LE THYESTE DE MONSIEUR DE MONLEON
EPISTRE
A TRES-HAUT
ET TRES PUISSANT PRINCE
MONSEIGNEUR
LOUIS DE VALOIS,
COMTE D'ALLEZ,
Chevalier des Ordres du
Roy, Colonel, General de
la Cavallerie légère
de France, Gouverneur &
Lieutenant General pour
sa Majesté de ses Pays &
Armées de Provence.
MONSEIGNEUR,
Apres l’estime que vous avez faite de cet ouvrage, je me persuade que je puis sans crainte l’exposer aux yeux du public, & que vous ne [treuverez*](#trouver) pas [estrange*](#etrange1) la hardiesse que je prens de vous le dédier : Comme j’oze espérer que vous daignerez le recevoir, j’ay la vanité de croire que chacun l’estimera : & l’approbation que vous luy avez donnée me fait attendre celle de tout le monde.
Ceux qui par de favorables violences l’ont arraché de mon cabinet pour en mieux voir la conduite par sa représentation, bien qu’ils m’ayent exposé parmy les orages furieux de l’envie & de l’ignorance, sçachant dans quel port je suis en seureté, & ce que j’ay gaigné auprès de vous, seront ravis de m’avoir fait [hazarder*](#hasarder) si peu, pour acquérir de si grands trésors. Et certes en quelque degré éminent que la nature ayt eslevés les Princes, & quelques grands qu’ils se soient faits par eux-mesmes, comme il est asseuré que les affections des Rois, bien qu’elles n’augmentent ny leur vertu ny leur mérite, adjoustent de grands ornemens à leur gloire, & la font [esclater*](#eclater) avec beaucoup plus d’advantage. Il est aussi très véritable, que quelques excellens que soient les ouvrages du reste des hommes, que l’estime de ces Princes fait leur plus bel [esclat*](#eclat) ; & leur support, un puissant bouclier pour les mettre à couvert des [trais*](#trait1) de la médisance, & de la jalousie : Et quiconque se peut vanter comme moy de posséder ces faveurs, comme il n’a rien plus à craindre, il n’a rien plus à souhaiter.
Ce n’est pas (MONSEIGNEVR) que j’eusse eu la témérité de croire que ce bien me pût arriver, ou que mon imagination se fust jamais flatee d’une prétention si haute, si vostre propre bouche ne m’eust asseuré que quelques petits & inutiles que soient mes devoirs &. mes services, ils vous seraient toutesfois agréables, & que je ne vous offencerois point en vous offrant une chose que vous avez estimée digne du jour : J'ay obey à cette voix, & je vous l’offre avec ma vie ; c’est peu pour un Prince : mais c’est tout ce que vous peut offrir,
MONSEIGNEUR,
Vostre tres-humble & tres-
obeïssant serviteur,
DE MONLEON.
AU LECTEUR.
Si je t’avois donné cette Tragédie de la façon que Carcinome, ou Seneque l’ont traittee, peut-estre (Lecteur) y aurois-tu trouvé plus d’agreemens, & peut-estre aussi l’aurois tu estimée trop nue pour le Théâtre d’aujourd’huy. Les Grecs & les Latins ont fait à la Grecque, & à la Romaine, ce que je fais à la Françoise, & comme les esprits de ce temps embrassent davantage, il a fallu aussi dequoy davantage les contenter : J'ay tasché à le faire, non pas sans beaucoup de peine & de sueur, par l’entreprise d’un ouvrage ou plusieurs se sont lassez, et le peu de matière, et l’horreur du sujet ayant arresté leur plume ; m’ont fait prendre la mienne à dessein de rendre supportable aux yeux, & aux cœurs des moins cruels de la Nature, ce que la Nature mesme abhorre, & ce qu’on n’auroit jamais peu croire s’il n’estoit arrivé dans la race de Tantale.
On m’a voulu persuader que cet effort avoit favorablement réussi : Mais quand je considère mes forces, et le grand personnage qu’il m’a fallu soustenir, soit dans la disposition de l’Histoire, dans les pensées, ou dans les raisonnemens, une frayeur me saisit ; je rends les armes premier que* de combatre ; & si l’on tient pour fabuleux ce qu’Homère assure de ces Dieux qui combatoient pour les hommes, je n’ay pas dequoy soustenir leur opinion, & ma vanité ne m’aveugle pas jusques au poinct de les croire.
Quoy qu’il en soit, (Lecteur) & quelque jugement que tu en fasses, apprens que la disposition du sujet est absolument mienne, et que j’ay eslevé sur le fondement de l’histoire & de l’antiquité un ouvrage à la moderne. Les enrichissemens que j’ay rencontrez parmy leurs matériaux en font l’embellissement ; et bien que je me sois rendu plus prodigue qu’eux à m’estendre, pour contenter les esprits de ce siècle, je n’ay pas toutefois voulu sortir de leurs estroites règles qui me semblent si judicieuses, & si parfaites, que sans elles, (quoy qu’au jugement de plusieurs, il s’en rencontre tous les jours) j’ay de la peine à croire qu’aucun Poëme puisse estre agréable. Regarde donc si j’auray péché contre mon dessein ; monstre moy charitablement mes deffauts, alors tu recognoistras par mes actions de grâce, & de combien je te seray obligé, & combien me sera douce cette correction. Je laisse dans leurs foiblesses, et leur [bigearreries*](#bigearrerie) ceux qui s’estiment parfaicts, leurs cerveaux ont besoin d’hellébore, et tels esprits sont plus dignes de blasme que de louange : quand on présume moins de soy, on mérite davantage, & par la seule humilité nous nous eslevons au trosne de la gloire.
Parle donc hardiment, je suis exempt de cette erreur, & de ce crime, & pour t’en asseurer, je sçay que je suis homme.
Extraict du Privilège du Roy.
Par grâce et privilège du Roy, il est permis à Pierre Guillemot Marchand Libraire à Paris, d’imprimer, ou faire imprimer un livre intitulé Le Thyeste, Tragédie, compose par le Sieur de Monleon : Et deffenses sont faites à tous Libraires & Imprimeurs d’imprimer, ou faire imprimer, vendre ny distribuer aucun desdits Livres, sans sa permission, ou de ceux qui auront droict de lui, & ce pendant le temps & espace de huit ans, à compter du jour que ledit Livre sera parachevé d’imprimer pour la première fois, à peine aux contrevenans, de trois mil livres d’amende, confiscation des exemplaires qui se trouveront contrefaits & de tous despens ; dommages & intérests, ainsi qu’il est contenu plus au long ausdites Lettres de Privilège. Donné à Paris le sixiesme d’Aoust mil six cent trente-huict. Par le Roy en son conseil, Signé
CONRART.
Achevé d’imprimer le 9. Aoust 1638,
Quelques fautes reconnues depuis l’Errata.
Page 81. il y a changer, il faut charger. Page 88. Scène 2. Criton sans voir Atree s’est estonné, il faut mettre est.
ERRATA
Lecteur, je te laisse des fautes que je n’ai point reconnues, et qui sont miennes, tu les corrigeras, s’il te plaist : pour celles de l’imprimeur, elles sont les moindres, tu suppléeras en lisant quelques syllabes qu’il a obmises, et changeras plusieurs lettres qui font une autre prononciation. A la page 6, vers 6 il y a fefons pour fesons. Page 46, vers 1 noyoit dans, il faut dedans. Page 48. il y a deux fois ces, dans la page 93. A la marge, après trois ou quatre verres, il faut adjouster il se lesve : ainsi plusieurs autres de cette qualité, ausquelles on peut suppléer, & ce qui me semblent de peu d’importance.
ACTEURS.
ACTE I.
SCENE PREMIERE.
Qu'on [estouffe*](#etouffer2) à mes yeux ces [objets*](#objet1) de ma rage :
Je veus manquer de [foy*](#foi2) plustot que de [courage](#courage6).
Un [daemon*](#demon1) de colère enflâme tous mes [sens*](#sens1) :
Avec les criminels perdons les innocens,
Et faisons quelque chose en ce dessein [funeste*](#funeste2)
Qui soit digne d’Atree & digne de Thyeste.
L'enfer tremble d’effroy, le ciel d’[estonnement*](#etonnement) ;
J'en ay moy-mesme horreur d’y penser seulement.
J'ay [treuvé*](#trouver), j’ay [treuvé*](#trouver) pour plaire à ma vengeance,
Dequoy [justifier*](#justifier) Tantale & son [offence*](#offense) :
Son acte estoit clément, le mien est inhumain :
J'ay [treuvé*](#trouver) des repas pour soulager sa faim :
Mais des repas [cruels*](#cruel), & dont son cœur perfide
Aura de la frayeur voyant mon homicide :
Toutes les cruautez qu’il jetta dans mon [sein*](#sein2)
Sont les [moindres*](#moindre) rigueurs qui soient en mon dessein.
J'adjouste à sa fureur une plus violente,
Mon père la suivit, & mon frère l’augmente ;
Son crime d’un [inceste*](#inceste) a surmonté le leur :
Il eust plus de [furie*](#furie1), & j’ay plus de mal-heur.
Et [souffrant*](#souffrir1) plus qu’eus tous de honte & de [disgrâce*](#disgrace),
Je ne suis point vengé si je ne les surpasse.
SCENE SECONDE.
Quel trouble [furieux*](#furieux3) agite un si grand Roy ?
Tu le sçauras, Criton, approche, approche-toy
[Fidèle*](#fidele1) confident de toutes mes pensées ;
J'ay [treuvé*](#trouver) des [tourmens*](#tourment1) pour les fautes passées,
Qui vengeront l’[inceste*](#inceste), & le tort qu’on m’a fait,
Thyeste de sa main punira son forfait.
Craignez qu’un bruit [fascheus*](#facheux2) volant par la province.
Ne trouble le respect que l’on doit à son Prince.
Les Rois enfans des Dieus peuvent tout icy bas :
Leurs plaisirs sont des Loys, & l’on n’oseroit pas
Parler de leurs desseins, ny condamner leurs crimes,
Toutes leurs actions passent pour légitimes.
A suivre absolument ce qu’ils ont projette
Ils forcent bien les corps, mais non la volonté.
Autant que sa fureur fait un Roy redoutable,
Autant sa courtoisie à tous le rend aimable.
Ses noires actions font naistre son mespris,
Et sa seule douceur luy [gaigne*](#gaigner) les espris.
Il doit bon-gré, mal-gré, prendre ce qu’on luy [nie*](#nier).
Un règne est mal fondé [dessus*](#dessus) la tirannie,
Et ce grand bastiment tombe bien-tost à bas,
Quand l’honneur & la [foy*](#foi1) ne le soustiennent pas.
Qu'ils sortent d’avec moy, qu’un Royaume périsse,
Pourveu qu’on n’oste point Thyeste à ma justice ;
La rage a dans mon cœur allumé ce dessein,
Je veux l’exécuter.
Dieus qu’il est inhumain
Contre un frère.
A-[t]-il craint d’attenter à ma vie
De voiler la toison, & portant son envie
Au delà des [transpors*](#transports) d’un appétit [brutal*](#brutal),
De commettre un [inceste*](#inceste) en mon lict nuptial ?
Il faut, il faut, Criton, avoir plus d’asseurance,
Et moins de [pieté*](#piete3) pour venger ceste [offence*](#offense).
Grand Roy je suis à vous, disposez de mon bras,
Le perdrons-nous d’un [coup*](#coup3) ? non, il ne le faut pas,
Songeons à des [tourmens*](#tourment1).
La mort est plus certaine.
Tu me parles Criton, de la fin de sa [peine*](#peine1) ;
Je la veus commencer, & qu’un [estrange*](#etrange2) sort
Apres mille langueurs le conduise à la mort.
Auriez-vous jusques-là le cœur impitoyable ?
A quel pris que ce soit je le rends [miserable*](#miserable),
Ma colère l’ordonne à mes [ressentimens*](#ressentiment1).
Mais à quoy pensez-vous ?
A des contentemens
Que déjà mon esprit dévore en son attente,
Mon cœur en sa fureur [treuve*](#trouver) qui le contente,
Il peut tout entreprendre, & tout crime est permis,
Pour punir clignement celuy qui l’a commis.
Voulez-vous par le [fer*](#fer2) en tirer la vengeance ?
Ce supplice est trop dous pour punir son offence.
Le [feu*](#feu4) suffira-[t]-il ?
Il est trop criminel,
Il en faut un plus lent, & qui soit plus cruel.
Où le trouverez-vous ?
Dans le mesme Thyeste.
Quel est donc ce [tourment*](#tourment1) si grand & si [funeste*](#funeste5) ?
Celuy qu’un seul Atree a pu s’imaginer.
Et que tous les [daemons*](#demon1) ne sçauroient deviner.
Mais d’où vient que mes yeux sont couverts d’un nuage
Un [trouble*](#troubler) [furieus*](#furieux1) transporte mon [courage*](#courage2) :
La terre sous mes pas tremble d’[estonnement*](#etonnement) ;
Le Ciel tonne par tout, & de chaque élément
Quelque [funeste*](#funeste4) [objet*](#objet1) à mes yeux se présente :
Mon [despit*](#depit1) se renflame, & ma fureur s’augmente
Les Dieus mesme sçachant ce projet [furieux*](#furieux1),
De crainte de le voir ont detorné les yeus.
Je le veus, il me plaist, puis qu’il est si terrible.
A vous oùir parler il faut qu’il soit horrible ?
Je ne sçay toutefois, il me remplit d’effroy,
Et je pense en ceci qu’il est digne de moy.
Accomplissons-le donc, & dedans cet ouvrage
Fesons voir des [effets*](#effet1) d’un [généreux*](#genereux2) [courage*](#courage4).
Que Thyeste te venge, & ses crimes passes.
Qu'il soit son seul bourreau : mais ce n’est pas assez,
Et c’est trop laschement en tirer la vengeance :
Que le sang innocent purge un sang plein d’[offence*](#offense),
Qu'il [treuve*](#trouver) en ses enfens un délicat morceau ;
Que son [sein*](#sein2) criminel leur serve de tombeau,
Que la mère estoufant ce qu’elle a mis au monde,
Monstre que ma fureur n’a rien qui la seconde.
