant de beauté que d’esprit,
Hem ? Vous ne dites mot. Sa Suivante m’a dit
Qu’elle est belle, archibelle.
Et tu vois la Suivante,
Quand tu luy parles ?
Oüy, tous les soirs c’est ma rente :
Tandis que sa maistresse, & vous, parlez tout bas,
Elle leve la coëffe, & ne se cache pas.
Ne la connois-tu point ?
Non. En vain je la presse
De m’apprendre son nom, & quelle est sa Maistresse ;
Vous estes si connu pour un [Coquet*](#coquet) errant,
Qu’offert de tous costez, personne ne vous prend :
Mais pour moy je suis pris, je sens qu’Amour m’opresse.
Est-ce que tu prétens [extravaguer*](#extravaguer) sans cesse ?
Monsieur, l’Amour peut-il…
Ecoute, si jamais
Tu me viens étourdir de ton amour…
La paix,
Monsieur, quoy que l’Amour…
Encor ?
Je vay me taire,
C’est fait.
SCENE 11
Qu’a donc Phélonte à se mettre en colere ?
Ah Melante, c’est toy.
Tu querelles Crispin.
Et comment ne le pas quereller ? Le [Faquin*](#faquin)
S’est mis l’amour en teste, & depuis ce caprice,
Il fait tout de travers, pas le moindre service,
Toûjours grondant ; Enfin ce Fou, depuis un mois,
Lasse ma patience, & la met aux abois.
Si je ris, de [chagrin*](#chagrin) ce [Maraut*](#maraud) fait le grave ;
Qu’on l’envoye au Grenier, il descend à la Cave ;
On diroit qu’il se plaist à me faire enrager.
Si je demande à boire, il m’apporte à manger ;
Il resve incessamment ; & quoy que l’on luy die,
Il semble estre toûjours dans une létargie,
Enfin : si je luy parle, il ne m’écoute pas ;
Et le Diable est en haut, quand on le croit en bas.
Toûjours de ce Valet, tu vantois le service.
Alors qu’il faisoit bien, je luy rendois justice ;
Mais depuis que l’Amour luy renverse l’esprit,
Il sert mal, & souvent il ne sait ce qu’il dit.
Je le plains, si l’Amour à ce point le possede.
D’un mal si [chagrinant*](#chagriner), je sçay bien le remede ;
Le Baston…
Le Baston, Monsieur ? Quelle pitié !
Pour avoir le cœur tendre, & de bonne [amitié*](#amitie),
On veut que sur mon dos la Bastonnade jouë.
Tu le blâmes d’aimer, mais pour moy je l’en louë ;
Comme je suis [Amant*](#amant), je prens ses intérests.
Amant !
Tu me vois fou, toy qui n’aimas jamais.
Moy, j’aime comme il faut.
Quel amour !
Tres-commode.
Aimer en mille endroits…
C’est la bonne méthode ;
Par elle je me fais un plaisir assez doux.
Le véritable amour ne dépend point de nous.
Belle excuse aux Amans !
Laissons cette matiere,
Et me dis si je puis te faire une priere ;
Ma flame en ton secours met son plus doux espoir.
Parle, je t’offre tout, & tu n’as qu’à vouloir.
Je te l’ay déjà dit, aprouve, ou blâme, j’aime,
Et la Beauté pour qui mon amour est extréme
Vit sous les loix d’un Pere, opulent, plein d’honneur,
Mais qui chérit un Fils avecque tant d’ardeur,
Que pour le rendre riche, & le faire paroistre,
Son but est d’enfermer ses Filles dans un Cloistre.
Celle qui de mon cœur cause la passion,
Se sent pour la [Closture*](#cloture) entiere aversion :
Mais à dissimuler son adresse est extréme.
Son Pere a découvert cependant que je l’aime,
Et c’est ce qui nous met tous deux dans l’embarras.
Quelle est cette Beauté ?
Tu ne la connois pas.
Pour toy, que puis-je donc ?
Elle vient de m’ecrire,
Qu’elle a sur nostre amour quelque chose à me dire,
Que je choisisse un Lieu propre à cet entretien :
Mon Logis est suspect…
Eh dispose du mien,
Il est à toy, pourveu qu’elle veüille s’y rendre ;
A toute heure, en tout temps, tu peux venir l’attendre,
Je t’en laisse le Maistre.
Ah c’est trop m’obliger,
L’entreveuë au plutost m’importe à ménager ;
Et puis que tu consens que mon amour se serve…
Je n’ay rien qui ne soit à toy, c’est sans reserve.
Je te devrois icy mille remercîmens ;
Mais tu pardonneras à mes empressemens.
Adieu, je cours en haste où leur cause m’appelle.
Donne ordre au rendez-vous, & compte sur mon [zele*](#zele).
Si le mien peut jamais trouver lieu d’éclater…
Je pense qu’avec moy tu veux [complimenter*](#complimenter) ?
L’amitié le défend, & s’en fait un outrage.
SCENE 12
Hé bien, peut-on sçavoir quel [objet*](#objet) vous engage ?
Parlez, Monsieur l’Amant ? C’est, sans doute, Fanchon.
Quoy, la Fanchon d’icy ?
Quelle donc ? oüy.
Non, non.
Ne vaut-elle pas bien que pour elle on soûpire ?
Je suis son Serviteur, Monsieur, c’est tout vous dire.
Elle ne te plaist pas ?
Eh…
Tu luy fais affront,
Elle est [aimable*](#aimable).
Oüy ; mais j’ay grand soin de mon front.
Du costé de Fanchon, ton front n’a rien à craindre.
Vous sçavez bien que si, Monsieur, que sert de feindre ?
Quoy ! Tu refuserois de te voir son Epoux ?
Oüy.
D’où vient ?
Eh Monsieur, qui le sçait mieux que vous ?
Moy, je le sçay ?
Vous.
Moy ?
Vous-mesme.
Mais que sçay-je ?
Vous avez sur Fanchon un certain privilege…
Privilege fâcheux pour son futur Epoux.
Cela me déplairoit, je le dis entre nous.
Si j’estime Fanchon, c’est parce qu’elle chante.
Vous estes content d’elle, elle est de vous contente,
Et vos contentemens m’obligent à douter,
Si j’aurois à mon tour dequoy me contenter.
Et qui donc aimes-tu ? Quelque sotte Figure.
Rien moins, & je hazarde à la grosse avanture,
Car la Beauté… Monsieur, avant qu’il en soit temps,
Ne me demandez rien.
Ah ma foy, je prétens,
Si je souffre de toy, qu’au moins…
Tournez la veuë.
Qu’est-ce ?
On vient de la part de la dame inconnuë.
C’est donc là sa Suivante ?
Elle-mesme.
Crispin,
Qu’en crois-tu ?
Je ne sçay.
Sçachons quelle est sa fin.
SCENE 13
Qui t’améne ? & que veut ta charmante Maîtresse ?
Vous me reconnoissez !
Vrayment…
J’ay charge expresse,
De ne donner qu’à vous le Billet que voicy,
Et là-dessus bon-soir.
Quoy ! Me quitter ainsy,
Sans avoir la Réponce ?
On n’en demande aucune.
Point de Réponce ?
Non.
Ma Chere, sans rancune,
Mon Maistre veut écrire, &…
Tout seroit perdu,
Si je portois Réponce, on me l’a défendu.
Lisez.
Auparavant, souffrez que je vous voye.
Non, Monsieur, ce n’est pas pour cela qu’on m’envoye.
Ne me refusez point.
Et qu’y gagnerez-vous ?
Je vous suis inconnuë.
Il n’importe.
Ah tout-doux,
Il ne faut point user de tant de violence.
Te cacher ainsy faite !
Ah point de complaisance ;
Je sçay bien qu’il en est de plus sotte que moy,
Mais aussy…
Ta Maistresse est-elle comme toy ?