Vous en voulez beaucoup : mais comment l’atrapper ?
Par les mesmes moyens dont il nous veut tromper :
Ce traistre plein de [fourbe*](#fourbe) en ces lieus s’achemine,
Et [prétend*](#pretendre) de [treuver*](#trouver) sa gloire en ma [ruine*](#ruine) :
L'[esclat*](#eclat) de ma grandeur esbloùit ses espris,
Et par ces faus appas nous l’avons comme pris.
Thyeste contre vous a trop de deffiance.
Un perfide est tousjours de légère croyance.
Outre que [dés long temps*](#deslongtemps) Merope entre mes mains
Procure son retour sans sçavoir mes desseins :
Mille bons traitemens dont je [flatte*](#flatter4) son ame,
Le désir de le voir, & l’[amour*](#amour2) qui l’emflâme :
L'espoir que je luy donne avec mille sermens,
De vouloir mettre fin à leurs [fascheus*](#facheux1) tormens* ;
Mesme de me priver (puis que le Ciel l’ordonne)
Pour les favoriser, d’elle & de ma coronne,
Sont les charmes trompeurs dont j’[amorce*](#amorcer) ses [sens*](#sens1),
Elle appelle Thyeste, & ses effors puissans
Ont tellement réduit cette ame criminelle,
Qu'elle vient sans contrainte où son malheur l’appelle.
Peut-estre que la Reyne abuse vostre esprit.
Reconnoy cette Lettre, & voy dans cet escrit
Ce qu’il nous a promis.
LETTRE DE THYESTE A ATREE.
PVIS que vostre bonté m’est un lieu de refuge,
Monarque aussi clément que je suis criminel,
Et que ma partie & mon Juge
Veulent qu’entre leurs bras je [treuve*](#trouver) mon Autel.
Je quitte ces [desers*](#desert) ; & ces prisons sauvages,
Où mon crime & mon sort me tenoient arresté,
Afin de rendre mes hommages,
Et d’embrasser les pieds de vostre Majesté.
Mais si deus innocens par une grâce extrême
Qui m’ont fait [treuver*](#trouver) dous tant d’[estranges*](#etrange2) malheurs,
Et que j’aime plus que moy-mesme,
Vous pouvoient tesmoigner quelles sont mes douleurs.
Vous dire mes regrets, & vous servant d’ostage,
Trouver auprès de vous leur pardon comme moy,
Mon ame qui suit ce dous gage,
Par eus vous monstreroit vostre gloire & ma [foy*](#foi2).
Joignez cette faveur, à la faveur première
Que je reçois de vous ne le méritant pas :
Et m’accordant cette prière,
Ils me précéderont, & je suivray leurs pas.
THYESTE.
Je plains son [infortune*](#infortune2).
Je la veus faire esgalle, & la rendre commune.
La mère & les enfans sentiront aujourd’huy
Que Thyeste les rend coulpables comme luy.
Mais c’est trop différer une si douce attente :
Commençons ce beau [coup*](#coup1), & que leur confidente
Que je tiens [dés long temps*](#deslongtemps) à ma dévotion
Nous ouvre le chemin de leur punition.
La fera-[t]-on mourir ?
Il faut que son [courage](#courage6)
Contente mon désir, & commence l’ouvrage.
Elle les aime trop.
Elle s’aime bien mieus,
Et n’irritera par mon esprit [furieus*](#furieux1) ;
Va la voir seulement, & soudain me l’ameine.
SCENE III.
Toutesfois ce dessein me donne de la [peine*](#peine1) :
Quelque [fascheus*](#facheux4) [daemon*](#demon1) qui pousse ma fureur,
La pitié me fait voir ce crime plein d’horreur,
Et mon honneur s’oppose à l’acte impitoyable :
Il se faut seulement venger sur le coulpable :
Car quel crime ont commis ces petits innocens,
Et pourquoy s’animer contre des impuissans.
Ils sont siens toutesfois, & c’est de son [inceste*](#inceste)
Et de ses [attentats*](#attentat) le seul bien qui luy reste.
Et quand il seroit mort, si dedans son trespas
Ils ne le suivent point, Thyeste ne meurt pas.
Toujours dans leur [objet*](#objet1) on verra sa [figure*](#figure),
Et son sang dans leur coeur aura mis sa nature.
Ses crimes ne sont pas des crimes personnels,
Thyeste comme luy les a fait criminels.
Qu'ils meurent, c’en est fait, & que ce sacrifice
Luy fasse détester son crime & son supplice.
Ame trop peu cruelle, où te retires-tu,
Reprens tes premiers [feus*](#feu1), anime ta [vertu*](#vertu1),
Fais [généreusement*](#genereusement) avecques plus d’audace,
Ce que feroit un dieu s’il estoit à ta place ;
[Establis*](#etablir) désormais ta vie & ton [repos*](#repos3) :
Mais que ces deus amys arrivent à propos.
SCENE IV.
Apres tant de bien-faits, si tu m’es [infidelle*](#infidelle)
Est-il pour te punir de mort assez cruelle ;
Et si dans le [besoin*](#besoin) tu me manques de [foy*](#foi2),
Melinthe, qu’attens-tu de la fureur du Roy ?
Tous les maus où me peut condamner sa justice,
Et tout ce qu’a l’enfer d’horreur & de supplice.
Ce [courage*](#courage3) me plaist en ce commencement :
Mais garde de changer à mon commandement.
Grand Prince, si ma vie [asseure*](#assurer2) la couronne,
Vous me l’avez donnée ; & je vous la redonne ;
Melinthe [treuvera*](#trouver) son supplice fort dous,
Et ne peut mieus mourir, que de mourir pour vous.
Conserve-toy Melinthe, & conserve ma vie,
Termine les malheurs dont elle est poursuivie,
Et par un rare effect de ta [fidélité*](#fidelite)
[Establis*](#etablir) ta [fortune*](#fortune6) & ma félicité.
Apres les longs [travaus*](#travail) d’une si dure absence,
La Reyne que le sort a mise en ma puissance,
Soit que le Ciel l’ait fait par un secret destin,
Ou qu’il l’ait résolu son supplice & sa fin,
Dans une coupe d’or glorieuse & [contente*](#content2),
Avalle le poison que ma main luy présente ;
S'[asseure*](#assurer1) en mes [discours*](#discours2), & son ambition
Par un espoir [flatteur*](#flatter2) trompe sa passion.
Ses pleurs &. ses soupirs ont de vostre colère
Estaint tous les flambeaus.
Ah croyance légère !
Crois-tu qu’après avoir d’un projet monstrueus
Fait d’un throsne Royal un lict incestueus,
Enlevé de ces lieus le trésor de mon père,
Je la tienne en mes mains sans punir l’[adultère*](#inceste) ?
Non, non, tous ces appas dont je me suis servy,
C'est afin que ce bien ne me fust pas ravy,
Que le temps me fournit des moyens favorables,
De me mieus [satisfaire*](#satisfaire1) en perdant les coulpables.
Je les tiens, je les tiens, ils sont sous mon pouvoir,
Vengeances, cruautez, faites vostre devoir.
Escoute-moy Melinthe, & commençons l’ouvrage :
Mais tu trembles, [chetive*](#chetif), & tu pers le [courage](#courage6).
J'appréhende, Grand Roy, ce [funeste*](#funeste2) dessein,
Mon cœur pour t’asseurer passera dans ton [sein*](#sein2) :
Tu sçais bien que pour toy mon amour est extrême,
Qu'il m’a déjà rendu plus à toy qu’à moy-mesme.
Et c’est icy, Melinthe, où ton [affection*](#affection)
Doit seconder les veus de mon intention,
Et par les beaux [effets*](#effet1) que tu feras paroistre,
Ta haine ou ton amour se fera reconnoistre* ;
L'un te donne mon lict, & l’autre le tombeau ;
Choùesis celuy des deus qui te semble plus beau.
La mort pour vous servir me seroit glorieuse
Mais ô vous qui portez une ame [généreuse*](#genereux1),
Domptez ces passions qui domptent vostre cœur ;
Faites les [actions*](#action) d’un Prince & d’un vainqueur.
Melinthe, c’est en vain que ton [discours*](#discours3) me [flatte*](#flatter2).
Je suis dedans un point qu’il faut que tout [esclatte*](#eclater) ;
Un mal si [furieus*](#furieux3) ne veut point d’[appareil*](#appareil),
J'ay besoin de la main, & non pas de conseil.
Que peut pour vous, grand Prince, une main [imbecille*](#imbecile).
Elle peut commencer un ouvrage facile ;
Resous-toy seulement à complaire à mes veus :
Escoute.
O Justes Dieus !
Il le faut, je le veus !
Que cette cruauté me semble détestable.
Je voudrais qu’elle fust encor plus effroyable,
Elle me plairait plus, & mon cœur en effet
Se [treuveroit*](#trouver) vengé : mais non pas [satisfait*](#satisfaire2).
Grand Roy !
Tous vos [discours*](#discours3) m’importunent, Melinthe,
Que je n’entende plus de raison ny de [plainte*](#plaintes) :
Vous contestez en vain ; il est délibéré :
Vous le ferez, Melinthe, ou de force, ou de gré ;
Je veus qu’à mes désirs vostre ame s’abandonne,
Et choüésissez des deus, la mort ou la coronne.
Merope, ses enfans, Thyeste, & leurs désirs
Traverseront tousjours ma vie & vos plaisirs :
De leur perte aujourd’huy despend vostre victoire,
Et vous seule debvez en mériter la gloire.
Doncques résolvez-vous à perdre ouvertement
Ce qui perd vostre gloire & mon contentement.
SCENE V.
Dieus quel commandement, quel [barbare*](#barbare) [courage](#courage6) !
Pour esteindre le [feu*](#feu2) de son ardente rage,
Doibs-je souiller mes mains d’un horrible trespas,
Perdre des innocens, non je ne le dois pas ?
Et de quelque grandeur dont on [flatte*](#flatter4) mon ame,
Je ne sçaurois tremper dedans ce crime infâme,
Il est trop odieus. Toutesfois que dis-tu,
En quelle extrémité te porte ta [vertu*](#vertu2) :
Tu les veus [guarantir*](#garantir) de ce mal-heur extrême ;
Et tu ne le sçaurois sans te perdre toy-mesme :
Tu crains que sa fureur ne les fasse mourir,
Et crains de te sauver en les faisant périr.
En cet estât [fascheus*](#facheux1) où tout m’est si contraire,
Honneur, ambition, crainte, que dois-je faire,
Ma perte, ou vostre mort doit contenter le Roy :
J'ay du zèle pour vous, mais de l’amour pour moy.
Il est vray que l’horreur de ce [coup*](#coup1) m’espouvente
Mais aussi mon trespas à mes yeux se présente
Horrible, espouventable, & tel que mes espris
De crainte & de frayeur entièrement surpris
Pour esviter l’[abord*](#abord) de ce monstre effroyable,
Consentent aus [effets*](#effet1) d’un acte abominable,
Mourez Princes, mourez, un interest plus fort
Pour conserver ma vie ordonne vostre mort.
Mais j’apperçoy, Criton, qui vient pour me surprendre,
Contre un si noir dessein, feignons de nous deffendre :
Et que forcée en fin, mais avec de l’effroy,
On entreprend ce [coup*](#coup1) pour contenter le Roy
SCENE VI.
Le voila près de nous.
En fin belle Melinthe,
Vostre esprit [genereus*](#genereux3) aura chassé la crainte
Qui jettoit dans vos sens cette vaine terreur :
Ces fruis vous feront-ils encore de l’horreur ?
C'est par eus que se doibt [establir*](#etablir) vostre gloire,
Et par eus vous vaincrés.
Dangereuse victoire ?
Le Sceptre vous attend.
Et par le mesme sort
Que je l’auray fait mien, je mérite la mort.
Vous vous perdez, Melinthe, & refusant Atree,
La mort que vous craignez vous est fort asseuree.
Refusant à ce Roy de suivre ses [transpors*](#transports),
Je change seulement en une mille morts.
Ces fruis empoisonnés pouvant d’un [coup*](#coup3) esteindre
Merope, & ses enfans, qu’avés-vous plus à craindre.
Outre le [desplaisir*](#deplaisir) d’un remors éternel,
Un supplice qui suit par tout le criminel.
Dans le trosne d’un Roy vous estes asseuree.
C'est là que ma douleur sera démesurée,
Où personne n’osant m’attaquer en effet ;
J'ay l’[infortune*](#infortune1) à craindre, & ce que j’auray fait.
Une vaine terreur se glisse dans vostre ame.
Dittes plustost l’horreur d’un homicide infame.
On doit suivre en tous points la volonté des Roys,
Ce qui leur plaist est juste.
Inévitables loys.
Faites donc une fois ce qu’elles vous commandent.
Grand Roy, pardonnés-moy si mes [sens*](#sens) appréhendent
A porter cette mort, elle a de la terreur,
Et mon esprit craintif redoutte sa fureur :
Donne-moy ce présent.
[Courage*](#courage1) magnanime,
Immolés, immolés cette douce victime
Qui nous doibt apporter la victoire & la pais
Mais en impatience il est dans le Palais,
Qui veut sçavoir de vous sans aucune remise,
Si vous accepterez cette belle entreprise.
Je m’en vay le [treuver*](#trouver).
Vous ferez sagement ;
Ce Prince n’attend plus que ce contentement :
Accordez sans contrainte à son ame agitée,
Ce qu’elle veut de vous pour estre contentée.
SCENE VII.
Si la gloire des Roys a quelque dous appas,
Leur vie a des rigueurs que l’on ne connoist pas,
Leur grandeur est un roc que la nature mine.
Leur sceptre est de roseau, leur coronne est d’espine :
Leurs coeurs sont traversés d’incroyables [ennuis*](#ennuy).
S'ils ont quelques beaus jours, ils [souffrent*](#souffrir1) mille nuis :
Les soubçons, les terreurs, les vengeances, les rages,
Sans cesse font en eus de [furieus*](#furieux1) orages.
Heureus de qui l’esprit vit sans ambition :
Il est Roy véritable, & sa [condition*](#condition)
Hors de tous les mal-heurs d’une vie importune,
Surpasse des grands Roys la gloire & la [fortune*](#fortune5).
SCENE VIII.
Que j’arrive à propos en ces lieus désirés,
Criton.
Cher Lycostene.
En fin presque expirés
Dans un exil [fascheus*](#facheux1), sous le [fais*](#fais) des miseres,
Nous sommes de retour au séjour de nos pères.
Fassent les dieus puissans que nos maus terminés,
Nous vivions désormais un peu plus [fortunés*](#fortunez).
Fassent les dieus puissans, [fidelle*](#fidele2) Lycostene,
Qu'un éternel [repos*](#repos4) succède à vostre [peine*](#peine1),
Et qu’après les [erreurs*](#erreurs) d’un long bannissement,
Vous [treuviez*](#trouver) en ces lieus un plus dous élement.
Les dieus qui l’ont promis pour terminer nos [peines*](#peine1),
Conduiront dedans peu Thyeste dans Mycenes,
Et je viens de sa part en advertir le Roy.
Il est trop [genereux*](#genereux1) pour manquer à sa [foy*](#foi2).
Deus Princes, mais deus dieus qui suivent mon message
En [plaigeant*](#plaiger) ma parole, & luy servant d’ostage,
Tesmoigneront au Roy quels sont ses [desplaisirs*](#deplaisir).
Justes Dieux, comme tout succède à nos désirs !
Mais sont-ils esloignez ?
Theombre les amené,
Et je les ay laissez au milieu de la plaine.
Et Thyeste les suit ?
Il attend mon retour.
Ah [fortuné*](#fortunez) [succez*](#succes) ! incomparable jour,
Allons [treuver*](#trouver) mon Prince, on ne peut davantage
Sans crime luy celer un si plaisant message.
Fin du premier Acte.
ACTE II.
SCENE PREMIERE.
Amy pardonnez-moy si j’ay trop demeuré.
Un [bien*](#bien) n’est pas perdu pour estre différé.
Ravy par les [transpors*](#transports) de son amour extrême,
Ce Prince en m’escoutant presque hors de soy-mesme,
M'[engagea*](#engager2) mille fois dans le mesme propos.
Et je leus dans ses yeus l’espoir de son [repos*](#repos3).
Doncq il est satisfait.
Autant qu’on le peut estre
Et l’excès du plaisir qu’il me faisoit paroistre
S'imaginant d’avoir ces enfans en depost,
M'a tenu si long-temps.
On revient assez tost
Quand on revient porteur d’une bonne nouvelle.
Connoissés doncq l’excès d’une [Amour*](#amour1) fraternelle,
Jugés de ses plaisirs par son ravissement,
Et sçachez que l’[objet*](#objet4) de son contentement
Consiste à [caresser*](#caresser) un frère qu’il adore.
Vous la-[t]-il asseuré ?
Luy-mesme veut-encore
Vous le dire de bouche.
Incroyable bonté,
Qui peut assez louer ta [générosité*](#generosite),
Et dire la valeur de ce [cœur*](#coeur1) qui t’anime.
O des Roys le plus dous & le plus magnanime !
Desja pour recevoir le Prince à son retour,
Il envoyé au devant, il fait parer la cour ;
Et vous l’auriez icy sans ce [soing*](#soing1) qui le presse
Mais le voila qui sort, voyez son allégresse.
SCENE II.
Bons Dieus, que ton message augmente mes plaisirs,
Que j’ay d’impatience, & que j’ay de désirs
De me recompenser de cette longue absence.
Va donc le [retreuver*](#trouver), & dy luy qu’il s’advance
S'il désire advancer les dous contentemens
Que je puis recevoir dans ses [embrassemens*](#embrassement).
Dy luy que mon amour mille fois l’en convie,
Que j’estime cest [heur*](#heur) le plus dous de ma vie,
Et qu’il ne craigne rien, sinon qu’entre ses bras
Un excès de plaisir me donne le trespas.
Monarque [genereuse*](#genereux1), dont la valeur extrême
Paroist incomparable à se vaincre soy-mesme :
Que cette [pieté*](#piete2) va mériter d’autels,
Et que vous estes dous envers des criminels.
II est vray qu’un regret joinct à leur pénitence
Mérite aucunement cette juste clémence.
Je sçay bien que l’exil, la faim & les [travaus*](#travail),
En ce cœur ont esté les [moindres*](#moindre) de ses maus :
Qu'ils n’ont jamais [touché*](#toucher3) cet esprit magnanime,
Et qu’il n’a que souffert par l’horreur de son crime.
Ses regrets & ses maus vous l’ont pu faire voir.
Ne diffère doncq plus, [achevé*](#achever1) ton devoir,
Soulage ses [ennuis*](#ennuy), & mon impatience
Redonne à mes plaisirs son aimable présence.
Comme un mesme destin semble vous [approcher*](#approcher) ;
Atree est aujourd’huy ce qu’il a de plus cher.
Et Thyeste aujourd’huy tout ce que je désire.
Vous le verres bien-tost.
SCENE III.
Il est temps qu’il expire,
Son crime dure trop, & son ambition
Doit [rencontrer*](#rencontrer) sa fin dans sa punition.
Mais toy de qui le [cœur*](#coeur1) plein d’une [ardeur*](#ardeur2) [fidelle*](#fidele1),
Dans les [occasions*](#occasion) m’a tesmoigné ton zele.
Amy le plus parfait & le plus [genereus*](#genereux3),
Qui suit & ma [fortune*](#fortune4) & mon sort malheureus :
Voy-tu pas que le Ciel entreprend ma deffence,
Et qu’en tout ce qu’il peut il aide à79 ma vengeance.
Thyeste en mes liens vient se précipiter ;
Ses enfans que mes yeus ne sçauroient supporter,
Qui portent sur leur front son [inceste*](#inceste) & ma honte ;
De leurs malheurs passés viennent me rendre compte :
Melinthe les attend, j’attends ce desloyal,
Et ce jour à tous deus nous doit estre [fatal*](#fatal).
Je crains.
Quoy, que crains-tu ?
Que Melinthe craintifve
N'empesche qu’aujourd’huy vostredessein n’arrive.
Son esprit résolu presqu’autant que le mien,
Sçait que de là despend ou son mal ou son [bien*](#bien),
Et l’espoir de mon lit a chatouillé son ame.
J'ay crainte toustefois, Melinthe est une femme.
Ce sexe audacieus en son ambition,
N'admet point de milieu dedans sa passion.
Quand elle a de l’amour, son amour la transporte,
Et la haine qu’elle a la traitte de la sorte.
Et j’oserois jurer que son [cœur*](#coeur1) & son bras,
Par un autre respect ne s’esbranleront pas.
J'espère dedans peu d’en voir l’expérience.
Mais ne voyez-vous pas la Reyne qui s’avance.
SCENE IV.
Cachons les [mouvemens*](#mouvement) de nos cœurs agitez,
Allons la recevoir. Reyne dont les beautez
Impriment dans les cœurs une amour incroyable,
Et de qui la [vertu*](#vertu2) n’est pas moins adorable.
Le Ciel en fin lassé de vos longues douleurs,
Pour bannir vos regrets, & finir nos malheurs,
Et ne se monstrer plus à nos veus si contraire,
Vous donnant un espous, me redonnent un frère.
Vous faites son destin, Monarque [genereux*](#genereux1),
Il peut vivre contant, ou vivre malheureus,
Ordonnez son retour, commandez sa [retraitte*](#retraite).
Que cette obéissance est louable & parfaite :
Non, je veus [embrasser*](#embrasser1) cet [objet*](#objet2) plein d’amour ;
Qu'il quitte les [desers*](#desert), qu’il revienne à la Cour :
Car je veus qu’aujourd’huy mon sceptre se partage,
La Nature & l’Amour en font son héritage,
Il doit vivre en ces lieus plein de gloire & d’honneur.
…………………………………………………………
Mais qui s’en vient à nous ?
Oronte.
Son visage,
De quelque heureux [succez*](#succes) nous porte le présage.
SCENE V.
Approche cher Oronte, & le plus promptement,
Fais nous sçavoir l’excès de ton contentement.
Deux Princes arrivez en toute diligence,
Vous viennent (ô grand Roy) faire la révérence,
Et desja leur désir les rend impatiens.
De quel âge & quel port ?
Le plus vieil de sept ans.
Beaus.
Comme le Soleil, quand on voudrait encore,
Adjouster à ses trais les beautez de l’aurore.
Mère trois fois heureuse, ô Roy trop glorieux,
Allez Criton allez leur dire qu’en ces lieux,
Ils nous viennent donner leur aymable présence,
Et qu’ils sont attendus avec impatience.
SCENE VI.
En fin nous les verrons ces enfans desirez,
Un excès de malheur nous avoit séparez,
Un excès de bon-heur aujourd’huy nous rassemble,
L'Amour, l’[estonnement*](#etonnement) paroissent tout ensemble ;
Et dans un mesme cœur font voir leurs [mouvemens*](#mouvement) :
La pitié se vient jondre à mes contentemens :
Et par les dous plaisirs que le Ciel nous envoyé,
Attire des soupirs & des larmes de joye.
Que ces [ressentimens*](#ressentiment2) & ces [traits*](#trait2) amoureus
Procèdent bien d’un cœur Royal & [genereus*](#genereux1) ;
Que par cette action vostre gloire s’augmente.
Mais ô Roy sans pareil, j’aurois l’ame [contente*](#content1)
Si ces deux innocens que l’on fait appeller,
Dont le plus raisonnable à [peine*](#peine4) sçait parler,
Ne pouvant exprimer ce que Thyeste endure,
Pouvoient [dessus*](#dessus) leur front en porter la peinture,
Vous verriez son esprit cruellement [pressé*](#presser)
Par les cuisans remors dont il est traversé,
[Souffrir*](#souffrir1) mille langueurs, vivre en [impatience*](#impatience),
Faire une mer de pleurs, y laver son [offence*](#offense),
Et reclamer au nom d’une saincte [amitié*](#amitie),
Avecques son pardon vostre extrême pitié.
Je sçay que ses regrets sont plus grands qu’on [estime*](#estimer),
Et que ses [desplaisirs*](#deplaisir) ont effacé son crime :
Son cœur m’est trop connu. Mais trefve à ce [discours*](#discours1),
Un plus heureus [succès*](#succes) en doit rompre le cours.
Et par mille plaisirs soulager nostre [peine*](#peine1) :
Parlons de ces enfans que le Ciel nous ramené.
SCENE VII.
Ne les voyez-vous pas qui s’en viennent à vous ?
[Embrassez*](#embrasser2) chers enfans, [embrassez*](#embrasser2) les genous
Du plus juste des Roys, & du plus [pitoyable*](#pitoyable) :
C'est luy qui veut changer cet estât misérable,
Où l’exil & le sort vous avoient confinez.
C'est luy de qui l’Amour rend vos jours [fortunez*](#fortunez),
Et qui pour relever désormais vostre gloire,
Emporte sur luy-mesme une belle victoire ;
Et vous promet un sort digne de vos ayeus,
Demandez-luy pardon de la langue ou des yeus.
Reyne dont la [vertu*](#vertu2) nous paroist sans exemple ;
Et plus je vous entends, & plus je vous contemple,
Plus je me [sens*](#sens1) [ravir*](#ravir) par vos perfections,
Et plus j’adore en vous ces belles passions.
Mais vous chers héritiers que le Ciel me redonne,
[Embrassez*](#embrasser3), embrassez mon sceptre & ma coronne ;
Donnez mille baisers à ces biens préparez,
Car j’espère par vous qu’ils seront asseurez.
Ces excez de faveurs qui vous sont ordinaires,
Sont pour des criminels de trop amples salaires.
Parlez, parlez enfans.
Grand Roy, mille pardons !
Thyeste les implore, & nous les demandons.
Cette innocente vois vient à blesser mon ame,
Et je [sens*](#sens1) dans le cœur une excessive flame,
Dont l’[ardeur*](#ardeur1) me [consomme*](#consommer1) ? Ah gage precieus !
Que vous rendez Atree aujourd’huy glorieus.
Grand Roy, c’est le depost que Thyeste vous donne
Pour monstrer que jamais contre vostre coronne
Son cœur n’a projette de sinistres desseins,
Elle ne peut jamais estre mieus qu’en vos mains ;
Vous la possédez seul avec un juste tiltre,
Seul vous estes aussi son légitime arbitre :
Le désir seulement de vous crier mercy,
Ameine le coulpable, & le conduit icy.
Qu'on ne me parle plus de cette repentance,
En accusant Thyeste, on m’accuse & l’offence,
Atree a seul fally, mon frère est innocent,
Il a suivy le cours d’un destin tout puissant,
Et je n’ay pas connu que ceste violence,
Estoit un [coup*](#coup2) du Ciel & de sa prévoyance.
Vous me le faites voir adorables enfans,
C'est par vous que mes jours se rendront triomphans,
Et par vous que mon Sceptre asseurera sa gloire :
Ceuillez, cueillez les fruicts d’une belle victoire,
Venez entre mes bras : mais c’est vous arracher,
D'un lieu qui vous doit estre & plus dous & plus cher.
Doncques Reyne vueillez conserver cet hostage,
[Caressez*](#caresser) ce présent & gardez moy ce gage,
Qui de tous mes trésors m’est le plus précieux,
Prenez mille baisers sur sa bouche & ses yeux.
SCENE VIII.
Dans l’excès des plaisirs où je me voy plongée,
La [fortune*](#fortune2) à mon gré si promptement changée,
Et son ame inconstante en tous ses mouvemens,
Me fait appréhender de soudains changemens.
Qu'en dittes-vous, Melinthe ?
Apres de longs supplices,
Les biens les plus communs nous semblent des délices.
La misère, l’exil, & tant de maus souffers
Vous font trouver tout dous au respect de vos [fers*](#fer1).
Mais si vous regardés quel est cet advantage,
Vous verrez que le Ciel ne fait que le partage
D'un sceptre qui devoit tomber entre deux mains,
Et qu’il veut le [repos*](#repos3) de deux frères [germains*](#germain).