Comme moy ? C’est un Ange, & rien n’aproche d’elle ;
Des traits doux, achevez, l’œil beau, la bouche belle…
Tout-de-bon ?
Tout-de-bon ; mais lisez promptement,
Ou…
Je vais satisfaire à ton empressement.
Ne vous donnez plus la peine de me venir chercher aux Tuileries, car je vous assure que vous ne m’y trouverez pas davantage. C’est assez pour moy d’avoir pû meriter quinze jours durant vos assiduitez : ce m’est une gloire qui n’est pas petite, & je n’en attendois pas tant d’un Homme dont le cœur a toûjours esté sans amour. Je veux bien vous dire que tout le monde blâme vostre insensibilitê pour nostre sexe, & que cela fait dire des choses de vous qui ne sont pas à vostre avantage. Vous devez, pour vostre [gloire*](#gloire), faire reflexion sur ce que je vous écris, & profiter des avis sincéres que vous donne une Personne qui sent pour vous une forte [estime*](#estime). Adieu pour toûjours.
La résolution est assez surprenante :
Un Adieu pour toûjours !
Elle est vostre Servante.
Ne me plus voir ! En quoy luy puis-je avoir déplû ?
Qu’ay-je fait ? Qu’ay-je dit ?…
C’est autant de conclu.
Se fiëra-t-on à vous, quand on sçait que vous estes
Le Protestant banal de toutes les [Coquettes*](#coquet)?
Et que si par hazard un cœur se rend à vous,
Aussi-tost le mépris…
D’accord ; mais, entre nous,
Je sens pour ta Maistresse une sincére flâme.
Quoy ! Sans voir, à l’Amour vous livreriez vostre ame ?
L’Esprit est un grand [charme*](#charme) ; elle en a tant !
Assez
Pour refuser des vœux un peu trop dispercez.
M’[estime*](#estimer)-t-elle un peu ?
Je n’en fais point de doute ;
Je sçay que vous plaisez alors qu’on vous écoute.
De grace, charge-toy d’un Billet de ma part ;
Mon cœur, par ce Billet, s’expliquera sans [fard*](#fard).
J’ay l’ordre du contraire, il faut que j’obeïsse.
Cet obstiné refus est rempli d’injustice.
Quel plaisir auriez-vous à me faire gronder ?
Bon ! Est-ce de si pres qu’il y faut regarder ?
Chacun sçait ce qu’il sçait.
Est-on perdu pour lire…
Mais…
Je l’arresteray, Monsieur, allez écrire.
Deux mots ; Dans un moment je te viens retrouver.
SCENE 14
Toinon, cela va bien, il ne faut qu’achever.
Va, laisse-m’en le soin.
Il ne s’attendoit guére
Au brusque [compliment*](#compliment) que tu luy viens de faire ;
Car il est de luy-mesme à tel point entesté…
S’il sçavoit qu’entre nous le tout est concerté,
Que tu viens en secret parler à ma Maistresse…
Par où le deviner ? Il faut qu’avec adresse
Elle luy donne enfin le moyen de la voir.
L’occasion viendra, laisse-nous y pourvoir.
S’il en tient une fois, j’auray bien lieu de rire ;
Il me traitte de fou, quand d’amour je soûpire,
Et toûjours le Baston est prest à me guérir.
Quoy ! Tu dis nos secrets, & vas nous découvrir ?
Moy, je le dis ?
Tu viens de t’accuser toy-mesme.
Il me sçait amoureux, sans sçavoir que je t’aime :
Mais, Toinon, apprens-moy jusqu’où le cœur t’en dit.
As-tu bien de l’amour ?
Ma foy, j’en pers l’esprit ;
Et je croy que bientost, si tu n’y remedies,
J’auray le cerveau creux.
Ah !
Quoy que tu m’en dies,
L’Amour qui se délecte à grapiller souvent,
Ne trouve point son compte à se nourrir de vent.
Ton amour est gourmand ?
Si gourmand qu’il puisse estre,
Tu n’as que trop dequoy fournir à le repaistre ;
Mais quand il faut donner, l’avarice te tient,
Friponne.
St. Voicy ton Maistre qui revient.
SCENE 15
En donnant ce Billet, assure ta Maistresse…
Moy, répondre de vous, qu’on voit changer sans cesse ?
Tu ne hazardes rien, agis, parles pour moy.
J’y feray de mon mieux.
Je n’espere qu’en toy.
Et son nom ?
Là-dessus je n’ose vous rien dire ;
Mais Crispin est adroit, & cela doit suffire :
Ma Maistresse m’attend dans son [Apartement*](#apartement),
Qu’il me suive, & qu’il entre apres moy brusquement ;
Je feray l’étonnée, & crieray d’importance.
Cependant il faudra qu’on prenne patience ;
Et quand, pour le chasser, on joüeroit du Baston,
Il aura veu la Dame, & sçaura la Maison,
Le reste vous regarde.
Et par bon privilege,
J’auray vers moy les coups, peste ?
Que te diray-je,
Pour te faire assez voir…
Ne me dites plus rien,
On m’attend, & j’ay trop prolongé l’entretien ;
J’en seray querellée. Adieu.
SCENE 16
Crispin, va viste,
Suy-là.
Si vous vouliez, Monsieur, m’en tenir quitte…
Pourquoy ?
Puis que l’amour est fadaise pour vous,
A quoy bon…
Suy, te dis-je, ou…
Les [Amans*](#amant) sont fous ;
Vous ne voudriez pas…
Redoute ma colere.
J’ay de l’[inquiétude*](#inquietude), & ne m’en puis défaire.
D’où me vient tout-à-coup un si prompt changement ?
Seroit-ce qu’en effet je deviendrois [Amant*](#amant) ?
Le dessein de me fuir, que l’on me fait paroistre,
Redouble en moy l’ardeur de voir & de connoistre.
Ne nous rebutons point, & laissant au Destin
A régler l’avanture, attendons-en la fin.
ACTE III
SCENE PREMIERE
En peu de mots, Monsieur, voila toute l’histoire.
D’un autre que toy, j’aurois peine à la croire :
Car comment passer là pour un Musicien,
Et [raisonner*](#raisonner2) d’un [Art*](#art) où tu ne connois rien ?
Ne vous ay-je pas dit, qu’un peu d’effronterie
M’a tiré d’embarras ? Que ce Maistre en furie,
D’un galimatias dont j’ay sçeu l’étourdir,
La matiere un peu trop vouloit aprofondir ;
Que des termes de l’[Art*](#art) bourant mon ignorance,
Sans paroistre vaincu, j’ay payé d’impudence ;
Que ce Maistre voulant me faire solfier,
J’ay sçeu, pour m’en parer, le traitter d’Ecolier ;
Que le Pere d’ailleurs ignorant en Musique,
Est dans tous nos debats demeuré sans replique ;
Qu’au sortir du Logis, quinze ou vingt coups de poing
Commençoient d’attirer déja quelque Témoin ;
Que craignant que quelqu’un ne vint à me connoistre,
J’ay crû que promptement je devois disparoistre.
Sur chaque circonstance estes-vous bien instruit ?
Faut-il recommencer ?
Non, Crispin, il suffit.
Mais pour mieux étourdir ce Maistre de Musique,
Et devant le Vieillard luy faire un peu la nique,
Il falloit sçavoir là quelques termes de l’[Art*](#art).
Bon, j’en sçay.
D’où ?
J’en ay retenu par hazard,
Alors qu’à composer vostre Maistre vous montre,
Dont j’ay sçeu, sans raison, m’aider en ce [rencontre*](#rencontre).
D’ailleurs, vos Violons, souvent hors de propos,
Meslent dans leurs discours quantité de ces mots ;
Et quoy que mal citez, pensant faire merveilles,
Ils m’en ont mille fois étourdy les oreilles.