Que le Sceptre, Melinthe, est une chose aimable !
Vous le posséderez,
Cet estât [desplorable*](#deplorable)
Sous lequel aujourd’huy le sort nous a soubmis,
Me deffend d’espérer.
Le Roy vous l’a promis.
Il est entre ses mains bien mieus qu’entre les nostres.
Il veut vous le donner pour vous & pour les vostres.
Donc c’est pour vous, enfans, que l’on l’a préparé,
Par vous nostre malheur aujourd’huy terminé,
A nos longs [desplaisirs*](#deplaisir) fait succéder la joye :
Thyeste a son pardon, & le Ciel nous l’envoyé,
Vous estes dans mes bras, dous excès de plaisir ;
Il faut que je vous baise & rebaise à louesir,
Que ma lèvre se colle à vostre lèvre humide,
Et que pour [satisfaire*](#satisfaire2) à mon cœur plus avide,
Vous donnant mon esprit, j’expire doucement,
Et que vous me donniez le vostre esgallement.
De ses plaisirs perdus, elle prend les usures.
Vous ne me dittes mots, petites créatures :
Parlez-moy de Thyeste, où l’avez-vous laissé ;
Vous a-[t]-il dit adieu, l’avez-vous [embrassé*](#embrasser2) ?
Pour vous cent & cent fois.
Il faut donc à mon [aise*](#aise)
Que pour luy mille fois aujourd’huy je vous baise,
Mais ils s’en vont à toy ?
Je les puis recevoir.
Dieux que ces fruits sont beaux, chacun les veut avoir,
Donne moy ce présent, j’en feray le partage,
A qui dois-je des deux en donner davantage,
Aux deux esgallement ayant donné le jour :
Si Theandre a mon cœur, Lysis a mon amour,
Toutefois un désir plus avant dans mon ame,
L'emporte dans les lieux, où s’envole ma flame.
Que faict mon cher Thyeste, où le laissastes-vous ?
Sur le poinct de partir aussi tost comme nous.
Songe-[t]- il à Merope ?
Autant comme à luy-mesme.
Ah Prince sans pareil ! que ton amour extrême
Mérite d’autres vœus que ceux que tu reçois :
Bons Dieus ! pouvois-je faire un plus louable chois :
Mais je ne puis [souffrir*](#souffrir1) sa trop longue demeure.
Vous l’auré dans ces lieux au plus tard dans une heure.
O trois & quatre fois favorable retour !
Madame, icy Madame !
Ah ! lamentable jour.
Détestables faveurs.
Courez icy Madame !
A quelle fin grands Dieus reservez-vous mon ame,
Quelle est vostre justice, & quels sont mes mal-heurs,
Pourquoy ne puis-je pas partager mes douleurs,
Ah Lysis ! mais où vais-je, ah ! rigueur trop cruelle,
Je cours à toy Lysis, & Theandre m’appelle,
Ah Theandre ! ah Lysis ! dous [objets*](#objet2) de mes voaus,
Amour en mesme temps m’appelle à tous les deus,
Et mon nouveau malheur en ce poinct est extrême,
Que je ne puis choûésir des deux celuy que j’ayme.
Madame, ces [transpors*](#transports) ne sont pas de saison,
Avecque vos enfans vous perdez la raison,
Songeons à leur salut, leurs pous donne espérance
De quelque [guarison*](#guarison).
A [fascheuse*](#facheux3) [apparence*](#apparence) !
Espoir foible & cruel ?
Avec tous ces [discours*](#discours1),
Nous resterons icy sans force & sans secours.
SCENE IX.
Quels [fascheux*](#facheux3) [accidens*](#accident2) troublent ainsi la Reyne ?
Emportez ces enfans dans la chambre prochaine,
Vous sçaurez leur malheur : Madame suivez-les,
De tout cet [accident*](#accident2) vous verrez le [succez*](#succes).
Helas ! que mes malheurs sont bien fort manifestes
Que verray-je de plus dans ces [objects*](#objet3) [funestes*](#funeste4)
Que l’[effet*](#effet2) d’une haine, &. l’horreur du poizon
Que ma perte asseuree, & que ta trahison.
Justes Dieus qui voyez une ame si perfide,
Vengez, vengez pour moy ce cruel homicide ?
Vous m’accusez à tort : mais le temps ne veut pas
Que je me justifie : Allez, suivez leurs pas :
Je cours au Médecin.
SCENE X.
Ces véritables [plainte*](#plaintes)
Donnent à mon esprit de [sensibles*](#sensible) [atteintes*](#atteinte2).
Et quelque advantageus que me soit ce forfait,
Je [sens*](#sens) [secrètement*](#secretement) que c’est moy qui l’a fait :
Un remors dans le cœur va m’objectant sans cesse,
Que j’ay trahy ma [foy*](#foi2), trahissant ma Princesse.
Mais que mon repentir me semble furieus* :
Je les ai veus mourir tous deux devant mes yeus.
Par leur mort seulement j’ay conservé ma vie :
Par leur mort j’ay repris ma liberté ravie,
Et ces enfans perdus asseurent mon [repos*](#repos3).
La volonté d’un Prince est de tous mes complos
C'est luy qui m’a portée à ce cruel [office*](#office) ;
C'est luy qui doit payer mon [fidelle*](#fidele1) service,
La coronne m’attend après ces beaux desseins,
Je veus que ces [effets*](#effet1) se trouvent inhumains,
Que je passe par tout pour ingrate & perfide,
Et que mon crime soit pire qu’un parricide,
Un [diadesme*](#diademe) peut [couvrir*](#couvrir) tous mes [deffauts*](#defaut),
On feroit pour régner mille fois plus de maux,
Et ce [coup*](#coup1) en tout cas n’est que trop légitime,
Pour que je ne préviens que Merope en son crime.
Fin du Second Acte.
ACTE III.
SCENE PREMIERE.
Perfides sentimens, [mouvemens*](#mouvement) déréglez,
Où voulez-vous porter mes esprits aveuglez ;
Quelle lasche pitié, vient esbranler mon ame ;
Quelle foible raison veut estaindre la flame
Qu'une noire [furie*](#furie2) allume dans mon [sein*](#sein2) :
[Achevé*](#achever1), achevé, achevé un si noble dessein,
Porte ta passion au poinct qu’elle désire.
Merope est en tes mains, & l’infâme respire ;
Elle voit le Soleil avec les mesmes yeus
Dont elle a veu Thyeste & trahy tous nos Dieus :
Elle seule a produit ses infâmes vipères
Qui dévoient en naissant faire mourir leurs pères.
Il est temps, il est temps qu’Atree & ses espris
Se vangent hautement de ton lasche mespris :
Qu'ils se soullent du sang d’une ame desloyale,
Qu'ils reparent l’affront de sa couche Royalle,
Et qu’en te [prévenant*](#prevenir) dans tes désirs secrets,
Il asseure sa vie, & perde tes projets.
Ta main perdra Lysis, ta main perdra Theandre,
Un mesme sort t’attend, & tu le dois attendre
Sur les bords d’Acheron : ces [idoles*](#idole) sans corps
Languiront sans passer au Royaume des morts ;
Erreront sans [treuver*](#trouver) la fin de leur misère,
Et me demanderont pour victime une mère :
Puis-je leur refuser un si juste trespas !
Non, il est résolu qu’elle suivra vos pas,
Et l’effroyable [objet*](#objet1) d’un horrible carnage
Fera périr Thyeste ou d’Amour ou de Rage ;
Son esprit dans ces lieus aux vostres se joindra ;
Et chacun de vos corps dans le sien s’espandra.
Ainsi remply de vous autant que de son crime,
Vous aurez un tombeau, luy son sort légitime.
SCENE II.
De ses [transports*](#transports) tousjours vostre esprit agité,
Médite sa vengeance, & quelque cruauté.
L'un & l’autre me plaist, & tous deux, s’il me semble,
Pour mon contentement doivent se joindre ensemble.
Vengeance, cruauté, violence, [transports*](#transports),
Perfidie, homicide, & les sanglans efforts
Où nous pousse la Rage alors qu’elle est extrême ;
Meslons le sacrilège avecque le blasphème,
Et tout ce que l’enfer ne peut s’imaginer :
Ce qui le fera craindre, & les Dieus [estonner*](#etonner1),
Ce qu’ils n’ont jamais peu trouver dans leurs supplices,
Seront pour m’[obliger*](#obliger1) d’agréables délices.
Et si mesmes les Dieus consentoient à ce tort,
Contre eux mon bras feroit un plus sanglant effort ;
Tant je veux surpasser le crime de mon père.
Justes Dieux ! appaisez l’[ardeur*](#ardeur2) de sa colere
Sur ce cœur [furieus*](#furieux2) estendez vostre main.
Hé ne vous souillez plus de ce crime inhumain.
C'est par là que je veus obtenir la victoire.
C'est par là que je veus qu’une [estrange*](#etrange1) mémoire
Conserve à nos neveus jusqu’aus derniers momens
L'horreur de ma vengeance & de mes sentimens ;
Que le Soleil s’en cache en des cavernes sombres,
Je ne veus avec moy que de [funestes*](#funeste4) ombres* ;
Et je seray contant si je fais en effet
Ce qu’un frère voudroit contre nous avoir fait.
[Estrange*](#etrange1)[passion*](#passion).
Nécessaire & loüable.
A qui veut se venger d’une injure semblable,
Il ne faut point [flatter*](#flatter1) un tel [ressentiment*](#ressentiment1)
Et l’on ne doit jamais se venger laschement.
Ordonnez, je suis prest.
J'estime ta [franchise*](#franchise),
Capable seulement d’[achever*](#achever1) l’entreprise.
Monstre toy donc icy [fidelle*](#fidele2) & valeureus,
Ne m’abandonne pas en ce [coup*](#coup1) [genereus*](#genereux3) ;
Ton [courage*](#courage3) me plaist, ta [vertu*](#vertu1) me contente,
Et j’espère des deus l’[effet*](#effet2) de mon attente.
Mais que joyeusement Melinthe vient à nous.
SCENE III.
Vivez grand Roy, vivez, la victoire est à vous ;
Ma main sans redouter ce sanglant sacrifice
A [généreusement*](#genereusement) [achevé*](#achever1) son [office*](#office).
Donc ces enfans sont morts ?
Ouy.
Las que me dis-tu ?
Que je suis redevable à ta rare [vertu*](#vertu2) : Ils sont morts ?
Justes Dieus ! quel [coup*](#coup1) plus favorable
Pouvoit me rendre [heureux*](#heureux1), & Melinthe adorable ?
Ils sont morts ?
Ils sont morts.
Mais dy moy de quels yeus
Elle a pu voir l’[effet*](#effet2) de son crime odieus ?
Des yeux que la douleur noyoit dedans leurs larmes.
Quels furent ses [discours*](#discours1) ?
Tous tels qu’en ces allarmes
Arrache malgré nous par ses effors puissans,
La Rage qui maistrise & le cœur & les [sens*](#sens).
C'est tout ce qu’il falloit à cette ame perfide :
Mais elle mesme a fait de sa main l’homicide.
Elle mesme.
Et tu pus luy donner ce poison.
A propos.
O trois fois heureuse trahison !
[Généreuse*](#genereux3) Melinthe, en ce bien-fait extrême
Mon [repos*](#repos3) s’[establit*](#etablir), & ta gloire est suprême ;
Fais nous donc le récit de tout cet [accident*](#accident1).
Voyant ses deux Soleils dedans leur occident.
Elle s’en vint à toy.
Son amour partagee
Fit voir comme à tous deux elle estoit engagée
Et que le sang faisoit une commune loy.
Elle alloit vers Theombre, & puis couroit à moy ;
S'arrestoit incertaine, & son cœur & son ame
Brusloient pour tous les deux d’une pareille flame.
En fin tout [succéda*](#succeder) selon nostre désir.
Sire, vous le sçaurez tantost plus à louesir.
Je fus au Médecin pour me retirer d’elle.
Criton vit le spectacle.
Ah l’aimable nouvelle !
Amy, [satisfaits*](#satisfaire2) donc à mon contentement :
Quels furent les [transpors*](#transports) d’un dueil si [véhément*](#vehement) ?
Dy, quels furent ces pleurs, quelles furent ces [plaintes*](#plaintes) ?
Reconnoissant au vray les mortelles [attaintes*](#atteinte1),
Qui forçoient ces esprits de sortir de ces lieus ;
Le poison [achevant*](#achever1) vos desseins glorieus ;
Et Merope voyant ce qu’elle pouvoit craindre,
S'arrache les cheveus, & commence à se [plaindre*](#plaindre) :
A tous ces [mouvemens*](#mouvement) sa main s’abandonnoit :
De ses [tristes*](#triste1) sanglots la chambre resonnoit,
Et ses yeus presque estains, & son pasle visage,
Faisoient voir de sa mort le [funeste*](#funeste3) présage.
Si ce commencement causa tant de douleurs,
Que fit-elle voyant l’[objet*](#objet1) de ses malheurs.
Trois fois en se pasmant elle voulut les suivre :
Mais son cruel destin trois fois la fit revivre :
Trois fois elle voulut finir par leur trespas.
Trois fois la mort l’approche & ne la [touche*](#toucher1) pas.
En fin & la Douleur, & l’Amour, & la Rage,
Luy ravirent le pous, l’esprit & le [courage*](#courage1),
Elle s’esvanouyt comme le Médecin
Entre dedans la chambre.
[Acheve*](#achever2) : cette fin
L'[estonne*](#etonner1), le surprend, & fait qu’il se propose
De chercher dans ces corps & l’[effet*](#effet2) & la cause :
On les ouvre aussi-tost, on [treuve*](#trouver) le poison,
La Reyne se resveille & sort de pasmoison.
Et d’une voix qui sort à [peine*](#peine3) de sa bouche,
Elle veut exprimer la douleur qui la [touche*](#toucher2).
Puis retournant les yeus de larmes tous couverts,
Ainsi qu’elle apperçoit ces deux corps entr'ouverts,
Une [estrange*](#etrange1) douleur s’emparant de son ame,
Pour la quatriesme fois encor elle se pasme.
Que fistes-vous après ?
Nous emportons son corps,
Et laissons seulement, Oronte avec les mors
Pour faire.
C'est assez à tout cecy, Theombre.
Presque tout immobile, & plus pasle qu’une ombre,
Il a recours à moy, je [flatte*](#flatter1) son [ennuy*](#ennuy),
Et dedans cette tour je m’asseure de luy.
[Vertueuse*](#vertueux2) conduite, amy trop véritable,
Mais que vos passions, Melinthe incomparable,
Me donnent de désirs de les recompenser.
Il faut Melinthe, il faut cent fois vous [embrasser*](#embrasser1),
Et puis que vous m’avez tenu vostre promesse,
[Satisfaire*](#satisfaire3) à la mienne, & vous faire Princesse.
Toutesfois ce bon-heur doit estre différé,
Il faut avoir le Sceptre, & le rendre asseuré.
Que vous reste-[t]-il plus ?
A faire deux conquestes,
Pour nous mettre à l’abry des vens & des tempestes,
A faire ce qui peut un jour nous contenter
Mais ce que vostre cœur ne sçauroit supporter.
Melinthe cependant sera-[t]-elle inutile ?
A tout autre qu’à moy la chose est difficile,
Où dois-je donc aller ?
Dans des lieux préparez
Aux dous contentemens qui nous sont asseurez,
Où nous devons jouyr d’une gloire parfaite.
Le palais du jardin sera vostre [retraite*](#retraite).
SCENE IV.
Tu vois comme en tous poincts la [fortune*](#fortune2) me rit :
Voila comme il falloit attrapper cet esprit,
L'[amorcer*](#amorcer) doucement, & par mille [artifices*](#artifice2)
Le prendre & l’[obliger*](#obliger2) à ces sanglans [offices*](#office) :
La seule ambition dont son cœur fut espris,
Pour tous mes sentimens anima ses espris,
Et fist qu’à tous mes vœux son ame s’abandonne.
On pesche bien pour moins que pour une coronne.
Crédule, penses-tu que j’y sois [obligé*](#obliger2),
Que par cette action mon honneur engagé
Pour la recompenser de son juste salaire,
Doive un si beau présent à ce [cœur*](#coeur1) mercenaire ?
Vostre honneur vous [oblige*](#obliger2) à tenir vostre [foy*](#foi2).
J'en manque pour un frère, il en manqua pour moy :
Elle n’en a point eu pour servir sa Princesse ;
Et je n’en auray point pour tenir ma promesse.
Donc son obéissance a causé son malheur.
Elle seroit sans crime, & ma juste douleur
Seroit sans fondement contre cette perfide,
Ayant tant seulement trempé dans l’homicide,
Nous vivrions engagez sous une mesme loy ;
Je perirois plutost que luy manquer de [foy*](#foi2) ;
Mon Sceptre entre ses mains seroit son héritage,
Et je serois heureux d’en faire le partage :
Car quoy qu’elle eust commis en l’empoisonnement,
Elle l’auroit commis par mon commandement ;
Et je serois ingrat si son obéissance
N'obtenoit à l’instant sa juste recompense.
Mais ?
Certes ce secret me faisoit [estonner*](#etonner2).
Il faut auparavant sa vie examiner,
Et deux mots sur ce poinct nous la feront connoistre,
[Lors que*](#lorsque) par mille morts ma main faisoit paroistre
Un Atree invincible au milieu des combats :
Thyeste impunément prenoit tous ses esbats,
S'enyvroit de plaisirs dans le [sein*](#sein2) d’une infâme,
S'approprioit mon sceptre, & contentoit son ame :
Mon absence leur sert, & leurs cœurs triomphans
S'estiment [asseurez*](#assure) pour avoir deux enfans,
Que Melinthe en secret porte chez la nourrice
Pour mieux continuer son détestable [office*](#office).
Peut-estre le fit-elle à dessein de cacher
Ce que tous ses efforts ne pouvoient empescher ?
Surprise par l’amour & les dons de Thyeste,
Elle seule porta Merope à cet [inceste*](#inceste).
Vous la pouviez punir la tenant en vos mains.
Cette punition rompoit tous mes desseins :
Tu sçais que ma valeur par d’invincibles [charmes*](#charme)
[Obligea*](#obliger2) la [Fortune*](#fortune1) à seconder mes armes,
Et qu’[admirant*](#admirer) par tout & mon [cœur*](#coeur1) & mon bras,
La victoire a suivy l’honneur de mes combats,
Quand proche de gouster d’incroyable délices,
Un [funeste*](#funeste5) [démon*](#demon1) m’apporte des supplices.
On me dit que Thyeste apprenant mon retour,
Avoit avec Merope abandonné la Cour :
Emporté la Toizon, craignant que ma colère
Ne punist sur tous deux un infâme [adultère*](#inceste).
Je cours pour l’attraper : mais inutilement ;
Je cherche ces enfans : mais un mesme [eslement*](#element1),
Les avoit [guarantis*](#garantir) : & seulement Melinthe
Que je sçavois desja du mesme crime attainte,
Par un secret destin tombe dans ma prison :
Sur elle je pouvois punir leur trahison.
Je pouvois soulager ma rage en quelque sorte :
Mais c’estoit se vanger d’une personne morte :
Outre que le pardon me donnoit les moyens
De la pouvoir un jour la mettre dans mes liens.
Cinq ans se sont passez depuis que je luy jure
Que mon esprit a mis en oubly cette injure,
Et que mon cœur [touché*](#toucher3) d’une [estrange*](#etrange1) pitié,
Voudrait de leurs malheurs endurer la moitié.
En fin j’ay si bien fait qu’ils sont en ma puissance,
Et qu’il ne reste plus qu’à tirer ma vengeance.
Je ne puis excuser son [infidélité*](#infidelite).
Le Ciel luy donnera ce qu’elle a mérité :
Et pour la mieux punir, & payer son service ;
Je veux pour quelque temps différer son supplice ;
Et je l’ay fait descendre à dessein dans ces lieux.
SCENE V.
La Reyne vient à vous,
Monarque glorieux,
A qui tout l’Univers doit eslever des Temples,
Et de qui les [vertus*](#vertu2) n’eurent jamais d’exemples.
Je ne sçaurois [souffrir*](#souffrir1)ce [discours*](#discours1) odieux,
Dittes le plus honteux qui vive sous les Cieux.
Apres tant de lauriers, de palmes & de gloire,
On a troublé l’honneur de toute ma victoire.
Il est vray, deux enfans dedans vostre maison
Ont ressenty l’[effort*](#effort) d’un [funeste*](#funeste1) poison ;
Aussi tost arrivez une main desloyalle
A souillé de ce crime une maison royalle.
Je jure tous les Dieux, que celuy qui l’a fait
Ne survivra jamais une heure à son forfait,
Et quiconque en ces lieux se soit monstre perfide,
Se punira soy-mesme en son [propre*](#propre2) homicide.
Ah prudence incroyable ! Ah Justice de Roy !
Dittes, dittes plustost inévitable Loy ;
Ce que je vous promets est fort inviolable :
Et juste ou non il faut qu’on le [treuve*](#trouver) équitable.
Vengez vos héritiers !
Je n’en ay point perdu,
Ce tiltre ny ce nom ne leur estoit pas deu :
Ils sont à vous, Merope, & leur père est Thyeste.
Ah grand Prince ! ah Merope ! ah response [funeste*](#funeste5) !
Vous les avez receus au pardon comme nous.
Et je feray pour eus autant comme pour vous.
Helas ! ils ne sont plus, & leur sort vous demande.
Ce qu’ils auront bien tost.
Que mon ame appréhende,
Et conçoit à ces mots de crainte & de soupçons.
Justes Dieus ?
Mais à quoy ces estranges façons ?
Et pourquoy doubter tant d’une chose asseuree ?
Estes-vous pas Merope ? & suis-je pas Atree ?
Vous Testes, & mon cœur n’en a jamais doubté,
Je ne l’ay que trop veu par l’extrême bonté
Dont tant de criminels ont fait l’expérience :
Mais ces deux Princes morts vous demandent vengeance.
Je l’ai desja promise, & puissent tous les Dieus
A jamais contre moy se monstrer [furieus*](#furieux2),
Si l’effect dedans peu ne vous rend asseuree,
Que vous estes Merope, & que je suis Atree.
Dois-je avoir de l’espoir ?
Il seroit superflus,
Et vostre seul espoir est de n’en avoir plus.
Las par combien de morts mon ame est deschiree !
Estes-vous pas Merope, & suis-je pas Atree ?
Il est vray, je la suis, mes estranges malheurs
Me le monstrent assez, & mes vives douleurs
De l’autheur de mon mal me rendent asseuree.
Estes-vous pas Merope, & suis-je pas Atree ?
Mais un Tygre ?
Ces noms me sont indifferens,
Mais que je vienne à bout de ce que j’entreprens
Que je venge un affront.
Qu'estes-vous devenue, Inviolable [foy*](#foi2) ?
Me l’avez vous tenue ?
L'inviolable [foy*](#foi2) que vous implorez tant :
Vous l’avez violée, & j’en veux faire autant ;
Ma puissance n’est pas moins grande que la vostre ;
Vous avez fait un crime & j’en veux faire autre,
Si je suis criminel de suivre un [mouvement*](#mouvement),
Où l’équité me porte & mon [ressentiment*](#ressentiment1).
Il falloit, il falloit pour paroistre équitable,
Sauver les innocens, & perdre la coulpable
Ces victimes estoient indignes de vos cous.
J'ay trouvé dans leur mort quelque chose de dous.
Oyez terres ! Oyez ce désir tyrannique !
Escoutez les [fureurs*](#fureur1) d’une ame frénétique.
Pour un commencement tu [festonnes*](#etonner1) beaucoup.
Détestable assassin.
Toy-mesme as fait le [coup*](#coup1),
Melinthe t’a servie en cette felonnie :
Toy-mesme m’as vengé, toy-mesme t’es punie ;
Et dans les mesmes lieux où ces enfans sont nez,
Dedans les mesmes lieux ils sont empoisonnez.
Ta main qui fit ce meurtre en doit estre asseurée.
[Connoy*](#connaitre2)-toy donc Merope, & reconnois Atree.
SCENE VI.
Il n’en faut plus doubter, ce tyran [furieux*](#furieux1)
Est le seul instrument de ce crime odieux !
Sa rage a commencé ce dessein si [funeste*](#funeste2),
Afin de l’[achever*](#achever2) par la mort de Thyeste.
[Divertissons*](#divertir) ce [coup*](#coup1), & ne permettons pas
Qu'il triomphe jamais d’un si noble trespas ?
Merope, c’est à toy d’en esviter l’orage :
C'est toy qui l’as perdu. Mais ô Dieux, quelle rage
S'obstine incessamment contre des malheureux ?
Las ! pour te secourir je n’ay rien que des vœux,
Tous ces lieux sont fermez, je n’ay point de passage,
Je manque de pouvoir, mais non pas de [courage](#courage6),
Insolentes fureurs du sort qui m’est [fatal*](#fatal) :
Quoy, me reservez vous encor à quelque mal ?
Mon exil n’a-[t]-il point contenté vos [caprices*](#caprice) ?
Est-il pour me punir de plus cruels supplices,
Apres avoir trahy Thyeste &. mon amour,
[Estouffé*](#etouffer3) deux enfans que j’avois mis au jour.
Avez-vous, avez-vous quelque chose de pire
Pour me faire [souffrir*](#souffrir1) tandis que je respire.
J'ay veu de mes deux yeux ces [objects*](#objet2) estendus,
Sans pous, sans mouvement, & je les ay perdus,
Et je ne suis pas morte ? Ah mère détestable,
Que ton [impieté*](#piete1) te rend abominable !
Tu survis à ce [coup*](#coup5) plein de rage & d’horreur,
Tu manques de [courage](#courage6) en ta juste fureur :
Apres avoir commis un si grand parricide,
Contre qui pouvois-tu te monstrer plus perfide ?
Ah nature ! ah pitié que faisiez-vous alors ?
Que ne m’assistiez-vous avec tous vos efforts,
Pour ne survivre pas à l’action cruelle,
Ne me trouviez-vous pas encores criminelle,
Falloit-il adjouster à mon crime odieux,
La mort de mon Thyeste & le mespris des Dieux ?
Et [premier*](#premier) que ma mort expiast mon [offence*](#offense),
Me faire reconnoistre Atree & sa vengeance.
M'exposer aux [fureurs*](#fureur1) de ce Tygre inhumain,
Du sang de mes enfans ensanglanter ma main,
Perdre des innocens, destruire mon ouvrage,
Ah Dieux ! fut-il jamais une pareille rage ?
Mais vous à qui ce bras a servy de bourreau,
Devois-je en vous perdant faire un crime nouveau ?
Et falloit-il qu’un Roy pour se rendre effroyable,
Vous perdist par ma main, & sauvast la coulpable ?
SCENE VII.
Madame, ce grand Roy que vous blasmez à tort,
Des esprits affligez l’azyle & le support,
Voyant de vos douleurs l’extrême violence,
Vous exhorte par nous à quelque [patience*](#patience).
Ce grand Roy, dont le cœur & lasche & [furieux*](#furieux1),
Horreur de la nature & la haine des Dieux,
Nous assouvy du sang d’une tendre jeunesse,
Veut encor esprouver mon cœur & sa foiblesse :
[Fidelles*](#fidele1) confidens de cet empoisonneur,
Qui venez à dessein de tenter mon honneur,
Dittes-luy que j’auray dans ce malheur extrême,
La resolution qu’il doit avoir luy-mesme.
Pourveu que ces [transpors*](#transports) cèdent à la raison,
Il [treuvera*](#trouver) la sienne en vostre [guarison*](#guarison).
Et c’est cette raison qui doit à cet infâme
Faire voir en mes maus les bourreaux de son ame.
Pour empescher ce [coup*](#coup5) vous vous devez [guarir*](#guarir).
Un moment, un moment me pourra secourir.
Un seul [coup*](#coup5) finira ma vie avec ma [peine*](#peine1).