Fort-bien.
Sur chaque point vous estes satisfait ;
Mais la Dame, Monsieur…
Ecoute son billet.
Vostre Lettre, Phélonte, pourroit persuader une Personne qui vous connoistroit moins que moy : mais je veux bien vous dire que je suis parfaitement instruite de toutes vos manieres. Vous avez crû, sans doute, que l’occasion se presentoit favorable, & qu’il falloit la prendre aux cheveux, c’est fort bien fait à vous ; mais là-dessus je suis vostre Servante. Dites-moy, s’il vous plaist, s’il estoit vray que vous m’aimassiez autant que vous le marquez dans vostre Lettre ? Croyez-vous en bonne-foy, qu’il n’y auroit point un peu d’[extravagances*](#extravagance) ? Aimer les Gens sans les connoistre, ny sans les avoir jamais veus, cela approche un peu de l’[égarement*](#egaremens). Non, non, vous n’estes point capable d’une foiblesse semblable ; vous avez de l’esprit, & vous sçavez trop bien ce que vous faites : Vous voulez me payer galamment des bons avis que je vous ay donnez, mais je ne suis point interessée, & c’est assez pour moy qu’ils ne vous soient pas inutiles. Adieu, pensez à ce que je vous écris, & croyez que je parle avec sinceritê, quand je dis que j’[estime*](#estimer) Phélonte.
Qu’en penses-tu, Crispin ?
Elle paroist sincere,
Et la Dame a, Monsieur, tout ce qu’il faut pour plaire.
A ne te rien celer, j’aime son procedé.
Elle a beaucoup d’[apas*](#apas).
J’en suis persuadé ;
Tu me l’as peinte [aimable*](#aimable) autant qu’on le peut estre.
Je n’en juge qu’autant que je puis m’y connestre ;
Mais elle me plaist fort.
Je brûle de la voir,
Crispin.
Il faut tâcher à luy faire sçavoir.
Allons, Crispin, allons, vien, conduis-moy chez elle.
Quoy ! d’un plein saut, Monsieur, entrer chez cette Belle ?
De ce peu de respect elle pourroit gronder.
Oh tu m’introduiras.
Dieu m’en veüille garder ;
Le Pere est d’une [humeur*](#humeur) qui n’est pas fort tranquille,
Je crains sa Halebarde, & plus encor sa bile ;
Au moindre différent les armes à la main,
Nous montre qu’il n’a pas un esprit fort humain.
Ne crains rien.
Tout-de-bon, aimez-vous cette Dame ?
Oüy.
Vous sentez pour elle une sincére flâme ?
Oüy.
Point.
Pourquoy non ?
Bon ; Vostre amour [libertin*](#libertin)
S’attache-t-il jamais que pour faire butin ?
Et quand une Beauté parle de Mariage,
Le Scélerat veut-il entendre ce langage ?
Il sçait bien soûpirer, peindre sa passion ;
Mais tout cela ne va qu’à la conclusion.
S’il trouve en quelque [Objet*](#objet) un peu de resistance,
Vous sçavez l’en tirer par quelque revérence ;
Et disant serviteur, bon-soir, & grand-mercy,
Vous laissez cet Objet, & le quittez ainsy :
Mais la Dame, Monsieur, vous montre par sa Lettre,
Ce que de sa vertu vous devez vous promettre…
C’est du [Sexe*](#sexe) toûjours la façon de parler.
Je la connois fort peu ; mais je juge à son air,
Qu’elle est sage, Monsieur.
Eh Crispin, la Sagesse
Ne s’épouvante pas pour un peu de [tendresse*](#tendresse) :
Cette vertu n’a plus cette austere rigueur,
Qui ne pouvoit souffrir de l’amour dans un cœur ;
L’une n’a plus pour l’autre aucune répugnance,
Elles sont maintenant de bonne [intelligence*](#intelligence3) ;
Et pour duper les Gens, par de communs accords,
L’Amour regne au-dedans, la Sagesse au dehors.
A leur façon d’agir vostre amour s’accommode.
Je voy bien, vous voulez, suivant vostre méthode,
De la Dame, en un mot, essuyer un refus,
Vous retirer apres, & n’y retourner plus.
Non, allons.
Je ne sçay ce qu’il faut que j’en croye.
D’où vient ?
Vous aimer ! vous !
Oüy.
Que j’aurois de joye,
De vous voir avec nous au nombre des [Amans*](#amant) !
Songez-y bien, la Dame a beaucoup d’agrémens.
Allons ; si sa beauté répond à mon attente,
Tu me verras pour elle une flâme constante.
SCENE II
Ce changement en vous, est contre mon espoir.
Un Homme est là, Monsieur, qui demande à vous voir.
Il faut le faire entrer. C’est sans doute Mélante,
Il vient au rendez-vous, mais contre mon attente,
Je vois un Inconnu…
C’est ce Musicien,
Ne me découvrez pas.
Je m’en garderay bien,
Ce seroit tout gaster.
SCENE III
Que vous plaist-il ?
De grace,
Connoissez-moy, Monsieur, excusez mon audace ;
J’enseigne la Musique, & cet [Art*](#art), Dieu mercy,
Dans tous mes Ecoliers m’a si bien réüssy,
Que loin d’avoir besoin de pratique nouvelle,
Je puis fournir à peine aux lieux où l’on m’appelle.
Ainsy je ne viens point icy par intérest :
Mais, si comme l’on dit, la Musique vous plaist,
Car de beaucoup de Gens j’apprens avecque joye,
Qu’à chanter la plûpart de vostre temps s’employe,
Ce bruit a fait en moy naistre un ardent desir
De vous voir, & je viens…
Vous me faites plaisir.
J’ay fait un Opera, Monsieur, qui doit [surprendre*](#surprendre),
Et je viens tout exprés vous prier de l’entendre.
Volontiers.
Je m’en tais ; mais sans faire le vain…
Chez Madame Angélique il paroistra demain.
Je ne la connoy point.
Ce Billet marque l’heure,
Et par luy vous serez instruit de sa demeure.
Je n’y manqueray pas.
Ah c’est une faveur
Dont se flatte aujourd’huy vostre humble Serviteur.
Suffit ; Adieu.
Monsieur, je vous feray connoistre…
Mais je voy, ce me semble, un…
Vous voyez mon Maistre.
Je m’étonne, Monsieur, que vous ayiez choisy
L’Homme le plus ignare…
Hé morbleu ! venez-y,
Disputer avec moy sur la préeminence
D’un [Art*](#art)… Je vous le livre aussy plein d’ignorance,
Que Chantre du Pont-neuf.
Hé, Messieurs ! là, tout-doux.
Quoy ! pouvez-vous souffrir cet Ignorant chez vous ?
Je vay le décrier dans tous les Lieux du Monde ;
Et ne souffriray point…
Permettez qu’il réponde :
Comme vous l’accusez d’estre ignorant, il doit…
Monsieur, la verité se peut toucher au doigt :
Il fait le suffisant, à cause de sa Brette.
J’ay droit de la porter. Mon Pere…
Estoit [Vedette*](#vedette),
Quand dans la plaine d’Oüille on vint camper. Voila
Ses Titres de Noblesse entez sur E mi la.
Tout ce qu’il dit, fadaise. Il parle comme il chante.
Mais, Monsieur, il n’a point la méthode [meschante*](#mechant) :
Je m’en suis bien trouvé jusqu’icy.
Bien trouvé !
De tous les Ignorans c’est le plus achevé,
Je vous le dis encor.
Sans chaleur, je vous prie.
Il n’a que du jargon, & de l’effronterie.
Je viens pourtant encor de vous rendre Mutus
Chez un certain Vieillard, là, tout-à-l’heure.
Abus ;
C’est un extravagant ; par son seul [équipage*](#equipage)
J’ay d’abord aisément jugé du Personnage :
N’est-ce pas affronter la Musique ? Il est fou.
Prenez-vous par le nez.
Mais de grace, par où
Avez-vous découvert qu’il est si [meschant*](#mechant) Maistre ?
Par cent mots où luy-mesme il ne peut rien connoistre :
Tout ce qu’il dit sur l’[Art*](#art), pur galimatias.
La pécore ! Monsieur, ne m’[entendez*](#entendre)-vous pas ?
Sa façon d’enseigner n’est pas trop affectée,
Et je croy n’avoir point encor la voix gastée.
Il vous la gastera, si vous ne le changez.
Il faudra voir.
J’ay peur, si vous ne délogez…
Pour rien, au lieu de luy, j’aime mieux vous aprendre.
Pour rien ?
Pour rien, vous dis-je.
Oüy, oüy, l’on va te prendre !
Tu n’es bon qu’à montrer à des Grenouilles.
Moy !
Pour l’honneur du Mestier, Monsieur…
De bonne-foy,
Il est juste qu’apres plusieurs ans…
A l’épreuve,
De mon sçavoir gratis je vous offre la preuve :
Mais pour vous faire voir que c’est un Ignorant,
Et que je crains fort peu ce chétif Concurrent,
Je vay chanter un Air, qu’il en fasse de mesme.
Par là vous jugerez… Ecoutez, chacun l’aime.
CHANSON
Beautê, qui captivez mes sens,
Ma voix, par ses tristes accens,
Vous peint l’excés de mon martyre.
Mais Dieux ! quelle haine avez-vous ?
Quand mon cœur ose vous le dire,
Soudain vous entrez en courroux.
Ce Chanteur me fait rire, avec son chant Gascon.
Sçachez que maintenant c’est la belle façon,
Et que cette maniere est le plus à la mode.
Je gage que Monsieur blâme cette méthode.
Laissons cela, chantez.
Moy ? je n’en feray rien ;
Vostre accent est Gascon, le mien Parisien :
Apprenez mon accent, & j’apprendray le vostre,
Puis on pourra juger & de l’un, & de l’autre.
Monsieur, vous jugez bien par ce raisonnement…
Monsieur sçait que je parle avec grand [jugement*](#jugement).
Enfin, c’est sans raison…
Je suis las de l’entendre ;
Monsieur, encor un coup, oüy, je veux vous aprendre ;
Et si je ne vous fais mieux chanter mille fois…
Qu’il n’a pû…
Trouvez bon qu’il acheve son Mois,
Nous nous verrons en suite.
Il faut vous laisser faire ;
Mais je veux…
Tu prétens qu’à moy l’on te préfere,
Musicien de bale ?
En autre lieu qu’icy,
Je t’apprendray…
Va, va, n’en sois point en soucy ;
Si tu sçais ferrailler, je chamaille à merveilles.
Munis-toy d’une Epée, avec armes pareilles,
Seul-à-seul de pied ferme, on te peut divertir.
Je ne veux contre toy, qu’une Broche à rostir.
Adieu, ré mi fa sol.
SCENE IV
Ma Maistresse le [pique*](#piquer).
Je te vois Gradué, peu s’en faut, en Musique.
Oüy, mais cette Musique attirera sur moy
Quelque moment fâcheux.
Le crains-tu ?
Non, ma foy :
Mais si le rencontrant, il faut que je chamaille,
Et que d’un coup d’Epée il me gaste la taille,
Hem ?
J’en serois fâché.
Vous en riez ! Fort-bien.
Je préviendray ce mal, n’en appréhendes rien ;
Mais allons, sans tarder, visiter cette Belle,
Je veux l’aimer, Crispin, d’une flâme immortelle.
Il faut que depuis peu vous soyez bien changé !
SCENE V
Fanchon, tu sçais à quoy je me suis engagé
A Mélante.
Oüy, Monsieur, vous m’en avez instruite.
Dis-luy, quand il viendra, qu’une affaire subite
M’a forcé de sortir, mais qu’il peut tout icy.
Fort-bien.
J’entens quelqu’un ; Peut-estre le voicy.
Ce n’est pas luy.
Qui donc ?
C’est Monsieur Boniface,
Qui vient pour vostre Frere implorer vostre grace.
SCENE VI
Oüy, Monsieur.
Là-dessus qu’on me laisse en repos.
La Clemence est, Monsieur, la vertu des Héros :
Vous sçavez que Plutarque…
Eh Monsieur Boniface,
Plutarque, en cet endroit, n’est pas fort en sa place.
Qu’est-il besoin aussy de citer cet Autheur ?
De Monsieur vostre Frere estant le Précepteur,
J’ose vous demander pardon de son offence.
Je suis trop irrité de son impertinence.
Qui se repent d’un mal, mérite le pardon :
Hé la Monsieur Crispin, vous Madame Fanchon,
Obtenons de Monsieur, le pardon pour son Frere.
Eh Monsieur !
Eh Monsieur !
Non, je n’en veux rien faire.
Monsieur…
Suis-moy, Crispin.
SCENE VII
On ne peut le fléchir.
Peut-estre, avec le temps, qu’on pourra l’adoucir.
Pour son Frere, entre nous, il faut mieux le conduire.
C’est un jeune [Eventé*](#evente), que j’ay peine à réduire.
Souffrir qu’il s’enrolast !
C’estoit à mon insçeu ;
Il m’avoit, pour le faire, adroitement [déceu*](#decevoir) ;
Mais tout ce différent ne m’inquiéte guére,
Qu’ils s’accordent entr’eux, Fanchon, c’est leur affaire.
En effet.
Quant à moy, j’en prens peu de soucy.
C’est fort bien fait à vous.
Le Ciel m’a fait ainsy.
Vous fuyez le [chagrin*](#chagrin).
Mon partage est la joye,
Par elle on a des jours filez d’or & de soye.
Non, non, point de chagrin, vive la gayeté,
Elle nourrit l’esprit, & soûtient la santé.
Que vostre humeur me plaist ! Ah Monsieur Boniface,
Qu’un grand fond de santé reluit sur vostre face !
Quel teint ! Vous estes né d’une compléxion,
Qui travaille sans cesse à l’augmentation :
Vous ne mourrez jamais, si l’on ne vous assomme ;
Gras, dodu, l’humeur gaye ; Ah quel embonpoint d’Homme !
Un Malade, à vous voir, pourroit estre guery :
Où prenez-vous le glan dont vous estes nourry ?
Eh je le prens, Fanchon, où vous prenez le vostre,
Et dans tous mes repas je n’en use point d’autre.
Du moins il vous profite autant & plus qu’à moy,
Cela se voit.
Oüy ; mais parlons de bonne-foy ;
Fanchon, vostre embonpoint assez du mien approche,
Je suis un peu Cochon, vous estes un peu Coche.
Vous, un peu ? Bon ; Je gage, au rapport de mes yeux,
Que si je peze un cent, vous en pezez bien deux.
Tel que je sois enfin, je suis peu haïssable,
Et je vous aime autant que vous estes [aimable*](#aimable).
Ne parlons point d’aimer, & changeons de propos.
SCENE VIII
Fort-bien. Ne viens-je point icy mal à propos ?
Non.
Avez-vous tout dit ?
Nous n’avons rien à dire.
Si je suis importun, parlez, je me retire.
Non, demeurez, je sors.
En suis-je cause ?
Non.
Si c’est moy…
Non, vous dis-je ; Adieu, belle Fanchon.
Adieu, beau Boniface.
Ah !
SCENE IX
Qu’est-ce ?
On vous demande.
Et qui ?
C’est vostre Maistre à chanter.
Qu’il attende.