Certes vous commencez d’estre moins inhumaine ;
Et pour exécuter un si noble désir,
Voicy dequoy Madame, & vous pouvez chouesir.
[Objects*](#objet4) doux & charmans, presens incomparables,
Qui devez terminer mes maux insupportables,
Favorable ennemy, Monarque glorieux,
Qui fais pour mon [repos*](#repos3) autant que tous les Dieux.
Tu sçays qu’après ces morts je ne sçaurois plus vivre,
Que mon amour m’invite, & m’[oblige*](#obliger2) à les suivre,
Et que pour mieux punir ma lasche trahison,
Ainsi qu’eux je devois finir par le poison.
Il le faut, je le dois, ça, prenons ce breuvage ?
En retardant son [coup*](#coup1) j’offence mon courage.
Mais soyez les tesmoins comme je le [reçoy*](#recevoir),
Voyez avec quel [front*](#front) & quels yeux je le boy,
Et dittes à ce Roy dont je foulle la haine,
Que Merope mourant, mourut comme une Reyne.
Le voila ; c’en est fait, il est victorieux,
Et mon esprit contant va sortir de ces lieux.
Allez luy rapporter de si douces nouvelles,
Je vay suivre les pas de ces ombres [fidelles*](#fidele3).
Enfans je suis à vous, attendez un moment,
Thyeste me retarde en ces lieux seulement.
C'est moy qui t’ay perdu, c’est ta seule Merope,
Qui dedans ses malheurs aujourd’huy t’envelope.
Ah trop crédule amant ! j’expie en ce trespas
Tous mes forfaits passez, & ne te sauve pas.
Contre toy leur [furie*](#furie1) ose tout entreprendre,
On m’oste les moyens de te pouvoir deffendre.
Espere toutesfois, mon esprit hors du corps,
[Premier*](#premier) que de passer au Royaume des morts,
Où que tu sois, Thyeste, ira joindre ton ame,
Et te rendre les vœux de sa dernière flame.
Il s’en va, c’en est fait, Ministres [généreux*](#genereux3),
Monstrez-moy mes enfans, que j’expire sur eux ;
Vous ferez à Merope un agréable [office*](#office),
Et vous augmenterez l’horreur de son supplice.
Fin du troisiesme Acte.
ACTE IV.
SCENE PREMIERE.
Apres les longs [travaux*](#travail) d’un exil rigoureux,
Où mon crime & le sort me rendoient malheureux :
Je vous revoy beaux lieux, où jadis ma jeunesse
Fist [admirer*](#admirer) de tous sa force & son adresse.
Agréables Palais, superbes bastimens,
Doux & puissans sujets de mes contentemens,
Où les objets charmans d’une rare structure,
Semblent avoir lassé & l’art & la nature.
En fin ma destinée après un long courroux,
A calmé ses fureurs, & me conduit à vous :
Tout le peuple d’Argos se présente à ma veuë ;
De mille doux plaisirs mon ame entretenuë ;
S'imagine en soy-mesme, & pense de le voir,
Reconnoistre son Prince, & faire son devoir.
Atree à bras ouverts vient [embrasser*](#embrasser1) son frère :
Atree ? Ah que dis-tu, crains plustost sa colère,
Abandonne ces lieux, cherche un autre élément,
Reprens le premier cours de ton banissement,
Visite des forests les cavernes plus sombres,
Et préfère à ce lieu la [retraite*](#retraite) des ombres,
Afin que ny l’[esclat*](#eclat), ny la pourpre des Rois,
Ne vienne à t’esblouyr pour la seconde fois.
Mais d’où vient qu’aujourd’huy mon esprit s’espouvante,
l’art et la nature ont tant travaillé.
Que mon trouble s’accroist, & ma fureur s’augmente,
Et mal-gré moy m’emporte.
Estrange [mouvement*](#mouvement),
Grand Prince, d’où vient ce [transport*](#transports) [véhément*](#vehement) ?
Tu chancelles, mon ame, & ton [inquiétude*](#inquietude)
Te jette & te retient dedans l’incertitude ;
Ton frère & son Royaume ont troublé ta raison ;
Sous des morceaux dorez tu manges du poison,
Et tu n’apperçois pas la malice [couverte*](#couvrir)
De ces deux ennemis qui conspirent ta perte.
Crains-tu, crains-tu des maux autrefois supportez
Et que ta [patience*](#patience) a desja surmontez ?
Retire-toy d’icy, ton [repos*](#repos3) te l’ordonne,
Esvite les malheurs qui suivent la coronne.
Ce soudain changement rend mes [sens*](#sens1) esbahys ;
Quel [accident*](#accident1) vous force à quitter le pays :
Tout le monde vous veut, un frère vous demande,
Son sceptre vous attend.
C'est ce que j’appréhende.
Craignez-vous le [repos*](#repos3) qui vous est présenté ?
Je crains de trop avoir n’ayant rien mérité.
Craindre sans fondement.
Il est vray, Lycostene,
Je [souffre*](#souffrir1) sans sçavoir la cause de ma [peine*](#peine1) ;
J'ignore le soupçon qui me va [tormentant*](#tourment2),
Je ne vois rien à craindre, & si je crains pourtant
De mesme qu’un navire approchant du rivage,
Se voit porter ailleurs par les vens & l’orage.
Quand je voy ce séjour plein d’amour & d’appas,
J'avance, & malgré moy je porte ailleurs mes pas.
Surmontons les dangers, suivons nostre [fortune*](#fortune2),
Et foulons sous les pieds cette crainte importune.
Les [pensers*](#pensers) d’un exil troublent vostre bon-heur ;
Voyez que ce retour vous prépare d’honneur,
Vous pouvez estre Roy.
Je puis mourir encore.
Un Prince est comme un Dieu que tout le monde adore.
Il ne faut qu’un Soleil pour esclairer les cieux :
Un seul bras pour un sceptre.
Ah desseins [furieux*](#furieux1) !
De deux conditions faut-il choüesir la pire.
Pensant trouver son [bien*](#bien), on trouve son martyre,
Tousjours dans la grandeur comme dessus les flots,
Un orage inconnu trouble nostre [repos*](#repos3).
Ah ! qu’il est bien plus doux, sans crainte de personne,
De se nourrir des fruicts que la nature donne,
De prendre ses repas en toute seureté,
Loin de la perfidie & de la vanité,
Qui dedans ces Palais où le luxe & le crime
Régnent impunément ; & font tout légitime.
J'en sçay l’expérience, & que la trahison
Dans une couppe d’or nous donne du poison,
Nous prépare la mort, & par ses [artifices*](#artifice1),
Nous la fait avaller avec des délices.
Que c’est bien acheter un sceptre chèrement ;
Lycostene, croy moy, tout le contentement
Est de pouvoir régner sans sceptre & sans coronne.
Pourquoy les refuser quand le ciel nous les donne ?
Pourquoy les desirer ?
Quand un frere le veut,
Luy feriez-vous ce tort ?
Mais quand il ne se peut.
Par ses plus grands désirs, son cœur vous en conjure.
Ses vœus me sont suspects, & je crains quelque [injure*](#injure).
Pourriez-vous bien douter encores de sa [foy*](#foi2) ?
Vous la-[t]-il point donnée en qualité de Roy,
Et par tous ses escrits si sainctement jurée :
Est-il pas vostre frère ?
Il est de plus Atree.
Il vous aime.
Ah ! sortez d’une si grande erreur,
Je sçay quel est Atree, & quelle est sa fureur.
Que craignez-vous si fort ?
Tout ce que l’on peut craindre :
Car sa haine est un [feu*](#feu2) qu’on ne sçauroit esteindre,
Il hait autant qu’il peut.
Que peut-il contre vous ?
Rien du tout.
Pourquoy donc craindre tant son courroux ?
Ayant entre ses mains le seul bien qui me reste,
Je crains pour mes enfans, & non pas pour Thyeste.
[Lors que*](#lorsque) dans des liens le sort nous a jette,
Il n’est plus temps de craindre une captivité,
Il la fallait prévoir.
Tu dis vray, Lycostene :
Mais l’amour m’aveugla pour complaire à ma Reyne ;
Et ce Dieu maintenant fait voir à mes esprits
Des [objects*](#objet1) de terreur.
C'est luy qui vous a pris,
Luy seul vous doit sauver.
Mon mal est sans remède,
Suivons la volonté du sort qui nous possède :
Contre sa violence en vain je me deffens,
Nature, amour, pitié, Merope, chers enfans,
Où m’avez-vous traisné, vostre estât misérable
Eut peut-estre pour vous esté moins [déplorable*](#deplorable).
SCENE II.
Bons Dieus, il est icy plus tost qu’on ne pensoit,
Advertissons le Roy, mais il nous apperçoit,
Allons sans différer luy rendre nostre hommage.
Prince aussi [vertueux*](#vertueux1) que remply de [courage*](#courage3),
A qui le sort devoit un traitement plus doux.
Il est temps que le Ciel nous [approche*](#approcher) de vous,
Que nous donnant un calme après tant de tempestes,
Il augmente par vous l’honneur de nos conquestes.
[Cavalier*](#cavalier)[généreux*](#genereux1), si ma captivité
Augmente en quelque poinct vostre félicité :
Atree a ce qu’il veut, son ame [généreuse*](#genereux1)
De Thyeste aujourd’huy se rend victorieuse :
Apres de longs [ennuis*](#ennuy) & tant de maux souffers,
Je seray glorieux de vivre dans ses [fers*](#fer1) :
S'il veut ma liberté, s’il désire ma vie,
Je viens rendre à ses vœux l’une & l’autre asservie,
Et mettre entre ses mains un trésor pretieux,
Un bien incomparable, un frère !
Ah justes Dieus !
Vous luy pouviez donner tout le monde en partage
Mais vous ne pouviez pas l’[obliger*](#obliger1) davantage.
Toutesfois,
Que crains-tu ?
Qu'il ne soit [estonné*](#etonner2)
De vous voir en ces lieux sans estre accompagné.
Je sçay que sa grandeur a [passé*](#passer) l’ordinaire,
Et fait trop d’[appareil*](#appareil) pour recevoir un frère.
Mais certes tous ces [gens*](#gens) que j’ay vus de mes yeux
Amy, ne songent pas que je sois en ces lieux :
Ces trouppes que tu dis cherchent dedans la pleine
Celuy que tu vois seul avecque Lycostene.
Vous avez donc trompé leurs [soings*](#soing2) & nos désirs,
Et mon Roy se verra frustré de ses plaisirs.
Ce superbe [appareil*](#appareil) à mon exil contraire
Eust offencé mes yeux plustost que de leur plaire ;
Inconnu m’esquivant par un autre chemin,
J'ay fuy de leur présence, & suivy mon destin :
Ainsi tu me vois seul.
Trop [heureuse*](#heureux1) [rencontre*](#rencontre),
Que le Ciel à nos yeux favorable se monstre :
Mais il faut que mon Roy sçache vostre retour,
Et qu’appaisant l’[ardeur*](#ardeur2) d’une excessive amour,
Il soulage son cœur, & contente sa veuë ;
Je cours l’en advertir.
Ah faveur impreveuë !
Je veux pour le surprendre accompagner tes pas.
A moins de l’offencer, vous ne le devez pas,
Ayez, grand Prince, encor un peu de patience.
Soit, je l’attends icy.
SCENE III.
Comme vostre présence
[Remplit*](#remplir) ces lieux d’amour & de contentement ;
Jugez donc de la fin par ce commencement.
Ainsi sous la beauté du lys & de la rose,
Et l’espine se cache, & le serpent repose.
Sinistres [sentimens*](#sentiment).
Que veux-tu ; sans dessein
Je nourris le Vaultour qui me ronge le [sein*](#sein1) :
Peut-estre je me plonge en une erreur extrême,
Et je suis sans raison ennemy de moy-mesme,
Puis que dans les faveurs qu’aujourd’huy je [reçoy*](#recevoir),
Mon trouble semble injuste, & ne vient que de moy,
Je l’advouë, il est vray, mais de quelque advantage
Dont le destin m’[oblige*](#obliger1) & [flate*](#flatter1) mon [courage*](#courage2),
Je le veus, & ne puis esloigner de mon cœur
Les [trais*](#trait1) que je ressens d’une injuste langueur :
Asseuré je crains tout, & mon ame agitée
Par de [troubles*](#troubler) secrets se voit espouvantee.
En fin, il est à nous, & les Dieux immortels
Conduisent la victime aux pieds de nos autels ;
Son crime qui ne peut éviter son supplice
L'entraîne, & le fait cheoir au fond du précipice.
Lycostene, voy-tu dans ce tableau,
Il semble que le ciel par un secret nouveau
Ayt fait peindre mon sort, regardez-en l’image.
C'est un prince trahy.
N'en dis pas advantage :
Un plaisir inconnu me vient entretenir
Et mon esprit se peut à [peine*](#peine3) contenir,
Tant la douleur l’agite et la fureur l’emporte.
Mais il faut devant lui paroistre d’autre sorte ;
[Feindre*](#feindre2) mille regrets, & l’œil couvert de pleurs
Tesmoigner qu’on prend part à ses justes douleurs.
En vain pour eschapper ce prince s’esvertuë :
Voy comme en le baisant ce perfide le tuë.
Pour le faire abhorrer ce crime est ainsi [feint*](#feindre1).
Il semble que son cœur de frayeur soit atteint :
Voyez comme il commence à paroistre sauvage,
Son crime et son exil sont peins sur son visage.
Mais je diffère trop à m’approcher de luy.
Donc cher frère, je puis après un long [ennuy*](#ennuy)
T'[embrasser*](#embrasser1) mille fois, & mille fois encore.
Te voila de retour, cher frère que j’adore,
Et malgré les efforts d’un sort malicieux,
La clémence du ciel te redonne à mes yeux.
Oublions, oublions nos colères passées,
Effaçons ces [objects*](#objet1) qui troublent nos pensées.
[Estouffons*](#etouffer1) ces bourreaux qui nous [percent*](#percer) le flanc,
Et que la pitié se mesle avec le sang.