Il est pressé, dit-il.
Qu’il revienne [tantost*](#tantot) :
Dy-luy que je ne puis…
Je diray ce qu’il faut.
Et que luy diras-tu ?
Qu’une affaire pressée,
Pour quelque temps icy vous tient embarassée.
L’excuse est-elle bonne ?
Oüy, va, c’est fort bien dit.
Est-ce que vous croyez que je manque d’esprit ?
Non, mais par trop d’ardeur tu prestes peu silence,
Et souvent tu répons, sans sçavoir ce qu’on pense.
Moy ?
Va rendre réponse à mon Maistre à chanter.
Mais…
Va, te dis-je ; apres je sçauray t’écouter.
Ces Esprits turbulens me font devenir fole,
Car jusques dans la bouche ils coupent la parole :
Souvent, loin qu’avec eux on puisse s’expliquer,
A peine parle-t-on, qu’ils veulent repliquer ;
Sans entendre les Gens, leur [jugement*](#jugement) décide,
Quoy qu’il n’ait le bon sens, ny la raison pour guide ;
Lors qu’ils sont [entestez*](#entester) de quelque opinion,
Ils n’ont, pour l’appuyer, que l’obstination,
De trop d’estime d’eux leur esprit les enyvre,
Et croit que leur avis est le seul qu’il faut suivre.
SCENE X
Hé bien, reviendra-t-il ?
Il n’y manquera pas.
Qu’a-t-il dit ?
Rien.
Tant-mieux.
Le Bréton est là-bas.
Le Bréton !
Autrement le Valet de Mélante ;
Il demande Monsieur pour affaire pressante.
Je sçay bien ce que c’est ; Dy-luy qu’il vienne icy.
Il a beu plus d’un coup.
Qu’importe.
Le voicy.
SCENE XI
Que veux-tu ?
Je veux…
Quoy ?
Je veux Monsieur ton Maistre.
Il est sorty.
Tant-pis : Mais où donc peut-il estre ?
Je ne sçay.
Tu ne sçais ?
Non.
Il faut le chercher,
Car mon Maistre dans peu…
Parle sans t’aprocher.
Pourquoy ?
Pour rien.
Fanchon, mon ame… te convoite,
Je t’aime.
Soûtiens-toy.
Crois-tu que je sois boite ?
Boite ?
Oüy, c’est à dire yvre, en langage Breton.
Je m’en raporte à toy.
Je n’ay pas beu.
Luy ? Bon.
Il est à jeun, voyez.
Oüy da, qu’en veux-tu dire ?
Courage.
Il n’a pas beu, c’est d’amour qu’il soûpire.
Mais ton Maistre, dy-moy…
Dans peu tu le verras :
Chantons en l’attendant.
Fort-bien.
Tu ne veux pas,
Toy qui chantes si bien, qu’aucun n’y peut atteindre ?
J’aime à t’oüir chanter, car tu chantes à peindre.
Vois-tu, je paye Pot ; çà, chante un Passe-Pié.
Je n’en sçay point.
Ecoute.
Il s’est estropié,
Releve-le.
Dy-moy, sçais-je pas la cadance ?
Oüy.
Prens ton Violon, tu verras si je dance.
On ne peut mieux dancer.
Ah tu fais le rieur.
Point.
Le pied m’a glissé ; mais…
SCENE XII
Plaist-il ?
Rien, Monsieur ;
C’est La Ronce…
Est-ce ainsy que l’on me rend réponce ?
Monsieur, je m’en allois, demandez à La Ronce.
Fort-bien.Depuis une heure où s’est-il arresté ?
C’est… Nous allons tous deux boire à vostre santé.
Qu’il a beu !
Point du tout.
Quelquefois il s’en donne ;
Mais il est bon Valet.
Il a l’humeur boufonne.
Phélonte est-il icy ?
Non.
Le fâcheux moment !
Pour affaire pressée il sort presentement :
Mais soyez sans [chagrin*](#chagrin), je suis de tout instruite,
De sa part, avec soin, j’attens vostre visite :
Je sçay que vous aimez, & qu’un Pere fâcheux
S’oppose aux sentimens de l’[Objet*](#objet) de vos vœux,
Et que pour luy parler, vous avez de la peine.
Icy vous pouvez tout sans que rien vous y gesne ;
C’est l’ordre de Monsieur.
Tu m’ostes de [soucy*](#soucy) :
Cette Dame est en [Chaise*](#chaise) à trente pas d’icy,
Je m’en vay l’amener.
Moy, je vay vous attendre.
Ma foy, contre l’Amour, tous les soins qu’on peut prendre,
Empeschent rarement qu’il ne vienne à sa fin,
Il sçeut, sçait, & sçaura [décevoir*](#decevoir) le plus fin :
En vain oppose-t-on l’autorité d’un Pere,
C’est dequoy le Fripon ne s’inquiéte guere,
Il se rit des [chagrins*](#chagrin) de ces Amans jaloux,
Et met toute sa joye à tromper un Epoux ;
Nous trouvons tout possible alors qu’il nous enflâme.
J’entens parler quelqu’un ; C’est Mélante & sa Dame.
SCENE XIII
Madame, ostez le masque, & n’apréhendez rien ;
Je suis icy le Maistre, & ce Logis est mien.
A vostre honnesteté je me laisse conduire ;
Vous voulez que je l’oste, & cela doit suffire.
Fanchon, tu vois l’Objet dont mon cœur est [charmé*](#charmer).
Je vous tiens fort heureux, si vous estes aimé.
Sur l’espoir de l’Hymen tout mon bonheur se fonde.
Madame a des [appas*](#apas) à [charmer*](#charmer) tout le monde.
Me railler ?
Je sçay trop tout ce que je vous doy,
Et quand je parle ainsy, je dis ce que je voy ;
A loüer vos appas je me sens engagée.
De ces bons sentimens je vous suis obligée.
Fanchon a l’humeur franche, & de l’esprit enfin.
Oh point. Vous plairoit-il de descendre au Jardin ?
Volontiers, allons.
Passe.
Ah je sçay trop…
N’importe,
Passe.
Puis qu’il vous plaist, je vais ouvrir la Porte.
ACTE IV
SCENE PREMIERE
L’embarras est leger, & n’aura point de [suite*](#suite) ;
Du faux Musicien Angélique est instruite,
Elle en sçait l’avanture ; & si notre Vieillard,
Etonné d’avoir veu deux Maistre de sa part,
Va, de ce double envoy, luy demander la cause,
Laissez faire, elle est Femme à bien tourner la chose,
N’en appréhendez rien.
S’il faut t’ouvrir mon cœur,
Ce n’est pas là, Toinon, le sujet de ma peur.
Qu’avez-vous donc ?
Je crains de n’avoir, qu’à ma honte,
Entrepris de [fixer*](#fixer) le vagabond Phélonte ;
Et que toûjours luy-mesme, il ne soit peu touché
De l’avance où pour luy mon cœur s’est relâché.
J’en aurois, comme vous, un peu de défiance :
Phélonte est honneste Homme, & de bonne naissance,
Riche, & par son humeur en tous lieux bien venu ;
Mais en faveur du [Sexe*](#sexe) il est mal [prévenu*](#prevenir),
Et par certains soupçons où son panchant l’incline,
Sa maniere d’aimer est un peu [libertine*](#libertin).
Courant de Belle en Belle étaller ses douceurs,
Il ne veut en amour ny soûpirs, ni langueurs,
Et d’un Amant plaintif les tristes doleances,
Sont, s’il faut qu’on l’en croye, autant d’impertinences ;
Son seul but est la joye, il en fait vanité,
Le plus fier cependant est le plutost dompté ;
Et tous ces Rodomons en matiere de tendre,
Ont leur instant fatal, c’est là qu’il les faut prendre.
Phélonte en tient déja, vostre esprit l’a [charmé*](#charmer),
Pour vous, sans vous connoistre, il est tout enflâmé,
Et par vostre Billet… Mais Crispin qui s’avance…
SCENE II
Mon Maistre, de vous voir, brûle d’impatience,
Madame ; il attend l’ordre à quatre pas d’icy.
Cours le faire entrer.
Non.
Quel scrupule est-ce-cy ?
Je crains trop que mon Pere…
Eh mon Dieu, vostre Pere
Est sorty pour longtemps. Va, Crispin…
Qu’il différe,
Le péril me fait peur ; Une autre fois, Toinon,
Je m’offre…
Une autre fois vous diriez encor non ;
Point de remise.
Quoy ! tu veux que je hazarde…
Vous allez tout gaster, si vous n’y prenez garde,
Car mon Maistre n’est pas de ces Martyrs d’amour,
Qui pour un rendez-vous font le guet tout un jour ;
La peine l’éfarouche, & dés le moindre obstacle,
S’il ne dit Serviteur, il faut crier miracle :
Puis que par vostre Lettre il s’est laissé [charmer*](#charmer),
Prenez-le moy tandis qu’il est en train d’aimer ;
Il est certains momens, pouveu qu’on le mitonne…
Quand l’occasion presse, est-il temps qu’on raisonne ?
Devrois-tu pas déja l’avoir averty ? Cours,
Sans plus jaser.
J’ay tort.
SCENE III
Où sera mon recours,
Si mon Pere survient ? Tu me pers.
A ce compte,
Ce n’est donc rien pour vous, que d’acquérir Phélonte ?
J’enrage de vous voir sottement [barguigner*](#barguigner) !
Qu’est-ce, qu’en reculant, vous auriez pû gagner ?
Prétendez-vous qu’il aime un [Objet*](#objet) invisible ?
Non ; mais le voir ailleurs, n’estoit pas impossible,
Et nous eussions cherché…
Le plutost vaut le mieux.
Il vient, songez à vous.
SCENE IV
Qu’elle est [aimable*](#aimable) ! Ah Dieux !
D’amour, en la voyant, j’ay déja l’ame pleine.
Je vous l’avois bien dit, qu’elle en valloit la peine :
Voyez comme ses yeux friponnement tournez…
Qu’ils sont touchans, Crispin !
Le friand petit nez !
Si j’estois vous, Monsieur, j’en tâterois.
Madame,
Ne vous étonnez point du trouble de mon ame ;
La [surprise*](#surprise) où je suis de voir tant de beauté,
Ne laisse à ma raison aucune liberté ;
Et quoy que de mes sens cette raison maistresse,
M’ait fait traitter l’Amour jusqu’icy de foiblesse,
Je sors enfin d’erreur, & sens aupres de vous,
Que vous offrir des vœux, est le sort le plus doux.
Souffrez donc que les miens…
Ah ç’en est trop, Phélonte,
Toute ardeur m’est suspecte alors qu’elle est si prompte,
Et quoy que vous veüillez trouver en moy d’[appas*](#apas),
On aime foiblement ce qu’on ne connoist pas ;
Le temps seul…
Non, Madame, alors qu’il faut qu’on aime,
L’Amour, en un moment, prend un pouvoir extréme ;
J’en fais l’expérience, on m’a veu mille fois
Soûtenir fiérement qu’on aimoit qu’à son choix ;
Toûjours libre, toûjours à couvert de [surprise*](#surprise),
J’ay contre cent Beautez défendu ma [franchise*](#franchise),
Et dés que je vous voy, tout mon cœur enflâmé,
Est contraint de se rendre aux yeux qui l’ont [charmé*](#charmer) :
Voyez-en dans les miens l’assuré témoignage,
Ils parlent, c’est à vous d’entendre leur langage,
Ils vous seront garants…
Que diriez-vous de moy,
Si j’avois pour les croire assez de bonne-foy ?
On vous connoist Phélonte, aujourd’huy c’est mon regne,
Il n’est cœur que pour moy le vostre ne dédaigne,
Et demain par l’Amour vers un autre appellé,
Vous ne songerez pas que vous m’avez parlé.
Je n’y songeray pas, Madame ? quel outrage !
De mon cœur tout à vous, vous soupçonnez l’hommage :
Si ce cœur n’est toûjours ferme à vous adorer,
Que le Ciel…
Pensez-vous estre crû pour jurer ?
Ce n’est pas en amour un secours fort utile ;
Les Amans, quels qu’ils soient, ont tous le mesme stile ;
Et si chaque serment leur tenoit lieu d’effets,
Le Fourbe gagneroit sa Cause à peu de frais ;
Ce sont toûjours beaux mots, mais non pas sans reserve.
C’est à tort…
Voyez-vous, il n’est qu’un mot qui serve ;
Quand on veut de deux cœurs assurer l’union,
On y broüille trois grains de Matrimonium :
Cela fait, on se peut aimer tout à son aise.
Oserois-je espérer que le Party vous plaise ?
Dans la brûlante ardeur qui m’engage aux soûpirs,
L’Hymen est le seul but où tendent mes desirs.
Madame, prononcez ; & quand mon cœur se donne…
Phélonte, en verité, ce changement m’[étonne*](#etonner) :
Quoy ! vous, parler d’Hymen, c’est dequoy s’écrier…
Oüy, j’ay blâmé quiconque osoit se marier :
Cependant, avec vous, telle est ma destinée,
Que sans voir ma fortune à la vostre enchaînée,
Je ne puis vivre heureux. Vostre Lettre d’abord
M’a fait sentir pour vous le plus ardent [transport*](#transport1) ;
A ce doux [charme*](#charme) en vain j’ay voulu mettre obstacle,
Et voila que vos yeux achevent ce miracle ;
Les désavoûrez-vous, ces beaux yeux que l’Amour…
De peur d’en dire trop, pensez-y plus d’un jour ;
Il est bon quelquefois de n’aller pas si viste.
Non, je suis convaincu de tout vostre mérite ;
Et pour vous empescher de douter de mon feu,
Je vais à vostre Pere en demander l’[aveu*](#aveu) ;
S’il ne me connoist pas, il connoist ma Famille.
Quelque rang où l’Hymen pût élever sa Fille,
Comme il faut peu de chose à le mécontenter,
Le prendre au dépouveu, ce seroit tout gaster :
Ne vous déclarez point, que je ne vous revoye.
Et quand puis-je, Madame, espérer cette joye ?
Peut-estre que chez vous j’iray dés aujourd’huy.
Séparons-nous ; adieu.
Vous quitter ! quel [ennuy*](#ennuy) !
Je ne puis vous parler icy, que je ne tremble ;
Mon Pere peut venir, & s’il nous trouve ensemble,
Quoy que vous luy disiez, il n’écoutera rien.
Mais me priver si-tost d’un si cher entretien,
Madame…
Je l’entens, c’est luy, que deviendray-je ?
Une honneste [recherche*](#recherche) a quelque privilege ;
Et si je luy dis…
Non. Toinon, & viste.
Quoy,
Peut-on… Comme il redouble !
Et tost, c’est fait de moy.
Que dans ce Cabinet ils entrent l’un & l’autre.
Monsieur, nous voila pris.
Ma pensée est la vostre ;
Coulez-vous là-dedans, & motus. L’on y va.
Peste ! il a belle haste.
Et la Clef, tire-la.
Mon Dieu, ne craignez rien. Il heurte avec emphase.
SCENE V
Au Diable l’animal !
Quoy ! Monsieur Anastase,
C’est donc vous…
Oüy, Madame, excusez si j’ay tort.
Comme il frape !
J’ay crû ne fraper pas trop fort.
Justement. Il croyoit heurter à son College.