Vostre amour m’a vaincu, je suis sans résistance ;
Si vous estiez moins doux, je serois sans [offence*](#offense).
En excusant ma faute un Dieu seroit pour moy,
Et mon ame forcée auroit suivy sa loy ;
Le Ciel à m’assister se rendrait favorable,
Si vostre excez d’amour ne me faisoit coulpable.
Mais puis qu’à mon malheur pour estre criminel,
Il suffit seulement que vous m’avez creu tel ;
Il n’est point de forfait dont je ne sois complice,
J'ay plus que d’une fois mérité le supplice,
Et sans la [pieté*](#piete1) que vous avez pour nous,
Je ne meritois pas un traictement si doux.
Je l’implore, mon frère, & si mes justes larmes
Manquent pour l’attirer de puissance & de charmes,
Par ces pieds que j’[embrasse*](#embrasser2), & ce front glorieux,
Perdez le souvenir de mon crime odieux,
Octroyez un pardon qu’un frère vous reclame.
Comme la [passion*](#passion) vient à troubler mon ame,
Une juste pitié fait mouvoir tous mes [sens*](#sens1) ;
Je ne puis plus [souffrir*](#souffrir1) ces [discours*](#discours2) languissans.
Ah mon frère ! Ah Thyeste ! Ah destin favorable !
[Embrassons*](#embrasser1), embrassons un frère tant aimable,
Que par mille baisers & par mille plaisirs,
Et le sang & l’amour contentent leurs désirs,
Gouvernez avec moy toute cette Province,
Quittez ces vestemens indignes d’un grand Prince,
Et faictes que mes yeux ne soient pas offensez,
En voyant quelque [object*](#objet1) de vos malheurs passez.
Vostre exil est finy comme vostre misère,
Vous estes dans Mycene, & je suis vostre frère ;
La coronne aujourd’huy se partage entre nous,
Prenez un ornement qui soit digne de vous :
Je le dois, je le veux, & ma gloire est extrême,
De remettre en commun, un commun [diadesme*](#diademe) :
Le sort nous donne un Sceptre en nous favorisant,
Et c’est une [vertu*](#vertu2) que d’en faire un présent.
Que le Ciel recompense un Monarque invincible :
Mais à tous vos presens mon cœur est insensible :
Ce front couvert de honte, & plein d’[estonnement*](#etonnement),
Ne sçauroit plus porter un si digne ornement :
Cette main fuit le sceptre, & mon cœur solitaire
Parmy tant de grandeurs commence à se desplaire.
Le Royaume est à deux, & vous y succédez.
Le Royaume est à moy quand vous le possédez.
Dieux, à qui fust jamais cette grâce importune !
Et qui la hait :
Celuy qui connoist la [fortune*](#fortune2) :
Qui sçait son mouvement, & son cours incertain ;
Aujourd’huy [flatte*](#flatter4)-[t]-elle, elle trahit demain.
Quoy ? me frustrerez-vous du bien de mon attente.
Vostre gloire est parfaite, & mon ame est [contente*](#content1)
Donc vous ne voulez pas une fois m’[obliger*](#obliger1),
Ce [faiz*](#fais) est trop pesant, je ne m’en puis charger.
Mesprisez la coronne, & je quitte la mienne.
Je l’accepteray donc : mais quoy que je la tienne,
Ne pensez-pas mon frère, avoir un autre Roy,
Vous seul commanderez, je suivray vostre loy.
A [peine*](#peine3) mon esprit se contient dans la joye,
Acceptez les presens que le Ciel vous envoyé,
Allons sur les autels d’un cœur [devotieux*](#devotieux),
Pour cet [heureux*](#heureux1) retour rendre grâce aux Dieux.
Mais pour plus dignement célébrer cette feste,
Criton, soyez [soigneux*](#soigner) que le festin s’appreste.
SCENE IV.
A ce commandement, je frissonne d’horreur,
Et mon esprit saisi de crainte & de terreur,
Tremble de s’effrayer contre son ordinaire :
Ce [funeste*](#funeste2) dessein commance à me desplaire ;
Ma trahison s’arreste au milieu de son cours.
Mais quels sont tes [pensers*](#pensers), & quels sont tes [discours*](#discours1),
Quels remors sans raison veut [engager*](#engager1) ton ame
A se perdre à jamais dans la honte & le blasme :
Tu sers un Roy qui t’aime, & ta [timidité*](#timidite)
Veut perdre son [repos*](#repos3) par une lascheté.
Sa [foy*](#foi1) s’est plainement sur la tienne asseuree,
Et tu crains d’asseurer la coronne d’Atree.
Ah Criton !
SCENE V.
Tousjours [triste*](#triste2) & tousjours [soucieux*](#soucieux).
Amy, qu’un bon [démon*](#demon1) t’a conduit en ces lieux.
Que voulez-vous de moy ?
Qu'[achevant*](#achever1) ton office
Tu tiennes préparez la table & le service,
Le Prince est de retour.
Il est tout prest.
Adieu ! Je voile dans le Temple, & te quitte en ce lieu.
Seroit-il survenu quelque [accident*](#accident2) [funeste*](#funeste6) ?
Non, mais pour l’esviter il veut tromper Thyeste :
Tu sçais bien qu’il devrait estre de ce repas :
Mais c’est ce qu’il ne peut, & ce qu’il ne veut pas ;
Soit que ne pouvant point maistriser son [courage*](#courage2),
Il se vit [obligé*](#obliger2) de complaire à la rage
Qu'allume dans nos coeurs un [object*](#objet1) odieux,
Où qu’[estouffant*](#etouffer2) Atree il fust moins [furieux*](#furieux2) :
Soit qu’un frère [estonné*](#etonner2) de voir son abstinence,
Contre luy justement n’entrast en deffïance,
Et voyant les [transports*](#transports) de son coeur agité,
Il ne vist ruiné ce qu’il a projette. Il se resoult.
A quoy ?
A [feindre*](#feindre2) une foiblesse,
Et monstrant que l’excez de la douleur le [presse*](#presser),
Il se fera conduire en un lieu de [repos*](#repos1).
Que deviendra Thyeste ?
Apres quelques propos
Et quelques [complimens*](#compliment), nous conduirons à table
Ce Prince [infortuné](#infortune3).
Prudence inimitable.
Fin du quatriesme Acte.
ACTE V
SCENE PREMIERE.
Quel bon-heur fut jamais à mon bon-heur pareil ?
Quel Monarque aujourd’huy regarde le Soleil
Avecque plus de gloire & moins de jalousie ?
Ny l’excez du plaisir dont mon ame est saisie,
Ny l’extrême douceur de son ravissement,
N'ont rien à souhaiter dans leur contentement.
Je suis presque assouvy ; cette belle victoire
[Establit*](#etablir) mon repos, & fait naistre ma gloire :
Thyeste est en mes mains, mal-gré tous ses effors
Merope & ses enfans sont au nombre des morts ;
Et ma félicité qui n’a point de seconde,
Me rend le plus [heureux*](#heureux2) & le plus grand du monde.
Mais tu raisonnes mal, ton sort n’est point changé,
Puis que ton cœur n’est pas entièrement vengé,
Tu vis [infortuné](#infortune3), ta gloire est imparfaite,
Tenant à ce captif ta vengeance secrette :
Si tu veux triompher monstre luy ses malheurs,
Ta victoire despend de ses seules douleurs.
Voy-tu pas que le jour dans de profondes abysmes
S'est caché seulement pour mieux cacher nos crimes ?
Le Soleil ne luit plus, & cette obscurité
[Sollicite*](#solliciter) ton ame à cette cruauté.
[Achevé*](#achever1) Atree, achevé un dessein si [funeste*](#funeste2),
Employé à te venger la fureur qui te reste,
Le temps te le permet ; & si tu ne peux pas
Devant des Dieux craintifs exposer ce repas,
Contente-toy qu’un père en ces lieux détestables,
Voye en despit du jour ces [objets*](#objet1) effroyables.
Retire cet esprit de son aveuglement,
Fais luy, fais luy [sentir*](#sens) son crime et son [tourment*](#tourment1),
Que de ces doux [objects*](#objet1) on contente sa veuë,
Et qu’il voye à quel poinct ma vengeance est venue.
SCENE II.
Quel nuage importun nous desrobe le jour,
Le Soleil se retire au milieu de son tour,
Une profonde nuict couvre toute la terre.
Tu vois, Criton, tu vois comme je fais la guerre ;
Le jour s’en est caché, les Dieux en ont horreur,
Et je n’ay qu’à demy [contenté*](#contenter) ma fureur.
Voy donc combien sera ma vengeance effroyable,
[Lors que*](#lorsque) j’auray rendu Thyeste misérable.
Les Roys qui n’ont jamais de foibles sentimens
Doivent aux [desplaisirs*](#deplaisir) esgaller les [tormens*](#tourment1),
Comme à recompenser leur douceur et extresme,
Il faut qu’à nous punir leur rigueur soit de mesme.
Si le courrier du jour n’eust rebroussé ses pas,
Il eust vu ma vengeance en ce noble repas,
Où mon cœur a rendu sa fureur manifeste,
Esgaller pour le moins le crime de Thyeste.
Mais pour ne laisser rien aujourd’hui d’imparfait,
Nous avons de tous poincts à vos vœux [satisfait*](#satisfaire3),
Il ne soupçonne rien.
Agréable service,
Que ta [fidélité*](#fidelite) m’a fait un bon [office*](#office) :
Mais il ne nous faut point [travailler*](#travailler) à demy,
Il faut parachever, incomparable amy,
Et dans l’[occasion*](#occasion) redoubler son [courage](#courage6).
Qu'une excellente fin coronne nostre ouvrage.
Que reste-[t]-il à faire après tant de trépas ?
Tout ce que ton esprit ne s’imagine pas,
Et qui ne peut tomber que dessous ma pensée,
Ou d’une autre à l’esgal de la mienne offencee.
Qu'as-tu fait seulement ?
Ce qu’on m’avoit prescrit.
As-tu [subtilement*](#subtilement) endormy cet esprit ?
Que voulez-vous de plus, si son ame est [contente*](#content1),
Et s’il ne vous a point frustré de vostre attente ?
Que fait-il ce perfide ?
Il finit son festin,
Et s’enyvre de joye.
Ah [fortuné*](#fortunez) destin !
Que je te dois de vœux, que ta faveur est grande,
Tu l’as réduit au poinct où mon cœur le demande,
Près de sentir des maux plus [fascheux*](#facheux3) que la mort,
Tu [flattes*](#flatter1) ses malheurs en luy monstrant le port,
Mais pour la vive [ardeur*](#ardeur2) qui presse ma vengeance,
Tant de [discours*](#discours1) ne sont qu’une foible [allégeance*](#allegeance) ;
Il jouyt trop long-temps de ce contentement,
Il faut le retirer de son aveuglement,
Cet aymable désir [sollicite*](#solliciter) mon ame,
Et mon cœur embrazé d’une si douce flame,
Condamne à tous momens, les momens que je perds.
Il est temps, il est temps que tout cet Univers,
Qui sçait de mes [despits*](#depit2) la cause sans exemple,
Dedans mes cruautez aujourd’huy me contemple :
C'est assez se [soulier*](#souler1) d’un horrible repas,
Il troubleroit ses [sens*](#sens), & je ne le veux pas :
Car pour punir son crime, & venger mon offence,
J'ay besoin de Thyeste & de sa [connaissance*](#connaitre2).
Amy, voicy dequoy nous rendre triomphans,
Ce breuvage amassé du sang de deux enfans,
Pour me faire raison, dans ce cœur plein de rage,
Sous la couleur du vin [treuvera*](#trouver) son passage.
Allons donc de ce pas assouvir tous nos vœux ;
Ce ne m’est pas assez de le voir malheureux,
Mon [despit*](#depit1) est plus grand, &. plus grand mon ouvrage,
Je veux voir en naissant sa misère & sa rage.
Toutesfois mon dessein se verrait imparfait
Si je l’interrompois.
Il aura bien tost fait.
Va donc l’entretenir, & dy luy qu’il espère
Dans un moment d’icy de boire avec son frère :
Que je me rends à luy : mais cache ce présent,
Et verse au lieu de vin ce breuvage plaisant.
Alors que l’invitant à faire le semblable,
Par ce dernier devoir nous fermerons la table.
Je m’en vay le [treuver*](#trouver).
Je te quitte à dessein.
Dieux ! de quelle liqueur veut-il remplit son [sein*](#sein1)
Incroyable [fureur*](#fureur1).
SCENE III.
Mais ce Prince [repose*](#repos2),
Il est [dessus*](#dessus) le lict le front couvert de rose.
Dieux qu’il est bien changé de port & d’ornement,
De celuy qu’il estoit dans son bannissement.
Destin, que tes [coups*](#coup2) sont secrets,
Qu'ils trompent nostre prévoyance,
Et qu’en vain nostre résistance
S'obstine contre tes décrets.
Tu peux tout dans le Ciel, tu peux tout sur la terre,
Et si tu veux la paix, ou si tu veux la guerre ;
Il faut à ce vouloir conformer tous nos vœux.
Mourons s’il faut mourir, & vivons s’il faut vivre,
Tu ne changes jamais, & tout ce que tu veux
Une nécessité nous [oblige*](#obliger2) à le suivre.
[Demon*](#demon1) plaisant et rigoureux,
Qui jadis causa mon martyre,
Et qui maintenant me retire
De l’abysme des malheureux.
Aveqmille [appas*](#appas) &. mille nouveaux [charmes*](#charme),
Ta douceur tarissant mes soupirs & mes larmes,
D'honneur & de plaisir rend mes [sens*](#sens1) [enchantez*](#enchanter),
Et pour chasser mes maux n’offre qu’à ma mémoire
L'excez de ma grandeur, ou celuy de ma gloire,
Ou les plus doux [objects*](#objet4) de mes félicitez.
Ces lieux de plaisirs &. d’amour
Où ce Dieu fait voir sa merveille,
Ont une grâce sans pareille
A me parler de mon retour.
Tout rit à mes souhaits, tout [flate*](#flatter3) mon [courage*](#courage2),
Dans une mer d’oubly mes maux ont fait naufrage,
Et mes vœux aujourd’huy n’ont rien à souhaiter.