Il est vray qu’on s’y donne un peu de privilege,
Et qu’à grand bruit toûjours chaque chose s’y fait.
Avec des Ecoliers du repos !
En effet :
Mais, Monsieur Anastase, en deux mots, voyons, qu’est-ce ?
Que voulez-vous ?
L’Etude orne bien la Jeunesse,
Et j’ay mis, grace au Ciel, vostre Frere en état
De soûtenir bientost sa These avec éclat.
A present qu’il est Grec, ce sont ses Galleries,
Que les Universaux & les Cathégories,
Sans certains Argumens sur l’étre de raison,
Par lesquels…
Finissons, si vous le pouvez.
Bon :
Pensez-vous qu’un Pédant d’un seul mot se contente ?
C’est…
Madame, Toinon est toûjours [mordicante*](#mordicant),
Et son aversion, quoy que sans fondement,
Ne m’a jamais traitté qu’antipatiquement :
Quand elle auroit puisé dans le sein de la haine,
Les dédains corrosifs…
Vostre fievre-quartaine:
Voyez ce qu’il veut dire avec son corrosif ?
Eh parlez-nous Chretien.
Ah cœur vindicatif !
Elle m’en a voulu, depuis qu’un jour contr’elle…
Oüy ; mais sçachons vers nous quel sujet vous appelle.
Je viens trouver Monsieur de la part de son Fils,
Luy rendre cette Lettre.
Il n’est pas au Logis ;
Je la rendray pour vous, donnez.
Je vay l’attendre,
L’affaire le requiert. Pour vous la faire entendre,
Vous sçaurez…
On ne veut y prendre aucune part,
Délogez ; car Monsieur ne reviendra que tard.
Tard soit, il est besoin que j’en aye audiance.
Revenez donc [tantost*](#tantot).
Non, j’auray patience,
Et n’incommodant pas, j’aime mieux en ce lieu…
Le [Mouchoir*](#mouchoir) de Madame est de travers ; Adieu,
Il faut le rajuster, point de Témoins.
Diane
Fut jadis exposée aux regards d’un Profane ;
Ses yeux gasterent-ils les celestes beautez…
Quoy ! Messieurs du College aiment les nuditez ?
Je ne le sçavois pas.
La Nature…
Eh, de grace,
Ne moralisez point, & nous quittez la place.
Vous avez droit d’agir impérativement,
Je sors, & suis fâché…
Trévé de [compliment*](#compliment),
On vous quitte.
Enfin il s’en va, je respire.
SCENE VI
Qu’un Pédant à souffrir est un cruel martyre !
Ne perdons point de temps, de crainte d’avoir pis ;
Congédions…
SCENE VII
J’estois en peine de mon Fils,
Comment est-il ?
Fort bien, Monsieur.
Toinon, que faire ?
Ne rien dire, & laisser raisonner vostre Pere.
Nous ne l’avons point veu depuis huit ou dix jours.
A [raciociner*](#raciociner) comme il vaque toûjours,
Il ne sort point, & c’est pour cela qu’il m’envoye
Vous faire humble requeste.
Ah j’en ay de la joye.
Dequoy donc s’agit-il ?
D’un accommodement.
Est-ce qu’il auroit eu querelle ?
Nullement ;
Il a vers la douceur, propension entiere :
Mais un sien Camarade agissant par priere,
Luy fait sur certain cas prendre son intérest.
Cette Lettre, Monsieur, vous dira ce que c’est.
Je ne sçais où j’en suis, s’il falloit pour écrire
Que dans ce Cabinet…
Vous mettez tout au pire.
Que sert de craindre ? Alors comme alors, on verra,
Si l’embarras échoit, comme on s’en tirera.
Oüy, Monsieur Anastase, avec plaisir j’espere
Venir, sans trop de peine, à bout de cette affaire,
Assurez-en mon Fils ; J’aime à voir que son cœur,
A de semblables soins, se porte avec ardeur.
Au bien Pedetentim toûjours je l’achemine,
L’induis aux bonnes mœurs ; & sous ma discipline,
Depuis cinq ans entiers, il est à remarquer,
Qu’il n’a sçeu ce que c’est que de [prévariquer*](#prevariquer).
Je suis content de vous, autant qu’on le peut estre.
Monsieur, sans vanité…
Finira-t-il, le traistre ?
Le Ciel m’a de tout temps concedé le talent,
Quand j’ay soin d’un terroir, de le rendre excellent ;
Il n’est que d’estre mis d’abord en bonne Ecole ;
Car la jeunesse, elle est comme une cire mole…
C’est fort bien dit, allez, je sçay ce que je doy,
Et l’on ne perd jamais ce que l’on fait pour moy.
Demain, mon Fils sçaura ce que j’auray pû faire ;
Adieu.
SCENE VIII
Bon, nous voila quittes de vostre Pere.
Que m’ordonnerez-vous ?
De décamper ; Bon-soir.
A mon Frere, qu’il est trop longtemps sans me voir.
Quoy qu’il soit, sans vouloir user de privilege,
Rigide observateur des Regles du College,
Si c’est necessité necessitante…
Non,
Quand il pourra venir, qu’il vienne.
Enfin, Toinon,
Nostre Importun…
Maudit soit tout Pédant qui jase.
SCENE IX
J’allois oublier. Ho, Monsieur Anastase.
Il est déja bien loin, & ne vous entend pas.
Pas si loin ; je le voy qui revient sur ses pas.
Monsieur.
Le rappeller !
C’est bien une autre histoire.
J’ay fait, depuis deux jours, achapt d’une Ecritoire,
Que vous m’obligerez de porter à mon Fils ;
Elle est toute gravée, & d’un travail exquis ;
Je vous la vay donner.
Ah me voila perduë !
La Clef du Cabinet, qu’est-elle devenuë ?
Moy, le dois-je sçavoir ? Elle peut estre en bas,
Il faut y voir.
Je cherche, & ne la trouve pas ;
Je l’ay [tantost*](#tantot) laissée à la Porte.
Peut-estre
Toinon en balayant…
Tout sur le dos du Maistre.
Les Valets sont bien nez pour nous faire enrager !
Qu’ils perdent, brisent tout…
Le dégast est léger :
Hé bien, c’est une Clef, voyez la grande perte !
Mais si du Cabinet la Porte n’est ouverte ?
L’Ecritoire est dedans.
Le beau sujet d’[ennuy*](#ennuy) !
Vous l’envoyrez demain, si ce n’est aujourd’huy.
Oyez-la raisonner.
Comme je suis tout vostre,
Demain, puis que la Clef…
J’en ay là-haut une autre,
Je m’en vay la chercher.
Fay ce que tu pourras ;
Quant à moy je me sauve, & ne l’attendray pas.
Eh que pourray-je faire ? Elle sort, & me laisse.
SCENE X
Donc, Madame Toinon sera toûjours tygresse,
Et rien n’adoucira son naturel [felon*](#felon) ?
Montez viste, Monsieur vous appelle.
Moy ? Non,
Il ne m’appelle point.
Vous estes sourd, je pense.
Ma faculté d’oüir n’est point en défaillance ;
Et si quelque douceur de vostre chere voix…
Tout-à-l’heure. Avez-vous entendu cette fois ?
Rien moins.
Il vous attend ; montez là-haut, vous dis-je.
O trop fier rejetton d’une sauvage tige !
Par quelle dureté m’[envier*](#envier) le trésor
De l’heureux teste-à-teste ? Helas ! qu’au poids de l’or
Je voudrois mille fois…
Peste de la [pécore*](#pecore) !
SCENE XI
Voicy mon autre Clef, qu’on me la perde encore.
Tout va se découvrir.
Si… Mais que vois-je là ?
SCENE XII
Suivez bien vostre Mode, allons, par E mi la.