Atree entre tous deux partage la coronne,
Je suis Roy corne luy, sa puissance l’ordonne,
Et je ne puis plus haut où [prétendre*](#pretendre) ou monter.
Mais de quelque contentement
Dont le destin [flatte*](#flatter1) mon ame,
Un bourreau contre-elle s’enflame,
Et l’attaque [secrettement*](#secretement).
Elle se ressouvient de sa faute passée,
Et tousjours mon exil revient en ma pensée,
Mes yeux sans y songer laissent couler des pleurs ;
Et [lors que*](#lorsque) le plaisir attire ma parole,
Un soupir sans dessein avec elle s’envolle,
Et je croy qu’il m’annonce encores des malheurs.
Et bien, suivons ces loix qu’on ne sçauroit enfraindre,
Tu t’avises trop tard, il n’est plus temps de craindre.
SCENE IV.
Approche cher Criton, & pour m/[obliger*](#obliger1) mieux
Parle avec ta bouche, ainsi qu’avec tes yeux ;
Si je ne me [deçoy*](#decevoir), je lis en ton visage
Les marques & les trais de quelque [heureux*](#heureux1) présage :
Le Roy repose-[t]-il ?
Mais vient-il en ces lieux
Verser avecque vous ce que l’on doit aux Dieux ;
Boire le dernier [coup*](#coup4),
Ah faveur incroyable !
La Reyne le suit-elle ?
Elle est encore à table.
L'a-[t]-on fait advertir que j’estois à la Cour ?
Le Roy pour la surprendre a tu vostre retour.
La verrons-nous bien tost ?
Il veut que Lycostene
Pour augmenter sa joye, en augmentant sa [peine*](#peine1),
Luy dise qu’on ne peut vous voir encore icy :
Si vous le permettez,
Et je le veux aussi,
Allez donc pomptement faire ce qu’on désire :
Voyez ces doux [objects*](#objet2) pour qui mon cœur soûpire,
Dites leur que le sort est devenu plus doux,
Qu'il travaille pour eux : mais le Roy vient à nous.
SCENE V
Puis que dans les faveurs que le Ciel nous envoyé,
Aujourd’huy tout nous parle &. d’amour &. de joye,
Que tout porte nos cœurs à ces [ressentimens*](#ressentiment2),
Cher frère, par l’excez de nos contentemens,
Et par les doux plaisirs où le sort nous appelle,
Rendons de ce beau jour la mémoire éternelle ;
Finissons nos malheurs, & goustons désormais
Les aymables douceurs d’une immortelle paix.
Ma gloire est sans seconde, & vostre grâce extrême :
Mais pour faire aujourd’huy que tout en soit de mesme
Et rendre nos plaisirs de nos maux triomphans,
Que la Reyne [mandée*](#mander) ameine ses enfans.
Noble [ressentiment*](#ressentiment1), [affection*](#affection) d’un père,
Vous voulez vos enfans, vous les aurez mon frère,
Jamais ils ne seront de vos bras arrachez ;
Ces [objets*](#objet3) à vos yeux ne seront point cachez,
Et baisant à louezir leur aymable visage,
Vous vous en soullerez* : mais tandis que ce Page,
Ira leur tesmoigner quel est vostre dessain :
Noyons tous nos soucis, prenons la couppe en main,
Renouvelions l’amour que le Ciel renouvelle.
Acceptons le présent d’une [amour*](#amour1) fraternelle,
Et versons dans ces lieux qui serviront d’autels,
Les honneurs que l’on doit aux mânes paternels.
Mais d’où vient que ma main en ce beau sacrifice,
Refuse à mes désirs un si divin office ?
Ce fardeau la surcharge, & croit à tous momens,
Le vin fuit de ma bouche, & les contentemens
S'esloignent de mon cœur ; ce tremblement de terre
M'est l’augure certain de quelque horrible guerre :
Les Astres retirez laissent le firmament.
Ah grand Dieu ! sur ce corps vengez-vous seulement,
Pardonnez aux enfans, rendez-moi ces doux gages.
Vous aurez dedans peu ces précieux hostages.
Las ! qui dedans mes [sens*](#sens1) excite tant de flots,
Quel secret [desplaisir*](#deplaisir) [trouble*](#troubler) ainsi mon [repos*](#repos3) ?
Sous le [fais*](#fais) des douleurs mon ame est abbatuë,
Et mon cœur est chargé d’un fardeau qui le tuë :
Je pleure sans pleurer, & les [plainte*](#plaintes) que j’oy,
Quoy qu’elles soient dans moy, ne viennent pas de moy.
Merope, chers enfans, de vostre seule veuë
Despends la guerison du regret qui me tuë.
Mais d’où me parlent-ils ?
Que ne tends-tu les bras ?
Ils sont desja venus ne les [connois*](#connaitre1)-tu pas ?
Je reconnois mon frère, ame noire &. perfide ;
Terre, peux-tu [souffrir*](#souffrir2) ce cruel homicide ?
Que n’ouvres-tu ton [sein*](#sein1) afin de l’engloutir :
L'un ou l’autre de nous devoit desja sentir
Dans le fond des enfers &. de leurs précipices,
Pires que leurs ayeuls, de plus cruels supplices.
Si le Ciel pour punir leurs crimes odieux,
Pour eux tant seulement n’a point fait d’autres lieux ;
Ta masse incessamment roulant dessus nos testes,
Et du noir Acheron les plus noires tempestes,
Et d’un fleuve de [feu*](#feu3) les sablons [consommans*](#consommer1),
Sont pour nous chastier de trop foibles [tormens*](#tourment1) :
Mais tout à mon malheur insensible demeure,
Je le vois, & le Ciel ne veut pas que je meure.
Mon frère que ton cœur soit un peu plus remis ;
Tu veux tes chers enfans, je te les ay promis :
Reçoy sans différer l’[effet*](#effet2) de ma promesse.
Voila les noirs [effets*](#effet1) d’une ame vengeresse,
D'une haine brutale ; & d’un Prince sans [foy*](#foi2).
Je ne demande pas ce qui fait contre toy,
Ou qui puisse empescherta vengeance exécrable,
Mais de ces innocens le reste [desplorable*](#deplorable) :
Non point pour conserver ce trésor précieux,
Mais afin de le perdre, & le perdre tes yeux.
Ton ame injustement contre ma [foy*](#foi2) déteste,
Tu vois ce que j’en ay, tu tiens tout ce qui reste.
Sont-ils point les repas des loups et des corbeaux ?
Ou les reserve-[t]-on à des monstres nouveaux ?
Pourquoy veux-tu sçavoir ma vengeance & ta rage ?
Tu les viens de manger, en veux-tu davantage ?
Et c’est là le sujet qui force tous les Dieux
De s’esloigner de nous, & de quitter ces lieux,
Et qui changeant le jour en une nuict obscure,
A confondu les loix de toute la nature,
Fait naistre dans mon [cœur*](#coeur) un soudain changement,
Et jette mes esprits dans l’espouvantement.
Helas ! quelles douleurs monstreront mes attaintes,
Et quels cris suffiront à faire voir mes plaintes :
Leurs pieds, leurs mains, leurs bras que l’on m’avoit cachez,
Et leur [chefs*](#chef) innocens de leurs troncs arrachez,
N'ont pu [soulier*](#souler1) ma faim, ny dedans mes entrailles
[Treuver*](#trouver) un [monument*](#monument) [propre*](#propre1) à leurs funérailles.
Le reste encor vivant m’agite incessamment,
Et mon crime à sortir s’efforce vainement,
Il me ronge le sein, quelle estrange advanture,
Donne un mesme cousteau, j’en feray l’ouverture,
Encores criminel & rougy de leur sang,
Il [transpercera*](#percer) mieux ce détestable flanc.
Augmente tes forfaits de cet acte loüable,
Et monstre toy clément à m’estre impitoyable :
Tu ris de mes douleurs, tu ris de mes dessains,
Au refus de ce traistre assistez-moy mes mains.
Mais helas ! pardonnons à ces ombres [fidelles*](#fidele3),
Que rien que mon amour n’a faites criminelles,
Et blasmons seulement ce destin rigoureux.
Quel père fut jamais à ce point malheureux ?
J'ay mangé mes enfans ? horreurs ! [forceneries*](#forceneries) !
Tu te pouvois venger par de [moindres*](#moindre) [furies*](#furie1).
Si je t’avois puny moins rigoureusement,
Ma vengeance serait sans son contentement :
Je n’ay fait qu’à demy ce que je voulois faire :
Il falloit, il falloit, pour soulier ma colère,
Et pour plaire aux [transpors*](#transports) qui me vont assaillant,
T'enyvrer de leur sang tout fumeux & bouillant,
Leur livrer à tes yeux milles nouvelles [géhennes*](#gehennes),
Et les faire passer tous vivans dans tes veines.
Mais tous ces vains propos, & si remplis d’horreurs,
Ne sont que les tesmoins de ma juste fureur.
J'ay moi-mesme arraché le cœur à ces infames ;
J'ay moi-mesme allumé les charbons et les flames,
Sur qui j’ay vu rostir les mets qui t’ont repu ;
Un père l’eust mieux fait, mais il ne s’est pas pu,
Et de ce doux plaisir ma vengeance est frustrée.
Il est vray que [soullant*](#souler1) sa faim démesurée,
Lui-mesme a deschiré ces morceaux delicats ;
Mais c’estoitsans douleur ne les [connoissant*](#connaitre3) pas.
Apres ces actions & ces desseins [funestes*](#funeste2)
Serois-tu pas sans cceur d’en laisser quelques restes ?
Soulle-toy de ton crime, & l’[achevés*](#achever2) sur moy.
Non, ton juste remors me vengera de toy,
Et ton regret qui va jusqu’où j’avois envie,
D'un excez de plaisir rend mon ame [ravie*](#ravir) :
J'estois vaincu, Thyeste estant moins affligé,
Et sans cette douleur, je n’estois pas vengé.
Tes pleurs et tes soupirs me donnent la victoire,
De ton cceur abbatu je voy naistre ma gloire,
Et ton affliction apporte à tous momens,
A mes [ennuis*](#ennuy) passez mille soulagemens.
J'[estime*](#estimer) ma valeur, & croy qu’on me redonne
Plus qu’on n’avoit ravy d’honneur à ma couronne.
Ah Merope !
Il est vray qu’avec juste raison
Tu la peux accuser de cette trahison,
Elle les a perdus mais voy comme la [peine*](#peine2)
A suivy le forfait de cette ame inhumaine.
[Demon*](#demon2) noir & sanglant.
Adjouste à ce [discours*](#discours1)
Le juste punisseur de tes lasches amours.
Détestable assassin, qu’avoit fait l’innocence
Pour [souffrir*](#souffrir1) d’une telle vengeance ? Des enfans,
Que la mort met hors de mes liens.
Estoient-ils criminels ?
Non : mais ils estaient tiens.
Mets [triste*](#triste1) & [furieux*](#furieux1), [estrange*](#etrange2) nourriture.
Mais l’unique moyen de venger mon injure.
Grands Dieus, vangés pour moy cet horrible repas.
Et les Dieux de l’[Hymen*](#hymen) ne me vengent-ils pas ?
Qui compensa jamais un crime par un crime ?
Moy, moy ; mais ce n’est pas la cause légitime
Du [despit*](#depit1) [furieux*](#furieux3) qui trouble tes esprits ;
Tu voulois prendre Atree, &. c’est luy qui t’a pris :
Tu voulois le premier exposer sur sa table
Ce présent gratieux, ce mets incomparable ;
Et ta douleur n’est pas de l’avoir dévoré,
Mais de voir ce repas sans l’avoir préparé :
Tu t’en es retenu le croyant à Thyeste,
Et tu n’as pas songé qu’il estoit d’un [inceste*](#inceste).
Quel père fut jamais en l’estat où je suis ?
Toy seul des immortels qui connois mes [ennuis*](#ennuy),
Et qui vois de mon sort la violence extrême,
Monstre icy les [effets*](#effet2) de ton pouvoir suprême ;
Que tous les [elemens*](#element2) soient sans ordre & sans rang ;
Fais gresler des cailloux, & fais pleuvoir du sang,
Permets à tous les vens de se faire la guerre,
Cependant que ta main avecque ce tonnerre,
Dont Offe et Pelion malgré tous leurs [démons*](#demon1),
Et leurs cruels Tytans aussi grands que leurs mons,
Furent fais les tombeaux de ces corps que la foudre,
Pour punir leur orgueil avoient réduis en poudre,
Puniront leur forfait de ce monstre odieux
Qui ravit le Soleil & le Ciel à nos yeux :
L'un & l’autre de nous est assez détestable,
Et si tu me veux seul, je suis le seul coupable.
Tonne, esclaire, fouldroye ; un corps si malheureux
Ne sçauroit ressentir un [coup*](#coup5) trop rigoureux :
Que ton [feu*](#feu3) me [consome*](#consommer1), & me réduise en cendre.
Aussi bien si tu veux que Lys/s & Theandre
Reçoivent les faveurs de ce doux [élément*](#element1),
Tu me dois [consommer*](#consommer2), je suis leur [monument*](#monument),
Leur sang est dans mon sang ; ils parient par ma bouche ;
Escoute, escoute-les, que leur [plainte*](#plaintes) te [touche*](#toucher3),
Merope t’en conjure, [objets*](#objet2) pleins de pitié.
Merope, Enfans, Amour, partagés par moitié
Ce cœur, ce corps, Thyeste, horreurs insupportables !
Je chéris des [objets*](#objet3) qui me sont effroyables.
Merope, Enfans, Amour, quel est mon desespoir,
Je ne vous puis quitter, & je ne vous puis voir.
Et bien, ne vois-tu pas l’[effet*](#effet2) de mes promesses ?
Soulle-toy, soullez-les de tes douces caresses.
Dieux qui voyez l’horreur d’un crime si nouveau,
Je vous laisse à punir cet infâme bourreau.
Contant d’avoir porté ma vangeance à l’extrême,
Je laisse à tes enfans à te punir toy-mesme.
FIN