Le mesme, Fa re mi fa, fa sol fa mi, fa re fa, sol fa re mi fa. bis.
Que veut dire cecy ? répons.
Quelle demande !
Deux Hommes !
La surprise en doit estre bien grande ;
Est-ce une nouveauté que deux Hommes ?
La, la,
Monsieur, vous voulez bien nous pardonner cela.
Ne sçachant…
Excusez, si j’ose avec [franchise*](#franchise),
Prendre une liberté que Monsieur autorise :
Comme il a commencé, c’est à luy jusqu’au bout,
A vous…
Les Gens d’honneur sont bien venus par tout,
Et Monsieur, qui sçait vivre, est Homme raisonnable,
Il excuse aisément…
En [rencontre*](#rencontre) semblable,
Vous…
Monsieur est tout cœur pour les honnestes Gens :
L’heure me presse un peu, ne perdons point de temps.
Deux Hommes enfermez ; point de clef ; Patience,
Nous éclaircirons tout.
Chantez donc.
Je commence.
Je l’ay fort bien noté : Là, marquez bien ce fa,
Fa, fa.
Me raille-t-on ? quel Prélude est-ce là ?
Il faut voir jusqu’au bout.
La Musique est touchante.
Toinon…
Hé bien, est-il défendu qu’on ne chante ?
Sol, sol.
Nous aurons fait dans un moment.
Fa, mi…
Hardiment ; A quoy bon entonner à demy ?
L’Amour cause trop de peine,
Je ne veux plus m’engager ;
Un Amant souffre la [gesne*](#gesne),
Quand l’[Objet*](#objet) vient à changer.
L’Amour cause trop de peine,
Je ne veux plus m’engager.
Fa re mi fa, fa sol fa mi, fa re fa, sol fa re mi fa. bis.
La Basse continuë, oyez.
Je vous entens.
Allons, encore un coup, marquez moy bien vos temps.
C’est un petit Rondeau.
Rondeau soit ; mais de grace…
N’estes-vous pas, sur tout, charmé de cette Basse ?
Fa re mi fa, fa sol fa me, &c.
Mais, Monsieur…
Fa re mi fa, &c.
Sortons.
Mais…
Fa re mi fa, &c.
Laissez ce re mi fa,
Et m’apprenez, Monsieur, ce que vous faisiez là ?
Eh, j’y notois ce… fa re mi fa, fa sol fa mi, &c.
Bon : Il se tire d’affaire.
Mais pourquoy…
fa re mi fa, fa sol fa mi, &c.
Ce re fa commence à me déplaire :
D’où vient que ce Monsieur…
Fa re mi fa, &c.
Que veut dire cecy ?
SCENE XIII
Ces Messieurs enfermez, vous mettent en soucy.
A te voir, tout cela ne t’inquiéte guére.
Ma foy, non.
Non, ta foy.
Voyez la grande affaire !
C’est peut-estre un Galant qui m’en veut, que sçait-on ?
La Coquine !
Monsieur…
La, prenez vostre ton,
Grondez jusqu’à demain.
L’ire qui vous embraze,
Va sans doute trop loin, car…
Monsieur Anastase,
Avecque vos Pédans meslez-vous, s’il vous plaist,
D’un Argument en forme, il sçavent ce que c’est.
L’allucination, dans cette conjoncture,
Vous oste les clartez d’une telle avanture ;
C’est pourquoy vous devez [penétrer*](#penetrer) à loisir.
D’accord.
L’Homme prudent doit se faire un plaisir,
De connoistre le vray.
Vous plaist-il de vous taire ?
Oh volontiers. D’ailleurs ce n’est pas mon affaire.
Quoy ?
Rien. Mais un conseil…
Encor ? Eh taisez-vous.
Je me tairay.
Fort-bien.
Cà, parlons entre nous.
Le silence est pourtant le propre de la Beste.
Hem ?
A vous contenter, je sens que je m’apreste :
Parlez. Je me tais.
Hom…
Il grille dans sa peau.
Que faisoient là ces Gens ?
Il notoient ce Rondeau,
Et c’est un pur hazard qui vous doit peu surprendre.
Vostre Fille, Monsieur, ayant dessein d’apprendre,
Ce Maistre entroit icy pour luy faire leçon ;
Mais en entrant, il a prié qu’on trouvast bon,
Qu’il pût à ce Monsieur, en ce Logis, écrire
Ce Rondeau que, dit-il, chacun partout desire ;
Et nous a fort pressé de luy faire apporter
Du papier & de l’encre, afin de le noter.
Moy, dans ce Cabinet sçachant une Ecritoire,
Je les ay fait entrer, voila toute l’histoire :
Les refuser, c’estoit une incivilité.
Il pouvoit estre ailleurs tout aussy bien noté.
Il est vray, mais…
Il entre en cecy du mystere.
Comment ?
Quand on ne fait que ce que l’on doit faire,
On n’oste point la Clef d’une Porte, Toinon ;
Il y va là du vostre.
Et qui vous dit que non ?
Oüy, j’ay fermé la Porte, & pris la Clef.
La Gueuse !
Pourquoy donc, s’il vous plaist ?
Pour vostre [humeur*](#humeur) grondeuse :
Tout vous choque, & pour rien vous entrez en courroux ;
Une Mouche à tout autre, est Eléphant pour vous
Et quand vous vous mettez dessus la gronderie,
C’en est pour quinze jours.
Voyez l’effronterie !
Ce n’est rien d’enfermer deux Hommes sans façon ?
Le grand crime que c’est, d’écrire une Chanson !
Pour écrire, on n’a point sur soy la Porte close.
Vous mériteriez bien que ce fut autre chose.
Monsieur, la tempérence est entre les Vertus…
Tempérez vostre langue, & ne me parlez plus.
Monsieur, la fâcherie est à craindre à vostre âge,
Et peut causer en vous un notable dommage :
Je dois, par mes avis, tâcher à vous guérir…
Je veux me fâcher, moy.
Vous en pourriez mourir,
Et l’on m’accuseroit d’estre cause seconde
De ce cruel malheur.
Que le Ciel te confonde !
Je ne souffriray point que vous vous fâchiez, non.
Eh Monsieur Anastase…
Il a grande raison,
La colere aux Vieillards est chose trop funeste.
De la bile enflâmée il reste certain reste,
Dont la [vapeur*](#vapeur) maligne attaquant leur cerveau,
Le corrompt & le gaste, & les mene au tombeau.
Ecoutez ce qu’il dit, &…
Voudrois-tu te taire ?
Oüy, Monsieur.
Vous…
La mort suit de pres la colere,
Car Monsieur Anastase en donne la raison.
Elle est fort dangereuse en la vieille saison,
Dit Hipocrate ; c’est de l’Homme l’ennemie,
Elle produit en luy cette [cacochimie*](#cacochime),
Nuisible à la santé.
Je brûle de courroux.
Oh j’empescheray bien, moy, restant pres de vous,
Que vous ne vous fâchiez.
C’est bien fait.
Que la Peste
Etoufe l’un & l’autre.
Eh Monsieur…
Je déteste :
Eh taisez-vous tous deux, & me laissez parler.
Quand cette [humeur*](#humeur) en nous vient la rate [opiler*](#opiler),
L’[hypocondre*](#hypocondre) est alors…
Quoy, sans cesse ? Ah j’enrage.
Eh Monsieur…
Eh Monsieur…
Coquine…
L’Homme sage…
Homme fou, vous plaist-il me laisser en repos ?
En ce fâcheux état, il n’est pas à propos…
Oh pour moy je te laisse.
Il a fermé la Porte,
Allez-vous en, adieu.
Non, j’attendray qu’il sorte.
Voila cette Ecritoire.
Eh Monsieur…
Eh Bourreau,
Laisse-moy, sors.
Craignez un [transport*](#transport2) au cerveau.